Chapitre 15

 

 

 

 

Mais qu allait-elle faire dans cette galère ?

AUTOCOLLANT POUR VOITURE

Une secousse projeta ma tête - celle-là même qui venait de recevoir un coup d'objet contondant - contre le panneau latéral de l'intérieur d'un coffre. Cela me réveilla en sursaut. Mais je commençai rapidement à perdre du terrain, retombant dans les limbes à chaque battement de cœur. Des ténèbres riches et chaudes menaçaient de me submerger et m'obligeaient à les repousser à coups de griffes et de dents pour rester lucide.

Je me concentrai sur la douleur vive et lancinante à l'intérieur de mon crâne, sur mes mains et mes pieds liés, le ronronnement d'un moteur et le frottement des pneus sur le bitume en dessous de moi. Si c'était le moyen qu'avait trouvé Cookie pour enfin me fourrer dans le coffre d'une voiture, elle allait avoir droit, pour Noël, à une année entière de séances d'épilation du maillot.

—Euh, genre, tu fais quoi, là ?

Je me forçai à ouvrir les yeux et découvris le visage d'une petite frappe de treize ans prénommée Ange. Alléluia. Il allait sûrement pouvoir me sortir de là. Il était penché au-dessus de moi à travers le siège arrière. Sur l'instant, j'aurais volontiers tué un mammouth laineux pour être libérée de mon enveloppe physique, moi aussi.

—Je meurs, croassai-je à cause tic ma gorge desséchée. Va chercher de l'aide.

— Non, tu ne meurs pas. En plus, tu trouves que je ressemble à Lassie ?

Son sourire moqueur vacilla l'espace d'une seconde, ce qui me permit d'entrevoir l'inquiétude sur son visage. OK, la situation était grave.

— Qui c'est ? demandai-je en fermant les yeux pour me protéger des couches de douleur superposées qui m'élançaient à l'unisson sous le crâne.

— Deux blancs, répondit-il d'une voix angoissée.

— Ils ressemblent à quoi ?

—À des blancs, répondit-il avec l'équivalent vocal d'un haussement d'épaule. Vous, les blancs, vous vous ressemblez tous.

J'essayai de lâcher un gros soupir, mais je n'avais pas assez d'air dans mes poumons comprimés.

—Tu es à peu près aussi utile qu'une cuillère dans un combat au couteau.

Je palpai mon holster d'épaule pour vérifier la présence de mon flingue, mais il était vide. Évidemment. Mon emprise vacillante sur la réalité se desserrait peu à peu.

—Va chercher Reyes, dis-je en perdant connaissance bien plus que je n'en reprenais.

—Je ne le trouve pas, répondit Ange dont la voix ressemblait à un écho dans une grotte. Je ne sais pas comment faire.

—Alors, espérons que lui saura me retrouver.

J'eus l'impression que quelques minutes s'étaient écoulées lorsque le coffre s'ouvrit, me réveillant pour la deuxième fois. Un flot de lumière emplit l'espace étriqué. J'éprouvai soudain une étrange sympathie pour les vampires tandis que je plissais les yeux pour me protéger de l'éclat aveuglant.

—Elle est réveillée, dit une voix masculine qui semblait surprise.

— Sans déconner, Sherlock, répondis-je.

Une vive douleur à la base du crâne vint récompenser mes efforts.

C'aurait été le bon moment pour avoir peur, mais je n'éprouvais rien. Aucune poussée d'adrénaline, aucun effroi parcourant mes veines, aucune suée induite par la panique ni crise d'angoisse me nouant l'estomac. Soit ils m'avaient filé quelque chose sous la forme d'une drogue illégale, soit je m'étais transformée en zombie. Puisque je n'avais aucune envie de leur dévorer le cerveau, je misais plutôt sur les narcotiques.

—Vous m'avez frappée, dis-je tandis qu'ils me traînaient hors du coffre en direction de ce qui ressemblait à un motel abandonné.

