Le peuple doit considérer son souverain comme un homme qui lui est supérieur, sinon pourquoi le suivrait-il ? Avant tout, un chef doit être un homme de spectacle qui donne à ses gens le pain et les jeux qu’ils demandent.
Duc Paulus Atréides

Pour Leto, les semaines de préparation précédant son séjour sur Ix passèrent dans une sorte de brume. Il se gavait d’une année complète de souvenirs, essayant de fixer dans son esprit autant d’images de la demeure ancestrale qu’il le pouvait. Il savait que l’air humide et salin, les matins de brouillard allaient lui manquer, de même que la musique des orages de l’après-midi. Que pouvait-il attendre d’une planète de machines sans formes ni couleurs, comparée à Caladan ?

Entre tous les palais et les demeures de villégiature, Castel Caladan, siège du gouvernement, perché sur une falaise qui dominait la mer, était sa maison. Un jour, quand il passerait à son doigt l’anneau ducal, il deviendrait le vingt-sixième Duc Atréides.

Sa mère, Helena, remuait beaucoup d’air depuis quelque temps. Elle lisait des présages dans toutes sortes de choses et lui citait des passages de la Bible Catholique Orange qu’elle considérait comme essentiels à son éducation. Elle était désemparée à l’idée de ne plus voir son fils pendant un an, mais elle ne voulait pas s’opposer aux ordres du Vieux Duc – du moins quand on risquait de l’entendre. Elle semblait perturbée, et Leto comprit qu’elle était surtout inquiète parce que son père avait choisi de l’envoyer étudier sur Ix.

— C’est un antre de putréfaction, un charnier de vile technologie, lui déclara-t-elle, certaine que Paulus n’était pas à portée d’oreille.

— Êtes-vous certaine que vous ne réagissez pas ainsi parce qu’Ix est le principal rival de la Maison de Richèse, Mère ? demanda-t-il.

— Je ne pense pas. La Maison de Richèse est fondée sur une technologie ancienne et éprouvée, des instruments qui obéissent aux prescriptions. Nul n’a jamais mis en question le respect des Richésiens pour les commandements du Jihad.

Elle le fixa un instant avant d’éclater en sanglots en lui caressant l’épaule. Il avait presque sa taille, maintenant.

— Leto, Leto, je ne veux pas que tu perdes ton innocence là-bas, ou ton âme. L’enjeu est si important.

Plus tard, dans la salle à manger, pendant le dîner de ragoût de poisson et de biscuits, Helena avait encore une fois supplié son époux d’envoyer Leto ailleurs. Mais Paulus avait ri de son inquiétude. D’abord, il avait doucement mais fermement refusé, avant de se mettre en colère.

— Dominic est mon ami – et Dieu m’est témoin que mon fils ne saurait être en d’aussi bonnes mains !

Leto essayait de se concentrer sur son bol, mais devant les accusations de sa mère, il avait soutenu le Duc.

— Je veux y aller, Mère, avait-il dit en posant sa cuiller avant de répéter ce qu’elle lui disait souvent : C’est pour mon bien.

Durant l’éducation de Leto, Helena s’était bien des fois trouvée en désaccord avec les options de son époux : il avait envoyé leur fils travailler avec les villageois, il lui avait fait rencontrer les citoyens face à face, il l’avait autorisé à avoir des amis dans le peuple et l’avait incité à se salir les mains à la tâche. Leto comprenait la sagesse de son père : un jour, il serait lui-même Duc, mais Helena avait des objections diverses et n’hésitait pas à citer la Bible Catholique Orange pour les justifier.

C’était une femme peu patiente et elle n’avait guère d’indulgence pour son fils unique, tout en gardant une attitude parfaitement digne à chacune de leurs sorties en public. Très préoccupée par son apparence, elle répétait fréquemment qu’elle n’aurait pas d’autre enfant. Élever son fils tout en dirigeant la maison ducale lui prenait le plus clair de son temps et elle aurait préféré continuer à étudier la Bible Catholique Orange et autres textes religieux. Il était évident qu’elle avait mis un fils au monde par devoir envers la Maison des Atréides plus que par désir naturel.

On ne pouvait s’étonner que le Duc recherche la compagnie d’autres femmes moins irritables.

