Chapitre 3

 

 

 

 

De gros seins impliquent de grosses responsabilités.

TEE-SHIRT

Toi, t'es vraiment bon à enfermer. Je me tenais sous la douche et faisais couler de l'eau aussi chaude que possible. Pourtant, la chair de poule recouvrait tout mon corps. Voilà ce qui arrivait quand des mecs morts se douchaient avec moi. Je regardai au fond des pupilles du défunt SDF en provenance du coffre de Cookie. Mais il semblait ne pas me voir. Il avait les cheveux mi-longs, d'un brun sale, une barbe en broussaille et des yeux vert noisette. J'étais vraiment un aimant pour ce genre de types.

Mon haleine faisait de la buée, alors que de la vapeur s'élevait des murs de la douche. Je résistai à l'envie de regarder en direction des cieux et de lever les bras lentement alors que la vapeur roulait autour de nous sous forme de vagues. Pourtant, c'aurait été cool de faire semblant d'être une déesse des eaux. J'aurais pu ajouter un air d'opéra pour plus d'effet.

—Tu viens souvent ici ? demandai-je plutôt, ce qui n'amusa que moi — ça en valait donc tout à fait la peine.

Comme il ne répondait pas, je testai sa lucidité en poussant sa poitrine du bout de l'index. Mon doigt entra en contact avec son manteau en lambeaux, aussi solide pour moi que les murs de la douche autour de nous, mais l'eau qui dégoulinait de mon doigt passa directement à travers lui pour aller s'écraser avec les autres gouttes sur le sol de la douche. Mon geste ne lui arracha aucune réaction. Ses yeux vides continuaient à regarder à travers moi, ce qui était étrange. Il m'avait paru réellement sain d'esprit, dans le coffre de Cookie.

À contrecœur, je me penchai en arrière pour rincer le shampoing dans mes cheveux et me forçai à garder les yeux ouverts, pour observer mon observateur. Enfin, si on peut dire.

— Tu as déjà eu une de ces journées de dingue qui démarrent sur les chapeaux de roue et ne font qu'empirer ?

De toute évidence du genre fou mais silencieux, il ne répondit pas. Je me demandai depuis combien de temps il était mort. Peut-être arpentait-il la Terre depuis si longtemps qu'il avait perdu l'esprit. C'était déjà arrivé dans un film. Bien sûr, s'il était SDF avant de mourir, la maladie mentale jouait peut-être déjà un grand rôle dans sa vie.

Juste au moment où je coupai l'eau, il leva les yeux. Je levai les yeux aussi, principalement parce qu'il l'avait fait.

— Qu'est-ce qu'il y a, mon grand ?

Quand je le regardai de nouveau, il n'était plus là. Il avait disparu, comme ça, d'un coup, comme le font souvent les morts. Pas d'au revoir. Pas de « À la prochaine ». Juste envolé.

—Vas-y, mec, tu les auras.

Avec un peu de chance, il ne reviendrait pas. Satanés morts.

Je sortis la main au-delà du rideau de douche pour attraper une serviette et vis des gouttelettes de sang ruisseler le long de mon bras. Je relevai les yeux et découvris un rond rouge sombre au plafond qui s'étendait lentement, comme une tache de sang appartenant à une personne qui saignait encore. Je n'eus pas le temps de dire « qu'est-ce qui se passe, put... », car quelqu'un tomba à travers. Un individu grand et lourd, qui atterrit pile sur moi.

On s'effondra au fond de la douche dans un amas de torses et de membres. Malheureusement, je me retrouvai clouée sous une personne faite d'acier solide, mais je reconnus aussitôt un détail : sa chaleur, comme une signature, comme un messager annonçant son arrivée. Je me dégageai tant bien que mal de sous l'un des êtres les plus puissants de l'univers. Reyes Farrow. Je constatai alors que j'étais couverte de sang des pieds à la tête. Son sang.

— Reyes! m'écriai-je, affolée.

Il était inconscient, vêtu d'un tee-shirt et d'un jean inondés de sang.

—Reyes, répétai-je en lui prenant la tête à deux mains.

Ses cheveux noirs dégoulinaient. De grandes éraflures zébraient son visage et son cou, comme si quelque chose l'avait griffé. Mais la majeure partie du sang provenait des plaies profondes et mortelles sur sa poitrine, son dos et ses bras. Il s'était défendu, mais contre quoi ?

Mon cœur tambourinait dans ma poitrine.

— Reyes, je t'en prie.

Je lui tapotai la joue; en réponse, ses cils, d'un rouge cramoisi car maculés de croûtes de sang, papillonnèrent. En un éclair, il se retourna contre moi en grondant. Sa robe noire se matérialisa autour de lui, autour de nous, et une main en jaillit pour se refermer tel un étau sur ma gorge. Le temps que mon cœur se remette à battre, j'étais plaquée contre le mur de la douche, et une lame tranchante comme un rasoir luisait devant mes yeux.

— Reyes, dis-je faiblement, car je perdais déjà connaissance tant la pression sur ma gorge était précise, exacte.

