CHAPITRE XIV
 
Le château de Mauclerc.

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LES choucas tournaient en rond autour du vieux château, faisant retentir leur cri discordant, s’appelant les uns les autres. Les cinq enfants regardèrent en l’air et les observèrent.

« On peut voir un peu de gris sur leur cou, dit Mick. Depuis combien d’années les choucas se sont-ils installés sur ce château ?

— Ils font leurs nids avec des brindilles, et on constate qu’ils en jettent presque autant qu’ils en utilisent, dit François. La cour en est pleine ! Regardez cette pile qui se trouve ici !

— Quels gaspilleurs ! dit Mick. J’aimerais bien qu’ils en jettent auprès de nos roulottes, cela m’éviterait de courir chaque jour après le bois de chauffage ! »

Ils étaient debout devant la grande voûte qui constituait l’entrée du château. Annie manifestait de l’impatience. « Allons donc voir la tour », dit-elle.

Ils arrivèrent enfin à la seule tour restée debout. Ils espéraient trouver quelques fragments d’un escalier, mais, à leur grand désappointement, ils ne purent même pas pénétrer dans la tour ! L’un des murs intérieurs s’était écroulé et le sol était recouvert de pierres entassées. L’entrée était complètement bloquée. Il n’y avait pas trace d’escalier : ou bien il s’était effondré aussi, ou bien il était recouvert par les pierres du mur démoli.

François était perplexe. De toute évidence, personne n’avait pu grimper en haut de la tour par l’intérieur ! Alors, comment se faisait-il qu’il avait vu une tête à la fenêtre de cette tour ? Il se sentit mal à l’aise.

« C’est bizarre », dit Mick, qui pensait exactement la même chose.

« Nous devrions demander à cette vieille femme s’il existe un moyen d’accès à la tour, dit François. Elle doit le savoir. »

Ils quittèrent donc le château, traversèrent la cour jusqu’à la petite tour d’angle bâtie dans la muraille extérieure. La vieille femme était assise près du tourniquet, et tricotait.

« Madame, pouvez-vous nous dire s’il y a. un moyen de monter dans la tour, là-bas ? » demanda François.

La vieille femme marmonna quelques mots inintelligibles, mais secoua négativement la tête. C’était tout de même surprenant.

« N’auriez-vous pas un plan du château plus détaillé que celui qui est dans cette brochure ? demanda François, montrant son guide. Un plan des donjons, par exemple, et un plan des tours telles qu’elles étaient autrefois, avant de tomber en ruine ? »

La vieille femme articula quelque chose qui ressemblait à « Commission de protection… », mais la fin leur échappa.

« Que dites-vous ? » demanda patiemment François.

La fée Carabosse commençait visiblement à en avoir assez de toutes ces questions. Elle ouvrit un livre de comptabilité où elle inscrivait chaque jour le nombre de visiteurs et les entrées payées, et le feuilleta. Puis elle mit son doigt sur une ligne et la désigna à François.

« Commission des monuments historiques, service d’inspection », lut-il. « Ah ! Des inspecteurs sont venus récemment ? En savent-ils plus sur le château que ce qui est dit dans le guide ?

— Oui, dit la vieille femme. Deux hommes sont venus jeudi dernier. Ils ont passé la journée ici. Demandez donc des renseignements complémentaires à cet organisme — pas à moi. Je suis là seulement pour encaisser l’argent. »

Elle parlait clairement, tout à coup ; puis elle retomba dans des bredouillements confus, et personne ne put comprendre un mot de plus.

« Bon, nous avons tout de même appris quelque chose, dit François. Nous téléphonerons à la Commission des monuments historiques et lui demanderons si elle peut nous en dire plus long au sujet du château.

« Il y a peut-être des passages secrets qui ne sont pas indiqués dans le guide !

— C’est palpitant ! dit Claude. Retournons donc à cette tour et regardons-la encore. Examinons s’il est possible d’y accéder de l’extérieur.

