CHAPITRE XVI
 
Le passage secret

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Ils attendirent que la lune disparût derrière un nuage, et, pareils à des ombres, ils descendirent la colline aussi vite qu’ils le purent. Ils ne voulaient pas être vus des saltimbanques. Puis ils grimpèrent le sentier abrupt qui conduisait au château ; quand ils arrivèrent à la petite tour où se trouvait la porte d’entrée des visiteurs, ils tournèrent à droite, et longèrent l’épais mur d’enceinte.

Il était difficile de marcher au pied de la muraille, car la pente de la colline était fort raide. Dagobert les suivit, amusé par cette promenade inattendue.

« Écoute-moi bien, Dagobert, dit Claude. Nous voulons que tu nous montres comment tu es entré là ce matin. Me comprends-tu, Dagobert ? Va, entre ! »

Dagobert remua sa longue queue, pointa ses oreilles et se mit à flairer. Il avança, humant l’air. Soudain, il s’arrêta et regarda derrière lui. Il aboya comme pour appeler ses amis.

La lune, inopportunément, disparut derrière un nuage. François alluma sa lampe de poche et la dirigea sur Dagobert. Le chien attendait, l’air satisfait.

« De quoi te réjouis-tu, Dagobert, dit François, surpris. Il n’y a pas de trou ! Ce n’est donc pas par ici que tu as pu pénétrer dans le château. Qu’essaies-tu de nous montrer ? »

Dagobert aboya encore. Puis, soudain, il prit son élan, fit un bond d’un mètre sur les pierres inégales et disparut !

« Par exemple ! Où est-il ? dit François, stupéfait en cherchant à la lueur de sa lampe de poche.

Regardez ! Il manque une pierre en haut, là. Une très grosse pierre, ma foi ! Dagobert est passé par le trou !

— C’est sûrement ce gros bloc que nous avons remarqué au pied de la colline, dit Mick. Comment Dagobert a-t-il pu passer par là ? Ce mur est très épais, et même si une pierre vient à se détacher, il y en a certainement d’autres derrière !

— Je vais aller m’en rendre compte », dit François.

Il se mit à grimper. Il arriva à l’endroit où la grosse pierre manquait, et l’éclaira. « Très intéressant ! déclara-t-il, triomphant. Le mur est creux ici et Dagobert a disparu dans la cavité ! »

À l’annonce de cette nouvelle, tous les enfants s’agitèrent.

« Pouvons-nous suivre Dagobert ? demanda Claude. Appelle-le, François, et regarde où il est ! »

François appela par le trou : « Dagobert ! Dagobert, où es-tu ? »

Un aboiement assourdi lui parvint, puis les yeux de Dagobert brillèrent dans l’ombre. Le chien se tenait au-delà du vide laissé par la pierre manquante. « Il est ici ! cria François. Laissez-moi vous dire ce que je pense de notre découverte : quand cet énorme mur a été bâti, on a laissé un espace à l’intérieur, ou bien dans le but d’économiser les pierres, ou bien pour faire un passage secret. Je ne sais lequel des deux. La chute de cette pierre a mis à jour une partie de la cavité. Voulez-vous venir l’explorer avec moi ?

— Oui ! » fut la réponse unanime.

François rejoignit Dagobert. Il éclaira alors l’endroit où il se trouvait.

« C’est une sorte de couloir très étroit, dit-il. Nous allons être obligés de nous plier en deux pour le parcourir. Annie, viens ! Je vais t’aider à te hisser !

— Peut-on respirer, là-dedans ? demanda Mick.

— Oui, mais il y règne une odeur de moisi, dit François. Si c’est réellement un passage, il doit y avoir des trous d’aération quelque part, pour renouveler l’air. Annie, accroche-toi à moi. Jo, à ton tour ! Ensuite Claude, puis Mick ! »

Bientôt, ils furent tous dans le passage, qui courait dans la muraille et était en effet très étroit. Ils se sentirent vite fatigués de marcher courbés. Chacun des enfants était muni d’une lampe de poche, excepté Jo.

Annie se cramponnait à la veste de François. Elle éprouvait une sorte d’angoisse et cependant pour rien au monde elle n’eût consenti à laisser ses amis.

François s’arrêta brusquement, et chacun heurta de la tête celui qui le précédait.

