Chapitre 5

 

 

 

Qu'est-ce qui se passe si quelque chose vous fait à moitié mourir de peur deux fois ?

TEE-SHIRT

 

J’avais la tête qui tournait en sortant de la boutique de Pari. Sonnée, je déambulai sans but en direction de chez moi avant de me rappeler que j'avais quelque chose à faire. D'ailleurs, j'allais m'y mettre tout de suite. Il était temps de lever le rideau sur l'identité de mon ombre. La personne qui me suivait sur les ordres de l'oncle Bob était sur le point de passer une très mauvaise journée.

Je sortis mon portable et répondis comme s'il venait de sonner. Je regardai autour de moi et me mis à faire de grands gestes.

—Te rencontrer ? Maintenant ? Putain, bien sûr ! Tu es dans la ruelle sur ma droite ? Si près ? Tu es fou ? Ils vont t'attraper ! Quelqu'un doit bien se douter que tu vas essayer de prendre contact avec moi. Ils vont sûrement... Oh, d'accord.

Je raccrochai, balayai les alentours du regard puis me faufilai entre deux bâtiments, car je savais que ce passage menait à une ruelle. Pendant tout ce temps, je ne cessai de lancer des regards furtifs par-dessus mon épaule.

Puis, mettant fin à mon interprétation à mi-chemin entre Casablanca et Mission : Impossible, je courus m'accroupir derrière une benne à ordures en attendant que mon ombre fasse son apparition. Je me sentais étrangement ridicule, tassée comme ça, mais ça ne m'empêcha pas de jouer avec le nom de Reyes dans ma tête. Je le laissai prendre forme et glisser sur ma langue. Rey'aziel. Le magnifique. De ce côté-là, c'est sûr, ils avaient parfaitement raison.

Mais pourquoi faire ainsi du mal à Pari ? J'effectuai un rapide calcul. Si Pari avait quatorze ans lors de cette petite séance de spiritisme, Reyes devait en avoir huit à l'époque, neuf tout au plus. Et il l'aurait attaquée ? Peut-être que ce n'était pas lui. Peut-être qu'elle avait invoqué quelque chose d'autre par accident, une créature maléfique.

— Qu'est-ce tu fous ?

Je sursautai en entendant cette voix derrière moi et tombai en arrière. Mes paumes et mes fesses atterrirent dans une flaque d'huile déversée là illégalement. Merveilleux. Je serrai les dents et levai la tête vers un défunt membre de gang qui souriait jusqu'aux oreilles et avait plus de bagout que la société ne le tolérait.

—Ange, espèce de petit con !

Il rit tout haut tandis que j'examinai mes mains sales.

—C'était génial.

Maudits ados de treize ans.

—Je savais que j'aurais dû t'exorciser quand j'en avais l'occasion.

Ange était mort quand son meilleur ami avait décidé d'éliminer les hijos de puta qui avaient envahi leur territoire en les canardant depuis une voiture - une méthode d'exécution très populaire chez les gamins de notre époque. Ange avait essayé de l'en empêcher et l'avait payé de sa vie - pour mon plus grand chagrin.

—Tu ne pourrais pas exorciser un chat et encore moins un Chicano pourri jusqu'à la moelle avec de la poudre dans le sang. En plus, tu détestes faire de l'exercice.

Riant de sa propre blague, il prit ma main tendue et m'aida à me remettre accroupie. J'avais besoin de rester cachée derrière la benne à ordures, la meilleure position tactique qui soit pour une embuscade.

—Tu n'as plus de sang, lui rappelai-je judicieusement.

— Bien sûr que si, rétorqua-t-il en se regardant.

Il portait un tee-shirt blanc sale avec un jean qui lui tombait sur les hanches, des baskets usées et un large bracelet en cuir. Ses cheveux d'un noir de jais étaient coupés très court au-dessus de ses oreilles, mais il avait encore un visage de bébé et un sourire si sincère qu'il était capable de faire fondre mon cœur instantanément.

— C'est juste qu'il est du genre transparent, maintenant. Je frottai mes mains sur le côté de la benne, en vain. Je me

demandai combien de germes j'avais récoltés au passage.

— Il y a une raison à ta présence ? lui demandai-je en m'essuyant les mains sur mon pantalon cette fois.

Mais l'huile allait certainement rester collée jusqu'à ce que j'aie accès à de l'eau et à un dégraissant de qualité professionnelle.

—J'ai entendu dire qu'on avait une affaire.

Ange était un compagnon de tous les jours depuis ma première année de lycée. Par la suite, il avait accepté de devenir mon principal enquêteur quand j'avais ouvert mon agence de détective privé, trois ans plus tôt. Avoir un être éthéré comme enquêteur, c'était un peu comme tricher à l'examen d'entrée à la fac — éprouvant pour les nerfs mais étonnamment efficace. Ensemble, nous avions résolu bien des affaires.