Ils suivirent tous le conseil de Claude. Leur conclusion fut que la tour était inaccessible. Quoique les pierres dont elle était bâtie fussent assez inégales pour servir d’appuis aux pieds et aux mains, la tentative eût été beaucoup trop dangereuse, même pour Jo qui grimpait comme un chat. Certaines des pierres étaient prêtes à se détacher et l’imprudent qui s’y serait accroché aurait risqué la chute !

Jo voulait déjà essayer. « Je dois être capable de faire ça, dit-elle en retirant ses souliers.

— Remets tes chaussures, dit Mick aussitôt. Nous ne te laisserons pas courir un pareil risque ! »

Jo remit ses souliers de mauvaise grâce ; elle ressemblait étonnamment à Claude, lorsqu’elle fronçait les sourcils. Juste à ce moment-là, qui arriva vers eux en bondissant ? Dagobert !

« Dago ! D’où sors-tu ? demanda Claude, toute surprise.

— On ne peut entrer qu’en passant par le tourniquet, ajouta François, et la porte qui le suit est fermée, j’en suis sûr ! Comment es-tu venu jusqu’’ici ?

— Wouf ! » fit Dagobert, essayant de leur expliquer. Il courut à la tour encore debout, monta sur les blocs de pierre entassés sur le sol et s’arrêta devant un étroit passage, entre trois ou quatre des pierres tombées. « Wouf ! » fit-il de nouveau en posant sa patte sur l’une des pierres.

« Il est venu par ici », dit Claude. Elle tira de toutes ses forces sur une grosse pierre, mais ne put la bouger. « Je me demande comment Dagobert a réussi à se faufiler dans un si petit espace, qui n’a pas l’air assez large pour un lapin ! En tout cas aucun de nous ne pourrait passer par là !

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— Essayons de découvrir comment Dagobert est venu de l’extérieur, dit François. Réfléchissons. Nous l’avons laissé en dehors du château, donc il a dû courir autour du mur d’enceinte, trouver un petit trou et se glisser dedans !

— Sans doute dit Mick. Nous savons que les murs ont plus de deux mètres d’épaisseur ; par conséquent, il a fallu qu’il rencontre un endroit où le mur est démoli dans le bas, et il s’est frayé un chemin par là.

« Mais y a-t-il vraiment un trou à travers une épaisseur de plus de deux mètres ? »

C’était assez surprenant, en effet. Ils regardèrent tous Dagobert, qui remua la queue. Puis il se mit à aboyer et à sauter autour d’eux comme s’il voulait jouer.

La porte qui suivait le tourniquet s’ouvrit aussitôt et la vieille femme parut.

« Comment ce chien a-t-il pénétré ici ? demanda-t-elle. Qu’il s’en aille tout de suite !

— Nous ne savons pas comment il est entré, dit Mick. Y a-t-il un trou dans le mur d’enceinte ?

— Non, il n’y en a pas, dit la vieille femme. Vous avez dû introduire ce chien quand je regardais ailleurs. Il faut qu’il sorte. Et vous aussi. Vous êtes restés assez longtemps dans le château.

— C’est bon, nous allons partir, dit François. D’ailleurs, nous avons vu tout ce qui peut être vu — tout ce qu’il est permis de voir. Je suis sûr qu’il y a un moyen de monter dans cette tour, quoique l’escalier soit en ruine. Je vais téléphoner à la Commission des monuments historiques et lui demander de me mettre en rapport avec les inspecteurs qui ont examiné le château la semaine dernière. Ce sont certainement des experts.

— Oui. Ils ont probablement un plan plus exact et plus complet, dit Mick, avec les passages secrets, les donjons, les oubliettes, les chambres dérobées, etc., s’il y en a ! »

Claude prit Dagobert par le collier, et tous se mirent en route. Ils repassèrent le tourniquet. « J’ai envie d’aller manger des crêpes au village, et de boire un jus de fruit, dit Claude. Qu’en pensez-vous ? »

Chacun fut d’accord, même Dagobert, qui se mit à aboyer.

