La pire des protections est la confiance. La meilleure des défenses est la suspicion.
Hasimir Fenring
Si Thufir Hawat et Rhombur Vernius pouvaient aller et venir à leur gré, Leto était tenu sur l’honneur de demeurer dans sa geôle, en partie par mesure de sécurité. Le Mentat et le Prince d’Ix discutaient souvent avec les membres de l’équipage de la frégate Atréides et tous ceux qui étaient susceptibles d’aider leur cause.
Leto, alors, demeurait seul à son bureau. Hawat lui avait fréquemment répété de ne jamais tourner le dos à une porte, mais il était convaincu d’être parfaitement en sécurité dans la prison impériale.
Même avec les Sardaukar de la garde, il ne se serait pas risqué dans le Palais Impérial alors qu’il était encore accusé. Sous peu, il affronterait ses pairs et proclamerait son innocence.
Penché sur les multiples projections de preuves qu’Hawat lui avait préparées, il ne se retourna que lentement en entendant un bruit derrière le rideau de sécurité. Sans lâcher son stylbarre bourdonnant, il acheva un autre rapport sur la destruction du vaisseau tleilaxu en notant un détail technique qui lui avait échappé jusque-là.
— Thufir ? demanda-t-il. Tu as oublié quelque chose ?
Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.
Et vit un garde du Landsraad en uniforme ample et chamarré. Il y avait une expression bizarre sur les traits épais de l’homme et dans ses yeux noirs. Sa peau semblait laquée et Leto remarqua ses mouvements maladroits, spasmodiques. Si ses mains étaient grisâtres, répugnantes, son visage, par contre…
Leto glissa la main sous le bureau et saisi le manche du couteau qu’Hawat lui avait procuré clandestinement. Il le serra sans changer d’expression.
Ses muscles réagirent instantanément, ainsi que le vieux Mentat le lui avait enseigné. Tendu comme un ressort létal, il ne dit pas un mot, ne provoqua pas l’intrus. Mais il savait qu’il était menacé, que sa vie était en jeu en cet instant.
En un battement de cœur, le visiteur s’extirpa de son vêtement-ballon en libérant les champs statiques – et du même coup, son expression fut gommée. Son masque disparut, de même que ses mains et ses avant-bras. Il ne resta plus qu’une pile de tissus froissés sur le sol.
Troublé par le choc, Leto se jeta de côté en faisant basculer son siège et se blottit sous l’abri fragile du bureau. Il pointa son couteau et calcula ses chances en un éclair.
Le garde se partagea en deux – et deux Tleilaxu apparurent, deux gnomes aux traits tannés, grimpés l’un sur l’autre. Ils se séparèrent dans une pirouette. Ils étaient aussi musculeux l’un que l’autre, vêtus d’un collant noir. Deux assassins qui encerclèrent très vite Leto, avec un regard de jais, brandissant chacun deux armes.
Le premier bondit vers Leto en glapissant :
— Meurs, diable powindah !
Leto décida d’égaliser les chances en tuant l’un de ses assaillants. Pour les empêcher de coordonner leur attaque. Il lança le couteau d’Hawat qui trancha net la jugulaire du premier gnome.
Une fléchette d’argent siffla tout près de l’oreille de Leto qui roula sous le projecteur de solidos qui continuait à faire défiler ses images. Une deuxième fléchette écailla le mur en tintant.
C’est alors que Leto entendit bourdonner un laser et qu’un arc mauve jaillit dans la pièce.
Le deuxième Tleilaxu bascula sur le projecteur et le renversa. Son visage se liquéfiait en grésillant.
Thufir Hawat et le capitaine de la garde du Landsraad se précipitèrent auprès de Leto. Derrière eux, les gardes se penchaient sur les deux Tleilaxu. Une odeur de viande grillée se répandait.
— On dirait qu’ils sont parvenus à tromper notre sécurité, dit le capitaine.
— Moi, je ne parlerais pas de sécurité ! grinça Hawat
. – Hé, celui-là a un couteau planté dans la gorge ! s’exclama l’un des gardes.
Le capitaine aidait Leto à se relever.
— D’où vient ce couteau ? C’est vous qui l’avez lancé, Monsieur ?
Leto regarda Hawat, le laissant répondre.
— Mais capitaine, avec un pareil rideau de sécurité, comment pourrait-on introduire une arme en fraude ?
— Je l’ai prise à l’un des agresseurs, fit Leto, l’air sincère. Et je l’ai tué. Je pense que le Bene Tleilax devrait attendre que le verdict soit prononcé.
— Enfers vermillon ! s’exclama Rhombur. Je ne jurerais pas que ça fasse bon effet pour les Tleilaxu. S’ils sont aussi sûrs de gagner, pourquoi feraient-ils donc justice par eux-mêmes ?
Le capitaine de la garde, rouge de confusion, ordonna à ses hommes d’enlever les corps et de nettoyer les lieux.
— Les assassins ont tiré deux fléchettes, dit Leto en montrant les impacts.
— Faites attention en les manipulant, ajouta Hawat. La pointe est sans doute empoisonnée.
Quand ils se retrouvèrent seuls, le Mentat sortit un pistolet maula qu’il posa dans le tiroir inférieur du bureau.
— Juste au cas où une dague ne serait pas suffisante.