Chapitre 7

 

 

 

 

J'ai arrêté de lutter contre mes démons intérieurs. On est du même côté, maintenant.

TEE-SHIRT

Après avoir présenté mon badge, j'entrai dans le commissariat central où ils avaient amené Warren Jacobs pour l'interroger. Je repérai Obie à l'autre bout d'un océan de bureaux. Heureusement, seuls deux types en uniforme remarquèrent ma présence. La plupart des flics n'aimaient pas que j'empiète sur leur territoire. En partie parce que j'étais l'arme secrète d'Obie, ce qui lui permettait de résoudre des crimes avant eux, et en partie parce qu'ils pensaient que j'étais un monstre de foire. Dans les deux cas, ça ne m'empêchait pas particulièrement de dormir.

Les flics formaient un mélange bizarre de règlement et d'arrogance, mais j'avais appris voilà longtemps que c'était nécessaire pour survivre dans leur profession dangereuse. Les gens étaient franchement cinglés.

Obie parlait à un autre lieutenant quand j'arrivai à sa hauteur. Au dernier moment, je me rappelai que je lui en voulais de m'avoir fait suivre. Heureusement, parce que j'avais failli lui sourire.

— Obie, dis-je d'une voix si glaciale que j'en crachais presque des stalactites.

Visiblement insensible à ma froideur, il ricana, si bien que je déclarai, les sourcils froncés :

—Ta moustache aurait besoin d'être taillée.

Son soutire s'évanouit, et il se palpa la moustache d'un air inquiet. C'était méchant de ma part, mais il fallait qu'il comprenne que j'étais sérieuse à propos de cette histoire de filature. On ne surveillait pas Charley Davidson, point barre. Je n'appréciai guère le fait qu'il se fichait éperdument de mon besoin d'intimité. Et si j'avais loué un porno, hein ?

L'autre lieutenant nous salua de la tête pour prendre congé. Il s'éloigna, un sourire frémissant au coin des lèvres.

— Puis-je le voir ? demandai-je.

— Il est dans la salle d'observation numéro un, il attend son avocat.

Prenant cette réponse pour un oui, je me dirigeai vers la salle en question, avant de lancer par-dessus mon épaule :

—Au fait, il est innocent.

Juste au moment où je franchissais le seuil, mon oncle me héla :

—Tu dis ça juste parce que tu es en colère ? Je refermai la porte derrière moi sans répondre.

— Mademoiselle Davidson ! s'exclama Warren en se levant pour me serrer la main.

Il avait encore plus mauvaise mine qu'au cours de la nuit, au resto. Il portait le même costume anthracite, la cravate desserrée, le bouton du haut défait.

—Vous tenez le coup ? demandai-je en m'asseyant en face de lui.

—Je n'ai tué personne, me dit-il, les mains tremblantes de chagrin.

Les coupables aussi étaient souvent nerveux pendant les interrogatoires, mais pour des raisons différentes. Plus souvent qu'à leur tour, ils essayaient de mettre au point une bonne histoire, qui couvrirait leurs arrières tout en tenant la route face à un jury. Warren, lui, était nerveux parce qu'on l'accusait d'avoir commis non pas un, mais deux crimes, et qu'il n'était coupable ni de l'un ni de l'autre.

—Je n'en doute pas, Warren, répondis-je en essayant malgré tout de garder un ton ferme. (Il ne m'avait pas tout dit, et je voulais savoir pourquoi.) Mais vous vous êtes disputé avec Tommy Zapata une semaine avant sa mort.

Warren se prit la tête à deux mains. Je savais que l'oncle Bob nous observait. Il avait laissé Warren dans la salle d'observation en sachant que j'allais venir le voir, mais s'il espérait des aveux, il allait être très déçu.

—Écoutez, si j'avais su qu'on allait le retrouver mort, je ne me serais jamais disputé avec lui. Pas en public, en tout cas.

Bon, au moins, il était malin.

— Racontez-moi ce qui s'est passé.

— Mais je l'ai fait ! protesta-t-il d'un ton voilé par la frustration. Je vous ai dit que j'étais convaincu que Mimi avait une liaison. Elle avait tellement changé, elle était devenue si distante, si... différente, que je l'ai suivie, un jour. Elle a déjeuné avec lui, un concessionnaire, et je me suis dit... J'ai tout de suite compris qu'elle avait une liaison.

— S'est-il passé quelque chose de particulier pour vous donner cette impression ?

— Elle était très étrange vis-à-vis de lui, presque hostile. Avant que leurs assiettes arrivent, elle s'est levée pour partir. Il a essayé de la convaincre de rester. Il lui a même pris la main, mais elle la lui a retirée comme s'il la dégoûtait. Quand elle a essayé de s'en aller, il s'est levé pour lui bloquer le passage. C'est à ce moment-là que j'ai compris que j'avais raison.

Ce souvenir parut drainer la vie hors de son corps. Ses épaules s'affaissèrent tandis qu'il y repensait.

— Pourquoi ? demandai-je en résistant à l'envie de lui prendre la main. Comment avez-vous su ?