Je ne voyais plus son visage, juste du noir, car la robe ondoyante qui était une partie intégrante de lui protégeait son identité, même de moi. Le monde devint flou, puis se mit à tournoyer. Je luttai contre sa poigne, qui me faisait l'effet d'un étau. Mais j'avais beau croire que je me battais pour la bonne cause, je sentis presque aussitôt mes membres s'affaisser, trop faibles pour soutenir leur propre poids.

Je sentis Reyes se presser contre moi tandis qu'une éclipse totale s'avançait sur la pointe des pieds. Je l'entendis parler d'une voix qui s'enroula autour de moi comme de la fumée :

—Méfie-toi de l'animal blessé.

Puis, il disparut. La gravité reprit le dessus, et je m'effondrai une fois de plus dans le fond de la douche, tête la première, cette fois. Quelque part au fond de mon esprit, je compris que j'allais le regretter.

 

Une chose vraiment très étrange s'était produite le jour de ma naissance. Une silhouette noire m'attendait juste au sortir du ventre de ma mère. Cette entité masculine portait une robe à capuche qui ondulait autour d'elle, emplissant toute la salle d'accouchement de ses vagues noires, comme de la fumée dans la brise. Je ne pouvais pas voir le visage de l'intrus, mais je sais qu'il nous observait quand le docteur coupa le cordon. Je ne pouvais pas sentir ses doigts, mais je sais qu'il me toucha quand les puéricultrices me nettoyèrent. Je ne pouvais pas entendre sa voix, mais je sais qu'il chuchota mon nom, d'une voix rauque et grave.

Il était si puissant que sa simple présence m'affaiblissait et empêchait l'air d'entrer dans mes poumons. J'avais peur de lui. En grandissant, j'ai compris qu'il était la seule chose dont j'avais peur. Je n'avais jamais souffert des phobies normales de l'enfance, ce qui était sans doute une bonne chose, puisque les morts se rassemblaient autour de moi en masse. Mais lui, il me faisait peur. Pourtant, il ne se montrait que dans les moments de grand péril. Il m'avait sauvé la vie, plus d'une fois. Alors pourquoi avais-je aussi peur ? Pourquoi l'avais-je surnommé le Grand Méchant, alors qu'il semblait être tout sauf cela ?

Peut-être à cause de la puissance qui irradiait de lui et qui semblait absorber une partie de moi chaque fois qu'il était à proximité.

Faisons un bond en avant de quinze années, jusqu'à une nuit froide dans les rues d'Albuquerque. Ma première rencontre avec Reyes Farrow. Gemma, ma sœur aînée, et moi, nous réalisions une vidéo pour l'école dans une partie plutôt malfamée de la ville. Nous avions remarqué des mouvements à la fenêtre d'un petit appartement. Horrifiées, nous nous étions rendu compte qu'un homme battait un adolescent. À ce moment-là, je n'avais plus pensé qu'à une chose : le sauver. D'une façon ou d'une autre. De désespoir, j'avais lancé une brique sur la fenêtre de ce type. Cela avait marché. Il avait arrêté de frapper le garçon. Malheureusement, il s'était lancé à notre poursuite. On s'était enfuies en courant dans une ruelle sombre er on cherchait une ouverture dans un grillage quand on s'était aperçues que le garçon s'était échappé aussi. On l'avait découvert plié en deux derrière son immeuble.

On était revenues sur nos pas. Du sang maculait son visage et dégoulinait de son incroyable bouche. On avait appris qu'il s'appelait Reyes et on avait essayé de l'aider, mais il avait refusé, allant jusqu'à nous menacer si nous ne partions pas. Ce fut ma première leçon dans le domaine des absurdités de l'esprit masculin. Mais, à cause de cet incident, je n'avais pas été totalement surprise d'apprendre, plus d'une décennie après, que Reyes venait de passer ces dix dernières années en prison pour avoir tué ce sale type.

C'était l'une des quelques vérités que j'avais récemment découvertes à son sujet. Parmi elles, et non des moindres, se trouvait le fait que Reyes et le Grand Méchant, cet être noir qui me suivait et veillait sur moi depuis ma naissance, n'étaient qu'une seule et même personne. C'était lui la créature qui m'avait sauvé la vie à plusieurs reprises. Lui qui m'observait dans l'ombre, en n'étant qu'une ombre lui-même, et qui me protégeait de loin. Lui dont j'avais eu si peur en grandissant. Bon sang, c'était même lui la seule chose que je redoutais dans ces années-là.

C'était stupéfiant de penser que l'être fait de fumée de mon enfance était en réalité un homme de chair et de sang. Cependant, il pouvait quitter son corps physique et voyager à travers l'espace et le temps sous forme d'une présence éthérée, capable de se dématérialiser en un battement de cœur. Capable, aussi, de tirer l'épée et de trancher la colonne vertébrale d'un homme en un clin d'œil. Capable de faire fondre les calottes glaciaires d'un seul coup d'œil entre ses cils noirs.