La nuit, parfois, derrière les lourdes portes d’Ecaz, Leto entendait les échos des disputes de ses parents. Dame Helena pouvait dire ce qu’elle voulait parce que l’on envoyait son fils sur Ix, mais le Vieux Duc personnifiait la Maison des Atréides. Sa parole faisait loi, dans le château et sur tout Caladan, quoi que pût dire sa femme angoissée pour lui faire changer d’avis.

C’est pour mon bien.

Leto savait que le mariage de son père et de sa mère avait été arrangé, que les Maisons du Landsraad avaient conclu un marché afin de satisfaire les familles importantes. Une ultime tentative de la Maison de Richèse au bord de l’effondrement. Et la Maison des Atréides pouvait toujours espérer que les Richèses retrouveraient un jour la grandeur de l’époque technologique. En attendant, le Vieux Duc avait reçu des primes et des concessions substantielles pour avoir épousé l’une des nombreuses filles de la Maison de Richèse.

Dame Helena avait une fois déclaré à son fils, en lui expliquant la politique du mariage :

— Dans une famille noble, il y a peu de place pour les états d’âme romantiques et les pâmoisons qui sont le lot des gens de basse classe dominés par leurs hormones.

Il savait que c’était le sort qui l’attendait. Même son père était d’accord avec Helena à ce sujet, et il se montrait encore plus dur.

— Quelle est la première règle pour une Maison, ne cessait-il de faire répéter à son fils. Ne jamais se marier par amour, sinon ce sera la chute.

À quatorze ans, Leto n’avait encore jamais été amoureux, bien qu’il eût éprouvé les premiers feux du désir. Son père l’encourageait à courir après les filles du village, à jouer avec celles qu’il trouvait attirantes – mais sans jamais rien promettre. Il doutait, en tant qu’héritier Atréides, qu’il aurait quelque chance de connaître un jour l’amour, et surtout pas pour une femme qu’il épouserait…

Un matin, une semaine avant son départ, son père le prit par l’épaule pour l’entraîner avec lui dans sa ronde habituelle des serviteurs et des gens du peuple. La garde d’honneur les accompagna jusqu’au petit port, en bas du château. Là, de boutique en échoppe, le Duc rencontrait ses sujets et se montrait à tous. Leto adorait ces moments-là.

Le Duc était d’une nature chaleureuse et on l’entendait souvent rire tandis qu’ils déambulaient dans le bazar sous le ciel bleu pâle, entre les étals de légumes et de poissons, les tapisseries superbes tissées de fibres ponji et de fil de feu. Les gens souriaient sur leur passage. Le Duc achetait souvent des babioles et des colifichets pour son épouse, surtout quand ils s’étaient querellés, mais le Duc ne semblait pas vraiment connaître les goûts d’Helena.

Ils étaient devant un marchand d’huîtres quand Paulus s’arrêta net et observa le ciel nuageux comme si une idée lui était venue soudain. Il se tourna vers son fils avec un sourire radieux.

— Mon garçon, je pense que tu as droit à un spectacle approprié pour ton départ. Il faut que ce soit un événement mémorable pour tout Caladan.

Leto réprima une grimace. Il était habitué aux idées extravagantes de son père et savait bien qu’il irait jusqu’au bout, sans se soucier du sens commun.

— Qu’avez-vous en tête, Monsieur ? Que me faudra-t-il faire ?

— Rien, rien. Je vais annoncer que nous allons donner une fête en l’honneur de mon fils et héritier.

Il prit la main de Leto, la leva en un geste de triomphe, et sa voix tonna.

— Nous allons organiser une course de taureaux, une journée de liesse populaire comme autrefois, sur tout Caladan, avec des holoprojections qui seront retransmises partout.

— Avec des taureaux de Salusa ? demanda Leto.

Il gardait à l’esprit l’image des bêtes monstrueuses à l’échiné hérissée d’aiguillons, avec leur tête noire aux cornes multiples et leurs yeux à facettes. Il n’était encore qu’un petit garçon lorsqu’il les avait vues dans leurs étables. Le Maître taurin Yresk, l’un des vieux domestiques de la Maison de Richèse, s’occupait des taureaux qui participaient aux corridas occasionnelles du Duc.