—Elle l'a giflé. (Il enfouit son visage dans ses mains une deuxième fois et parla derrière elles.) Elle n'avait jamais giflé personne de sa vie. Ça ressemblait à une querelle d'amants.

Je finis par poser la main sur son épaule. Il me regarda alors, les yeux humides et rougis.

—Après le départ de Mimi, j'ai suivi le type jusqu'à sa concession et je suis allé lui parler. Il a refusé de me dire ce qui se passait, il m'a seulement dit de garder un œil sur Mimi parce qu'elle pourrait être en danger. (Les larmes perlèrent sous ses paupières ; il s'essuya les yeux avec le pouce et les doigts d'une main. L'autre formait un poing serré sur la table.) Je suis tellement, incroyablement stupide, mademoiselle Davidson.

— Bien sûr que non.

— Si, insista-t-il en me foudroyant d'un regard si désespéré que j'eus du mal à respirer sous son poids. J'ai cru qu'il la menaçait. Franchement, est-ce possible d'être bête à ce point-là ? Il essayait de me prévenir qu'il se passait un truc, quelque chose qui échappait à mon contrôle, et je lui ai crié dessus. Je l'ai menacé, de procès d'abord et puis de... de meurtre. Mon dieu, qu'ai-je fait ? se lamenta-t-il.

Je compris aussitôt que Warren allait avoir besoin de deux choses à la fin de cet entretien : d'un bon avocat et d'un bon thérapeute. Pauvre type. La plupart des femmes tueraient pour avoir un mari aussi dévoué.

—Que savez-vous d'autre à propos de lui ? demandai-je.

Il avait bien dû mener une espèce d'enquête sur le passé de cet homme.

— Rien. Pas grand-chose, en tout cas.

— D'accord, donnez-moi ce que vous avez.

—Vraiment, dit-il en haussant une épaule en signe de désespoir, Mimi a disparu juste après que je suis allé voir ce type. Je n'ai pas grand-chose sur lui.

—Vous avez cru qu'elle s'était enfuie avec lui ?

Il serra les poings.

—Je vous ai dit que j'étais stupide.

Je pouvais presque l'entendre grincer des dents tellement il se haïssait.

—Avez-vous découvert comment elle avait fait sa connaissance ?

— Oui, ils étaient au lycée ensemble, confia-t-il après un long soupir.

Les clochettes et les sifflets du jackpot sur une machine à sou résonnèrent dans mon esprit. Sacré lycée, dites donc !

—Warren, dis-je en l'obligeant à me regarder, vous ne saisissez pas ?

Il fronça les sourcils d'un air interrogateur.

— Deux personnes qui sont allées dans le même lycée que votre femme sont mortes à présent, et Mimi a disparu.

Il battit des paupières tandis qu'une lueur de compréhension apparaissait dans ses yeux.

—Est-ce qu'il s'est passé quelque chose pendant cette période ? demandai-je. Vous a-t-elle jamais parlé de son lycée ?

— Non, répondit-il comme s'il avait trouvé la réponse qui expliquait tout.

—Merde.

—Non, vous ne comprenez pas. Elle ne parlait jamais de son lycée à Ruiz, avant qu'elle déménage à Albuquerque. Je l'ai interrogée une ou deux fois à ce sujet et j'ai un peu insisté une fois, et elle s'est mise tellement en colère qu'elle a refusé de me parler pendant une semaine.

Je me penchai en avant, pleine d'espoir.

— Il s'est passé quelque chose là-bas, Warren. Je vous promets de le découvrir.

—Merci, me dit-il en me prenant la main.

—Mais si j'en meurs, ajoutai-je en pointant mon index sur lui, je doublerai mes tarifs.

Un minuscule sourire adoucit ses traits.

— Ça marche.

Juste au moment où nous terminions notre discussion, son avocat entra dans la pièce. Je pris congé, les laissant s'entretenir à voix basse, et marchai jusqu'à la vitre sans tain vers laquelle je me penchai avec un grand sourire.

—J'te l'avais dit, annonçai-je en désignant Warren par-dessus mon épaule. Innocent. Ça t'apprendra à me coller une filature aux fesses.

La vengeance, c'était marrant.

 

J'emportai une photo de Mimi au Chocolaté Coffee Café, mais en vain. Personne ne se rappelait l'avoir vue la nuit précédente. Je flirtai encore un peu avec Brad le cuisinier, puis je fis un saut au bureau, mais Cookie était partie tôt pour dîner avec sa fille, Amber. Chaque fois que son ado de douze ans séjournait chez son père, Cookie insistait pour l'emmener dîner au moins une fois, tellement elle redoutait qu'Amber se sente mal. Brusquement, je m'étonnai de n'avoir jamais rencontré l'ex de Cookie. Je ne savais même pas à quoi il ressemblait, alors que Cookie m'en avait abondamment parlé. La plupart des trucs qu'elle m'avait racontés étaient négatifs. D'autres moins. D'autres assez merveilleux.

Mon père était au bar quand je descendis pour manger un morceau. II lança son torchon à Donnie, son barman amérindien qui avait des pectoraux à tomber par terre et des cheveux épais, d'un noir tirant sur le bleu, pour lesquels n'importe quelle femme aurait vendu son âme. Mais lui et moi n'étions jamais d'accord sur rien.