« Que se passe-t-il ? demanda Mick, le dernier de la file.

— J’arrive à un escalier, répondit François. Un escalier qui descend, avec des marches très étroites, presque une échelle de pierre. Faites bien attention ! »

En effet, l’escalier était des plus raides.

« Il est préférable de le descendre face aux marches, c’est-à-dire à reculons, ajouta François. Ainsi, nous aurons des appuis pour les mains comme pour les pieds. Je vais passer le premier. »

L’escalier avait une douzaine de marches. Après François, Annie se tourna et descendit aussi en regardant les marches, comme s’il s’agissait d’une échelle et non d’un escalier. C’était beaucoup plus facile ainsi.

En bas, il y avait un autre couloir, plus large et plus haut. Les enfants se sentirent bien soulagés de pouvoir marcher normalement.

« Où cela nous conduit-il ? » se demandait François. Il s’arrêta pour réfléchir un instant. « Ce passage est à angle droit avec le mur, ce qui signifie que nous avons maintenant quitté ce dernier et que nous marchons sous la cour, sans aucun doute.

— Je parie que nous ne sommes pas loin de la tour qui nous intéresse, dit Mick. Comme je voudrais que ce passage y mène ! »

Personne ne pouvait dire exactement où ils allaient. Le couloir où ils se trouvaient alors s’allongeait, rectiligne, sur vingt-cinq mètres environ. Arrivé au bout, François s’arrêta de nouveau.

« Encore un escalier ! annonça-t-il. Aussi raide que l’autre, mais, cette fois, il monte. Où ? Peut-être à l’intérieur du château ! C’est du moins ce que je pense. Il est possible que nous soyons dans un passage secret qui nous conduise dans l’une des anciennes chambres ! »

Ils montèrent les marches avec précaution et se trouvèrent non dans un nouveau couloir, mais dans une toute petite pièce qui semblait avoir été creusée dans le mur même du château.

François s’arrêta, surpris, et tous se rassemblèrent dans l’étroit espace. Cette pièce, en vérité, n’était guère plus large qu’une grande armoire. D’un côté, il y avait un banc, avec une tablette fixée au-dessus ; sur la tablette, une cruche très ancienne, avec une anse brisée. Sur le banc était posé un petit poignard rouillé, en fort mauvais état.

« Regardez ! C’est une chambre secrète, comme ils en avaient autrefois, pour que quelqu’un puisse s’y cacher en cas de nécessité, dit François. Nous sommes à l’intérieur de l’un des murs du château, peut-être celui d’une des chambres.

— Et voici le vieux pot à eau, dit Claude. Et un poignard. Qui donc s’est caché ici, au temps jadis ?»

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Mick promena sa lumière autour de lui dans l’espoir de trouver autre chose d’intéressant. Soudain, il poussa une exclamation de surprise et garda sa lampe braquée sur un coin de la chambre.

« Qu’y a-t-il ? demanda François.

— Un papier… un papier rouge, argent et bleu, que je connais bien, et vous aussi. C’est l’emballage de notre chocolat préféré. Vous savez que cette présentation est nouvelle ; il y a quelques mois, les tablettes étaient encore enveloppées dans du papier jaune. Nous avons tous remarqué le nouvel emballage rouge, argent et bleu, tellement plus joli et plus moderne que le précédent ! »

Il le ramassa et le défroissa. Oui, il y avait bien dessus leur marque favorite.

Chacun resta silencieux. Cette trouvaille ne pouvait signifier qu’une seule chose : quelqu’un avait pénétré dans cette chambre récemment — quelqu’un qui aimait le chocolat et qui avait jeté à terre le papier qui l’enveloppait, sans penser qu’il pourrait donner une précieuse indication !

« Eh bien, dit François, rompant le silence. C’est surprenant ! Qui connaît ce chemin ? Et où conduit-il ? En haut de la tour, j’en fais le pari !

— Il vaudrait mieux nous tenir sur nos gardes, dit Mick à voix basse. Celui qui est déjà passé par ici peut revenir à l’improviste…

— Oui, il serait sans doute plus prudent de retourner en arrière. Nous entraînons les filles dans une drôle d’aventure, qui n’est pas sans risques, dit François.