Pourtant, chacune de ces révélations n'avait fait qu'apporter toujours plus de questions. À peine une semaine auparavant, j'avais découvert d'où lui venaient ces facultés surnaturelles. J'avais regardé au sein de son monde quand ses doigts avaient effleuré mon bras, quand sa bouche avait fait courir des flammes sur ma peau et quand il s'était enfoncé en moi, provoquant un orgasme tel que son passé s'était déverrouillé et que le voile s'était levé sur son existence. J'avais vu de mes yeux la naissance dé l'univers, puis son père, son vrai père, le plus bel ange jamais créé, se faire chasser des cieux. Lucifer avait riposté à la tête d'une vaste armée ; c'était au cours de cette période tourmentée que Reyes était né. Forgé dans la chaleur d'une supernova, il s'était élevé rapidement au sein de cette armée pour devenir un chef respecté. Bras droit de son père, il commandait des millions de soldats. C'était un général parmi les voleurs, encore plus beau et plus puissant que son géniteur, avec la clé du portail de l'enfer gravée sur son corps.

Mais l'orgueil de son père ne connaissait pas de limite. Il voulait les deux eux-mêmes. Il voulait récupérer le contrôle de tous les êtres vivants dans l'univers. Il voulait le trône de Dieu.

Reyes, obéissant au moindre de ses ordres, avait attendu et guetté la naissance d'un portail sur la Terre, un passage direct vers le paradis, un moyen de sortir de l'enfer. Pisteur aussi furtif que talentueux, il avait réussi à franchir toutes les portes du monde inférieur et avait découvert les portails au fin fond de l'univers, un millier de lumières de forme identique. Un millier de faucheuses espérant avoir le privilège de servir sur Terre.

Puis Reyes avait regardé de plus près et s'était rendu compte qu'une de ces faucheuses était faite d'or tissé. C'était une fille du soleil, étincelante et chatoyante. Moi. Je m'étais retournée, je l'avais vu et je lui avais souri. Reyes avait été vaincu.

Il avait défié son père, refusant de retourner en enfer lui dire où nous nous trouvions. Il avait attendu des siècles qu'on m'envoie, et il s'était incarné sur Terre lui aussi, en renonçant, pour moi, à toutes ses connaissances. Car le jour où il était né sous forme humaine, il avait oublié qui et ce qu'il était. Plus important encore, il avait oublié ce dont il était capable. Il avait renoncé à tout pour être avec moi, mais un cruel caprice du destin l'avait jeté dans les bras d'un monstre. Un prédateur de la pire espèce lui avait dicté chacun de ses gestes en grandissant. Mais, peu à peu, il avait commencé à se rappeler son passé. Qui il était. Ce qu'il était. Malheureusement, le temps que tous ses souvenirs lui reviennent, il se trouvait en prison pour le meurtre de l'homme qui l'avait élevé.

Je me réveillai en sursaut au fond de ma baignoire et me redressai d'un bond. La surface dure et glissante étant ce qu'elle était, à savoir principalement dure et glissante, je retombai aussitôt, mes paumes se dérobant sous moi. Le choc fut rude. Aussi, lors de ma deuxième tentative, y allai-je plus doucement en cherchant Reyes des yeux et en me jurant d'acheter des adhésifs antidérapants pour ma baignoire.

Il n'y avait pas de sang. Aucune trace de lutte. Et pas de Reyes. Que lui était-il arrivé ? Pourquoi était-il mutilé ainsi ? Je repoussai son image dans mon esprit, en grande partie parce que la tête me tournait dès qu'elle apparaissait. Ce n'était pas une bonne chose.

Je me souvins de ses paroles. « Méfie-toi de l'animal blessé. » Il avait parlé en araméen, l'une des milliers de langues que je connaissais de façon innée. Sa voix n'était qu'un grondement sourd et rempli de douleur. Je devais le retrouver.

J'enfilai précipitamment un jean et un pull, ainsi qu'une paire de bottes, et m'attachai les cheveux en queue-de-cheval. J'avais tellement de questions - et tellement d'inquiétudes, aussi. Reyes avait passé un mois dans le coma. Il avait été atteint par le tir d'avertissement d'un garde près d'un rassemblement de détenus qui semblaient sur le point de déclencher une émeute. Le jour où l'État allait le débrancher de la machine qui le maintenait en vie, Reyes avait paru se réveiller comme par magie, et il était sorti de l'unité de long séjour, à Santa Fe, les mains dans les poches, comme s'il n'avait aucun souci. C'était la semaine précédente. Depuis, personne ne l'avait vu ni n'avait entendu parler de lui. Pas même moi. Jusqu'à aujourd'hui.

Était-il encore en vie ? Qui l'avait attaqué ? Qui en était capable ? Il était le fils de Satan, putain ! Qui pourrait s'en prendre à un mec pareil ? Je disposais de deux ou trois ressources que je pouvais mettre en œuvre, mais mon fixe se mit à sonner.

— Faites vite, dis-je en décrochant.

— OK. Deux agents du FBI sont là, m'annonça Cookie - vite.

Merde.

— Des Men in black au bureau ?

— Eh bien, oui, mais je dirais que leur costume est plutôt bleu marine.

Merdum. Je n'avais pas de temps à perdre avec eux, quelle que soit leur couleur.

—D'accord, deux questions : est-ce qu'ils ont l'air énervé et est-ce qu'ils sont sexy ?