« Dagobert est fou de ces crêpes, dit Claude.

— C’est un vrai gâchis, dit Annie. La dernière fois, il en a mangé plus que nous ! »

Ils se dirigèrent vers le village. « Allez vous installer et commandez ce que vous voudrez, dit François. Je vais voir s’il n’y a pas dans le pays un bureau de la Commission des monuments historiques. »

Il entra au bureau de poste afin d’y téléphoner, et le reste de la troupe envahit la petite boutique où l’on vendait des crêpes.

La patronne les accueillit aimablement. Elle les considérait comme de bons clients, et, certes, ils l’étaient !

Chacun d’eux avait déjà mangé deux crêpes quand François revint. « Quelles nouvelles ? demanda Mick.

— Voilà, dit François. De curieuses nouvelles, comme vous allez en juger. J’ai trouvé l’adresse de la Commission des monuments historiques. Elle a un bureau à environ quatre-vingts kilomètres d’ici, qui s’occupe de tous les monuments classés du département. J’ai demandé au service de renseignements s’il possédait un rapport récent sur le château de Mauclerc. »

Il s’arrêta pour prendre une crêpe, la roula et mordit dedans avec un bel appétit. Les autres attendirent patiemment qu’il reprît son récit :

« Il a répondu qu’il n’en avait pas, et que les inspecteurs sont passés pour la dernière fois au château de Mauclerc voici deux ans !

— Mais alors… ces deux hommes qui sont venus de la part de la Commission des monuments historiques la semaine dernière ? demanda Claude.

— J’ai fait la même objection que toi, répondit François en commençant une autre crêpe. Et voilà le hic. Il a dit qu’il ne savait pas de quoi je parlais, et que personne n’avait été envoyé ici par la Commission ; finalement, il m’a demandé qui j’étais !

— Par exemple ! dit Mick en se prenant la tête à deux mains. Alors, ces deux hommes sont venus examiner et explorer le château pour des raisons qu’ils sont seuls à connaître !

— Tout à fait d’accord, dit François. Je ne peux m’empêcher de penser que le visage entrevu à la fenêtre de la tour et ces deux hommes ont ensemble quelque rapport. Il est clair que ces gens-là n’ont rien à voir avec une commission officielle, ils se sont servis de ce prétexte pour s’introduire dans le château et tromper la vigilance de la pauvre vieille gardienne !»

Les autres le regardaient et sentaient monter en eux cette sorte d’exaltation qu’ils connaissaient bien, ce que Claude appelait : l’appel de l’aventure !

« Donc, vous avez réellement vu une tête humaine à la fenêtre de la tour, et il existe une voie d’accès pour grimper là-haut, conclut Annie.

Oui, dit François. Bien sûr, c’est une supposition hardie, mais je pense que peut-être les deux savants disparus sont là. Je ne sais si vous l’avez lu comme moi dans le journal, mais l’un d’eux, Antoine Tessier, a écrit un livre sur les monuments historiques. Il ne doit rien ignorer du château de Mauclerc. N’est-ce pas l’endroit idéal pour se cacher et attendre que la presse parle d’autre chose que de leur disparition ? Ensuite…

— Ensuite, rien ne les empêcherait de quitter le château clandestinement, une nuit, de gagner le rivage et de louer un bateau, compléta Mick à la place de François. Ils auraient vite gagné un autre point du continent !

— Oui. C’est ce que j’allais dire, approuva François. Je crois qu’il est préférable de téléphoner à notre oncle Henri. Je lui décrirai le visage que j’ai vu, le plus exactement possible. Il me semble que cette affaire est trop grave pour que nous nous en occupions seuls. Ces hommes doivent détenir des secrets extrêmement importants !

— C’est pour nous une nouvelle aventure, dit Jo d’une voix contenue, l’air sérieux mais les yeux brillants. Oh ! que je suis contente ! »