CHAPITRE XX
 
Balthazar fait des siennes.

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JO PRIT une décision. Elle suivrait les hommes dans le passage secret et tenterait d’avertir ses amis quand elle serait assez près du lieu où ils étaient emprisonnés. Elle voulait les aider, d’une façon ou d’une autre.

Elle courut jusqu’au mur d’enceinte, grimpa à l’échelle de corde et descendit de l’autre côté en un clin d’œil. Elle gagna l’endroit où il manquait une pierre et s’engouffra dans le passage.

Balthazar, le python, fut très étonné de se retrouver dans l’herbe, où Jo l’avait jeté avant d’escalader le mur. Il n’était pas habitué à un tel traitement, et se tortillait sur le sol, en se demandant où était passée cette gentille petite fille. Balthazar aimait Jo, qui savait si bien le soigner.

Il la chercha, retrouva sa trace et glissa aisément jusqu’en haut de la muraille, sans avoir besoin, lui, de l’échelle de corde. Il se dépêchait, ce qui n’était guère dans ses habitudes. Comme il pouvait aller vite, quand il le voulait !

Il arriva au trou du mur. Comme tous les serpents, il aimait les cavités dans les pierres. Il s’y engagea donc sans hésiter une seconde et rattrapa Jo au moment où elle parvenait au bout de l’étroit passage, qu’elle avait dû traverser courbée en deux. Il voulut s’enrouler autour de ses jambes. Surprise, elle poussa un cri, puis comprit qu’il s’agissait de Balthazar.

« Eh bien, Tony ne serait pas content s’il te voyait ! lui dit-elle. Va-t’en ! Allons, laisse-moi, j’ai quelque chose d’important à faire, et je ne peux pas t’emmener ! »

Mais Balthazar n’était pas comme Dagobert. Il obéissait seulement quand cela lui plaisait, et cette fois ce n’était pas le cas.

« C’est bon, viens avec moi, puisque tu y tiens tant ! » dit Jo, après avoir essayé en vain de repousser le reptile. « Après tout, tu me tiendras compagnie. Mais cesse de siffler ! »

Jo descendit les marches abruptes qui conduisaient au passage situé sous la cour du château. Balthazar suivait toujours, un peu surpris par les accidents du parcours, mais confiant dans sa jeune amie et décidé à l’accompagner n’importe où. Ils montèrent le second escalier et pénétrèrent dans le mur épais du château. Jo vit quelque chose qui brillait devant elle, et jugea prudent de s’arrêter. Elle écouta, mais n’entendit rien. Elle avança prudemment et découvrit, dans la petite chambre secrète, une lanterne qui brûlait, abandonnée probablement par l’un des hommes qui venaient de passer par là.

Elle vit le poignard rouillé sur le sol, ainsi que la corde dont elle avait réussi à se défaire, et sourit.

Elle continua d’avancer le long du corridor qui conduisait à l’escalier en spirale. Elle crut entendre un bruit, et monta les marches, irritée contre Balthazar, parce qu’il la poussait parfois et risquait de la faire tomber. Le serpent taquin avait envie de jouer. Elle arriva à la porte qui s’ouvrait sur la galerie, et hésita à tourner l’anneau. Les bandits n’étaient-ils pas juste derrière cette porte ?

Jo se décida à l’ouvrir tout doucement. Elle ne put rien distinguer dans les ténèbres. Balthazar choisit ce moment-là pour s’enrouler autour de Jo, dans un grand élan d’affection. Elle ne put s’en débarrasser, et pénétra dans la galerie empêtrée du python qui s’était posé comme une fourrure sur ses épaules.

Tout à coup, rompant le silence, un vacarme épouvantable la cloua sur place. Il lui sembla reconnaître, parmi d’autres, la voix de Buffalo. D’où venait donc ce bruit sec, semblable à un coup de revolver ?

Que s’était-il passé en bas, dans la cour, après le départ de Jo et de Balthazar ? Aucun des hommes n’avait remarqué leur disparition. Ils étaient tous trop occupés. Buffalo se préparait à utiliser son extraordinaire adresse, mais d’une façon bien, différente de celle qui lui était coutumière. Il devait lancer son couteau dans les airs et le faire passer par la fenêtre du haut de la tour !

Buffalo connaissait l’art de lancer des couteaux. Pourtant, cette fois, l’épreuve était particulièrement difficile. Debout dans la cour, il regardait la fenêtre. Les yeux mi-clos, il prit son temps pour mesurer la distance et la hauteur de l’objectif à atteindre. Au moment où il levait le bras, la lune disparut derrière un nuage. Sa main retomba. Il ne pouvait lancer son couteau dans l’obscurité !

La lune reparut, brillante. Alors, il ne perdit pas une seconde. La lame luisante fendit l’air, traînant derrière elle une longue cordelette.

Le couteau heurta le rebord de la fenêtre et retomba. Buffalo le ramassa. Le clair de lune permettait de voir que le couteau n’était pas pointu. Buffalo avait émoussé soigneusement la lame. Ainsi, personne ne risquait d’être blessé, comme Jo le craignait tant !

Une fois de plus, Buffalo mesura la distance, et le couteau vola. Cette fois, il passa par l’ouverture, glissa le long de la pierre et tomba sur le sol, à l’intérieur de la tour.

Le bruit qu’il fit surprit les prisonniers. M. Dumoutier, les quatre enfants et Dagobert étaient tous serrés dans un coin, essayant de se réchauffer les uns les autres. Ils souffraient de la faim et de la soif, plus encore que du froid. Personne n’avait pensé à emporter des vivres, et ils ne disposaient que d’une couverture pour eux tous, couverture laissée à Dumoutier par ses ennemis. Les heures s’étaient égrenées lentement, sans leur apporter la délivrance qu’ils espéraient tant.