Avec une grossièreté absolue, aucun des deux ne me répondit. Je me rendis compte que je ne parlais pas très clairement. Marcher avec les pieds attachés s'avérait quasiment impossible, aussi. Heureusement, j'avais une escorte armée. Cela me donnait l'impression d'être étrangement importante. J'avais totalement besoin de mes propres gardes du corps. La mise en place d'un programme de sécurité maximale me permettrait d'éviter de futurs kidnappings et de booster mon estime de moi. Or, un moi estimé est un moi content.

— Que dois-je faire ? demanda Ange en sautant autour de nous comme un criquet dans une poêle à frire.

Il était déjà assez difficile à voir comme ça. On aurait dit que je n'arrivais à me concentrer sur rien au-delà de l'épaisseur de ma langue.

— Va chercher Obie, dis-je en mangeant la moitié des mots.

—Tu crois pas que j'y ai déjà pensé ? J'ai essayé de le prévenir pendant que tu jouais les Belle au Bois dormant. Là, il panique complètement et il doit être en train d'essayer de te joindre. Il croit qu'il est hanté par votre grand-tante Lillian.

Mon escorte me souleva pour me faire franchir le seuil d'une chambre simple qui tombait en ruine. Il y avait un fauteuil à l'autre bout de la pièce, à côté d'une commode sur laquelle se trouvait un assortiment d'instruments de torture un peu flous: des aiguilles, des couteaux et des objets en métal à l'aspect perturbant, tous conçus dans un seul but. Au moins, mes deux lascars avaient bien travaillé en faisant des recherches et en préparant le matériel. Je n'étais pas juste une fille enlevée au hasard qu'ils allaient torturer et enterrer dans le désert. J'avais été spécialement choisie pour être torturée et enterrée dans le désert. Mon amour-propre augmentait déjà d'un cran.

—Alors, pourquoi Obie se croit hanté par tante Lil ? demandai-je tandis qu'ils me laissaient tomber sur le fauteuil avant de m'attacher dessus.

— Mais à qui elle parle ? demanda l'un des deux lascars. L'autre grommela une réponse inintelligible. Il n'était pas difficile de deviner lequel était Starsky et lequel Hutch, même s'il s'agissait clairement de la version gangster. Je compris pourquoi je n'arrivais pas à me souvenir de leur visage. Ils portaient un passe-montagne qui n'allait pas très bien avec leur costume.

Je découvris bientôt qu'être attachée dans un fauteuil était bien moins confortable qu'on aurait pu le penser. Les cordes m'entaillaient les poignets et les avant-bras et écrasaient comme pas possible ces pauvres Danger et Will Robinson. Ils ne seraient plus jamais les mêmes.

— Ben, j'ai essayé le coup du sucre, répondit Ange en continuant à sauter autour de nous pour essayer de voir ce que faisaient les lascars. Tu sais, comme tu me l'avais dit, mais son chat n'arrêtait pas de le lécher, si bien qu'à la fin, ça ressemblait plus à « Lil aime le cul » qu'à « Charley a besoin d'aide».

— Obie a un chat?

J'aperçus du coin de l'œil un mouvement si rapide que j'eus à peine le temps de comprendre ce qui se passait. Je me retrouvai la tête en direction du lavabo rouillé sur ma droite. Ensuite, seulement, une vive douleur me traversa la mâchoire. Je commençai à comprendre que ça allait craindre un max. Grrr, je détestais la torture.

— Vous m'avez encore frappée, dis-je en devenant étrangement agacée.

—Tu crois ? me répondit Vilain Hutch. Petit malin, va.

— Une partie de mon cerveau me fait mal. J'exige de savoir comment cette partie s'appelle et à quoi elle sert.

Vilain Hutch hésita.

—Ma belle, je sais pas comment elle s'appelle, cette partie de ton cerveau. Et toi, tu le sais ? demanda-t-il en se tournant vers son meilleur pote.

