CHAPITRE XVIII
 
Une surprise pour Jo.

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Jo ARRIVA enfin au pied de l’escalier en spirale. Elle se souvint du petit passage rectiligne qui conduisait de cet escalier à la chambre secrète, et avança prudemment. Elle serait bientôt parvenue à son but et pourrait s’étendre sur le banc !

Elle franchit la porte de la chambre secrète sans le savoir, car celle-ci était restée ouverte, et les ténèbres étaient impénétrables. Elle se guidait en s’appuyant à la muraille, et soudain sentit contre sa jambe l’extrémité du banc.

« Enfin ! » dit-elle tout haut, soulagée.

Alors, des bras puissants la saisirent. La pauvre Jo eut une peur affreuse ! Elle poussa un cri strident, et se débattit, le cœur battant à se rompre. Qui l’attaquait ? Si seulement elle avait eu une lampe !

Une lumière jaillit, qui l’aveugla quelques secondes.

« Ah ! c’est toi Jo, sans doute ? dit la voix de Tessier. Je me suis demandé où tu te cachais, quand les enfants t’ont appelée ! J’ai pensé que tu ne pouvais pas être bien loin, et que tu passerais forcément par ici pour essayer de t’échapper. Aussi je me suis assis sur ce banc et je t’ai tranquillement attendue !

— Laissez-moi ! » hurla Jo en se débattant de toutes ses forces. Mais l’homme la tenait bien. Jo soudain baissa la tête et mordit cruellement la main de Tessier. Il poussa un cri et lâcha prise. Jo tenta de se sauver, mais il la rattrapa presque aussitôt et la secoua. « Petite sauvage ! dit-il. Ne recommence pas !»

Jo recommença, encore plus férocement. L’homme la laissa tomber par terre. Sa main saignait abondamment. Jo chercha à s’échapper de la chambre, mais Tessier fut encore plus rapide qu’elle et une poigne de fer s’abattit sur elle de nouveau.

« Toi, je vais t’attacher de telle sorte que tu ne pourras plus bouger, dit l’homme, furieux. Et je te laisserai ici, dans le noir, jusqu’à ce que je revienne ! »

Il prit une corde nouée autour de sa ceinture et ligota Jo. Il lui lia les mains derrière le dos, entrava ses jambes. Elle roula sur le sol, folle de rage, en criant les pires injures qu’elle connaissait.

« Tu es bien là pour le moment, dit Tessier en épongeant avec son mouchoir le sang qui coulait de sa main blessée. Je m’en vais. Tu auras le temps de réfléchir aux risques qu’on encourt à se mêler des affaires des autres ! Amuse-toi bien ! »

Jo entendit le bruit des pas décroître dans le couloir. Elle s’en voulait terriblement de n’avoir pas deviné que Tessier pouvait l’attendre à cet endroit. Personne ne viendrait à son secours ! Elle pensa à ses amis, enfermés là-haut, dans la tour, et qui comptaient sur elle pour les libérer. Une larme roula sur sa joue. S’ils avaient pu la voir, étroitement ligotée, étouffant de rage impuissante et de chagrin !

Pauvre Jo ! Ses paupières se fermèrent malgré elle. Cette longue course dans la nuit et cette lutte qu’elle avait soutenue contre Tessier l’avaient épuisée. Elle sommeilla, mais sa position était si inconfortable qu’elle s’éveillait toutes les cinq minutes.

Au bout d’un certain temps, une pensée se fit jour dans son esprit. Elle revit l’homme-qui-se-libère-de-tous-les-liens dans son numéro, ligoté des pieds à la tête. Elle l’avait observé bien des fois. L’une des ruses de l’artiste ne pouvait-elle pas lui servir maintenant ?

« Lui se retrouverait libre en deux minutes », pensa-t-elle, et elle commença à s’agiter en tous sens. Mais elle n’était malheureusement pas l’homme-aux-liens et, après une heure d’efforts, elle fut vaincue par la fatigue et s’endormit encore une fois.

Quand elle se réveilla, elle se sentit mieux. Elle s’assit avec peine et se mit à réfléchir.

