CHAPITRE I
 
Claude s’ennuie.

img4.png

QUELLE MALCHANCE ! s’écria Claude. Pourquoi ne me permet-on pas de partir comme les autres ? Ils s’en vont pour quinze jours, et je suis obligée de rester ici !

— Sois raisonnable, Claude, dit sa mère. Tu pourras aller les rejoindre dès que ton rhume sera guéri.

— Je vais mieux, maintenant, dit Claude en fronçant les sourcils. Tu le sais bien, maman !

— En voilà assez, Claudine ! dit son père en levant les yeux de son journal. Tu nous répètes la même chose depuis trois jours. Laisse-nous déjeuner en paix ! »

Claude ne répondait jamais lorsqu’on l’appelait Claudine, et, bien qu’elle eût voulu dire quelque chose, elle serra les lèvres et regarda ailleurs. Sa mère se mit à rire.

« Claude, ma chérie, ne fais pas cette tête-là ! Si tu as attrapé un rhume, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même : tu as voulu aller nager et rester longtemps dans l’eau, alors que le temps est encore très frais.

— J’aime l’eau froide, répliqua Claude, boudeuse.

— Je t’ai déjà dit de te tenir tranquille ! s’écria son père. Un mot de plus et tu passeras toutes tes vacances à la maison !

— Ouah ! » fit Dagobert, sous la table. Il manifestait toujours sa désapprobation lorsque quelqu’un parlait durement à Claude.

« Toi, ne commence pas à discuter avec moi ! » dit le père de Claude, poussant du pied Dagobert, et fronçant les sourcils exactement comme sa fille.

Allons, calmez-vous tous les deux, dit la maman en riant. Claude, ma chérie, prends patience. Je te laisserai rejoindre tes cousins dès que possible, peut-être demain, si tu es gentille, et si tu ne tousses pas trop aujourd’hui.

— Oh ! maman, pourquoi ne m’as-tu pas dit cela plus tôt ? » s’exclama Claude, changeant d’expression. « Je n’ai pas toussé une seule fois cette nuit. Je vais tout à fait bien ce matin, et si je peux partir demain pour Château-Mauclerc, je te promets de ne pas tousser de la journée !

— Château-Mauclerc ? Qu’est-ce donc que ce château-là ? demanda son père. Je n’en ai jamais entendu parler !

— Oh ! Henri ! protesta la mère. Je t’ai raconté au moins trois fois qu’un camarade de lycée a prêté deux vieilles roulottes à François, Mick et Annie. Ces roulottes se trouvent dans un champ, près de Château-Mauclerc, qui est un village portant le nom d’une demeure seigneuriale en ruine, perchée sur une colline des environs…

— Ah bon ! Ils ne vont pas demeurer dans un château, alors ? dit le père de Claude. Tant mieux ! Je ne voudrais pas que Claude revienne à la maison pleine d’arrogance et de prétention !

— Claude ne peut pas devenir arrogante et prétentieuse, dit sa femme. J’ai bien du mal à obtenir d’elle qu’elle nettoie ses ongles et change de short de temps à autre. Claude et ses cousins ont envie de passer des vacances peu banales, une fois de plus !

— Et de vivre des aventures », ajouta Claude en souriant, car la pensée de rejoindre ses cousins le lendemain la mettait de très bonne humeur.

« Non. Tu n’auras pas cette fois d’aventures aussi extraordinaires que celles que tu as déjà connues, dit sa mère. C’est impossible, dans un village aussi calme que Château-Mauclerc.

— Avec Claude, on ne sait jamais, dit son père. Dès qu’elle flaire l’aventure, elle court après. Je n’ai jamais rencontré personne qui soit comme elle. Heureusement que nous n’avons qu’un enfant ! Je ne crois pas que je pourrais soutenir la lutte contre deux ou trois Claude !

— Il y a beaucoup de jeunes qui sont comme notre fille, objecta sa femme. François et Mick, par exemple, toujours à la recherche de quelque étrange nouveauté, avec Annie qui suit le mouvement, tout en aspirant à une vie calme…

— Bon, nous avons assez discuté là-dessus. », dit le père de Claude, en repoussant brusquement sa chaise et donnant sans le vouloir un coup de pied à Dagobert, qui protesta dans son langage.

« Ce chien est stupide ! Il se couche sous la table à chaque repas et se figure que je peux me souvenir qu’il est là ! Je vais travailler. »

Il sortit, La porte de la salle à manger claqua. Puis la. .porte du bureau. Un fauteuil malmené gémit lamentablement. Enfin, ce fut le silence.

« Maintenant, voilà ton père enseveli dans ses papiers jusqu’à midi, fit remarquer la mère de Claude. Quand je pense que, trois fois au moins, je lui ai parlé du séjour de tes cousins à Château-Mauclerc ! » Elle soupira, puis, examinant sa fille, poursuivit : « Oui, vraiment, tu sembles mieux. Je crois que tu seras en état de partir demain. Tu peux commencer à préparer tes affaires.

— Merci, maman, dit Claude en l’embrassant. De toute façon, papa sera bien content de me voir quitter la maison pendant ces vacances de Pâques. Je suis trop bruyante pour lui !

— Vous vous ressemblez, dit la mère en se remémorant les portes claquées et autres manifestations tapageuses. Vous êtes souvent insupportables, mais je ne pourrais me passer de vous. Oh ! Dagobert, tu es encore sous la table ? Pourquoi laisser ta queue traîner ainsi ? J’ai dû te faire mal, mon pauvre chien !