—Tu rigoles ou quoi ? protesta Vilain Starsky, même si sa question n'avait rien de sincère.

Je faisais de mon mieux pour identifier les hommes que je soupçonnais fortement de kidnapping, mais je n'arrivais pas à me concentrer. Je ne savais pas ce qu'ils m'avaient filé, mais c'était super. Il faudrait que je pense à leur demander la recette.

Leurs voix ressemblaient à un enregistrement qu'on aurait fait défiler trop lentement, et je n'arrivais pas à me focaliser sur leurs yeux pour en déterminer la couleur. D'ailleurs, je n'arrivais pas à me concentrer sur quoi que ce soit qui m'aurait fait pencher la tête dans une autre direction qu'en bas. Ils avaient de jolies chaussures.

—Nous commençons à perdre patience et à manquer de temps, mademoiselle Davidson, reprit Vilain Starsky. (Sa voix n'était pas particulièrement grave, et il avait de petites mains. Vraiment pas mon genre.) Je vous laisse une chance, une seule.

Une seule, c'était mieux que pas du tout. J'allais devoir me surpasser. Tenter de décrocher l'or du premier coup. Il ne fallait pas que la chance du débutant m'abandonne sur ce coup-là.

—Où est Mimi Jacobs ?

Merde. Bon, ben quand tout le reste vous lâche, il y a encore le mensonge.

—En Floride.

— C'est où, ça, Floyd ? demanda Vilain Hutch à son partenaire.

— Floride, répétai-je. (Purée. J'essayai encore une fois.) Flo-rrri...

Ma tête partit de nouveau vers la droite, et la souffrance m'envahit, parcourant ma mâchoire et descendant le long de ma colonne vertébrale sous forme de vagues incandescentes. Malgré tout, j'avais l'impression que les tapes affectueuses du Vilain Starsky m'auraient fait bien plus mal si je n'avais pas été droguée jusqu'aux yeux. A présent, j'allais devoir repartir de zéro pour reprendre mes marques. Je poussai un soupir agacé.

Vilain Starsky s'agenouilla devant moi et me souleva le menton afin que je puisse le regarder. Ça m'aida vraiment. Je réussissais presque à distinguer la couleur de ses yeux, bleu cristallin. J'aurais parié jusqu'à mon dernier centime que l'autre avait les yeux bleu cristallin aussi. Ah, je savais bien que ce n'était pas normal qu'ils me foutent les jetons. Ils faisaient chier, ces satanés faux agents du FBI.

—Ça va faire beaucoup plus mal à toi qu'à moi, reprit Vilain Starsky, alias l'agent spécial Powers.

Je souris.

— Pas si le type debout derrière cette fenêtre a son mot à dire.

Mes deux kidnappeurs se retournèrent brusquement. Avant qu'ils aient le temps de faire quoi que ce soit, Garrett Swopes colla deux balles au Vilain Hutch en dégainant si vite que je ne le vis presque pas bouger. Bien sûr, j'avais du mal à appréhender les choses, mais quand même. Vilain Starsky dégaina à son tour et riposta, forçant Swopes à se plaquer contre le mur extérieur. Tout cela faisait vraiment beaucoup de bruit. J'essayai d'aider Swopes en donnant un coup de boule au Vilain Starsky, mais je réussis uniquement à baisser la tête et à obtenir de nouveau une vue imprenable sur ses chaussures.

—Woohoo ! s'exclama Ange en criant et en faisant des bonds partout, tout excité.

Je ne pouvais jamais l'emmener nulle part.

Il y eut encore quelques coups de feu, puis quelqu'un défonça la porte d'un coup de pied. Il avait de jolies chaussures, lui aussi. Brillantes. Tout à coup, Garrett commença à me détacher. Lui portait des bottines poussiéreuses et un jean. Quant à Vilain Hutch, il était peut-être mort à mes pieds, ou pas. Enfin, il avait l'air mort avec ses yeux grands ouverts et aveugles. Mais je ne voulais surtout pas tirer de conclusions hâtives.