« Attaque-toi d’abord à un nœud », se dit-elle en se souvenant des conseils de l’homme-aux-liens. Évidemment, on ne peut deviner lequel est le plus facile à défaire. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on peut se libérer en deux minutes, à la condition de le trouver ! »

Elle se répéta ces paroles et essaya de découvrir un nœud qui ne fût pas trop serré. Ce fut long. Enfin, elle en trouva un qui paraissait plus lâche que les autres. C’était celui qui tenait ses poignets réunis. Elle fit tourner son poignet droit et réussit au bout d’un moment à mettre son pouce sur le nœud, à l’enfoncer dedans, à tirer. Il se relâcha un peu. Elle pouvait mieux remuer sa main, à présent. Si seulement elle avait un couteau ! Elle aurait pu le tenir entre ses doigts et peut-être arriver à couper la corde !

Soudain, elle perdit patience et, renversant la tête en arrière, se mit à tirer sur la corde d’une façon désordonnée, furieuse. Sa tête heurta le banc et quelque chose tomba à terre avec un bruit métallique. Jo se demanda de quoi il s’agissait, puis elle comprit.

« Le poignard ! Le vieux poignard tout rouillé ! Oh ! si je pouvais le trouver ! J’essaierais de l’utiliser !»

Elle se roula par terre en tous sens, jusqu’à ce qu’elle sentît le couteau sous elle. Puis elle réussit à l’attraper avec ses deux doigts libres.

Elle s’assit, se pencha en avant et fit toutes sortes d’efforts et de contorsions pour que la lame glissât sur la corde qui lui liait les mains derrière le dos.

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C’était très difficile. Les liens la faisaient souffrir à chaque mouvement qu’elle tentait. Mais elle persévéra.

Au bout d’un moment, elle se sentit si fatiguée qu’elle dut s’arrêter. Puis elle essaya de nouveau, se fit une coupure à la main, heureusement peu grave, et fut obligée de se reposer encore. À la troisième tentative, elle eut enfin de la chance. La corde céda. Elle tira fort, ses mains furent un peu plus libres et elle s’attaqua à un nœud.

Il lui fallut longtemps pour libérer ses mains ; quand elle y fut arrivée, elle crut qu’il serait impossible de défaire les liens de ses jambes, tant ses mains tremblaient. Mais après un temps de repos, elle vint à bout des nœuds et se trouva libre !

« C’est une chance que j’aie appris quelques tours de l’homme-aux-liens, dit-elle tout haut. Jamais je ne m’en serais sortie sans cela ! »

Elle se demanda quelle heure il pouvait être. La petite pièce était toujours plongée dans l’obscurité, puisqu’elle ne comportait aucune ouverture extérieure. Elle se leva et constata que ses jambes tremblaient. Elle fit quelques pas mal assurés et s’assit de nouveau. Dès qu’elle le put, elle se remit debout.

« Maintenant, il faut que je trouve le moyen de quitter le château, dit-elle. Quel dommage que je n’aie pas de lampe de poche ! »

Elle alla à tâtons repérer et descendre les quelques marches qui partaient de la petite chambre et conduisaient au large passage situé sous la cour du château. Elle avançait, heureuse qu’il soit sans embûches, puis arriva à l’escalier de pierre qui montait à pic. Elle grimpa, angoissée par les ténèbres, mais sentant qu’elle ne se trompait pas de route.

Alors elle trouva l’étroit boyau où il fallait marcher tout courbé, celui qui courait dans l’intérieur du mur d’enceinte. Jo poussa un soupir de soulagement. Bientôt, elle arriverait à l’endroit du mur où la pierre s’était détachée et pourrait enfin respirer de l’air pur ! Oh ! sortir de ce trou noir !

Comme au fond d’un tunnel, Jo vit la lumière du jour d’assez loin. Ce fut d’abord comme une petite tache blanche qui l’intrigua un moment avant qu’elle comprît de quoi il s’agissait.

« La lumière du jour ! Oh ! Que je suis contente !» pensa-t-elle en hâtant le pas, autant que le lui permettait son inconfortable position. Avant de sortir du trou, elle s’assit un instant sur la pierre, humant l’air pur avec délices. Tant de clarté éblouissait Jo. Elle avait eu très froid, sans même s’en rendre compte, à travers toutes ses émotions. Le soleil la réchauffait, lui redonnait des forces. Elle remarqua qu’il était haut dans le ciel, et indiquait que déjà l’après-midi était commencé !

