CHAPITRE II
 
De nouveau réunis.

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LE LENDEMAIN MATIN, sur une verte colline tout humide de rosée, deux garçons sortirent de leur roulotte ; ils dévalèrent les marches et, riant et se bousculant, allèrent frapper à la porte de la roulotte voisine.

« Annie ! Es-tu réveillée ? Il fait un temps splendide !

— Il y a longtemps que je suis levée ! répondit-elle. Entrez donc. Je prépare le petit déjeuner, »

François et Mick poussèrent la porte peinte en bleu. Annie était debout devant un petit poêle, au fond de la roulotte. Une bonne odeur de chocolat se répandait dans l’étroit logis.

« Le facteur vient d’apporter une lettre de Claude, dit François. Enfin, elle arrive ce matin avec Dagobert. Tous deux sont en pleine forme !

— Nous irons tous la chercher, décida Annie, en sautant de joie.

— Elle n’aura pas perdu trop de temps, dit Mick. Nous ne sommes ici que depuis trois jours. Prenons donc le petit déjeuner sur les marches de ta roulotte, Annie, le soleil est chaud déjà ! »

Tout le monde fut d’accord pour boire le chocolat et manger les tartines beurrées, sur le seuil. L’air était tiède, et François retira sa veste.

Les deux roulottes étaient installées dans un champ, sur le plateau de la colline. Elles étaient abritées du vent par .une haie, au pied de laquelle poussaient des primevères et toutes sortes de fleurettes qui semblaient tendre leur corolle vers le soleil.

Non loin de là, il y avait trois autres caravanes, mais très modernes. Les enfants n’avaient pas encore eu l’occasion de faire connaissance avec leurs habitants.

Tout en déjeunant, ils regardaient l’autre colline qui s’élevait en face d’eux, couronnée d’un vieux château en ruine, dont les épaisses murailles défiaient les tempêtes qui soufflaient souvent sur la région. Ce château avait quatre tours. Trois d’entre elles étaient fortement endommagées, mais la quatrième semblait presque intacte. Point de fenêtres, mais des meurtrières, d’où les archers lançaient autrefois leurs flèches.

Pour aller au château, il fallait prendre un sentier escarpé qui conduisait au pied de l’énorme porte fortifiée, construite en gros blocs de pierre blanche. Cette entrée était maintenant condamnée, et les visiteurs devaient passer par une porte étroite qui donnait accès à l’une des tours. Le château était entouré d’une haute muraille, encore debout après tant d’années, mais quelque peu ébréchée ; des pierres qui avaient dévalé la colline étaient à demi enterrées dans l’herbe. De toute évidence, c’étaient là les restes d’un magnifique château, construit sur une hauteur par mesure de sécurité. De cet endroit, les sentinelles postées dans une tour ou même sur les remparts surveillaient tout le pays à des kilomètres à la ronde.

L’ennemi ne pouvait approcher sans être vu de très loin, ce qui donnait le temps au seigneur du lieu de fermer la .porte fortifiée, d’envoyer des soldats sur les remparts et de se préparer à soutenir un long siège s’il le fallait.

Après le déjeuner, les trois enfants restèrent assis sur les marches, se chauffant au soleil. Ils regardaient le vieux château en ruine, et observaient de gros oiseaux qui planaient au-dessus.

« Il y a des centaines de choucas là-bas, dît Mick. Je voudrais avoir des jumelles pour mieux les observer. La façon dont ils tournent tous en rond sans jamais se heurter m’amuse prodigieusement.

— On dirait des corbeaux, dit Annie.

— Les choucas sont de la même famille que les corneilles et les corbeaux, dit Mick, mais cette espèce se plaît sur les hauts clochers et les ruines.

— Crois-tu qu’ils fassent leurs nids dans ce château ? demanda Annie.

— Oui, ils amassent des brindilles au sommet des tours, dit Mick, et ils font leurs nids dessus.

-— Il faudra qu’un jour nous allions voir cela avec Claude, dit Annie. Il en coûte seulement cinquante centimes pour visiter ce monument historique.

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J’aime les vieux châteaux, moi. Les choses anciennes m’attirent.

— Moi aussi, dit François. J’espère que Claude aura la bonne idée d’apporter les jumelles qu’elle a reçues comme cadeau d’anniversaire. Elles nous seraient utiles lors de notre visite du château, pour admirer l’immense point de vue.

— Je vais laver la vaisselle, dit Annie en se levant. Il faut aussi mettre de l’ordre dans les roulottes avant l’arrivée de Claude.

— Crois-tu vraiment que Claude remarquera que tu as fait le ménage ? demanda Mick. Tu perds ton temps, Annie ! »

Mais Annie aimait à s’occuper des deux roulottes. Elle en avait pris l’habitude, et voulait les montrer à Claude aussi belles que possible.

Elle alla jusqu’à la haie et cueillit un gros bouquet de primevères. Quand elle fut de retour, elle le divisa en deux, en mit la moitié dans un petit vase bleu, disposant harmonieusement les feuilles tout autour, et plaça le reste des fleurs dans un autre vase. Puis elle se mit à balayer et à essuyer le modeste mobilier. Elle se demanda si elle allait envoyer Mick jusqu’au ruisseau pour laver les tasses du déjeuner, et décida de le faire elle-même. Mick était maladroit, et les ustensiles de ménage appartenaient au propriétaire des roulottes.