Lui n'avait pas tant d'états d'âme avec l'huile, aussi s'assit-il devant moi, le dos contre la benne à ordures. Il posa brusquement les yeux sur ma main, occupée à épousseter ma fesse gauche pour enlever les graviers et la terre.

— Besoin d'aide? demanda Ange en désignant mon cul de la tête.

Les gamins de treize ans sont bourrés d'hormones. Oui, même les morts.

— Non, pas besoin, et nous n'avons pas une, mais deux affaires.

Mimi était ma priorité d'un point de vue professionnel, mais Reyes l'était d'un point de vue personnel. Je ne pouvais sacrifier ni l'une ni l'autre et je me demandais quelle affaire assigner à Ange. J'optai pour Reyes, simplement parce que je n'avais pas d'autres ressources de ce côté-là. Mais Ange n'allait pas aimer ça.

— Qu'est-ce que tu sais à propos de Reyes ? lui demandai-je en espérant qu'il n'allait pas disparaître - ou sortir un 9 mm et me buter.

Il me dévisagea pendant quelques instants, remua, mal à l'aise, puis posa les coudes sur les genoux et regarda au loin - ou plutôt vers un entrepôt, vu la distance.

— Rey'aziel n'est pas notre affaire, me dit-il au bout d'un long moment.

Je laissai échapper une petite exclamation en entendant le nom céleste - ou infernal - de Reyes. Comment Ange le connaissait-il ? Surtout, depuis quand le connaissait-il ?

—Ange, sais-tu qui est Reyes ?

Il haussa les épaules.

—Je sais ce qu'il n'est pas. (Il posa sur moi un regard intense.) Il n'est pas notre affaire.

Dans un soupir, je m'assis sur le trottoir - tant pis pour l'huile - et m'adossai à la benne à côté de lui. J'avais besoin qu'Ange soit de mon côté sur ce coup-là. J'avais besoin de son aide et de ses talents particuliers.

— Si je ne le retrouve pas, il va mourir, expliquai-je en posant ma main sale sur la sienne.

Un petit rire dubitatif lui secoua le torse. À cet instant, il me sembla bien plus vieux que les treize années qu'il avait accumulées sur Terre avant de mourir.

—Si seulement c'était aussi facile !

—Ange, fis-je d'un ton de reproche, tu ne penses pas ce que tu dis !

Il me fusilla d'un regard rempli d'une telle colère et d'une telle incrédulité que je dus réprimer l'envie de m'éloigner de lui.

—Tu n'es pas sérieuse, répondit-il comme si j'avais perdu la boule.

Le pauvre, il ne savait pas que je l'avais perdue depuis longtemps.

Je savais qu'Ange n'aimait pas Reyes, mais j'ignorais qu'il lui vouait une telle haine.

—Tu peux me dire pourquoi tu parles toute seule, assise dans une flaque d'huile ?

Je levai les yeux vers Garrett Swopes, mon collègue à la peau sombre et aux yeux argentés, spécialisé dans les personnes disparues, qui en savait juste assez sur mon compte pour être dangereux. Puis je me retournai vers Ange. Mais celui-ci avait disparu. Naturellement. Quand les choses se corsent, les gros durs refusent d'en parler et persistent à se replier sur eux-mêmes pour baigner dans le jus de leurs propres insécurités.

Je me relevai tant bien que mal et compris que mon jean ne serait plus jamais le même.

—Qu'est-ce que tu fous là, Swopes ? demandai-je en m'essuyant les fesses pour la deuxième fois de la matinée.

Dans son domaine de prédilection, Garrett était l'un des meilleurs. Nous étions plutôt bons amis jusqu'à ce que l'oncle Bob, dans un moment de faiblesse induit par une bière de trop, lui explique ce que je faisais pour gagner ma vie. Non, il ne lui avait pas parlé de mon boulot de détective, ça, Garrett le savait déjà. Il lui avait confié la partie « Charley voit des gens morts ». Après ça, nos relations basées sur un léger flirt étaient carrément devenues hostiles, comme si Garrett était furieux que j'essaie de faire gober un truc pareil. Un mois après les faits, il commençait lentement mais sûrement — et à contrecœur - à croire en mon don, ayant lui-même été témoin de certaines choses. Bien sûr, je me foutais complètement de savoir s'il me croyait ou pas, surtout vu l'attitude de merde qu'il avait à mon égard depuis un mois. Mais Garrett était doué dans son boulot. Il me filait un coup de main de temps en temps. Après, le sceptique en lui pouvait aller se faire voir.

Mais, apparemment, il n'était pas prêt de bouger. La tête penchée de côté, il contemplait la zone située entre mon dos et mes cuisses, celle-là même que j'étais occupée à épousseter pour enlever la terre et les graviers.

—Je peux t'aider ?

— Non, tu ne peux pas. (Ne venais-je pas d'avoir cette conversation, déjà ?) Arrête de faire ton Ange et réponds à ma question. Non, attends.

La vérité se fit jour en moi, lentement mais sûrement. Je ramassai ma mâchoire par terre et me tournai vers lui.