Cookie me répondit après une longue, longue pause :

— Premièrement, pas vraiment. Et deuxièmement, pas de commentaire pour l'instant. Oh, troisièmement, tu es sur haut-parleur.

Je lui répondis après une autre longue, longue pause :

— Bon, ben, OK. J'arrive de suite.

Avant que j'aie le temps de le faire moi-même, un long bras passa par-dessus mon épaule et mit fin à l'appel. Reyes se tenait derrière moi. La chaleur qui émanait de lui en permanence s'insinua dans mes vêtements, me communiquant une sensation de bien-être. Il se rapprocha et s'appuya contre mes fesses. Je réagis à sa proximité par une montée d'adrénaline. Quand il pencha la tête et que son souffle effleura ma joue, mes genoux cédèrent presque sous mon poids.

— Bien joué, Dutch, me dit-il d'une voix douce comme une caresse.

Un frisson de plaisir dévala ma colonne vertébrale et vint se nicher dans mon abdomen. Reyes m'appelait Dutch depuis ma naissance, mais je ne savais toujours pas pourquoi. Il était comme le désert, âpre et beau, rude et implacable, avec la promesse d'un trésor derrière chaque dune, l'attraction de l'eau dissimulée juste sous la surface.

Je me retournai pour lui faire face. Mais il refusa de céder le terrain qu'il avait gagné, si bien que je dus me pencher en arrière pour le regarder er le dévorer des yeux. Ses cheveux noirs bouclaient au-dessus d'une oreille et tombaient légèrement emmêlés sur son front. Ses cils, si épais qu'on aurait dit en permanence qu'il venait de se réveiller, protégeaient ses yeux d'un brun liquide, lesquels brillaient d'une lueur malicieuse. Son regard se promena librement sur moi et ralentit en arrivant sur ma bouche, puis plongea en atteignant la vallée entre Danger et Will Robinson. Ensuite, il remonta et se fixa sur mes yeux. Je compris à cet instant le véritable sens du mot « perfection ».

—Tu as meilleure mine, lui dis-je d'un ton désinvolte.

Les blessures si profondes, si potentiellement dangereuses, avaient disparu. J'avais la tête qui tournait sous l'effet du soulagement et de l'inquiétude.

Reyes me souleva le menton et fit courir ses doigts sur ma gorge, encore enflée à cause de son accès de folie passagère dans la douche. Il avait une sacrée poigne.

— Désolé.

—Tu veux bien m'expliquer ?

—Je t'ai prise pour quelqu'un d'autre, répondit-il en baissant la tête.

— Qui donc ?

Au lieu de répondre, il prit mon pouls, du bout des doigts. Il semblait se délecter de cette preuve de vie qui circulait dans mes veines.

—S'agit-il des démons dont tu m'as parlé ? demandai-je.

— Oui, répondit-il sur un ton si désinvolte qu'on aurait pu croire que des démons tentaient régulièrement de le tuer.

Il m'avait appris leur existence la semaine précédente, après que j'avais découvert sa véritable nature. Il m'avait dit que ces démons me poursuivaient mais que, pour m'atteindre, il faudrait d'abord qu'ils lui passent sur le corps. Je pensais alors qu'il s'exprimait par métaphores. Apparemment, j'avais tort.

—Sont-ils... (Je m'arrêtai au beau milieu de ma phrase et déglutis péniblement.) Est-ce que tu vas bien ?

—Je suis inconscient, répondit-il en se rapprochant et en s'humectant les lèvres.

Mon estomac fit un bond, mais ce n'était pas uniquement dû à la vision de sa langue sur ses lèvres pleines.

—Tu es inconscient ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

Les mains posées sur le comptoir de part et d'autre de mon corps, il m'emprisonnait entre ses bras musclés.

— Ça veut dire que je ne suis pas éveillé, répondit-il une seconde avant de me mordiller le lobe de l'oreille, juste assez fort pour provoquer un séisme à la surface de ma peau.

Sa voix profonde de ténor résonnait dans mes os et les faisait fondre de l'intérieur. J'avais du mal à me concentrer sur ses paroles à cause du trouble que chaque syllabe et chaque caresse généraient en moi. Il était comme de l'héroïne recouverte de chocolat, et j'étais complètement accro.

Je l'avais déjà eu en moi. J'avais connu le paradis pendant un bref instant, une expérience tellement surréaliste, tellement fracassante, qu'il m'avait probablement dégoûtée à vie de tous les autres hommes. Sérieusement, qui pouvait rivaliser avec un être créé à partir de la beauté et du péché fusionnés dans la chaleur torride de la sensualité ? Il était un dieu parmi les hommes. Et merde.

— Pourquoi n'es-tu pas réveillé ? demandai-je en m'efforçant de rediriger le cours de mes pensées. Reyes, qu'est-ce qui s'est passé ?

Il était occupé à me mordiller en descendant en direction de ma clavicule. Sa bouche chaude provoquait des activités sismiques à chaque point de contact. Je n'avais vraiment pas envie de l'interrompre, mais...

—Reyes, tu m'écoutes?

Il redressa la tête, un sourire sensuel au coin des lèvres.

— Oui, j'écoute.