Je regardai mon père se frayer un chemin jusqu'à ma table. C'était mon endroit préféré, niché dans un recoin sombre de la salle, d'où je pouvais observer tout le monde sans qu'on me regarde. Je n'aimais pas particulièrement qu'on me regarde, à moins qu'il s'agisse d'un type de plus d'un mètre quatre-vingt avec un corps superbe et un sourire sexy - et qui ne soit pas un tueur en série. Ça aidait toujours, ce genre de choses.

Mon père avait encore une sale tête. Son aura, d'ordinaire si vive, était pour l'heure trouble et grise. Je ne l'avais vu qu'une seule fois dans cet état-là, quand il était encore dans la police et qu'il enquêtait sur une série de meurtres d'enfants particulièrement horribles, au point qu'il avait refusé que je m'en mêle. J'avais douze ans à l'époque, ce qui veut dire que j'étais assez vieille pour savoir certaines choses, et plus encore, mais il avait refusé mon aide.

—Salut, mon chou, me dit-il en plaquant sur son visage un faux sourire.

— Salut, papa, répondis-je en faisant de même.

Il nous rapporta à tous les deux un sandwich jambon-fromage au pain complet, exactement ce dont j'avais envie.

—Miam, merci.

Avec un sourire, il me regarda mordre dans mon sandwich, puis mâcher, puis déglutir, puis faire descendre le tout avec une gorgée de thé glacé.

Je reposai mon sandwich.

— OK, ça devient flippant, là.

— Désolé, me dit-il avec un petit rire plein d'appréhension. Je me disais juste... Tu grandis si vite.

—Je quoi ?

Je toussai dans ma manche avant de poursuivre :

—J'ai fini de grandir, tu sais.

— Oui, c'est vrai.

Il était encore ailleurs. À une époque différente. Dans un endroit différent. Au bout d'un moment, il se ressaisit et prit un air grave.

—Ma chérie, y a-t-il des choses que tu aurais omis de me confier à propos de ton don ?

Comme je venais de prendre une nouvelle bouchée, je haussai les sourcils d'un air interrogateur.

—Tu sais, est-ce que tu es capable de... faire des choses ?

La semaine précédente, le mari assassin d'une ancienne cliente avait essayé de me tuer. Reyes m'avait sauvé la vie - encore, et à sa manière habituelle. Vif comme l'éclair, il avait surgi de nulle part et sectionné la colonne vertébrale du type d'un seul coup d'épée. Puisque cela s'était déjà produit par le passé - des criminels ayant la colonne vertébrale sectionnée sans trauma externe ni aucune explication médicale-je craignais que mon père ne soit en train de faire le rapprochement.

— Quelles choses ? demandai-je d'un ton innocent.

— Prenons par exemple le type qui t'a attaqué la semaine dernière.

—Mmm, répondis-je, la bouche pleine.

— Est-ce que tu... Peux-tu... Es-tu capable... ?

—Je ne lui ai fait aucun mal, papa, répondis-je après avoir dégluti. Je te l'ai dit. Il y avait un autre type. Il a jeté mon agresseur contre la cage d'ascenseur. L'impact a dû...

— D'accord, dit-il en secouant la tête. Je... je le savais. C'est juste que le type de la morgue a dit que c'était impossible.

Il leva son regard vers le mien en me sondant de ses doux yeux bruns. Je posai mon sandwich.

— Papa, tu ne crois tout de même pas que j'ai la faculté de faire du mal aux gens, pas vrai ?

—Tu es si douce, commenta-t-il tristement.

« Douce » ? Me connaissait-il vraiment ?

— C'est juste... je me demande s'il y a autre chose...

—J'ai apporté le dessert.

On leva tous les deux les yeux vers ma belle-mère, qui réquisitionna la chaise à côté de mon père et installa son cul avant de déposer avec soin un carton à dessert blanc sur la table. Visiblement, elle venait juste de faire coiffer ses courts cheveux bruns et de se faire faire une manucure. Elle sentait la laque et le vernis à ongles. Je me demandais souvent ce que mon père trouvait à cette femme. Comme tout le monde, il était aveuglé par sa façade sophistiquée. Tous ceux qui la connaissaient - ou croyaient la connaître - la traitaient de sainte pour avoir épousé un flic avec deux enfants en bas âge. Mais « sainte » n'était pas le mot qui me venait à l'esprit. Je crois que je lui foutais les jetons. En toute justice, elle me faisait le même effet. Son rouge à lèvres était toujours un peu trop rouge pour son teint pâle et son ombre à paupières un peu trop bleue - sans oublier son aura un peu trop sombre.

Ma sœur, Gemma, arriva dans son sillage et s'installa sur le seul siège disponible, à côté de moi, en m'offrant un sourire de rigueur quoique tendu. Elle avait rassemblé sa chevelure blonde en un chignon serré et elle était juste assez maquillée pour avoir l'air apprêtée tout en restant professionnelle. Elle était psy, après tout.