Vers onze heures et demie, tout reluisait. Les draps et les couvertures destinés à Claude étaient posés sur une tablette, au-dessus d’un lit pliant qui, dans la journée, était relevé contre la paroi, pour faire de la place. Annie avait un lit identique de l’autre côté.

Tout en s’activant, la fillette se mit à parler à haute voix :

« Voilà le genre de vacances que j’aime ! Une toute petite maison, des champs et des collines autour, des repas que nous composons à notre fantaisie… et pas trop d’aventures !

— Tu parles toute seule, maintenant, Annie ? demanda Mick ironiquement en passant le nez à la fenêtre. Ai-je bien entendu le mot «aventures » ? En souhaites-tu déjà ?

— Ah non ! dit Annie. C’est la dernière chose que je demande, et la dernière chose d’ailleurs qui puisse nous arriver, à ce qu’il semble, dans ce coin tranquille !

— On ne peut jamais savoir, répliqua Mick en souriant. Es-tu prête à venir avec nous chercher Claude à la gare ? Il est l’heure de partir. »

Annie ferma sa porte à clef et rejoignit Mick et François. Tous trois descendirent la côte. Le vieux château, qui leur faisait face sur l’autre colline, semblait s’élever de plus en plus haut, au fur et à mesure qu’ils approchaient du village.

« Quelle joie de revoir Dagobert ! dit Annie. Et je serai si contente de partager ma roulotte avec Claude ! Je ne peux pas dire que cela m’ennuie d’être seule la nuit, mais je préfère tout de même avoir Claude avec moi, et aussi Dagobert, qui pousse des grognements si comiques dans son sommeil !

— Dans notre roulotte, c’est Mick qui donne chaque nuit un concert de grognements, ronflements et gémissements variés, mais moi, je ne trouve pas ça drôle du tout ! dit François. À quoi peux-tu bien rêver, Mick ? Je me demande s’il y a en France quelqu’un qui a plus de cauchemars que toi !

— Moi, je ronfle et je grogne la nuit ? Par exemple ! protesta Mick, indigné. Si tu pouvais t’entendre ! C’est toi qui…

— Regardez ! Je crois bien que c’est le train qui débouche tout là-bas, au tournant, dit Annie. Courons ! »

Ils prirent leurs jambes à leur cou, et arrivèrent à la gare en même temps que le train. Une tête bouclée parut dans l’encadrement d’une portière, puis une autre tête brune se plaça juste en dessous.

« Claude et Dagobert ! s’exclama Annie.

— Bonjour ! cria Claude.

— Ouah ! » fit Dagobert. D’un bond, il fut .sur Mick. Claude sauta sur le quai, les yeux brillants de joie. Elle embrassa Annie et gratifia François et Mick d’une bonne bourrade chacun.

« Enfin, me voilà parmi vous ! dit-elle. Je ne pouvais supporter la pensée que vous campiez sans moi. Ce que j’ai fait enrager ma pauvre maman !

— Je m’en doute, dit François eu la prenant par le bras. Donne-moi ta valise. Nom allons manger des glaces au village pour fêter ton arrivée. Il y a une boutique qui en vend de délicieuses !

— Chic ! dit Claude. Regarde, Dagobert a compris ce que tu disais. Il se lèche déjà les babines… Dagobert, es-tu content de nous voir tous réunis de nouveau ?

— Wouf ! répondit Dagobert en léchant la main d’Annie pour la vingtième fois.

— Je devrais penser à apporter une serviette de toilette quand je retrouve Dagobert après une absence, dit Annie. Oh ! non assez, Dagobert ! Va donc voir François !

— Regardez, Claude a apporté ses jumelles », dit Mick en désignant l’étui de cuir brun que Claude portait en bandoulière, et dont la forme révélait le contenu. « Quelle chance ! Nous pourrons observer le vol des choucas, les hérons dans le marais, et une foule de choses intéressantes…

— J’étais sûre qu’elles nous seraient utiles, dit Claude. Dis-moi, où est donc ce marchand de glaces ?

— Nous y arrivons, dit François. Et je te conseille d’essayer ses différents parfums ; pour ma part, je commencerai par la vanille, ensuite je prendrai la framboise, et je terminerai par le chocolat. Qu’en dis-tu ?

— Tu as de bonnes idées ! répondit Claude. Mais si nous mangeons des glaces à une telle cadence, j’espère que tu seras assez riche pour payer, car maman ne m’a pas donné une grosse somme ! »

Ils s’assirent et commandèrent des glaces. Le marchand se montra aimable avec ces bons clients.

« Le temps est magnifique, dit-il. C’est une chance pour les campeurs. Y a-t-il beaucoup de monde là-haut ?

— Non, pas beaucoup, dit François en entamant sa glace avec un plaisir évident.

— Sans doute aurez-vous bientôt une nombreuse compagnie, poursuivit le commerçant. J’ai entendu dire que des saltimbanques allaient venir, et, généralement, ils s’installent dans le champ où vous êtes.

— Quelle chance ! s’écria Mick. Nous allons bien nous amuser ! »