— Il est sorti par-derrière, dit Garrett au type avec de jolies chaussures.

Qui eut cru qu'il avait de si bonnes relations ?

Je réussis à relever la tête juste assez longtemps pour identifier le Dangereux Ninja des Bee Gees. Il n'avait pas beaucoup changé depuis que sa clique et lui s'étaient introduits dans mon appartement l'autre matin.

—Monsieur Chao ? m'exclamai-je, réellement surprise. Comment vous m'avez retrouvée, les mecs ?

— M. Chao et moi avons échangé nos numéros de téléphone quand je l'ai surpris en train de te filer, répondit Garrett en se débattant avec les cordes.

Il renonça et sortit un couteau sacrement tranchant.

—Tu veux dire, quand tu me filais aussi ?

— Ouais. Ça fait des jours qu'il te suit.

—Monsieur Chao, dis-je d'un ton de reproche, j'ai quand même un joli cul, pas vrai ?

— Devrait-on se lancer à sa poursuite ? demanda M. Chao avec une pointe d'accent cantonais.

Garrett me libéra, et je tombai dans ses bras comme une poupée de chiffons.

— Où diable sont passés mes os ? demandai-je. Je n'arrivais pas à me tenir debout.

—Vous pouvez, vous et votre pote, répondit Garrett à l'adresse de Chao.

En même temps, ma question était purement rhétorique. Je levai les yeux et aperçus Frank Smith, le patron de M. Chao. Son costume anthracite était impeccable. Il souriait, comme s'il vivait pour des moments comme ceux-là.

—Je veux juste ramener Charley en lieu sûr, poursuivit Garrett.

—Vous portez votre boxer « Sexy» ? me demanda Smith, visiblement amusé.

— Comment m'avez-vous retrouvée ? Smith désigna son acolyte de la tête.

—M. Chao a vu deux hommes charger quelque chose de lourd dans leur coffre dans la ruelle derrière votre immeuble.

— « Lourd » ? répétai-je, brusquement vexée.

— Il m'a appelé, reprit Garrett en essayant de m'aider à rester debout. Il m'a demandé de vérifier chez toi pendant qu'il suivait le véhicule, juste au cas où. Bien évidemment, tu n'étais pas là.

— Lorsqu'on a compris qu'ils vous avaient kidnappée, M. Chao m'a appelé également, et nous nous sommes tous retrouvés derrière cette colline là-bas.

Smith désigna un point derrière la fenêtre brisée. Je ne vis qu'une lumière vive.

— Les flics sont en chemin, ajouta Garrett.

— Charley ! s'exclama Ange d'une voix étonnée, juste une seconde avant que des balles se mettent à pleuvoir sur nous.

 

Garrett me poussa à terre derrière un matelas plutôt dégoûtant et un sommier à ressort. Les deux autres plongèrent également. Le bruit semblait bizarre. Des coups de feu tirés par une arme automatique résonnèrent et sifflèrent autour de nous. Les unes après les autres, les balles transpercèrent le Placoplatre et le mobilier tout pourri et cabossèrent l'antique lavabo. Puis, les tirs cessèrent, sans doute parce que le tireur changeait de chargeur. M. Chao grogna de douleur. Il avait été touché, mais je ne savais pas si c'était grave.

—Il faut l'aider, dis-je à Garrett en essayant de me lever.

— Charley, bon sang. (Il m'entraîna de nouveau derrière le lit rouillé et cassé.) Il faut d'abord qu'on trouve un plan.

— On pourrait, je sais pas, prendre M. Chao et foutre le camp.

La poussée d'adrénaline devait m'avoir délié la langue. Je n'avais tout à coup plus aucun mal à donner mon avis.

Garrett ne m'écoutait même pas. Oh, vraiment ? On recommençait avec ces conneries ?

—Si on se contente d'attendre, les flics vont arriver d'une minute à l'autre.