Nous n'avions jamais été particulièrement proches, mais notre relation n'avait fait que se dégrader depuis le lycée. Je ne savais pas pourquoi. Gemma avait trois ans de plus que moi et avait toujours saisi chaque occasion de me le rappeler en grandissant. Si Denise était, malheureusement, la seule mère que j'ai connue, ma sœur avait eu trois merveilleuses années avec notre vraie maman avant qu'elle meure en donnant naissance à votre servante. Je m'étais souvent demandé si nos difficultés venaient de là, si Gemma m'en voulait, inconsciemment, de la mort de notre mère.

Mais la place n'était restée vacante que pendant un an, jusqu'à ce que mon père épouse cette louve de Denise. Gemma s'était aussitôt prise d'affection pour elle. Moi, en revanche, je n'avais pas encore atteint le point culminant de notre lien mère-fille. En même temps, côté lien, je préférais mes séances de bondage sans belle-mère et avec une touche sexy.

Bizarrement, je me réjouis presque de cette interruption. Je ne savais pas vraiment où mon père allait avec ses questions - ou si lui-même le savait - mais il restait encore tant de choses qu'il ignorait. Qu'il n'avait pas besoin de savoir. Qu'il ne saurait jamais, si j'avais mon mot à dire. Comme le fait que je sois une faucheuse, par exemple. Malgré tout, il semblait tellement perdu, presque désespéré. On aurait pu croire que vingt ans de carrière dans la police lui avaient permis d'affûter ses techniques d'interrogatoire. Mais non, il se raccrochait aux branches, alors que celles-ci étaient déjà en train de céder sous son poids.

Je finis mon sandwich en un temps record, pris congé au grand dam de mon père et rentrai chez moi dare-dare, en notant au passage que Denise ne m'avait pas offert une part de ce cheesecake acheté à la boulangerie en bas de la rue. Je me rendis compte également, au cours du long et dangereux périple de trente secondes jusqu'à mon immeuble, que l'attitude de notre père semblait laisser Gemma aussi perplexe que moi. Elle ne cessait de lui lancer des regards curieux à la dérobade. Peut-être l'appellerais-je plus tard pour lui demander si elle avait la moindre idée de ce qui se passait. Ou peut-être me ferais-je épiler le maillot par une lutteuse allemande, ce qui serait sûrement plus amusant que de parler à ma sœur au téléphone.

—Alors ? demanda Cookie en passant la tête dans l'entrebâillement de sa porte quand j'arrivai devant la mienne.

Comment faisait-elle pour toujours savoir quand je rentrais ? J'étais la discrétion personnifiée. De la fumée. Quasiment invisible - comme un ninja, mais sans la cagoule.

—Merde, dis-je en trébuchant toute seule et en laissant tomber mon portable.

—Tu as parlé à Warren ?

—Bien sûr.

Je ramassai mon téléphone, puis fouillai mon sac à la recherche de mes clés, qui réussissaient toujours à m'échapper.

—Et ?

— Cet homme va avoir besoin de médicaments. Cookie soupira et s'appuya contre le chambranle de sa porte.

— Le pauvre. A-t-il vraiment menacé ce concessionnaire assassiné ?

— Devant plusieurs employés, acquiesçai-je.

—Merde. Ça ne va pas du tout aider notre affaire.

— Certes, mais ça n'aura plus d'importance quand nous aurons trouvé le vrai coupable.

— Si on y arrive.

—Tu as trouvé quelque chose ?

— Est-ce que les cow-boys portent des éperons à leurs bottes ? répliqua-t-elle, ses yeux bleus étincelants dans la pénombre.

— Oooh, voilà qui semble prometteur. Tu veux venir chez moi ?

—Avec plaisir. Laisse-moi juste prendre une douche rapide.

—Moi aussi. J'ai l'impression de sentir encore l'huile illégalement versée sur le trottoir.

— N'oublie pas le café, ordonna Cookie avant de refermer sa porte.

 

Je saluai rapidement mon coloc, M. Wong, avant d'aller prendre ma douche. Mais, une fois de plus, je n'étais pas seule. Le Mec-mort-dans-le-coffre se pointa juste au moment où l'eau devenait chaude. J'essayai de virer son cul de là en m'appuyant contre le mur et en poussant de toutes mes forces, mais il ne bougea pas d'un pouce. Il fallait vraiment que j'apprenne à exorciser les cinglés. Après ma douche, j'enfilai un jogging et mis la cafetière en route. J'avais beau essayer, je n'arrêtais pas de repenser à ce que la sœur de Rocket avait dit à propos de Reyes. C'est vrai, quoi, le porteur de mort ! Qui parlait comme ça, sérieux ?

Juste au moment où j'appuyais sur le bouton de M. Café, une chaleur féroce m'enveloppa par-derrière. Je savourai cette sensation pendant quelques instants avant de me retourner. Reyes avait placé ses deux mains sur le comptoir, de part et d'autre de mon corps. Je m'adossai au meuble et m'autorisai le rare luxe de le contempler sans le toucher. Sa bouche pleine était certainement le détail le plus sensuel chez lui. Si appétissante, elle invitait aux baisers. Et que dire de ses yeux marron liquide, bordés de cils si épais et si noirs que les paillettes vert et or dans ses iris semblaient scintiller par contraste ? C'était l'essence même des fantasmes féminins.

