CHAPITRE XXII
Balthazar et Jo s’amusent.
EN EFFET, un incident fortuit avait provoqué la panique parmi les espions.
Reprenons notre récit au .moment où Tessier et ses complices avaient claqué la porte au nez de Dagobert, qui se jetait sur eux, et tiré le verrou, laissant les enfants et Dumoutier enfermés dans le haut de la tour.
Alors ils descendirent hâtivement les marches et s’engagèrent dans la galerie. Mais en avançant vers l’escalier en spirale, Tessier marcha sur quelque chose qui bougeait sous son pied, quelque chose d’étrange qui se mit aussitôt à pousser un sifflement aigu et à s’enrouler autour de ses jambes…
Il se débattit et frappa la chose inconnue. Tout d’abord il pensa que c’était un homme qui attendait, tapi dans l’ombre, pour l’attaquer, et qui se jetait dans ses jambes, mais il se rendit vite compte qu’aucun homme ne sifflerait de la sorte.
Surpris par le bruit, l’un des complices dirigea la lumière de sa lampe sur Tessier. Ce qu’il vit lui arracha un cri d’épouvante !
« Un serpent ! Un serpent énorme ! Jamais de ma vie je n’en ai vu de si gros ! Il s’enroule autour de Tessier !
— Mais aidez-moi donc ! cria Tessier en frappant le serpent aussi fort qu’il le pouvait. Il me serre les jambes dans ses anneaux ! »
Les autres hommes vinrent à son aide. Aussitôt qu’ils commencèrent à lui tirer la queue, Balthazar se déroula et disparut dans les ténèbres.
« Où est parti ce monstre ? demanda Tessier, tout pantelant. Une minute de plus et il me broyait les jambes ! Dépêchons-nous, car il peut revenir. Quelle aventure ! D’où peut-il sortir ? »
Ils avancèrent de quelques pas, mais le serpent les attendait ! Il les fit tous trébucher, en glissant dans leurs jambes, et s’enroula autour de la taille de l’un des hommes.
Ce fut une bousculade et des hurlements tout autour de la galerie. Les quatre hommes furent pris d’une terreur panique. Partout où ils allaient, le serpent était là, s’enroulant et se déroulant, glissant et serrant parfois assez fort pour leur faire croire que leur dernière heure était arrivée !
C’était Jo qui leur avait envoyé le serpent, bien entendu.
Pendant la scène qui se déroulait en haut de la tour, Jo attendait dans la galerie avec Balthazar autour du cou. Elle essayait en vain de deviner ce qui se passait.
Puis, la porte claquée, les pas précipités dans | l’escalier, le bruit des voix inconnues, la mirent sur la voie : il s’agissait, des hommes arrivés en voiture, qu’elle avait suivis dans le passage secret.
« Balthazar L Ton tour est venu, maintenant ! » dit Jo en posant le serpent à terre. Balthazar parut hésiter, se tortilla, puis glissa vers les hommes qui arrivaient dans la galerie. À partir de ce moment-là, le python s’amusa bien : plus les espions criaient, plus le reptile farceur s’acharnait sur eux !
Jo, cachée dans un coin, étouffait ses rires. Elle savait que le serpent était inoffensif, à moins qu’il ne serrât quelqu’un trop fort dans ses anneaux. Elle ne pouvait rien voir de ce qui se passait, mais devinait facilement, d’après les bruits divers qui lui parvenaient.
« En voilà un par terre, pensait-elle. Et encore un autre ! Bing ! Bang ! C’est à mourir de rire ! Balthazar est en train de s’amuser follement. Il n’a pas la permission de se conduire ainsi dans la vie courante, et il profite de l’occasion ! »
À la fin, les hommes en eurent assez. «Remontons là-haut ! » cria Tessier qui n’en pouvait plus. « Nous n’arriverons jamais à traverser le passage avec tous ces serpents après nous ! Ils vont nous mordre ou nous réduire en bouillie ! »
Jo eut toutes les peines du monde à ne pas éclater de rire : Balthazar les avait tant effrayés qu’ils croyaient avoir une douzaine de serpents venimeux à leurs trousses !