Elle regarda attentivement autour d’elle. Si près d’être libre, elle ne voulait pas risquer d’être attrapée par quelqu’un qui, peut-être, gardait les abords du passage secret ! Elle ne vit personne et sauta hors du trou avec légèreté. Elle courut tout le long du sentier abrupt avec une sûreté et une rapidité d’acrobate.

Lorsqu’elle fut en vue du terrain de camping, elle s’arrêta, perplexe. François lui avait demandé d’alerter la police. Or, Jo était une gitane, et jamais un gitan ne réclame l’aide de la police ! Jo se sentait froid dans le dos rien qu’à la pensée de parler à des représentants de la loi.

« Non. Je vais tout raconter à mon oncle Fredo, décida-t-elle. Il saura ce qu’il convient de faire ! »

Elle approchait, du campement quand soudain quelqu’un attira son attention. Qui était-il ? Ne serait-ce pas l’affreux bonhomme qui l’avait ligotée ? Elle n’avait pu voir ses traits et elle craignait fort que ce fût lui ! Il parlait d’un ton pressant aux saltimbanques. Ceux-ci l’écoutaient poliment, mais Jo se rendit compte qu’ils ne prenaient pas le visiteur au sérieux.

Elle avança un peu plus près, et l’entendit demander où étaient François et les autres. Comme les saltimbanques lui répondaient qu’ils ne savaient pas où les enfants étaient partis, il se mit en colère et se montra fort désagréable.

« C’est l’homme qu’on appelle Tessier, se dit Jo, et elle jugea plus prudent de se glisser sous une roulotte. Il est venu pour savoir si nous avions parlé du prisonnier de la tour… »

Elle resta cachée jusqu’à ce qu’il eût disparu dans le chemin, très rouge et criant qu’il allait avertir la police.

Jo sortit de sa cachette et les saltimbanques l’entourèrent aussitôt.

« Où étais-tu ? demandèrent-ils. Où sont tes camarades ? Cet homme nous a longuement interrogés à leur sujet. Il nous a posé une foule de questions ! On dirait qu’il est un peu toqué !

— C’est un bandit, répondit Jo. Je vais vous raconter ce que je sais de lui. Quant à mes amis, il faut vite aller à leur secours ! »

Jo se lança dans un récit confus, commençant l’histoire au milieu, puis la reprenant au début, jetant au hasard ce qui lui venait à l’esprit… Quand elle s’arrêta, les saltimbanques n’avaient pas compris grand-chose, sinon qu’il se passait des événements graves, et que les enfants couraient un grand danger.

« Tu dis que tes amis sont enfermés dans la tour qu’on voit là-bas ? C’est bien ça ? demanda Alfredo, ahuri. Avec un espion avec eux ?

— Non, ce n’est pas un espion, c’est un brave homme, expliqua Jo. Ce qu’on appelle un savant…

L’espion, c’est celui qui vient de vous quitter. Il a enlevé le bon savant et l’a emprisonné dans la tour du château, pour l’emmener dans un pays étranger. Et il m’a ligotée, comme je vous l’ai dit. Voyez mes poignets et mes chevilles ! »

Elle les leur montra. Ils étaient tout meurtris. La coupure qu’elle s’était faite à une main avait saigné. Les saltimbanques regardèrent en silence, indignés. Puis Buffalo fit claquer son fouet, ce qui fit sursauter tout le monde.

« Nous les sauverons ! dit-il résolument. Ce n’est pas l’affaire de la police. C’est la nôtre !

— Regardez le type qui revient ! » dit soudain Carmen.

En effet, il avait fait demi-tour, pour poser d’autres questions !

« Nous allons le capturer », décida Buffalo.

Tous les saltimbanques attendirent sans bouger que l’homme arrivât près d’eux. Puis ils l’entourèrent ; il se trouva pris dans un cercle étroit. Les saltimbanques se mirent à marcher. L’homme était obligé de suivre. On le porta ainsi jusqu’à une roulotte et, avant que le groupe ne se fût disloqué, l’homme était par terre, gentiment ficelé par le spécialiste de la troupe !

« Bon, en voilà toujours un, dit l’homme-aux-liens. Et maintenant, à qui le tour ? »