Son regard farouche, déterminé, retint le mien prisonnier tandis que ses doigts s'emparaient de l'un des cordons de mon pantalon de survêtement et tiraient dessus. Puis il regarda ma bouche, comme un gosse dans un magasin de bonbons, et fit courir ses doigts le long de la taille de mon pantalon, pour le desserrer. Comme toujours, sa peau était brûlante contre la mienne, et je me demandai si c'était parce qu'il avait quitté son corps encore vivant ou si c'était parce qu'il était né dans les feux de l'enfer - littéralement.

—J'ai appris des choses sur toi, aujourd'hui.

Son doigt descendit plus bas et me fit frissonner tout entière.

—Vraiment ?

Cela n'allait nous mener nulle part. Je dus faire appel à tout mon courage pour passer sous son bras et me diriger vers mon canapé.

—Tu viens ? lui demandai-je en l'entendant soupirer.

Il me suivit des yeux tandis que je me laissai tomber sur le sofa, où je m'assis en tailleur. La chaleur de ses doigts se faisait encore sentir au niveau de mon abdomen. Même si je mourais d'envie que ces doigts atteignent le rivage interdit, leur propriétaire et moi devions parler.

Au bout d'un moment, Reyes vint à son tour dans mon salon - il n'avait que deux pas à faire - puis remarqua M. Wong dans le coin. Il l'observa en fronçant les sourcils.

— Est-ce qu'il sait qu'il est mort ?

—Aucune idée. D'après la rumeur, si ton corps physique meurt, tu deviendras l'Antéchrist.

Reyes se figea, serra les mâchoires, puis baissa la tête d'une façon qui me poussa à me demander avec quelle force j'avais enfoncé le clou. Je n'eus pas à me poser la question bien longtemps.

— C'est pour ça que j'ai été créé.

L'inquiétude me traversa, instinctive, incontrôlable. Reyes me jeta un coup d'oeil.

—Tu es surprise?

—Non. Si. Un peu, avouai-je.

— N'as-tu jamais croisé un homme qui voulait devenir sportif professionnel mais qui n'en avait pas le talent ?

Je fronçai les sourcils lace à ce brusque changement de conversation.

— Euh, eh bien, j'ai connu un type qui voulait devenir joueur de base-ball professionnel. Il a essayé d'entrer dans une équipe, et tout ça.

— Il est marié, aujourd'hui ?

— Oui, répondis-je en me demandant encore une fois où il voulait en venir. Deux enfants.

—Un fils ?

— Oui, et une fille.

— Laisse-moi te demander: que fait le fils ? Bien sûr. Il marquait un point.

— Il joue au base-ball depuis l'âge de deux ans. Reyes acquiesça d'un air songeur.

—Le père va pousser ce gamin jusqu'à en faire le joueur professionnel que lui-même n'a jamais pu être.

—Ton père n'a jamais pu conquérir le monde, alors il t'a formé pour le faire à sa place.

—Exactement.

— Et à quel point t'a-t-il bien formé ?

—-Quelles sont les chances de ce gamin de devenir un joueur professionnel ?

—Je comprends. Tu n'es pas comme lui. Mais on m'a raconté que ton corps physique est comme une ancre et que, sans lui, tu perdras ton humanité et tu deviendras exactement ce que voulait ton père.

— Comment se fait-il que tu crois tout ce qu'on te raconte à mon sujet et rien de ce que moi je peux te dire ?

— Ce n'est pas vrai, protestai-je en serrant un coussin contre ma poitrine. Tu m'as dit que tu ne savais pas ce qui se passerait si tu mourais. J'essaie simplement de le découvrir.

— Mais tout ce que tu apprends est négatif. Catastrophique, même.

Il me regarda par en dessous et chuchota :

— C'est un mensonge.

— Tu viens juste de m'avouer dans quel but tu as été créé. Ça, ce n'était pas un mensonge.

— Mon père m'a créé pour une seule raison. Cela ne fait pas de moi son pantin, et encore moins le putain d'Antéchrist. (Il me tourna le dos, sa colère augmentant rapidement et dépassant sa frustration.) Je ne veux pas me disputer avec toi, ajouta-t-il dans un gros soupir.

—Moi non plus, répliquai-je en me levant d'un bond. Je veux juste te retrouver. Je veux juste que tu ailles bien.

— Quelle partie du mot « piège » ne comprends-tu pas ? (Il se retourna pour me lancer un regard furieux.) Tant que tu ne seras pas en sécurité, je ne pourrai pas aller bien.

On frappa à la porte, si bien que nous jetâmes tous les deux un coup d'œil dans cette direction.

— C'est ton amie, me dit Reyes d'une voix teintée d'agacement.

—Cookie ? Elle ne frappe jamais.

— L'autre, alors.

—J'ai plus que deux amis, Reyes.

—J'ai entendu, dit Garrett lorsque j'ouvris la porte. (Il sortit son arme avant que j'aie le temps de cligner des yeux. Il fallait vraiment que j'apprenne à faire comme lui.) Où est-il ?

Il me bouscula pour entrer et balaya la pièce du regard.