— Quoi donc ? Le bruit du sang qui se précipite entre tes jambes ?

— Non, répondit-il avec un petit rire rauque qui me donna des picotements partout. J'écoute les battements de ton cœur.

Il se pencha de nouveau pour déclencher l'assaut aérien.

— Reyes, je suis sérieuse. Comment as-tu été blessé ?

— Douloureusement, chuchota-t-il dans mon oreille. Sa réponse me serra le cœur.

— Ça suffit, dis-je en bloquant son poignet, alors que la main qui y était attachée faisait des choses exquises à mon intimité.

Il réussit à retourner sa main pour entrelacer nos doigts.

— Et si je refuse ? Tu vas me mettre au coin ?

— Oui, répondis-je tandis qu'un soupir tremblant s'échappait de mes lèvres.

— Et si je n'y vais pas, j'aurai droit à une fessée ? Je ne pus m'empêcher de rire.

— Reyes, il faut qu'on parle, le réprimandai-je.

—Alors, parlons, répondit-il en me caressant le poignet avec son pouce.

Je posai l'index sur son épaule et le poussai gentiment.

— Laisse-moi reformuler. Il faut que toi, tu parles. Je t'en prie, raconte-moi ce qui s'est passé. Pourquoi es-tu inconscient ?

Il poussa un lent soupir et recula pour mieux soutenir mon regard.

—Je te l'ai dit la semaine dernière, ils m'ont trouvé.

— Les démons ?

— Oui.

— Qu'est-ce qu'ils veulent ?

— La même chose que moi, répondit-il en me dévorant des yeux. Mais peut-être pour d'autres raisons.

Il m'avait déjà expliqué que les démons me voulaient parce que j'étais un portail, un moyen d'accéder au paradis. J'ignorais qu'ils iraient jusqu'à recourir à de telles extrémités.

— Es-tu toujours vivant ?

— Mon corps physique est comme le tien, difficile à tuer, bien plus que la plupart des humains.

Le soulagement envahit toutes les cellules de mon corps. J'inspirai profondément, puis lui demandai :

— Dis-moi ce qui se passe exactement.

— Exactement ? D'accord. Ils attendent qu'exactement une possibilité sur deux se réalise.

— Quelles possibilités ?

— Que mon corps meure, afin de pouvoir me ramener en enfer, ou que tu me trouves. La première possibilité leur donnerait accès à la clé, expliqua-t-il en désignant de la tête les courbes fluides et lisses de son tatouage.

C'était stupéfiant, mais ce dernier était une carte des portes de l'enfer. Sans lui, le voyage hasardeux à travers le néant de l'éternité se terminait rarement bien pour les entités essayant de s'échapper.

— Et l'autre leur donnerait accès au ciel. (Il soutint mon regard sans ciller.) L'une comme l'autre les rendrait extrêmement heureux.

—Alors, dis-moi où se trouve ton corps physique, et ensuite on pourra... je ne sais pas, te cacher.

Il secoua la tête d'un air de regret.

—J'ai bien peur de ne pas pouvoir faire ça.

Je haussai les sourcils.

— Comment ça, tu ne peux pas ? Reyes, où es-tu ? Un sourire triste fit pencher l'un des coins de sa bouche.

— En lieu sûr.

—Tu es à l'abri des démons ? lui demandai-je d'une voix pleine d'espoir.

— Non, répondit-il, toi, tu es à l'abri des démons. Lorsqu'il se pencha de nouveau vers ma jugulaire, je reculai.

— Donc, ils savent où tu es ? Ils essaient de te tuer ? Ce qu'il me racontait là ressemblait fort à mon pire cauchemar - blessée et impuissante quelque part, avec un fou qui voulait me tuer. Jusqu'à présent, le coupable n'était jamais d'origine démoniaque, mais, maintenant, mon cauchemar récurrent allait sûrement se mettre à jour pour refléter une présence diabolique. Merveilleux.

Dans un gros soupir, Reyes recula, s'affala sur la chaise devant mon ordinateur et mit les pieds sur le bureau en croisant les chevilles.

— Faut-il vraiment qu'on ait cette conversation maintenant ? Je n'ai pas beaucoup de temps.

Mon cœur se mit à tambouriner dans ma poitrine. Je me demandais combien de temps il... nous avions. Je n'avais pas de table et de chaises, mais un bar avec des tabourets. Je m'assis sur l'un d'eux et me tournai vers lui.

— Pourquoi refuser de me dire où tu es ?

— Pour plein de raisons différentes.

Son regard glissa sur moi comme un voile de feu. D'un seul coup d'œil, il parvenait à embraser mes désirs les plus profonds. Je décidai alors d'arrêter de lire de la romance à la lueur d'une bougie.

—Peux-tu me dire lesquelles, ou faut-il que je les devine ?

— Puisque je ne peux sans doute pas rester toute la journée, je vais te les dire.

—Au moins, ça nous mène quelque part.

— La première raison, c'est que c'est un piège, Dutch, qui t'est tendu, à toi et à nul autre. Pourquoi ne m'ont’ils pas encore tué, à ton avis ? Ils veulent que tu me retrouves. N'oublie pas, tu ne les vois pas, ils ne te voient pas.