— Oh, mon dieu, c'est toi qui me files.

— Quoi ?

Il recula en haussant les sourcils d'un air de déni.

—Fils de pute.

Je le dévisageai d'un air horrifié pendant une bonne minute - heureusement que je m'étais récemment entraînée à jouer les horrifiées devant un miroir. Puis je le regardai essayer de masquer la culpabilité ouvertement inscrite sur ses traits. Je lui donnai ensuite un coup de poing qui atterrit sur son épaule dans un joli bruit sourd.

— Aïe, fit-il en couvrant son épaule d'une main protectrice. Bordel, qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

— Comme si tu ne le savais pas, répondis-je en m'éloignant.

Je n'arrivais pas à le croire. Non, vraiment, je n'en revenais pas. Enfin, si, mais quand même. L'oncle Bob avait demandé à Garrett Swopes de me prendre en filature. Garrett Swopes ! Le type qui se moquait de moi et qui raillait mon don depuis un mois, en jurant de me faire enfermer ou, tout au moins, de m'édifier un bûcher pour sorcellerie. Les sceptiques en faisaient toujours des tonnes. Et c'était cette personne-là que l'oncle Bob avait choisie pour me suivre ?

Quelle injustice ! Quelle indignation ! Quelle... Attendez un peu. Je m'immobilisai et réfléchis à toutes les possibilités qui s'offraient à moi - des possibilités splendides, merveilleuses.

Garrett me suivait, si bien que, sa réactivité laissant à désirer, il faillit me marcher dessus lorsque je m'arrêtai.

—Tu as encore arrêté les médocs, Charles ? me demanda-t-il en me contournant tout en essayant de changer de sujet.

Il s'était mis à m'appeler Charles, récemment, sûrement pour m'énerver, si bien que je ne laissais pas ce petit détail m'atteindre. Et mes médocs ne le concernaient absolument pas.

Je me retournai en lui lançant mon plus beau regard qui tue.

— Oh, non, ne crois pas ça.

— Pardon ?

Il recula. J'avançai.

— Ne crois pas t'en tirer si facilement, mon pote, répondis-je en lui enfonçant mon index dans la poitrine.

J'aurais pu rire de l'expression confuse sur son visage si je n'avais pas été aussi stupéfaite que mon oncle l'ait choisi lui, entre tous, pour lui confier ma filature. En plus, j'avais grand besoin d'un enquêteur, et lui faisait partie des meilleurs consultants payés par Albuquerque. Autrement dit, travail gratuit.

—Tu viens vraiment de m'appeler ton pote ?

— Un peu, oui, et si tu tiens à la vie, ajoutai-je en faisant un nouveau pas vers lui, tu ne m'insulteras pas pour n'avoir pas trouvé mieux en si peu de temps.

— D'accord, répondit-il en levant les mains en signe de reddition. Pas d'insultes, promis.

Je ne lui faisais pas du tout confiance. Le connaissant,, il m'insulterait à la première occasion. Merde.

— Depuis combien de temps tu me files ?

— Charles, dit-il pour gagner du temps et trouver un mensonge à me servir.

—N'essaie même pas. (Je lui donnai un nouveau coup d'index, pour le rappeler à l'ordre.) Combien de temps ?

—D'abord...

Il me prit par les épaules et me ramena vers le bâtiment, car une voiture venait de s'engager dans la ruelle.

Lorsque nous fûmes hors de danger, je croisai les bras et attendis.

— Depuis le jour où Farrow a disparu du service de long séjour, avoua-t’il dans un soupir.

Je laissai échapper une exclamation indignée.

— C'était il y a une semaine! Tu me suis depuis tout ce temps ? Je n'arrive pas à croire que l'oncle Bob ait pu me faire une chose pareille.

— Charley, dit Garrett d'un ton compatissant. Grossière erreur. Je n'avais pas besoin de sa compassion.

—Ne commence pas. Obie n'aura pas de carte de vœux, cette année.

En le voyant écarter les mains comme si j'exagérais, j'ajoutai :

—Et tu peux rayer ton nom de la liste aussi.

—Qu'est-ce que j'ai fait ? protesta-t-il en me suivant alors que je traversai un parking en direction de la rue principale.

—Tu m'as suivie. C'est du harcèlement, Swopes, et c'est pas beau.

—Ce n'est pas du harcèlement quand on te paie pour ça. Je m'arrêtai pour le regarder d'un air menaçant.

— Enfin, quand la police te paie pour ça, rectifia-t-il. Et ton oncle Bob ne t'a rien fait. Il s'est dit qu'il était possible que Farrow essaie d'entrer en contact avec toi. Or, pour une raison que je ne m'explique pas, il n'a pas envie qu'un type condamné pour meurtre rôde autour de sa nièce.

Je commençais à en avoir ras-le-bol du refrain « condamné pour meurtre ».

— On va faire un deal, tous les deux.