Reyes était encore là, je sentais toujours sa présence. Mais je ne le voyais plus et, de toute façon, Garrett ne pouvait pas le voir, même si cela importait peu. Ce flingue ne lui aurait pas servi à grand-chose face au fils de Satan.

— Il n'est pas ici.

Garrett se tourna vers moi, les mâchoires serrées.

—Je croyais qu'on avait un accord.

— Calme-toi, petit scarabée, répondis-je en fermant la porte et en passant devant lui pour me rendre au point d'eau. (J'avais besoin de caféine.) Son corps physique n'est pas là. Et son corps éthéré est parti bouder.

J'entendis un grondement lointain tandis que je cherchais mon mug préféré, celui sur lequel était écrit « EDWARD PRÉFÈRE LES BRUNES».

—Tu bois du café à cette heure ?

— C'est ça ou un doigt de Jack.

—Toute cette histoire avec Farrow, corps physique, corps éthéré... ça me fout un peu les jetons.

—Tu as des infos sur le Mec-mort-dans-le-coffre ? demandai-je juste au moment où Cookie franchit le seuil en pyjama.

— Oh ! s'exclama-t’elle, surprise qu'on ait de la compagnie. Euh, je devrais peut-être aller me changer.

—Ne sois pas ridicule, répondis-je, les sourcils froncés. C'est juste Swopes.

— D'accord, dit-elle en croisant les bras d'un air gêné pour dissimuler ses seins.

Comme si on pouvait voir quelque chose avec son pyjama en flanelle. Un petit gloussement nerveux lui échappa tandis qu'elle se dirigeait vers la cafetière.

Il était temps que ces deux-là fassent mieux connaissance. Cookie en pinçait pour Garrett depuis le jour où il était entré dans mon agence d'un pas sautillant, sur les talons de l'oncle Bob. Ils se trouvaient au beau milieu d'une enquête, et Garrett était resté dans la salle d'attente, à savoir le bureau de Cookie, pendant qu'Obie me demandait en privé si j'avais des infos sur une vieille dame assassinée dans les Heights. C'était avant que Garrett apprenne la vérité à mon sujet. Je ne sais pas de quoi ils avaient parlé, tous les deux, mais Cookie n'avait plus jamais été la même. En même temps, c'était peut-être dû au fait qu'elle était testée seule pendant dix bonnes minutes avec un grand type musclé dont la peau couleur moka faisait ressortir le gris des yeux, qui brillaient comme de l'argent au soleil.

Il souriait jusqu'aux oreilles, parfaitement conscient de l'effet qu'il lui faisait et qu'il avait sur la plupart des femmes. Puis, il s'installa sut le fauteuil club placé à la diagonale de mon canapé.

— Instit de maternelle, dit-il, apparemment en réponse à ma question sur ce qu'il avait trouvé au sujet de la voiture de Cookie.

De mon côté, j'étais occupée à mettre suffisamment de crème dans mon café pour le rendre méconnaissable.

— Swopes, fis-je en adressant un clin d'œil à mon amie, on s'en fout de ce que tu veux être quand tu seras grand. On veut juste savoir ce que tu as découvert à propos de la voiture de Cookie.

L'intéressée écarquilla les yeux.

—Ma voiture ? murmura-t-elle.

—Tu es tordante, répondit-il distraitement en observant le coin où, il le savait maintenant, M. Wong se trouvait. (Enfin, où il flottait.) La propriétaire précédente était instit de maternelle.

—Tu veux dire, la personne qui possédait la voiture avant moi ? demanda Cookie en prenant son café noir et en allant s'installer sur le sofa en face de Garrett.

Il sourit, et moi aussi, en songeant que c'était sûrement la phrase la plus longue qu'elle lui ait jamais dite.

— Ouaip. Il se trouve qu'elle a collectionné un sacré nombre de PV pour excès de vitesse.

Je m'assis à côté de Cookie en me disant que, même dans son pyjama en flanelle, elle prouvait qu'on pouvait être ronde et belle.

—Tu crois que c'est un délit de fuite ? demanda-t-elle.

— Pas s'il est mort dans ton coffre.

— Oh, ouais. (Elle secoua la tête.) Attends. (Elle prit un air choqué.) Tu crois qu'elle l'a tué ? Qu'elle a fait exprès de le mettre dans le coffre ?

— Pourquoi, elle aurait pu l'y mettre par accident ? Cookie haussa les épaules avec un petit rire gêné. Garrett poursuivit :

— Elle a aussi un PV pour conduite en état d'ivresse. Et elle a failli en avoir un deuxième, mais il a été rejeté par un juge pour un détail technique.

— D'accord, dis-je en réfléchissant à voix haute. Donc, elle sort d'une fête et rentre chez elle quand le Mec-mort-dans-le-coffre descend d'un trottoir, sauf qu'il n'est pas encore mort, et elle le renverse. Elle panique, s'arrête pour voir comment il va et comprend qu'il est toujours en vie. Alors, elle le fourre dans son coffre... pourquoi ? Pour qu'il ne puisse pas la dénoncer ? Ça n'a pas de sens, ajoutai-je après quelques instants. Si elle avait tellement peur de se faire prendre, pourquoi s'arrêter ?