— Il ne t’en voudra pas, maman, dit Claude, généreusement. Je m’en vais préparer ma valise tout de suite. Comment irai-je à Château-Mauclerc ? Par le train ?

— Oui. Je me suis déjà renseignée pour toi. Il y a un train à dix heures quarante. Tu changeras à Quimper, et tu prendras la correspondance pour Château-Mauclerc. Si tu envoies maintenant une carte à François, il la recevra demain matin et viendra te chercher à la gare.

— Je vais l’écrire immédiatement, dit Claude joyeusement. Oh ! maman, je craignais tant de ne pouvoir passer mes vacances avec mes cousins ! Je ne me baignerai plus jamais par un temps aussi froid !

— Tu dis cela tous les ans, fit observer la mère en souriant. Tu n’as pas beaucoup de mémoire, Claude !

— Viens, Dagobert ! » appela Claude, et tous deux sortirent en trombe de la pièce. La porte claqua si fort derrière eux que la maison en trembla.

Aussitôt la porte du bureau s’ouvrit et une voix furieuse s’éleva :

« Qui se permet de claquer les portes quand je travaille ? Il n’y a donc personne ici qui sache fermer une porte doucement ? »

Claude souriait en montant l’escalier quatre à quatre. Son père n’entendait jamais que les portes claquées par les autres. Elle se mit à chercher fiévreusement une carte postale dans son tiroir. Si François la recevait à temps, ses trois cousins viendraient la chercher à la gare, ce serait si gentil !

« Nous partons demain », dit-elle à Dagobert, qui la regarda en remuant la queue « Oui, tu viens aussi, bien sûr. Ainsi, les Cinq seront à nouveau réunis. Le Club des Cinq. Tu es content, n’est-ce pas, Dago ? Moi aussi ! »

Elle écrivit sa carte en toute hâte, et courut à la poste. La porte d’entrée claqua derrière elle, ce qui fit à nouveau sursauter son père. C’était un savant qui aimait passionnément son travail, un homme courageux et bon, mais peu patient, coléreux et extrêmement distrait. Il eût préféré que sa fille, au lieu de lui ressembler fût douce et tranquille comme sa nièce Annie.

Claude glissa sa carte dans la boîte aux lettres. Elle avait écrit :

Rhume guéri. Arrivons demain, vers midi. Soyez à la gare pour nous accueillir, Dagobert et moi. Nous sommes en pleine forme !

Claude

De retour chez elle, Claude vida ses tiroirs et commença de trier les vêtements qu’elle désirait emporter. Sa mère vint l’aider. Toutes deux avaient beaucoup de mal à se mettre d’accord lorsqu’il s’agissait de faire une valise : Claude ne voulait prendre que fort peu de choses, et aucun vêtement chaud, alors que sa mère avait des idées diamétralement opposées.

Claude refusa, comme d’habitude, d’emporter une robe.

« Je me demande si, en grandissant, tu continueras de t’habiller et de te conduire comme un garçon ! dit sa mère exaspérée. C’est bon, emporte ces vilains shorts et ce pull-over bleu marine, mais tu vas y joindre ces vestes chaudes et une couverture de laine, comme te le conseille François. Les roulottes ne sont guère confortables, à ce qu’il paraît.

— Je me demande à quoi elles ressemblent, dit Claude, en fourrant les vestes dans sa valise. François dit qu’elles sont d’un modèle ancien. Peut-être rappellent-elles celles des bohémiens ?

— Tu le verras demain, dit sa mère. Oh ! Claude, voilà que tu recommences à tousser !

— C’est à cause de la poussière », dit Claude en devenant rouge et en résistant désespérément aux chatouillements qu’elle ressentait dans la gorge. Elle avala vite un verre d’eau. Il ne fallait pas que sa mère changeât d’avis, et résolût de la garder près d’elle !

Elle s’alarmait à tort, car sa mère la trouvait, réellement mieux. Claude venait de passer quelques jours au lit, se montrant d’humeur exécrable et fort difficile à soigner. Depuis la veille, son état s’était nettement amélioré. Sa mère pensait :

« Un petit séjour à Château-Mauclerc lui fera du bien. L’air est si pur là-bas ! Et puis, elle a besoin de compagnie. »

Ce soir-là, Claude fut gaie comme un pinson. Plus qu’une nuit, et elle allait revoir ses cousins, et passer avec eux une dizaine de jours en roulotte ! Pour peu que le soleil daignât se montrer, comme ils pourraient s’amuser !

Soudain, le téléphone sonna. La mère de Claude décrocha l’appareil.

« Allô ! dit-elle. C’est toi, François ? »

Claude se précipita dans l’entrée. S’il était arrivé quelque chose de grave ! Si François lui téléphonait de ne pas venir ! Elle écouta, le souffle coupé.

« Que dis-tu, François ? Je ne comprends pas… Mais oui, ton oncle va bien. Non, il n’a pas disparu. François, que racontes-tu là ? »

Claude s’impatientait. Enfin, sa mère raccrocha l’appareil et lui dit :

« Ne t’agite pas ainsi. Tout va bien, tu peux partir demain. François a téléphoné pour s’assurer que ton père n’est pas l’un des savants qui ont brusquement disparus avec des documents importants. Il y a dans les journaux du soir un article concernant deux savants dont on a perdu la trace. Et le gentil François voulait savoir si ton père était bien en sécurité ici !

— Comment François imagine-t-il que papa pourrait disparaître ainsi ? Il s’agit sans doute de deux savants qui vont vendre des secrets à l’étranger comme cela s’est déjà produit une fois. À quoi pense François ? »

img5.png