— OK, me dit-il d'une voix teintée de suspicion.

—J'ai autant besoin que toi - ou plutôt l'oncle Bob - de retrouver Reyes. Aide-moi et je t'aiderai.

— Pourquoi ? me demanda-t-il, toujours méfiant.

On aurait pu croire, à le voir, que je ne tenais jamais parole. J'essayais presque toujours, presque 100 % des fois, de remplir ma part de n'importe quel marché dans n'importe quelle situation.

Le plus dur, c'était de lui vendre mon discours : « oui, je sais, c'est un type condamné pour meurtre, une entité née du mal le plus pur, mais au fond de lui, c'est vraiment un bon gars. »

— Qu'est-ce que l'oncle Bob t'a dit à propos de Reyes ? Garrett fronça les sourcils d'un air songeur. Ses yeux gris détonnaient vraiment sur son visage à la peau brune.

— Eh bien, pour faire court, il m'a dit que Farrow a passé les dix dernières années au pénitentiaire du Nouveau Mexique pour le meurtre brutal de son propre père, jusqu'à ce qu'il reçoive accidentellement une balle dans la tête en essayant de sauver un autre détenu. Il a passé un mois dans le coma, puis s'est réveillé comme par magie et il est sorti du service de long séjour sans que personne ne le voie.

Je digérai tout ça avant de commenter :

— OK, c'est un bon début. Mais il y a plein de choses que mon oncle ne sait pas.

— Comme quoi ? demanda Garrett avec une moue dubitative.

Super. Il redevenait Garrett le détective sceptique.

— Reyes Farrow m'a sauvé la vie à plusieurs reprises et continue à le faire.

—Vraiment ?

Impossible de louper le sarcasme dans sa voix. Ça n'allait pas être facile de lui vendre mon histoire.

— Oui, vraiment.

Derrière moi, une voiture qui voulait la place de parking sur laquelle nous nous trouvions klaxonna. Je me dirigeai de nouveau vers la rue.

— Un type reconnu coupable de meurtre te sauve régulièrement la vie ?

— Oui. (En arrivant sur le trottoir, je m'arrêtai pour accorder à Garrett toute mon attention.) Et c'est un être surnaturel.

Il eut de nouveau cette moue dubitative, mais il décida quand même de me faire plaisir.

— Un être surnaturel, genre fantôme ou genre super-héros ?

Bonne question.

—Un peu des deux, en fait.

Garrett soupira en se passant la main dans les cheveux.

—Ecoute, je n'ai pas le temps de te donner tous les détails, dis-je en repartant. Peux-tu, pour une fois dans ta vie, faire quelque chose qui va à l'encontre de ce que tu es et me faire confiance sur ce coup ?

Au bout d'un long moment, il hocha la tête, à contrecœur.

—Tant mieux, parce que j'ai besoin de le retrouver au plus vite.

Je pris la direction de mon appartement. Un jean propre était un must pour un détective privé — et pour sa santé mentale.

—Attends.

—Nan. T'as qu'à me suivre.

— D'accord, dit-il en courant à petites foulées pour me rattraper. Alors, Farrow est un être surnaturel ? me demanda-t-il en revenant à ma hauteur. Tu veux dire, comme toi ? C'est un faucheur ?

Sa question me surprit. Je pensais qu'il n'avait pas cru un mot de notre dernière discussion, celle où il avait vraiment fait un effort pour ouvrir son esprit et écouter ce que j'avais à dire au lieu de se moquer de moi sans cesse.

— Ce n'est pas un faucheur. Il est plus que ça, en quelque sorte.

— Plus, à quel point ?

La méfiance était de retour dans sa voix.

— C'est un mec, Swopes, tout comme toi. Sauf qu'il a des superpouvoirs.

— Quel genre de superpouvoirs ?

Je m'immobilisai, juste le temps de lui lancer un regard noir.

—Tu veux bien arrêter avec le jeu des vingt questions ?

—Je veux savoir à qui j'ai affaire.

— Écoute, j'ai juste besoin que tu tâtes le terrain, tu sais, que tu poses des questions, pour voir si quelqu'un a entendu quelque chose, je sais pas, moi, d'étrange.

— D'accord. J'ai juste une dernière question.

— OK.

Son regard se fit plus intense.

—Je fais comment pour la tuer, cette créature ?

Eh bien, voilà qui n'était pas très gentil. Pendant tout ce temps, j'avais espéré que l'évolution avait diminué la soif de sang du mâle. Apparemment pas.

— Tu ne le tues pas, répondis-je en me remettant à marcher.

Mais je m'immobilisai brusquement lorsqu'une brume noire, épaisse et ondoyante, se transforma en homme juste devant moi.

Reyes se dressait en travers de mon chemin, et une étrange lueur de colère brillait dans ses yeux acajou.

—Qu'est-ce que tu fais, Dutch ? me demanda-t-il d'une voix douce, menaçante.