Il avait déjà mentionné ce détail la semaine précédente, mais la vérité était difficile à appréhender - et perturbante, qui plus est.

—Et si je les vois ? demandai-je.

Son regard se promena une fois de plus sur moi.

— Disons simplement que tu es difficile à louper.

— Eh bien, on n'a qu'à faire ça incognito, genre Navy SEALs ou le SWAT.

— Ça ne marche pas comme ça.

—Mais cette raison n'est pas suffisante, protestai-je en serrant les poings. Il faut essayer. On ne peut pas les laisser te tuer.

—Tu n'as pas entendu la deuxième raison. Voilà qui ne présageait rien de bon.

— D'accord, balance-la. J'attendis, les bras croisés.

— Ça ne va pas te plaire.

—Je suis une grande fille, répliquai-je en relevant le menton. Je peux gérer.

— D'accord. Je vais laisser mourir mon corps physique. Tous les muscles de mon corps se figèrent.

— Ce n'est pas comme si j'en avais besoin, ajouta-t-il en haussant les épaules avec désinvolture. Il me ralentit et, comme tu as pu le voir, il me rend vulnérable aux attaques.

—Mais, sur la vidéo, quand tu l'es réveillé du coma, tu as disparu. Tu as dématérialisé ton corps humain.

— Dutch, dit-il en me lançant un regard de reproche sous ses longs cils noirs, même moi, je n'en suis pas capable.

— Alors, comment as-tu fait pour disparaître ? J'ai vu la vidéo.

—Je peux interférer quand je veux avec des appareils électriques. Toi aussi, si tu te concentrais.

Je l'ignorais.

—Je pensais juste...

—Tu t'es trompée, répliqua-t’il d'un ton catégorique.

Bon sang ce qu'il pouvait être susceptible sous la torture.

— D'accord, je me suis trompée. Ce n'est pas comme si j'avais été livrée avec le manuel « tout savoir sur les entités surnaturelles ».

— C'est vrai.

—Mais ce n'est pas une raison pour laisser mourir ton corps physique. C'est vrai, qu'est-ce qui va t'arriver après ? Tu viens juste de dire qu'ils te t’amèneront en enfer si tu meurs.

— Même eux ne savent pas s'ils en sont capables. C'est simplement ce qu'ils espèrent. Il n'y a qu'une seule façon de le découvrir, j'imagine, ajouta-t-il en haussant les sourcils d'un air de défi.

—Attends une minute, tu ne sais pas ce qui se passera ? Tu ignores s'ils peuvent te ramener? Il haussa les épaules.

—Je n'en ai aucune idée. Mais j'en doute.

—Mais s'ils en sont capables ? S'ils te renvoient là-bas ?

— Ça ne risque sans doute pas d'arriver, insista-t-il. Qui réussirait à me renvoyer ?

— Oh, mon dieu, je n'arrive pas à croire que tu sois prêt à courir un tel risque.

—C'est encore plus dangereux d'être vivant sur Terre, Dutch, répliqua-t’il avec une note de colère. Il s'agit d'un risque que je ne suis plus prêt à courir.

— Dangereux pour qui ?

— Pour toi.

Sa réponse me frustra encore plus.

—Je ne comprends pas. En quoi est-ce plus dangereux pour moi ?

Il passa les mains dans ses cheveux noirs. Son geste ne fit que les ébouriffer davantage et les rendre encore plus sexy, si bien qu'il me fallut un moment pour me concentrer de nouveau.

— Ce sont des démons, Dutch, et il n'y a qu'une seule chose dans cet univers qu'ils convoitent encore plus que des âmes humaines.

— Les burritos que sert Macho Taco pour le petit déj ? Reyes se leva et marcha jusqu'à moi, me dominant de toute sa hauteur.

— Ils te veulent, Dutch. Ils veulent le portail. Sais-tu ce qui se passera s'ils te trouvent ?

Je me mordis la lèvre et haussai une épaule.

— Ils auront le moyen d'entrer au ciel.

—Je ne peux pas laisser une chose pareille se produire.

— C'est vrai, j'oubliais, dis-je avec tristesse. Tu seras obligé de me tuer.

Il se rapprocha plus encore et baissa d'un ton.

—Je le ferai, Dutch, sans hésiter.

Super. C'était sympa de savoir qu'il surveillait mes arrières.

— Tu es vexée ? me demanda-t-il en me soulevant le menton.

—Arrête de lire dans mes pensées, répondis-je, sur la défensive.

—Je ne lis pas dans les pensées, je suis comme toi, je lis les émotions, les sentiments. Tu es vexée.

— Comment un démon a-t-il pu trouver son chemin jusqu'à cette dimension ? demandai-je en m'écartant de lui.

Je me levai et me mis à faire les cent pas. De son côté, il retourna s'asseoir et poser les pieds sur le bureau. Pour la première fois, je remarquai ses bottes : noires, à moitié cow-boy et à moitié motard. J'aimais bien.

—Je croyais qu'il était presque impossible pour les démons de sortir de l'enfer.

— Oui, tout est dans le presque. De temps en temps, un démon brave le néant et cherche un moyen de traverser le labyrinthe. C'est hasardeux, et rares sont ceux qui s'en sortent. La plupart se perdent dans l'oubli.