— C'est vrai, reconnut Garrett. Elle pue, ta théorie.

Je me demandais où était le Mec-mort-dans-le-coffre quand je n'étais pas sous la douche. Sans doute de retour dans le coffre de Cookie.

—Il va falloir que tu creuses un peu plus, dis-je à Garrett.

—Tu es au courant pour ses fausses plantes mourantes ? demanda-t-il à Cookie.

Elle pinça les lèvres et hocha la tête en faisant tourner son index autour de son oreille. Personne ne comprenait la vraie Charley.

— Alors, qu'as-tu découvert à propos de Mimi ? demandai-je à Cookie.

— Oh, des tas de choses! (Elle se redressa, toute contente d'avoir la vedette.) Quand Mimi était au lycée, elle a quitté Ruiz pour emménager chez ses grands-parents, à Albuquerque.

On attendit d'autres détails.

— C'est tout ? demandai-je au bout d'un moment.

— Bien sûr que non, répondit-elle avec un grand sourire. J'attends l'annuaire des anciens élèves, on va me l'envoyer.

Ah, voilà pourquoi elle était si fière. Lors de notre dernière enquête, nous avions essayé d'obtenir l'annuaire des anciens élèves d'une école publique, mais c'était comme demander à un père séparé qui ne voit plus ses gamins et ne paie jamais la pension alimentaire de donner un rein. Au bout du compte, j'avais été obligée de recruter l'oncle Bob, sa plaque rouillée et son talent répréhensible pour la drague.

—Alors, comment t'as fait ? lui demandai-je, impatiente de connaître sa combine.

Elle se rembrunit.

—J'ai juste demandé, avoua-t-elle.

Oh. Voilà qui n'était pas très excitant.

— Mais tu l'as eu, rétorquai-je pour essayer de la réconforter.

— C'est vrai. Et maintenant, je vais me coucher.

Elle regarda Garrett d'un air embarrassé, puis me jeta un coup d'œil furtif. Je haussai les sourcils d'un air interrogateur. Elle serra les dents et écarquilla les yeux, exagérément. Je plissai le nez, toujours d'un air interrogateur. Elle soupira et fit un signe discret de la tête en direction de la porte. Oh ! Je lançai un coup d'œil à Garrett qui essayait de rester gentleman en faisant comme s'il n'avait pas remarqué notre échange. Il semblait soudain éprouver une intense fascination pour le bras de mon fauteuil.

—Je te raccompagne.

Je me levai d'un bond et traversai le couloir en compagnie de Cookie en songeant qu'elle voulait me parler de Garrett. J'espérais qu'elle ne voulait pas que je lui fasse passer un mot, parce que je n'avais pas de papier sur moi.

Elle ouvrit sa porte et se tourna vers moi.

—Alors, il est là ?

— Garrett ? fis-je, perplexe.

— Quoi ?

—Attends, de qui tu parles ?

— Du petit garçon, Charley, répliqua-t-elle, agacée.

— Oh.

J'avais complètement oublié que, pendant qu'on flânait dans les rues d'Albuquerque à 3 heures du matin - je dis « flâner» parce que, après tout, marcher en pantoufles lapin revient presque à marcher pieds nus -, j'avais laissé échapper qu'un enfant mort squattait son humble logis. Je devais absolument apprendre à la boucler. Je balayai rapidement les lieux du regard. Son appartement mélangeait le noir et les couleurs vives du Mexique dans un décor éclectique qui mêlait le style sud-ouest rustique au style ranch. Mon appartement, bien qu'identique en termes de taille et de disposition des pièces, abritait plutôt un assemblage de meubles issus de vide-greniers et les souvenirs de ma vie d'étudiante.

— Nan, je le vois pas.

—Tu peux vérifier le reste de l'appart ?

— Bien sûr.

Après une fouille de cinq minutes pendant laquelle la culpabilité me dévora les entrailles — vraiment, je n'aurais jamais dû le lui dire - on se retrouva devant sa porte d'entrée, sans le moindre enfant mort en vue.

— OK, j'ai une question pour toi, dis-je, attirant ainsi son attention. Si tu étais le fils de Satan et que tu étais mourant, où cacherais-tu ton corps ?

Elle me lança un regard compatissant.

—Puisqu'il ne veut pas que tu le retrouves, mon chou, je dirais qu'il se cache dans le dernier endroit où tu penserais à le chercher.

— Sans vouloir te vexer, ça ne m'aide pas vraiment, répondis-je, déçue.

—Je sais. Je suis nulle pour tout ce qui concerne ces trucs surnaturels. Mais je sais sacrement bien faire frire le poulet.

— Certes. Mais ça ne m'aide pas non plus.

— Est-ce que je peux l'avoir pour Noël ?

— Reyes ?

—Non, l'autre, répondit-elle dans un soupir énamouré.

—Beurk, fis-je en comprenant qu'elle parlait de Garrett. D'accord, il était sexy et tout, mais « beurk» quand même.

—Tu dis ça juste parce que t'es jalouse de ce qu'il y a entre nous.

Je reniflai d'une manière incroyablement grossière.

—Même pas en rêve.

—Si tu le dis, ma belle, répondit-elle en levant les mains avant de refermer sa porte.