—En attrapant M. Chao et en sortant par la fenêtre de derrière, on pourrait attendre les flics dehors.

Une nouvelle série de coups de feu retentit autour de nous.

— Fils de pute, marmonna Garrett tandis que les balles ricochaient dans toutes les directions. Putain, mais qui est-ce qui nous tire dessus comme ça ?

—Ah ouais, j'ai oublié de te dire qu'il m'avait donné son nom. C'est « Foutons-le-camp-d'ici ».

—Tiens, prends ça, dit-il en glissant la main derrière son dos.

— C'est une carte pour foutre le camp d'ici ?

Il déposa un petit pistolet dans la paume de ma main gauche.

—Tu sais, mec, je suis droitière.

— Charley, dit-il d'une voix pleine d'exaspération.

— C'est juste pour dire.

—Tu restes ici, ordonna-t-il.

Il se redressa à genoux, apparemment dans l'intention de jouer les héros.

La première balle qui pénétra dans le corps de Garrett me plongea en état de choc. Le monde ralentit au moment où le bruit du métal rentrant dans la chair parvenait à mes oreilles. Garrett me regarda fixement, d'un air totalement incrédule. Quand une deuxième balle le fit se tordre, il baissa les yeux vers son flanc pour essayer de voir le point d'entrée. Lorsqu'il se prit une troisième balle, je compris ce que j'avais à faire.

Après qu'une nouvelle série de munitions a défilé sur le mur derrière nous, les tirs cessèrent puis repartirent en arrière, dans ma direction, dans un classique mouvement de balayage.

Je me mis donc debout, verrouillai mes genoux et attendis.

Garrett s'effondra contre le mur, les mâchoires serrées par la souffrance, tandis que chaque nouvelle balle arrachait des morceaux de Placoplatre des murs décrépis, ricochait sur le lavabo en métal et trouait le mobilier délabré comme si c'était du papier. La pièce ressemblait désormais à la victime impuissante d'une bataille d'oreillers du vendredi soir.

Où était le fils de Satan quand on avait besoin de lui ? Peut-être qu'il m'en voulait encore. Peut-être qu'il ne viendrait pas cette fois. Après tout, il ne s'était pas montré quand le mec en conditionnelle avait tenté de m'arracher le cœur, ce qui était une première. Mais j'étais prête à courir le risque, pour Garrett.

De deux choses l'une : soit j'allais mourir, soit Reyes allait venir. Il me sauverait. Encore. Et tout ça, tout ce bruit et ce chaos, prendrait fin. Je sentais la déflagration de chaque coup de feu onduler sur ma peau. La chaleur de ces petits objets se déplaçant plus vite que le son faisait vibrer mes terminaisons nerveuses.

Je fermai les yeux et chuchotai doucement, incapable d'entendre ma voix au milieu des tirs.

— Rey'aziel, viens à moi.

La détonation d'un coup de feu me fit l'effet d'un coup de tonnerre à côté de moi. Puis un autre. Ils se rapprochaient. La prochaine allait m'atteindre au cou, et probablement me transpercer la jugulaire.

J'ouvris les yeux, me préparai à l'impact et regardai avec étonnement le monde ralentir encore plus. Les débris restaient suspendus dans les airs comme des serpentins figés dans le temps tandis qu'une rangée de balles traversait lentement l'atmosphère dans ma direction. J'étudiai la plus proche, celle sur laquelle était inscrit mon nom. La friction due à sa très grande vélocité chauffait le métal à blanc. Puis le monde se remit à tourner normalement lorsqu'une puissante force me projeta à terre, me coupant le souffle. Pan ! Les balles que j'avais observées s'enfoncèrent dans le mur au-dessus de ma tête.

Puis tout s'assombrit, à commencer par ma vision périphérique, qui se referma autour de moi jusqu'à ce que je sombre dans un beau néant noir.