Garrett fit un pas, puis s'arrêta lui aussi. Il me jeta un coup d'oeil, puis regarda dans la rue, en essayant de deviner ce que je regardais comme ça.

Je décidai pour le moment d'ignorer sa curiosité et la colère de Reyes.

—Es-tu encore vivant ?

Reyes fit un pas vers moi. La chaleur irradiait de son corps sous forme de vagues.

—Malheureusement. Qu'est-ce que tu fabriques ?

— Charles, qu'est-ce qui se passe ? demanda Garrett, alarmé.

Le soulagement m'envahit. Reyes pouvait mourir à tout instant, et j'avais eu peur qu'il soit déjà trop tard. J'essayai de respirer plus librement, mais c'était difficile, tant sa colère était palpable. J'aurais dû me douter qu'il était encore vivant. Sinon, il n'aurait pas été si furieux. Que lui importait que je trouve son corps s'il était déjà mort ? Cette seule idée me serra encore plus le cœur.

Mon visage devait trahir mon inquiétude, car Garrett se pencha vers moi.

— Charley, qu'est-ce qui se passe ?

Reyes lui jeta un coup d'œil, puis se tourna de nouveau vers moi.

— Dis à ton chien de la fermer.

Là, c'était franchement impoli. Ces garçons ne jouaient pas bien ensemble, mais alors pas du tout. Reyes était jaloux de Garrett sans aucune raison, puisqu'il n'y avait absolument rien entre nous.

— Ce n'est pas un chien, Reyes, dis-je en l'invitant pratiquement à me contredire. C'est le meilleur détective de l'État en ce qui concerne les personnes disparues, et il va m'aider à te retrouver.

Le gant que je lui jetais au visage me donna l'impression d'être une gamine de CE2, en cour de récré, qui a décidé de défier le tyran de la classe : retrouve-moi près des balançoires, à 15 heures.

Un sourire apparut lentement sur le visage de Reyes qui se tourna de nouveau vers Garrett et l'évalua d'un seul regard avant de revenir vers moi.

— Comment va sa colonne vertébrale ?

La question me coupa le souffle. Il venait de proférer une menace flagrante et il savait que je la prendrais au sérieux. Il avait sectionné plus d'une colonne vertébrale pour moi, pourquoi ne le ferait-il pas pour lui-même ? Je reculai, et il me suivit, laissant un espace de quinze centimètres entre nous. Il refusait de céder. Il savait comment m'intimider, comment opérer avec la précision d'un chirurgien expérimenté.

—Tu ne peux pas penser une chose pareille, lui dis-je en m'arrêtant puisque reculer ne servait à rien.

—S'il envisage d'essayer de me retrouver, ses dernières années sur Terre seront... empreintes de difficultés.

Sa menace était si hostile, si précise, qu'elle me déchira les entrailles. J'ignorais qu'il était capable de me faire mal à ce point-là. Je redressai les épaules et relevai crânement le menton.

— Très bien. Il ne partira pas à ta recherche, dis-je. (Une lueur de victoire s'alluma dans ses yeux.) Mais, moi, je n'arrêterai pas de te chercher.

Son air suffisant disparut aussi vite qu'il était venu. Une fois de plus, Reyes me lança un regard furieux.

J'osai faire un pas en avant, me jetant pratiquement dans ses bras. Il me laissa faire et me prit contre lui en acceptant de baisser sa garde juste un instant.

— Vas-tu me sectionner la colonne vertébrale... Rey'aziel ? demandai-je en voyant son regard s'attarder sur ma bouche.

Cette fois, ce fut lui qui reçut un choc. Il se raidit complètement, sans rien laisser transparaître sur son visage, mais je sentis le désarroi et l'agitation qui bouillonnaient en lui. Je lisais ses émotions comme il lisait les miennes. À cet instant précis, elles auraient pu faire trembler la terre sous nos pieds.

Garrett dit quelque chose, mais je me noyais dans l'appréhension qui saturait les yeux marron liquide de Reyes. On aurait dit que je l'avais trahi, d'une certaine façon, comme si je lui avais planté un couteau dans le dos. Mais ne venait-il pas de faire la même chose avec moi ? En plus, je portais rarement un couteau.

—Comment connais-tu ce nom ? me demanda-t-il d'une voix douce et dangereuse, comme s'il s'agissait plus d'une menace que d'une question.

Je rassemblai tout mon courage pour lui répondre.

— Une amie me l'a dit, expliquai-je en espérant ne pas mettre en danger la vie de Pari par inadvertance. Elle m'a dit qu'elle t'avait invoqué quand elle était jeune et que tu lui avais presque arraché la jambe.

— Charley, je fais vraiment un effort, là, mais on pourrait peut-être finir cette conversation ailleurs.

C'était Garrett. Il essayait apparemment d'intervenir, de faire comme si nous discutions tous les deux, plutôt que de laisser les passants penser que j'étais cinglée et que je parlais à un être invisible. Pendant une seconde, je me concentrai sur ce qui nous entourait et remarquai un regard étrange ici et un froncement de sourcils désapprobateur là. Mais la plupart des badauds nous ignoraient. On était sur Central, en plein milieu d'Albuquerque. Ce n'était pas comme si les autochtones n'avaient pas déjà vu ce genre de choses.