— Naturellement. Et, comme toujours, je vais descendre dans l’arène. (Il fit mine de déployer une cape.) Mes vieux os sont encore capables de me porter et d’esquiver ces gros monstres. Je vais demander à Yresk d’en préparer un – à moins que tu ne souhaites le choisir toi-même, mon garçon ?

— Je pensais que vous ne le feriez plus, risqua Leto. Il y a presque une année que…

— Où es-tu allé pêcher cette idée ?

— Auprès de vos conseillers, Monsieur. N’est-ce pas pour cette raison que d’autres ont combattu les taureaux à votre place ?

Le vieil homme partit d’un grand rire.

— Quelle stupidité ! Je n’ai quitté l’arène que pour une seule raison : les taureaux ont décliné pendant quelque temps, à cause d’une sorte de déséquilibre génétique. Mais la situation a changé et la dernière génération est plus solide que jamais. Yresk dit qu’ils sont prêts à combattre, et moi aussi. (Il passa un bras autour des épaules étroites de Leto.) Quelle meilleure occasion pour une corrida de toros que le départ de mon fils ? Ce sera la première fois que tu y assisteras. Ta mère ne pourra plus dire que tu es trop jeune.

Leto hocha la tête d’un air réticent. Inutile de songer à faire revenir son père sur sa décision. Au moins, il avait beaucoup pratiqué et porterait un bouclier.

C’est avec un bouclier personnel que Leto avait déjà affronté des adversaires humains, et il en connaissait les avantages et les limites. Un bouclier arrêtait les projectiles des armes à feu et les coups violents, mais n’importe quelle lame pouvait vous blesser si le coup était ralenti juste au-dessous du seuil de vitesse. Un taureau salusan, avec ses cornes aiguës, était capable de charger assez lentement pour percer les défenses du bouclier le mieux réglé.

Il avait la gorge nouée : les vieux taureaux que le Maître Yresk lui avait montrés lui avaient paru dangereux, ils avaient tué trois matadors déjà. Leto n’avait pas oublié.

Mais le Duc était lancé dans son idée et il fit une annonce publique dans le bazar. La foule lança des vivats. Les gens avaient les yeux brillants d’impatience – et aussi de plaisir, car ce serait une journée de fête et de repos.

Leto savait que cela ne plairait guère à sa mère, mais ses objections ne feraient que renforcer l’entêtement du Duc.

Les gradins de la Plaza de Toros étaient bondés. De loin, les loges formaient une vaste grille coloriée. Le Duc ne faisait jamais payer : il était trop fier de ses exploits.

D’immenses bannières noir et vert claquaient dans la brise tandis que la fanfare résonnait. Les piliers portaient la crête de faucon du blason Atréides et les emblèmes scintillants avaient été repeints pour la circonstance. On avait disposé des milliers de bouquets cueillis dans les champs et les terres basses autour de l’arène – une invite assez marquée du Duc, qui adorait que le peuple lui lance des fleurs à chaque fois qu’il terrassait un taureau.

Paulus se préparait dans une loge et Leto l’attendait près de la barrière en écoutant la rumeur de la foule impatiente.

— Père, je m’inquiète du risque que vous prenez. Vous ne devriez pas le faire… surtout pas pour moi.

Paulus rejeta d’un geste ses paroles.

— Leto, mon garçon, tu dois comprendre qu’il ne suffit pas de signer des papiers, de collecter les impôts ou de participer aux sessions du Landsraad pour gouverner son peuple et acquérir sa loyauté. (Il ajusta sa cape magenta devant un miroir.) Je dépends de tous ces gens pour que Caladan fournisse le meilleur de ce qu’elle peut donner. Ils doivent le faire de leur plein gré, durement – et pas seulement pour leur profit personnel, mais pour l’honneur et la gloire. Si jamais la Maison des Atréides devait repartir en guerre, ils verseraient leur sang pour moi. Ils sont prêts à donner leur vie sous notre bannière. (Il se débattait avec son armure et demanda :) Tu veux bien serrer ça ?

Leto tira sur les lacets de la plaque de cuir dorsale et assura soigneusement les nœuds. Il ne dit pas un mot mais acquiesça.