J'eus l'impression que quelques secondes seulement s'étaient écoulées lorsque j'ouvris les yeux et que je me retrouvai flottant en direction d'un plafond croulant que je ne reconnus pas. Je regardai en direction de mon corps et vis une mare de sang se répandre autour de ma tête. Puis je levai les yeux vers la silhouette noire qui me soulevait vers les cieux. Je serrai les dents et les poings.

Putain de Mort. J'allais sérieusement lui botter le cul.

Je m'arrachai à son étreinte et retombai sur Terre. Reyes se retrouva aussitôt devant moi, sa robe noire ondulant autour de lui. Mais j'avais déjà pris mon élan et le cognai à la mâchoire.

—Putain, mais pourquoi tu as fait ça ? me demanda-t-il en baissant son capuchon pour dévoiler son visage parfait.

—Oh, fis-je en haussant les épaules d'un air penaud. Je croyais que tu étais la Mort.

Un sourire apparut sur son visage, faisant ressortir ses charmantes fossettes et faisant naître un frisson le long de ma colonne vertébrale.

—Non, ça, c'est toi, répliqua-t’il en haussant les sourcils d'un air taquin.

—C'est vrai, je suis la Mort. Je le savais. (Je regardai mon corps étendu sur le sol de manière peu attrayante.) Alors, je suis morte ?

—Loin de là. (Il se rapprocha de moi, me prit le menton et me tourna la tête d'un côté puis de l'autre pour examiner les dégâts causés par Vilain Starsky.) Tu aurais dû m'invoquer plus tôt.

—Je ne savais même pas que j'en étais capable. J'ai juste pris le risque.

Il fronça les sourcils.

— D'habitude, tu n'en as pas besoin. Je perçois tes émotions avant même qu'elles fassent surface.

—Ils m'ont droguée. J'étais vraiment heureuse.

— Oh. La prochaine fois, invoque-moi plus tôt. Je baissai la tête d'un air hésitant.

— Quoi ? demanda-t-il.

—L'autre nuit, je me suis fait agresser par un type avec un couteau. Si je me souviens bien, mes émotions étaient très fortes à ce moment-là. Tu n'es pas venu.

— C'est vraiment ce que tu penses ? Je clignai des yeux, surprise.

—Tu étais là ?

— Bien sûr que j'étais là, mais tu t'en sortais très bien toute seule.

Je ne pus m'empêcher de renifler.

—Visiblement, c'est une autre Charley que tu as vu se faire agresser, parce que j'ai bien failli mourir, monsieur.

— Mais tu t'en es sortie toute seule. D'ailleurs, je te l'avais bien dit.

—Dit quoi ?

—Que tu as plus de capacités que tu le penses. (Il combla la distance entre nous avec un sourire des plus sensuels.) Oui, bien plus.

— Garrett ! m'écriai-je.

L'instant d'après, je m'éveillai à côté de lui. De retour dans mon corps, je me redressai péniblement et cherchai Reyes des yeux. Avais-je rêvé tout ça ? Ce serait bien mon genre, franchement. Mais les coups de feu avaient cessé.

— Que s'est-il passé ? demandai-je à Smith.

— Le tireur est mort, répondit-il en aidant M. Chao. Et les flics sont presque là, alors on s'en va.

—Attendez, c'est vous qui l'avez tué ? Il remit debout un M. Chao gémissant et passa son bras autour de la taille de son collègue.

—Non, pas moi.

—Attendez, Garrett est blessé, protestai-je tandis qu'il portait son collègue hors de la pièce.

Un 4x4 s'arrêta devant l'entrée, avec le Catcheur, alias Ulrich le troisième homme, au volant.

—Les flics sont presque là. Faites pression sur la blessure.

—Merci, répondis-je à son dos.

En me retournant vers Garrett, je me rendis compte que le sang qui se déployait en arc de cercle autour de ma tête tout à l'heure n'était pas le mien mais le sien. Je cherchai la pire de ses blessures et, ma foi, je fis pression dessus.