Les hommes s’engagèrent en désordre dans l’escalier qui montait à l’étage supérieur de la tour ; ils réussirent à laisser le python derrière eux, car il commençait à se fatiguer du jeu. La fillette l’appela doucement et il revint vers elle. Il voulut s’enrouler autour de son amie, qui le laissa faire. Elle tendit l’oreille. La porte avait claqué, au-dessus. Jo monta l’escalier et, à tâtons, trouva le verrou, qu’elle tira. Maintenant, les traîtres étaient bel et bien prisonniers, à moins qu’ils ne voulussent risquer de descendre le long de l’échelle de corde. Elle devinait que Buffalo l’avait mise en place pour aider les autres. Et si les espions se résignaient à fuir par cette voie, Jo était sûre qu’ils seraient bien accueillis à l’arrivée !
« Allons-nous-en, Balthazar, dit Jo en descendant l’escalier. Elle regrettait bien de ne pas avoir de lampe de poche. Puis tout à coup elle se souvint de la petite lanterne abandonnée dans la chambre secrète, et se sentit réconfortée. Ainsi, elle ne serait pas obligée, une fois de plus, de faire dans les ténèbres la fin du parcours, le plus désagréable et le plus difficile !
Balthazar glissa devant elle. Il connaissait le chemin ! Ils arrivèrent tous deux dans la petite chambre secrète, et Jo prit la lanterne. Elle regarda un moment le gros python, qui fixa sur elle ses yeux brillants ; son long corps ondulait, et la lumière moirait sa peau brune, si soigneusement nettoyée et frottée.
« Tu me plairais assez comme animal favori, si tu étais un peu moins encombrant ! dit Jo. Je ne comprends pas pourquoi les gens ont généralement horreur des serpents. Oh ! Balthazar, je ris encore en pensant à la façon dont tu as traité ces méchants bonshommes ! Ils ont trouvé leur maître !
Elle poursuivit son chemin sans difficulté, tenant haut sa lanterne. Puis elle arriva au dernier couloir si incommode, où il fallait se plier en deux. Balthazar, qui avait pris de l’avance, l’attendait prudemment. Il avait entendu du bruit à l’extérieur.
Jo grimpa la première et s’apprêtait à sortir du trou lorsque quelqu’un bondit sur elle et la maintint serrée. Elle se mit à crier et à gigoter comme une diablesse. Une lumière crue l’aveugla, et une voix qu’elle connaissait bien s’écria : « C’est Jo ! Petit monstre ! Où étais-tu ?
— Buffalo ! Quelle drôle d’idée de sauter sur moi comme ça ! J’allais te mordre ! Oh ! tu m’as fait peur ! »
La lune éclaira soudain la scène. Jo vit François et les autres enfants qui arrivaient en courant vers elle.
« Jo ! Tu vas bien ? Que s’est-il passé ? lui demanda son oncle. Nous nous faisions beaucoup de souci à ton sujet. Où donc étais-tu ? »
Au lieu de répondre, Jo alla à la rencontre de ses jeunes amis et se mit aussi à poser des questions :
« Vous vous êtes échappés ? Vous avez pu descendre l’échelle de corde sans ennuis ?
— Ce n’est pas le moment de parler de tout ça, dit Buffalo en surveillant le trou dans le mur. Que sont devenus ces hommes ? Nous les attendons ici. Sais-tu quelque chose, Jo ? Les as-tu vus ?
— Bien sûr ! Je les ai suivis, dit Jo. Oh ! Buffalo, c’était si drôle ! » Elle éclata d’un rire inextinguible.
À ce moment, Buffalo, qui ne relâchait pas sa surveillance, crut qu’un des espions s’apprêtait à quitter le passage, et braqua son revolver dans cette direction. Et que vit-on sortir du trou ? Balthazar !
Tout le monde se mit à rire, excepté Tony, qui se précipita vers son cher python :
« Balthazar ! Mon pauvre Balthazar ! Je t’ai cherché partout ! Comment, Jo, tu l’avais emmené avec toi ? Sale gosse ! »
Le serpent glissa vers son maître et s’enroula affectueusement autour de lui.