Lorsque je sentis deux mains me pousser doucement pout m'adosser au mur en briques d'un café, je me concentrai de nouveau sur l'être en face de moi.

—As-tu fait du mal à Pari ?

Reyes appuya ses mains sur le mur derrière nous et pressa son corps contre le mien. C'était tout lui, ça. Quand on le menaçait, quand on l'intimidait, il ripostait. Il bousculait l'autre. Et il choisissait toujours le point le plus faible de son adversaire. Il visait la jugulaire à chaque fois. Il utilisait mon attirance pour lui avec un talent d'artiste. C'était un coup bas, mais je ne pouvais guère l'en blâmer. Il avait été élevé comme ça. Il ne connaissait que ça.

— Ce n'était rien, comparé à ce que j'aurais pu lui faire, répondit-il d'un ton au calme trompeur.

—Tu lui as fait du mal ? répétai-je, me refusant à y croire.

—Peut-être, Dutch, répondit-il dans mon oreille comme si quelqu'un d'autre que moi pouvait l'entendre. Je n'aime pas être invoqué.

Juste au moment où il posait sa bouche sur la mienne et où les picotements de sa force de vie me faisaient sortir de mon corps pour m'envelopper dans sa chaleur, il disparut. Le froid de cette fin d'octobre me fit l'effet d'une gifle, et j'aspirai une bouffée d'air glacial qui me fit aussitôt revenir à moi.

Reyes avait fait du mal à Pari. Cela me choquait autant que de le savoir capable de menacer un homme innocent, à savoir Garrett, lequel se retrouva tout à coup devant moi. Je me rendis compte que j'étais tombée dans ses bras. Par prudence, je m'accrochai à lui tandis qu'il m'emmenait loin des badauds curieux.

—Voilà qui était intéressant.

— Tu m'étonnes, marmonnai-je en faisant de mon mieux pour comprendre Reyes Farrow.

Était-il furieux que je connaisse son nom ? Son vrai nom ? Pourquoi cela faisait-il une différence ? A moins... à moins que cela me donne une espèce d'avantage. Peut-être pouvais-je l'utiliser contre lui.

—J'en conclus qu'il n'a pas envie que je me lance à sa recherche ? dit Garrett.

— C'est un euphémisme.

On fit le tour du Calamity, le bar de mon père, pour rejoindre mon immeuble situé derrière. Quand on arriva au premier étage, j'étais toujours accrochée au bras de Garrett, car je ne faisais pas encore confiance à mes jambes pour me porter.

Garrett attendit que je sorte mes clés de ma poche.

—J'ai vu sa photo, me dit-il d'une voix soudain grave. J'insérai la clé dans la serrure et tournai.

— Sa photo anthropométrique? demandai-je en supposant que nous étions toujours sur le sujet de Reyes.

— Oui, ainsi que deux autres photos.

C'était logique, puisqu'il était censé prévenir mon oncle s'il voyait Reyes.

—Tu veux entrer ? J'ai juste besoin de me changer rapidement.

—Je comprends, tu sais, me dit-il en entrant derrière moi et en refermant la porte d'entrée.

—C'est vrai ? Eh bien, ça me fait plaisir qu'au moins une personne comprenne. (Je ne voulais vraiment pas parler de Reyes avec lui maintenant, vu que sa colonne vertébrale était intacte et tout ça.) Il y a du soda dans le frigo.

Je lançai les clés sur le bar et me dirigeai vers ma chambre.

— Salut, monsieur Wong !

— Il est séduisant, n'est-ce pas ?

Je m'arrêtai et me retournai vers Garrett.

—M. Wong ?

Je regardai mon colocataire permanent, tout grisâtre, qui se tenait dans le coin de mon salon. Il s'y trouvait déjà quand j'avais décidé de louer l'appartement et, puisqu'il était là avant, je n'avais pas eu le courage de le jeter dehors. En même temps, ce n'est pas comme si je savais comment faire. Je n'avais jamais vu son visage. Il me tournait le dos et flottait au-dessus du sol vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le nez dans l'angle, ses orteils à quelques centimètres du plancher. On aurait dit un mélange de prisonnier de guerre chinois et d'immigrant du xviie siècle.

— Qui est M. Wong ? s'enquit Garrett, car ils n'avaient jamais été présentés.

Tout cela était encore tout nouveau pour Swopes. Peut-être valait-il mieux l'amener dans mon monde en douceur, le laisser digérer les nouvelles informations à un rythme raisonnable et garder tout le tralala pour plus tard. En même temps, il avait demandé à venir dans mon monde, il avait même insisté, alors qu'il aille au diable.

— C'est le mec mort qui squatte dans le coin de mon salon. Mais je n'ai jamais vu son visage, pas de face en tout cas, alors je ne peux pas te dire s'il est beau.