Il donna un coup de coude dans ma souris, ranimant mon ordinateur. Du coup, mon fond d'écran apparut, c'est-à-dire une photo de Reyes, celle prise après son arrestation, car c'était la seule que j'avais de lui. Il fronça les sourcils.

Je résistai à l'envie de ramper sous le tabouret de bar. De toute façon, cela ne l'aurait sans doute pas empêché de me voir.

—Tu disais ?

— Euh, oui. (Il se focalisa de nouveau sur moi.) Si, par miracle, un démon réussit à franchir le portail, cela ne veut pas dire qu'il est vraiment là. Il doit s'accrocher à l'âme d'un nouveau-né. C'est le seul moyen pour lui d'entrer dans cette dimension, celle où nous nous trouvons tous les deux, me rappela-t-il.

— Mais ce n'est pas comme ça que tu as fait quand tu t'es échappé de l'enfer. Tu n'as pas eu besoin de t'accrocher comme un parasite.

—J'étais différent. Une fois libre, j'ai pu naviguer entre les dimensions aussi facilement qu'on franchit une porte.

— Comment est-ce possible ?

— Ça l'est, c'est tout, répondit-il de manière évasive. Je suis né différent. On m'a créé pour une raison. Quand les déchus ont été chassés du ciel, ils ont été bannis de la lumière, d'où le besoin de me faire naître. J'étais un outil, un moyen pour parvenir à une fin. Mais naître sur la Terre n'a peut-être pas été ma meilleure décision à ce jour. Mon corps physique m'a rendu trop vulnérable et doit être détruit, afin de cacher la clé.

Quand Reyes était né sous forme humaine, la clé, la carte de l'enfer imprimée sur son corps lors de sa création, était apparue sur son corps humain. Je me demandai ce que ses parents humains en avaient pensé, ce que les docteurs en avaient dit. Un tatouage sur un nouveau-né. Je ne savais pas très bien comment tout cela fonctionnait mais, apparemment, c'était pour Satan un moyen de s'échapper de l'enfer. Mais il ne voulait pas en sortir et devenir vulnérable avant la naissance d'un portail. Alors il avait envoyé son fils dans cette dimension pour attendre cette naissance. Reyes était supposé retourner chercher Satan et toutes ses armées à la minute où j'étais née. Au lieu de quoi, il avait choisi de naître sur Terre, lui aussi, pour être avec moi, pour grandir ensemble. Mais il avait été kidnappé bien avant que son rêve puisse devenir réalité.

—Si ces démons franchissent le portail en sens inverse, poursuivit-il, ils auront la clé, et mon père sera libre de s'échapper. Tu peux être sûre qu'il ne s'en privera pas. (Il s'adossa au dossier de la chaise et croisa les mains derrière la tête.) Tu sais que les gens prophétisent la fin du monde depuis pratiquement l'aube des temps ?

— Oui, répondis-je en devinant instinctivement que son anecdote allait mal finir.

— Ils n'ont aucune idée de ce qu i les attend si mon père parvient à récupérer cette clé. (Il laissa retomber ses mains pour se pencher en avant.) La première chose qu'il fera, c'est se lancer à ta poursuite.

—Je m'en fous.

Il fixa sur moi un regard dubitatif.

— Bien sûr que non.

— Bien sûr que si. Tu ne peux pas laisser mourir ton corps. On ne sait pas ce qui se passera. Ils pourraient s'emparer de la clé quand même.

— Si tu veux. Imaginons qu'ils ne soient plus une menace, que tu aies réussi à tous les vaincre.

—Moi ?

— Il reste encore ce petit problème que j'appelle « vie derrière les barreaux». Je ne retournerai pas en prison, Dutch.

Quoi ? Il s'inquiétait pour ça ?

—Je ne comprends pas. Tu peux quitter ton corps quand tu veux. Ce n'est pas comme si ces barreaux pouvaient te retenir.

— Ce n'est pas si simple.

Il se montrait évasif, encore, et me cachait quelque chose.

— Reyes, je t'en prie, dis-moi tout.

— Ce n'est pas important.

Il tendit la main et éteignit l'écran de l'ordi, comme si, tout d'un coup, ça l'ennuyait.

— Reyes. (Je posai la main sur son bras pour l'encourager à me regarder.) Pourquoi n'est-ce pas si simple ?

Il serra les mâchoires et jeta un coup d'oeil à ses bottes.

— Il y a... un effet secondaire.

— Quand tu quittes ton corps ?

— Oui. Quand j'en sors, mon corps plonge dans un état similaire à celui d'une crise d'épilepsie. Si je le fais trop souvent, les médecins de la prison me donnent des médocs, des médocs qui ont un effet inacceptable. (Son regard revint à la rencontre du mien.) Ils m'empêchent de sortir de mon corps. Je suis coincé en prison, et tu es complètement vulnérable.

Oh.

— Eh bien, continue à fuir, alors. Je t'aiderai. Mais laisse-moi d'abord trouver quelqu'un pour te soigner. J'ai une amie doctoresse, et je connais deux infirmières. Elles accepteront de te recevoir, pour moi. Elles ne te dénonceront pas, je te le promets. Laisse-moi te retrouver, on s'inquiétera de la prison plus tard.