« Je ne suis pas une sale gosse, dit Jo, indignée. Balthazar a voulu absolument m’accompagner, et quand nous sommes arrivés à la galerie… »
Elle se remit à rire, incapable de continuer son récit. Alfredo se fâcha.
« Vas-tu nous dire ce que tu sais au sujet de ces hommes, à la fin ? dit-il. Est-ce qu’ils viennent par ici ? Où sont-ils ?
— Ah oui ! les hommes… », dit Jo. Elle essuya ses yeux et s’efforça de dominer son fou rire. « Ils vont bien. Balthazar les a obligés à se réfugier tout en haut de la tour, dans la prison qu’ils avaient réservée à M. Dumoutier, et je me suis empressée d’en profiter pour tirer le verrou sur eux. Ils sont toujours enfermés, je pense. Il faut s’assurer qu’ils ne descendent pas le long de l’échelle, mais je suis sûre qu’ils n’auront même pas cette audace !»
Buffalo laissa échapper un rire sonore.
« Tu as fait du bon travail, Jo, avec Balthazar ! Bravo ! »
Il demanda à Alfredo et à l’homme-caoutchouc d’aller voir ce qui se passait dans la cour.
« Il me semble qu’il serait sage d’appeler la police, maintenant, dit Dumoutier. Tessier est un individu très dangereux, c’est un traître ! Il faut qu’il soit arrêté, sinon il livrera à une autre puissance le résultat des travaux que nous avons faits ensemble !
— D’accord, dit Buffalo. Nous avons capturé un autre type, et nous l’avons enfermé dans une roulotte vide.
— Comment ! Il ne s’est pas échappé ? dit Jo, étonnée. Je pensais que l’homme qui est venu au camp et que vous avez attrapé par surprise était Tessier ! Or, Tessier est dans la tour !
— Celui que nous avons enfermé dans la roulotte y est encore, tu peux en être sûre, répliqua Buffalo.
— Il y a eu peut-être erreur sur la personne, dit Dumoutier.
— Nous le saurons bientôt, dit Buffalo. Allons-nous-en.
Il est très tard, et les enfants doivent mourir de faim. Il est préférable que ce soit M. Dumoutier qui avertisse la police. Pour ma part, j’ai envie de retourner au camp.
— Moi aussi, dit Tony, qui caressait toujours son python. Alfredo et l’homme-caoutchouc veilleront au pied de l’échelle de corde. Nous n’avons pas besoin de rester ici plus longtemps. »
Ils descendirent la colline, très agités par tous ces événements, et parlant tous à la fois. Dumoutier avait l’impression de vivre un rêve extraordinaire ; il voyait des échelles de corde, des fouets, des couteaux, des serpents, tournant dans une ronde infernale. C’était sans doute l’effet de la fatigue et de la souffrance. Il regretta fort de ne pouvoir, à cette heure avancée de la nuit, se procurer un sandwich sur la route du commissariat. Mais il but abondamment à une fontaine, et s’en trouva déjà mieux.
De leur côté, les cinq enfants trouvèrent long le chemin qui les menait au camp. Ils pensaient tous à la grosse marmite noire de Mme Alfredo, et au frais ruisseau qui coulait dans le pré. Dès qu’ils arrivèrent en vue de ce dernier, Dagobert partit à fond de train pour aller boire à longs traits l’eau claire. Les enfants en firent autant.
« Allons voir l’homme que nous avons enfermé dans la caravane, dit Buffalo, quand leur soif fut apaisée. Il y a un mystère là-dessous ! »
Il ouvrit la porte de la roulotte et appela d’une voix forte :
« Venez ! Nous voulons savoir qui vous êtes ! »
Il leva une lanterne et l’homme qui était à l’intérieur s’approcha lentement.
Quelle surprise ce fut pour les enfants !
« Oncle Henri ! » s’exclamèrent François, Mick et Annie.
« Papa ! cria Claude. Que fais-tu ici ? »