« Pourquoi Jo n’a-t-elle pas été chercher la police ? » s’étaient-ils demandé cent fois au cours de cette interminable journée. Ils ne se doutaient pas que la pauvre Jo avait passé des heures à essayer de se libérer de ses liens !

Ils avaient souvent regardé du côté du terrain de camping, sur l’autre colline, où les saltimbanques se livraient à leurs occupations, pareils à des fourmis dans l’herbe. Jo était-elle parmi eux ?

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La distance ne permettait pas de reconnaître qui que ce fût.

À la tombée de la nuit, François s’était approché de la fenêtre pour faire des signaux pendant longtemps, avec sa lampe de poche. Puis, découragés et misérables, ils s’étaient tous réunis dans un coin de cette salle sinistre, pour avoir moins froid. Dumoutier s’attendait au retour de Tessier et de ses complices, d’un moment à l’autre. « Que feront-ils de ces courageux enfants qui ont voulu me délivrer ? » songeait-il sans cesse. Et le souci de leur sort augmentait sa peine.

Dagobert ne comprenait pas du tout pourquoi il fallait rester dans cet endroit si inconfortable. Lui aussi avait faim et soif.

« Pauvre Dago ! comme il souffre ! » disait Claude, oubliant sa propre misère pour compatir aux tourments de son chien.

Les enfants commençaient à s’assoupir quand le couteau tomba dans la pièce. Dagobert bondit, et se mit à aboyer. Il flaira le poignard, qui brillait dans la clarté de la lune, et aboya encore.

« Un couteau, dit Claude étonnée. Un couteau avec une grosse ficelle attachée après.

— C’est curieux, il est émoussé du bout, remarqua François en l’examinant. Qu’est-ce que cela veut dire ? Et pourquoi cette cordelette ?

— Prends garde qu’un autre couteau ne suive le premier, dit Dumoutier.

— Non, dit François. Je pense que Jo est pour quelque chose dans cette affaire. Elle n’a pas alerté la police. Elle a appelé les saltimbanques à l’aide. C’est le couteau de Buffalo, je le reconnais !»

Tous se groupèrent autour de lui, pour voir le poignard.

« Il faut que je me rende compte de ce qu’on fait en bas, dit François. Je vais regarder dans la cour. Mick, tiens mes jambes ! »

Il grimpa sur l’appui de la fenêtre, long de l’épaisseur du mur, et qui allait en se rétrécissant. Il rampa jusqu’à ce qu’il fût en mesure d’embrasser la cour du regard. Mick tenait les jambes de son frère de toutes ses forces, craignant que le rebord ne vint à céder sous le poids de François.

« Il y a quatre hommes dans la cour, dit François. Alfredo, Buffalo, et deux autres que je ne peux identifier. Ohé ! » cria-t-il de toutes ses forces.

Les quatre hommes qui étaient en bas avaient les yeux fixés sur le haut de la tour. Ils virent apparaître la tête de François et lui firent des signes.

« Tirez la ficelle ! » hurla Buffalo. Il y avait déjà attaché une seconde échelle de corde, qu’il tenait en l’air, avec l’aide de ses camarades, de façon qu’elle pût glisser le long de la muraille.

François rentra dans la pièce, et expliqua avec animation :

« Cette ficelle qui est liée au couteau descend le long du mur et est attachée elle-même à une échelle de corde ; je vais tirer, et l’échelle viendra, qui nous permettra de descendre ! »

Il tira la ficelle. Au bout d’un moment, il sentit une résistance et devina que l’échelle de corde suivait. Il lui fallut tirer plus lentement. Mick l’aida. Alors, ils virent apparaître l’échelle de corde. Les enfants l’examinèrent curieusement. Elle était différente de celles qu’ils avaient eu l’occasion de voir auparavant.

« Les acrobates de cirque et les saltimbanques les fabriquent eux-mêmes, dit Dumoutier. Elles sont plus légères et plus faciles à utiliser que les échelles de corde courantes. Il nous faut fixer l’extrémité de celle-ci à quelque chose de véritablement solide, pour qu’elle puisse supporter notre poids. »

Annie regarda l’échelle de corde avec appréhension. Allait-elle être obligée de descendre de si haut par ce moyen périlleux ? Mais les autres étaient enchantés d’avoir là une possibilité d’évasion. Ils étaient prêts à faire n’importe quoi pour sortir enfin de cette affreuse prison !

Dumoutier trouva un grand anneau de fer, scellé dans la pierre d’une paroi. À quoi avait-il servi autrefois ? Nul ne pouvait le savoir, mais, en tout cas, il allait leur être fort utile. Dumoutier, aidé de François, fixa solidement l’échelle de corde à l’anneau. Tous deux firent de nombreux nœuds. Dumoutier prit l’échelle dans ses mains, et tira dessus de toutes ses forces, en se renversant en arrière.

François demanda : « Pourrais-je passer le premier, monsieur ? Quand je serai en bas, j’aiderai ceux qui descendront. Vous surveillerez le départ des filles, avec Mick…

— Entendu, dit Dumoutier.

— Et Dagobert ? demanda soudain Claude.

— Nous l’envelopperons dans la couverture, l’attacherons et le ferons descendre au bout de la cordelette, qui est très fine mais très solide ! » proposa Mick.

François se dirigea vers la fenêtre. Puis il s’arrêta net. Quelqu’un montait les marches et approchait de la porte. Qui était-ce ?