—Pas lui, Farrow, rétorqua Garrett. Attends une minute, un mec mort vit dans ton appartement ?

— «Vit» est un mot peut-être un peu fort, Swopes. En plus, ce n'est pas comme s'il prenait beaucoup de place. Alors, tu parlais de Reyes ?

— Oui, Farrow.

Avec un mélange de curiosité et d'horreur, il jeta un coup d'œil dans le coin que j'avais désigné.

— Oh, bon sang, oui, il est séduisant. (Je vérifiai mon répondeur.) Mais, dis-moi, tu ne serais pas en train de faire ton coming out ?

Un gros soupir résonna contre le mur lorsque j'entrai dans ma chambre sur la pointe des pieds et en fermai la porte. C'était trop drôle.

—Je ne suis pas gay, Charley, me dit Garrett depuis l'autre pièce. J'essaie de comprendre.

— Comprendre quoi ? lui demandai-je, tout en sachant très bien où il voulait en venir.

Comment une fille comme moi pouvait se retrouver embarquée dans une histoire avec un type comme Reyes ? Si seulement Swopes connaissait toute l'histoire. Mais ce n'était pas une bonne idée de la lui raconter. Il me ferait enfermer pour être tombée amoureuse du fils de Satan.

—Ecoute, je comprends l'attirance pour un mauvais garçon, mais un meurtrier, vraiment ?

Étonnamment, l'huile n'avait pas complètement traversé mon jean, si bien que je n'avais pas besoin de reprendre une douche. Puisque ma chambre était toujours en mode désastre, je fouillai dans un tas à même le sol et y trouvai un autre jean dans un état acceptable. Je l'enfilai, ainsi qu'une super paire de bottes, et me dirigeai vers la salle de bains pour me rafraîchir.

—Je crois que tu as besoin d'arroser tes plantes, me dit Garrett.

— Oh, elles sont fausses.

Il regardait les plantes qui se trouvaient le long de ma fenêtre. C'était ça, ou alors mon problème de moisissure commençait à échapper à tout contrôle.

Après un long silence, je l'entendis demander :

— Ce sont des fausses ?

— Ouais. Fallait bien que je leur donne un aspect authentique. Un peu de peinture en spray, un peu de peinture liquide, et voilà ! De fausses plantes à l'agonie.

— Pourquoi tu veux des fausses plantes à l'agonie ?

— Parce que si elles étaient florissantes et lustrées, tous ceux qui me connaissent sauraient qu'elles sont fausses.

— Ouais, mais est-ce que c'est vraiment important ?

— Ben oui !

J'entendis frapper à la porte de la salle de bains, du côté du salon. Je l'ouvris lentement.

—Oui ? demandai-je à Garrett, occupé à lire la pancarte accrochée sur ma porte.

Celle-ci indiquait « Les morts ne sont pas autorisés à franchir cette porte. » C'était ma salle de bains, après tout, mon sanctuaire. Mais la pancarte ne suffisait pas toujours. M. Habersham, le mec mort du 2B, se faisait régulièrement un plaisir de l'ignorer.

Garrett leva la main et poussa la porte. Je poussai dans l'autre sens.

— Hé, mec, qu'est-ce que tu fais ?

—Je vérifie que je ne suis pas mort.

— Pourquoi, tu te sens mort ?

—Non, mais je me suis dit que peut-être cette pancarte n'était visible que par des morts.

— Comment diable pourrais-je fabriquer une pancarte uniquement visible par des morts ?

— Hé, c'est ton monde, répondit-il en haussant les épaules.

Je sortis de la salle de bains prête à affronter de nouveau le monde en question, ou en tout cas une petite partie.

—Écoute, Reyes, c'est mon problème,  d'accord ? dis-je en attrapant mes clés et en me dirigeant vers la porte.

— Pour l'instant, c'est un meurtrier évadé de prison, donc c'est aussi mon problème. Est-ce qu'il t'a menacée, tout à l'heure ?

J'avais besoin d'éloigner Garrett de tout ce qui avait un rapport avec Reyes, et vite. Pour ce que j'en savais, Reyes n'avait jamais fait de mal à un innocent - ou en tout cas ne lui avait pas causé de dommages irrémédiables. Mais ça ne valait vraiment pas le coup de mettre la colonne vertébrale de Swopes en jeu.

—J'ai besoin de ton aide sur une affaire.

— Ouais, mais, tu sais, je suis censé te surveiller.

—Notre accord tient toujours. (Je verrouillai de nouveau l'appartement, puis m'engageai dans l'escalier.) Bonjour, madame Allen, m'écriai-je en entendant une porte grincer plus loin dans le couloir.

— Encore une personne décédée ? demanda Garrett.

—Malheureusement, non, répondis-je dans un grand soupir.

—Alors, notre marché ? reprit-il au moment où on sortait de l'immeuble.