J'adorais quand elle me la jouait grande tragédienne.

En revenant dans mon appart, je vis que Garrett continuait à observer le coin où se trouvait M. Wong.

— Il ne mord pas, tu sais, le taquinai-je.

Il fronça les sourcils d'un air dubitatif, puis me regarda avec curiosité.

— Qu'est-ce que ça fait de grandir avec des morts partout ? Ce n'est pas trop flippant ?

—Je n'ai jamais rien connu d'autre, répondis-je avec un grand sourire. En plus, contrairement à la plupart des gens, je ne flippe pas facilement. Il n'y a pas grand-chose qui m'effraie.

—En même temps, tu es la Faucheuse.

Pour me taquiner, il fit mine de frissonner. Puis il me détailla lentement. Apparemment, la vue lui plaisait.

—Arrête de baver devant ce que tu ne peux pas avoir, lui dis-je en attrapant ma tasse avant de retourner dans la cuisine.

—Je ne fais que mater la devanture. Tu portes sacrement bien le jogging pour une fille qui s'appelle Charles.

Je ne pus m'empêcher de rire tandis qu'il se levait pour partir. Il ouvrit la porte, puis hésita.

—Quelque chose d'autre te tracasse ? lui demandai-je.

Il me regarda avec une lueur malicieuse au fond des yeux.

—À part le fait que je te mangerais bien toute crue ?

L'air crépita sous l'effet de la colère de Reyes. Je me demandai si Garrett l'avait fait exprès. Peut-être qu'il commençait à piger comment ça fonctionnait, le surnaturel.

—Notre société réprouve le cannibalisme, mon pote.

—Tu vas porter plainte pour harcèlement sexuel ?

—Non, mais je vais mettre une note à ta performance, répondis-je en rinçant ma tasse.

Il me fit un clin d'oeil, puis s'en alla en fermant la porte derrière lui.

—Tu vas rester ici et bouder toute la nuit ? demandai-je au bout d'un moment.

Aussitôt, Reyes s'en alla. Je suppose que ça répondait à la question.

Je me laissai tomber sur le siège devant l'ordi pour faire quelques recherches avant d'aller me coucher avec Bugs Bunny. J'avais ma couette/doudou depuis l'âge de neuf ans. Ensemble, nous avions fait face à des tas de choses, y compris à Wade Forester. J'étais au lycée, lui faisait l'école de la rue, laquelle apprenait bien plus de choses à ses élèves au sujet de la procréation. Bugs n'avait plus jamais été le même après ça.

J'en revins à mon problème de démons. Si je ne pouvais pas voir ces satanées créatures - ou même si je les voyais, d'ailleurs -, comment étais-je censée les combattre ? J'avais bien noté ce que Reyes avait laissé échapper : j'avais affaire au Mal incarné. J'avais besoin d'infos, une espèce de Wikipédia des démons.

Je fis une recherche sur comment détecter les démons ; mes efforts furent récompensés par une marée de renseignements absolument inexploitables. Tout ce qui apparaissait à l'écran était à peu près aussi utile que du fil dentaire dans un accident d'avion. On voulait me faire croire que la possession par un démon était responsable de l'hyperactivité et on me proposait des jeux vidéo avec d'effrayants chefs suprêmes démoniaques. Cependant, quelques pages plus tard, je tombai sur un site qui semblait presque pertinent. Je choisis d'ignorer le fait que la propriétaire s'appelait Maîtresse Souci et pataugeai dans les légendes, le folklore et les références bibliques et historiques jusqu'à ce que j'arrive sur une page intitulée « Comment détecter les démons ». Bingo.

Maîtresse Souci était vraiment serviable. Elle avait dressé une liste d'astuces pour détecter les démons, comme leur jeter du sel dans les yeux. Premièrement, ça impliquait que je puisse les voir et, deuxièmement, ça fleurait bon les poursuites judiciaires, parce que je finirais inévitablement par aveugler un pauvre type que je croyais possédé. Elle indiquait aussi qu'il fallait regarder les plantes quand un individu douteux entrait dans une pièce. Apparemment, en présence d'un démon, les pauvres végétaux se fanaient avant même d'avoir le temps de comprendre ce qui leur arrivait. Je balayai du regard mon appart. Maudit soit mon amour des fausses plantes mourantes. Je devrais peut-être prendre un cactus.

La seule chose que Maîtresse Souci passait sous silence, c'était que, en réalité, personne n'était capable de voir les démons. Au bout du compte, elle m'était aussi utile qu'un pistolet à air comprimé dans un combat avec de vraies armes.

Juste au moment où j'allais fermer le site, un mot retint mon attention. Là, au milieu d'un banal paragraphe signalant la supposée allergie des démons à l'adoucissant, se trouvait un lien surligné qui disait « faucheuse ». Mais c'était moi ! Voilà qui était excitant. Je cliquai sur le lien. La page qui apparut alors n'affichait qu'une seule phrase en dessous d'une image indiquant « En construction ». Mais c'était une phrase remarquable.

« Si vous êtes la Faucheuse, prière de me contacter immédiatement. »

OK. Ça, c'était du jamais vu.