—Mais si tu me trouves, lui aussi me trouve, et je retournerai en prison, en dépit de tes connaissances. Encore ?

— Qui risque de te trouver ?

— Le type que ton oncle t'a collé aux fesses. Cela me prit au dépourvu.

— De quoi tu parles ?

—Ton oncle te fait suivre, probablement dans l'espoir que je me montre.

— L'oncle Bob me fait suivre ? répétai-je, horrifiée.

—Tu n'es pas censée remarquer ce genre de choses ? Tu sais, les « détecter » ? ajouta-t-il avec un clin d'oeil taquin.

—Tu essaies de changer de sujet, lui reprochai-je en essayant de me remettre de ce clin d'oeil.

—Désolé. (Il reprit son sérieux.) Donc, si je comprends bien, tu veux que je reste en vie à cause de l'infime possibilité qu'on me renvoie en enfer. C'est bien ça ?

—Reyes, tu t'es échappé de cet endroit. Tu es ce même être qui a été créé avec la clé du portail de l'enfer sur le corps. Tu es la clé de leur liberté, mais tu t'es enfui avec. Tu étais leur général, leur plus puissant guerrier, et tu les as trahis. A ton avis, qu'est-ce qui se passera si on te renvoie là-bas ? Sans parler du fait que, si tu y retournes, ton père, qui se trouve être Satan, disposera de la clé pour s'échapper de l'enfer, lui aussi. —« Si ».

— Oui, eh bien, c'est un « si » que je ne peux pas ignorer. L'enfer doit déjà être assez pénible sans y être en plus l'ennemi public numéro un. Et sans parler du risque de laisser sortir Satan. (Je croisai les bras.) Dis-moi où tu es.

— Dutch, tu ne peux pas venir me chercher. Même si tu pouvais tous les vaincre...

—Pourquoi tu n'arrêtes pas de dire ça ? lui demandai-je, exaspéré. Je suis une lumière vive qui attire les défunts afin qu'ils puissent passer de l'autre côté à travers moi. Je suis un peu comme un de ces exterminateurs d'insectes, quand on y pense. Je suis presque sûre que «vaincre les démons » ne fait pas partie de la description de mon job.

Un doux sourire apparut sur son beau visage et réussit, étonnamment, à faire fondre mes rotules.

— Si tu avais la moindre idée de ce dont tu es capable, le monde serait bel et bien un endroit dangereux.

Ce n'était pas la première fois que j'entendais ça, et formulé de façon aussi vague.

— D'accord, alors pourquoi ne pas me l'expliquer ? lui demandai-je en sachant qu'il ne dirait rien.

—Si je te disais de quoi tu es capable, tu aurais l'avantage. C'est un risque que je ne veux pas courir.

— Par Jupiter, qu'est-ce que je pourrais bien te faire ? Il se leva dans un grondement et m'attira contre lui.

— Bon sang, tu poses de ces questions, Dutch !

Il enroula ses longs doigts autour de ma nuque et me releva le menton avec son pouce juste une seconde avant de capturer ma bouche avec la sienne. Le baiser passa d'hésitant à exigeant en un rien de temps. Sa langue plongea dans ma bouche, et je savourai son goût et son odeur terreuse. Je me laissai aller dans ses bras, penchai la tête pour permettre au baiser de s'approfondir, puis m'accrochai aux larges épaules de Reyes comme si ma vie en dépendait.

Une main sur ma nuque, l'autre me retenant contre lui, il me fit reculer et me plaqua contre le mur. Puis, il me prit les poignets et les releva au-dessus de ma tête, d'une seule main, tandis qu'il explorait librement mon corps de l'autre. Il se saisit de Danger et effleura son sommet jusqu'à ce que celui-ci durcisse et que je ne puisse retenir un gémissement sourd.

Reyes sourit, baissa la tête et appuya sa bouche chaude contre mon pouls. De la lave en fusion tourbillonna dans mon abdomen, provoquant des frissons sismiques et sensuels dans tout mon corps. Je luttai pour avoir la force de l'arrêter. Mon absence de contrôle en ce qui concernait Reyes frisait le déplorable. Il était le fils de Satan, apparemment le plus bel être qui ait jamais foulé les chemins du ciel, et alors ? Il avait été forgé dans la chaleur d'un millier d'étoiles, et alors ? Mes entrailles se liquéfiaient à son contact, et alors ?

Je devais me ressaisir, en me rattrapant à autre chose qu'à ce qu'il y avait dans son pantalon.

—Attends, dis-je lorsque sa langue me fit frissonner jusqu'au tréfonds de mon être. Je préfère te prévenir.

— Oh ?

Il recula et posa sur moi un regard alangui et sensuel.

—Je ne vais pas te laisser tuer ton corps physique.

—Et comment vas-tu m'en empêcher ? me demanda-t-il d'un ton sceptique.

Je le repoussai, pris mon sac et ouvris la porte. Juste avant de la refermer, je me retournai vers lui.

—Je vais te retrouver.