— Je suis leur Duc, et je dois leur offrir quelque chose en retour pour prouver que je suis digne d’eux. Ce n’est pas seulement pour les distraire, mais pour inscrire dans leurs esprits que je suis un grand personnage, de dimension héroïque… quelqu’un que Dieu Lui-même a choisi afin de les diriger. Je dois le leur prouver. Un chef ne saurait avoir un rôle passif.

Il vérifia la ceinture de son bouclier et ajouta en souriant dans sa barbe :

— On n’est jamais trop vieux pour apprendre. C’est dans Agamemnon. Je dis ça pour que tu saches bien que je ne dors pas à chaque représentation, même si j’en ai l’air.

Thufir Hawat, le sévère Maître d’armes, se plaça à côté du Duc. C’était un Mentat loyal et il ne pouvait critiquer les décisions de son seigneur. Il se contenta du meilleur conseil et lui chuchota à l’oreille ce qu’il avait appris du nouveau contingent de taureaux mutants.

Leto savait que sa mère serait dans la loge ducale, vêtue d’une robe et de voiles de tulle multicolores. Elle jouerait son rôle et saluerait l’assistance du geste. La nuit d’avant, elle et le Duc avaient eu une nouvelle dispute. Paulus l’avait fait taire d’un ton impératif et elle avait battu en retraite dans sa chambre.

Le Duc mit sa casquette festonnée de vert avant de choisir les poignards et sa longue vara à la pointe empoisonnée, décorée de plumes. Thufir Hawat avait suggéré que le Maître taurin pourrait injecter un tranquillisant au taureau mais le Duc aimait les défis. Pas question de drogue pour cette corrida !

Paulus fixa le bloc d’activation du bouclier à sa ceinture et activa le champ. Ce n’était qu’un demi-champ, destiné à le protéger de flanc. Sur l’autre, il avait sa cape flamboyante, la muleta.

Il fit une courte révérence à son fils, puis à son Mentat, et ensuite à ses entraîneurs qui attendaient sur le seuil de l’arène.

— Il est temps que le spectacle commence.

Il pivota, pareil à un oiseau dans sa parade de séduction, et s’avança sur la Plaza sous les clameurs du public.

Leto gagna sa place derrière la barrière, ébloui par le soleil. Il sourit en regardant son père faire le tour de l’arène, lentement, dans des remous de cape, s’inclinant régulièrement devant son peuple déchaîné. Il s’était juré de ne manquer aucun des triomphes du Duc. Un jour, ce serait à lui de s’attacher le respect et l’amour de son peuple. Aujourd’hui, ce serait un nouveau triomphe dans la longue liste de son père, il en était certain. Mais il ne pouvait s’empêcher d’être inquiet. Il suffisait d’une défaillance du bouclier, de l’éclair d’une corne acérée, du marteau d’un sabot.

Les cuivres sonnèrent et l’annonceur proclama les préliminaires de la corrida. Levant haut sa main gantée scintillante de sequins, Paulus désigna la lourde poterne du toril, de l’autre côté de l’arène.

Leto se déplaça vers une autre voûte pour mieux voir. Il savait que l’affrontement n’était pas truqué et que son père allait risquer sa vie face au toro.

Les palefreniers avaient étrillé les brutes et Yresk avait lui-même choisi le taureau qu’il allait affronter aujourd’hui. Le Vieux Duc avait inspecté la bête et s’était déclaré satisfait, persuadé que le public apprécierait son allure brutale. Il lui tardait d’en découdre.

Les gonds de la poterne grincèrent et le taureau salusan entra au galop. Ses cornes scintillaient sur sa tête massive, il y avait une haine absolue et bestiale dans ses yeux à facettes. Les écailles de sa nuque lançaient des reflets diaprés sur le cuir noir de son corps.

En sifflant, le Duc fit tourbillonner sa cape.

— Par ici, abruti !

Les rires montèrent des gradins.

Leto remarqua que son père n’avait pas encore activé son bouclier. Au contraire, il agitait sa cape en claquant des doigts pour dévier sur lui la fureur du taureau. La bête racla le sable de ses sabots en grondant, puis chargea droit sur lui. Leto voulut crier. Se pouvait-il que son père ait vraiment oublié de déclencher le champ de protection ? Comment pouvait-il espérer combattre sans lui ?

Mais le taureau passa au large, Paulus lança la muleta d’un geste élégant et les cornes crochetées lacérèrent le bas du tissu. Le Duc se détourna avec assurance, exposant son dos sans défense. Il s’inclina d’un air moqueur devant le public avant de se redresser. Calmement, il déclencha son bouclier.