—Je le répète, il est toujours d'actualité. Tu découvres l'origine d'un mec mort qui se balade dans la voiture de Cookie, et je t'appelle à la minute où j'apprends où se cache Reyes.

Il me regarda d'un air encore plus dubitatif que d'habitude - et pourtant, dieu sait si j'étais habituée à ses doutes.

— Enfin, où se cache son corps. Ce petit con refuse de me le dire.

— Farrow ne veut pas que tu saches où est caché son corps ?

— Non. Quel petit con ! Mais il faut qu'on le retrouve avant qu'il meure.

Garrett se frotta le visage du bout des doigts.

—Je suis perdu, là.

—Tant mieux. Reste comme ça. Ta colonne vertébrale te remerciera.

Sur le chemin du bureau, je parlai à Garrett du passager clandestin de Cookie. Il nota la marque, le modèle et le numéro d'immatriculation de la voiture quand on passa devant en traversant le parking. Il allait rechercher ses propriétaires précédents pendant que j'enquêtais sur mes deux personnes disparues, Mimi et Reyes. J'avais vraiment besoin d'Ange sur ce coup-là, mais le moins que je puisse faire était de demander à Cookie d'appeler les hôpitaux pour vérifier si un homme blessé, brun, dans les trente ans, super canon, ne s'était pas présenté dans les dernières heures. Peut-être qu'on l'avait déjà retrouvé mais qu'il ne voulait pas que je l'apprenne. En revanche, j'allais devoir demander ça discrètement.

Après le départ de Garrett, je montai l'escalier derrière le bar de mon père, m'arrêtai avant d'entrer dans le bureau de Cookie pour balayer les lieux du regard, puis me faufilai à l'intérieur. Cookie leva les yeux. Aussitôt, je posai l'index sur mes lèvres pour la faire taire. Habituée au fait que les défunts fassent leur apparition bon gré mal gré, elle se figea, balaya la pièce d'un regard méfiant, puis se tourna de nouveau vers moi d'un air interrogateur.

Je laissai l'index posé sur ma bouche, marchai jusqu'à son bureau sur la pointe des pieds - je ne sais pas trop pourquoi, mais ça me semblait être la chose à faire - puis j'attrapai un crayon et un papier. Après avoir jeté un rapide coup d'oeil aux alentours, je griffonnai un mot lui demandant d'appeler les hôpitaux à propos de Reyes et le lui tendis. Ce fut à ce moment-là que j'entendis quelqu'un se racler la gorge derrière moi. Je fis un bond de deux mètres et collai une frousse de tous les diables à Cookie. En me retournant, je découvris Reyes adossé au mur à côté du bureau de mon amie.

— Du verlan, vraiment ? me demanda-t-il, l'incrédulité gravée sur son beau visage.

Je repris le mot des mains de Cookie et lançai un regard noir à Reyes.

— C'est la seule langue étrangère qu'elle connaisse.

—Tu espérais m'avoir avec du verlan ?

Je regardai mon mot et fis la grimace. D'accord, ce n'était pas la meilleure idée que j'avais jamais eue.

— Et alors, quoi ? Tu vas aussi sectionner la colonne vertébrale de Cookie ?

L'intéressée laissa échapper une exclamation de stupeur. Je me pinçai l'arête du nez. Elle n'avait vraiment pas besoin d'entendre ça, surtout avec le passager clandestin mort dans son coffre.

Entre deux battements de cœur, Reyes se dématérialisa et réapparut juste devant moi, l'air furieux.

—Que faut-il que je fasse, Dutch ?

— Pour que j'arrête de te chercher ? (Je n'attendis pas de réponse.) Tu ne sais pas ce qui se passera si ton corps meurt, Reyes. Je refuse d'arrêter mes recherches.

Je sentis la frustration grandir en lui, frémir et bouillonner juste sous sa surface parfaite. Il se pencha vers moi mais, avant de pouvoir faire quoi que ce soit, il se figea, se saisit le torse et me regarda d'un air surpris.

— Quoi ? lui demandai-je.

Il serra les dents, et son corps se raidit jusqu'à prendre quasiment l'apparence du marbre, comme s'il attendait quelque chose. Puis, son apparence se modifia. De profondes lacérations apparurent sur son visage et son torse, inondant aussitôt de sang son tee-shirt déchiré. Il était trempé aussi, recouvert d'un liquide sombre que je ne parvins pas à identifier. Reyes grogna sans desserrer les dents et se plia en deux.

— Reyes ! m'écriai-je en plongeant vers lui.

Juste au moment où nos regards se croisèrent, il disparut. Comme ça, en une seconde. Je plaquai mes deux mains sur ma bouche pour retenir un hurlement. Cookie se dépêcha de faire le tour de son bureau pour s'agenouiller à côté de moi. La souffrance atroce qu'éprouvait Reyes avait clairement transparu sur ses traits. Et il ne voulait pas que je le retrouve ?

J'étais prête à retourner l'enfer lui-même pour le retrouver.