Lorsqu’on se trouve confronté à des actions impératives, il existe toujours des choix. Pour autant que le résultat soit atteint.
Comte Hasimir Fenring, Dépêches d’Arrakis
Le pilote tleilaxu survivant de l’agression des Atréides à bord du Long-courrier était un témoin essentiel et avait donc été contraint de demeurer sur Kaitain. Il n’était cependant pas prisonnier et l’on prenait soin de lui, même si personne ne cherchait sa compagnie. Le Bene Tleilax s’était gardé de divulguer son nom et il ne pensait qu’à regagner son vaisseau, à retrouver son poste.
Cependant, à cause du flux incessant d’invités qui déferlait pour la cérémonie du couronnement et le mariage impérial, l’hébergement devenait difficile. Les fonctionnaires du protocole de Shaddam s’étaient fait un plaisir d’attribuer au Tleilaxu une chambre aussi austère qu’inconfortable.
Mais, à leur grand dépit, le pilote tleilaxu ne sembla pas s’en apercevoir. Il ne se plaignit pas : il attendait, sombre, bouillant de haine, l’instant où il allait pouvoir demander le châtiment de l’ignoble Leto Atréides.
Les nuits de Kaitain étaient douces et limpides, remplies d’étoiles, et jamais les lunes n’avaient été plus brillantes. Entre deux fastueuses aurores, l’obscurité ne réussissait jamais à s’installer vraiment. Mais la capitale arrivait à trouver le sommeil durant quelques heures.
Hasimir Fenring franchit aisément la porte scellée de la chambre du Tleilaxu. Comme un spectre, il glissait sur un champ de suspension, silencieux, obscur. La nuit était son domaine.
Jamais encore il n’avait vu de Tleilaxu endormi mais, comme il s’approchait du lit, il trouva le pilote assis, complètement éveillé. Le gnome grisâtre l’observait dans l’ombre et semblait voir encore mieux que l’assassin.
— Je tiens un pistolet à fléchettes braqué sur votre corps, déclara-t-il. Qui êtes-vous ? Vous êtes venu me tuer ?
— Mmm… nooon, à vrai dire, mmm…, fit Fenring avant de se présenter de sa voix la plus mielleuse : Je suis Hasimir Fenring, compagnon d’enfance du Prince Héritier Shaddam, et je suis porteur d’un message ainsi que d’une requête.
— Quels sont-ils ?
— Le Prince Shaddam vous prie de reconsidérer les détails de votre témoignage. Il souhaite la paix au sein des Maisons du Landsraad et ne voudrait pas jeter une ombre sur la Maison des Atréides, dont les membres ont servi les Empereurs Padishah depuis la Grande Révolte.
— Absurde ! aboya le Tleilaxu. Leto Atréides a ouvert le feu sur nos vaisseaux souverains, il en a détruit un, et a endommagé le mien. Des centaines de Tleilaxu ont trouvé la mort, iI est coupable de l’incident politique le plus grave qu’ait connu l’Imperium depuis des dizaines d’années.
— Oui, oui, certes. Mais vous pouvez éviter l’escalade, nooon ? Shaddam souhaite que son règne soit pacifique et prospère. Vous ne voulez pas voir plus grand ?
— Je ne pense qu’aux miens, et au tort que nous a causé cet homme. Tout le monde sait que l’Atréides est coupable et qu’il doit payer. Il n’y a que comme ça que nous serons satisfaits. (Le pistolet n’avait pas dévié d’un millimètre. Le Tleilaxu était calme et souriant. Fenring comprenait pourquoi il était pilote.) Ensuite, Shaddam pourra avoir un règne aussi pacifique qu’il le voudra.
— Vous m’attristez, dit Fenring en y mettant le ton. Je m’en vais rapporter votre réponse au Prince Héritier.
Il croisa les bras en s’inclinant, la paume ouverte. Et déclencha ainsi les deux pistolets à aiguilles empoisonnées insérés dans ses poignets. Dans un silence total, elles se plantèrent dans la gorge du Tleilaxu.
Il crispa le doigt sur son pistolet en un réflexe spasmodique. Fenring esquiva sans peine et les dards se plantèrent en vibrant dans la paroi. Dans la seconde qui suivit, l’occupant de la chambre voisine protesta en cognant.
Dans l’ombre, Fenring examina le résultat. Il était évident et le Bene Tleilax comprendrait aussitôt ce qui s’était passé. Après la scandaleuse tentative d’assassinat contre la personne de Leto Atréides à rencontre de la volonté de Shaddam, Hidar Fen Ajidica devrait se montrer discret
Les Tleilaxu se vantaient de savoir garder les secrets. Ils effaceraient promptement le nom du pilote de la liste des témoins et il n’en serait plus question. Sans son témoignage, leur partie serait affaiblie.
Fenring espérait cependant que ce meurtre aviverait encore la soif de vengeance des répugnants petits hommes. Comment Ajidica réagirait-il ?
Fenring quitta la chambre et repartit entre les ombres, abandonnant le cadavre au cas où le Bene Tleilax compterait le réutiliser comme ghola. En dépit de ses faiblesses, le Tleilaxu qu’il venait d’éliminer avait dû être un excellent pilote.