Le taureau attaqua de nouveau et le Duc leva son poignard et porta plusieurs coups dans le cuir écailleux avant de le blesser au flanc. L’image du matador multicolore se reflétait, multipliée, dans les yeux à facettes.

La bête revint à la charge.

Il va trop vite pour pénétrer le bouclier, calcula Leto. Mais s’il se fatigue et ralentit, il deviendra dangereux.

Son père se donnait tout entier au spectacle, le public était amusé et fasciné. Le Duc aurait pu abattre le taureau sans attendre, mais il raffinait chaque passe, savourait chaque instant.

En observant l’assistance, Leto songea que tous ces gens parleraient de la corrida des années durant. Au cœur de la vie rude de ces fermiers des rizières, de ces pêcheurs, l’image héroïque de son père subsisterait à jamais. Vous vous rappelez du Vieux Duc, diraient-ils. Vous avez vu ce qu’il a fait à son âge ?

Peu à peu, la bête s’épuisait, les yeux injectés de sang, le souffle lourd. Elle crachait sa vie en gouttelettes visqueuses sur le sable et la cendre de l’arène. Le Duc décida de mettre un terme à cette lutte qui se prolongeait depuis près d’une heure. Ruisselant de sueur, il n’avait rien perdu de sa fière attitude et ne montrait pas la moindre fatigue, son habit parfaitement ajusté.

Dans la loge, Dame Helena continuait d’agiter ses fanions avec un sourire fixe.

Le taureau était désormais une machine enragée, blindée d’écaillés mais au galop hésitant. À la seconde où les longues cornes dardaient vers lui comme des lances, le Duc Paulus feinta sur la gauche pour se retourner quand le taureau le frôla.

Il fit un pas de côté, lança sa cape sur le sable et serra sa vara des deux mains. Il frappa de toutes ses forces et perça le flanc du taureau d’un coup impeccable, superbement exécuté. Le fer de la vara pénétra entre deux écailles jusqu’à l’articulation de l’échine et du crâne et empala les deux cerveaux de la brute : c’était la manière la plus sophistiquée, la plus difficile d’abattre un taureau salusan.

La bête s’était écroulée. Elle souffla, mugit, puis s’immobilisa, morte, pareille à la carcasse d’un vaisseau spatial qui se serait écrasé dans l’arène.

Le Duc posa alors un pied sur la tête cornue, arracha sa lance, puis la lança au loin. Ensuite, il sortit son épée du fourreau et la fit tournoyer d’un geste triomphant.

Dans les gradins, tous se dressèrent comme un seul homme en criant et en applaudissant. Les fanions claquaient tandis que pleuvaient les fleurs cueillies dans les bouquets. Le nom de Paulus résonnait en litanie sous le soleil.

Transfiguré par cette adoration, le patriarche Atréides souriait en se tournant aux quatre horizons, montrant à chacun son habit mouillé de sueur, souillé de sang. Il était le héros et il n’avait plus à plastronner.

Lorsque les vivats retombèrent, bien plus tard, le Duc leva une fois encore son épée et l’abattit plusieurs fois jusqu’à ce qu’il ait tranché la tête du taureau. Il planta la lame ensanglantée dans le sol et, des deux mains, prit les cornes de la bête et brandit très haut la tête.

C’est alors qu’il lança par-dessus son épaule, d’une voix tonnante :

— Leto, mon fils, viens ici !

Leto hésita brièvement dans l’ombre de l’arcade, puis s’avança fièrement jusqu’à son père, déchaînant de nouveaux cris d’enthousiasme.

Le Vieux Duc se retourna sans lâcher la tête sanglante et montra son fils en proclamant :

— Je vous donne Leto Atréides ! Votre futur Duc !

Les hourras semblaient ne pas devoir cesser. Leto saisit une corne de la bête. Son père et lui se tenaient l’un près de l’autre tandis que le sang tombait en gouttes épaisses dans le sable.

En entendant le peuple répéter son nom, Leto sentit s’éveiller en lui des émotions profondes et il se demanda pour la première fois si c’était le sentiment qu’éprouvait un chef.

La Maison des Atréides
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