— Non, dit Claude résolument. En avant ! Mais ouvrons l’œil et le bon !»

De cette chambre secrète partait une espèce de long boyau au bout duquel ils trouvèrent un escalier en spirale. Quand ils l’eurent gravi, ils arrivèrent à une porte étroite qui avait, en guise de poignée, un grand anneau de fer, à la mode d’autrefois.

François resta perplexe devant la porte. Devait-il l’ouvrir, ou non ? Il hésita un moment, puis regarda ses compagnons et leur dit : « Je suis arrivé à une petite porte. Dois-je l’ouvrir ?

— Oui », soufflèrent les autres, sans hésitation. François empoigna l’anneau de fer et le tourna doucement. Il ne fit aucun bruit. La porte s’ouvrit silencieusement. François s’attendait à trouver une chambre, mais ce n’était rien de pareil. Il vit une petite galerie qui semblait courir tout autour du mur intérieur de la tour. Un pâle rayon de lune glissait à travers une meurtrière, et François, en avançant dans la galerie, se rendit compte que son regard plongeait dans les ténèbres d’une grande salle circulaire qui occupait tout un étage de la tour, le troisième vraisemblablement.

Annie rejoignit François et les trois autres suivirent. Tout était parfaitement calme. François chuchota à ses compagnons :

« Nous sommes arrivés à une galerie qui surplombe l’une des salles de la tour. C’est peut-être une salle du deuxième étage, puisque nous savons que le plafond du premier s’est écroulé. Mais je crois plutôt qu’il s’agit du troisième.

— C’est aussi mon avis, dit Mick. Depuis le temps que nous grimpons… » Sa voix fit le tour de la galerie et leur revint, ce qui les surprit. Il avait parlé plus fort que François.

« Vois-tu un moyen pour monter encore plus haut ? chuchota Claude. Y a-t-il un autre escalier partant de cette galerie ?

— Parcourons-la et nous verrons bien, répondit François. Ne faites pas plus de bruit que des Sioux sur le sentier de la guerre… Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un ici, mais on ne peut pas en être sûr. Et prenez garde, les pierres ne tiennent guère, elles bougent sous les pieds par endroits. »

François continuait d’avancer en tête, dans la galerie circulaire. Ce lieu avait-il été réservé autrefois aux représentations théâtrales ou aux pantomimes ? La galerie avait-elle été installée pour des spectateurs ? Il aurait bien voulu pouvoir remonter le cours du temps et s’appuyer à la balustrade pour voir ce qu’on faisait là, quand le château était plein de monde…

Ils avaient parcouru à peu près les trois quarts de la galerie quand ils trouvèrent quelques marches qui descendaient dans la salle. Mais au niveau de la première marche, il y avait une porte dans le mur, toute semblable à celle qu’ils venaient de franchir. Elle avait aussi une poignée en forme d’anneau. François la tourna doucement. La porte resta close. Etait-elle fermée à clef ? François fit tourner la grande clef qui était dans la serrure. Mais la porte ne s’ouvrit pas davantage. Alors, il vit qu’il y avait un verrou. Ce verrou était tiré. Ainsi, il y avait un prisonnier de l’autre côté ! Était-ce l’homme dont ils avaient aperçu le visage ? François se retourna et murmura dans le creux de l’oreille d’Annie :

« Il y a devant moi une porte avec un verrou tiré. On dirait que nous touchons au cœur de l’énigme. Dis à Claude qu’elle m’envoie Dagobert !»

Annie s’empressa de transmettre la demande à Claude, et celle-ci poussa Dagobert en avant. Il passa à côté d’Annie et vint auprès de François en pointant les oreilles et flairant, attentif.

« Nous arrivons probablement à l’escalier qui conduit à la plus haute pièce de la tour, où se trouve l’homme que nous avons aperçu », pensa François, et il fit glisser le verrou doucement. Il poussa la porte et elle s’ouvrit, avec un léger grincement. Il éteignit sa lampe et écouta. Aucun bruit ne lui parvint. Alors, il la ralluma. Exactement comme il l’avait supposé, un nouvel escalier montait à pic devant lui. En haut devait se trouver le prisonnier ! Qui était-ce ?

« Montons, dit François à voix basse. Et, je vous en prie, ne faites pas de bruit ! »