Quels sens nous font défaut pour que nous ne puissions voir ni entendre cet autre monde qui nous entoure ?
Bible Catholique Orange
Certains trouvaient du charme à la Station Forestière, avec son paysage rocailleux, sauvage. Elle était comme un paradis naturel primitif. Mais le Baron Harkonnen détestait se retrouver loin des immeubles clos, du métal, du cristoplass et des angles acérés de l’architecture urbaine. Et l’air vif était d’une froideur rustique et déplaisante pour des narines accoutumées aux fumées industrielles, aux odeurs de machines et de lubrifiants. C’était un air pur, donc brut, hostile.
Mais le Baron connaissait l’importance de leur destination et il se consolait en observant son Mentat qui semblait souffrir bien plus que lui avec sa toge sale et ses cheveux hirsutes. Si l’esprit de Piter de Vries fonctionnait comme une machine, il était maigre, douillet et fragile.
— Baron, c’est tellement primitif, tellement sale et il fait si froid… (Il fixa sur lui son regard cruel.) Êtes-vous certain que nous devions aller aussi loin ? Est-ce qu’il n’existait pas d’autre solution que de nous baguenauder en pleine forêt ?
— Certaines gens paient de bon cœur pour visiter ce genre d’endroit, tu sais. Ils appellent ça des réserves.
— Piter, tais-toi et ne ralentis pas, lança Rabban.
Ils escaladaient une colline abrupte en direction d’une paroi de grès brillante de givre et criblée de creux.
Le Mentat, froissé, rétorqua d’un ton acerbe :
— N’est-ce pas là que le petit gamin vous a donné une leçon, à vous et à votre bande de chasseurs, Rabban ?
Rabban se retourna, le regard lourd.
— Si tu ne tiens pas ta langue, c’est toi qui seras le gibier la prochaine fois !
— Comment, moi ? Le précieux Mentat de votre oncle ? Mais comment pourriez-vous donc me remplacer ?
— Là, il marque un point, fit le Baron en gloussant de rire.
Rabban grinça quelques mots inintelligibles.
Les gardes du Baron et les experts-veneurs avaient passé le secteur au peigne fin afin que les trois hommes puissent s’aventurer dans la réserve sans leur escorte habituelle. Rabban avait tenu à se charger d’abattre les chiens sauvages et autres prédateurs éventuels et il portait un pistolet maula à la hanche et un fusil à dispersion thermique sur l’épaule. Le Baron restait cependant sceptique : après tout, un simple gamin s’était montré plus malin que lui. Mais au moins, avec ces armes, ils échapperaient aux curieux.
Ils soufflèrent un instant sur une saillie avant de reprendre l’ascension. Rabban les précédait, écartant les buissons coriaces. Ils parvinrent enfin à une fissure, un espace obscur entre la roche et le sol.
— Ça se trouve tout en bas, dit Rabban. Suivez-moi.
Le Baron s’agenouilla en braquant une bague-lumière dans le noir.
— Avance, Piter.
— Je ne suis pas spéléologue, protesta le Mentat. Et puis, je suis fatigué.
— Simplement, tu n’es pas en bonne forme physique, fit le Baron en faisant jouer ses muscles. Tu as besoin d’exercice.
— Mais vous ne vous êtes pas attaché mes services pour cela, Baron.
— Je t’ai engagé pour faire tout ce que je veux.
Le Baron se pencha en avant et le faisceau ténu mais puissant de sa bague transperça les ténèbres.
En dépit de ses exercices quotidiens, le Baron souffrait depuis un an de douleurs musculaires et d’une faiblesse croissante. Nul n’avait remarqué – ou osé mentionner – qu’il avait pris du poids malgré son régime inchangé. Et sa peau était devenue plus épaisse, gélatineuse. Il avait discuté de ces problèmes avec des spécialistes et même un docteur Suk, sans regarder à la dépense. Il commençait à penser que la vie était un enchaînement sans fin de problèmes.
— Ça pue ici, geignit de Vries en s’infiltrant dans la crevasse. On croirait de la pisse d’ours.
— Parce que tu sais ce que sent la pisse d’ours ? railla Rabban en poussant le Mentat.
— J’ai senti votre odeur ! Même un animal sauvage ne saurait puer autant que vous, Baron.
Ils étaient à présent tous les trois à l’intérieur et le Baron activa un petit brilleur qui flottait au fond de la petite caverne. L’endroit paraissait inhabité, et les parois rocheuses étaient couvertes de mousse, maculées de poussière.
— Pas mal, comme projection mimétique, non ? fit le Baron. C’est ce que nos gens ont fait de mieux.
Il leva la main, les doigts tendus, et l’image se fit floue.
Rabban découvrit une petite saillie dans la roche et appuya : la paroi du fond se déroba dans un grondement sourd, révélant une issue intérieure.
— C’est un abri très particulier, dit le Baron.
Des lumières jaillirent sur un passage qui semblait plonger vers les profondeurs de la falaise. À la seconde où ils y entrèrent, la projection s’éteignit et de Vries, stupéfait, demanda :
— Baron, vous avez gardé cet endroit secret… même pour moi ?
— C’est Rabban qui l’a découvert à l’occasion d’une de ses parties de chasse. Nous y avons fait… quelques modifications, je dirais, grâce à une nouvelle technologie et des techniques attirantes… Je pense que tu sauras en découvrir toutes les possibilités quand je t’aurai expliqué.
— C’est un abri plutôt sophistiqué, commenta de Vries. On ne se méfie jamais assez des espions.
Le Baron leva les mains vers la voûte et hurla :
— Qu’on envoie le Prince Héritier Shaddam dans les culs-de-basse-fosse ! Non : qu’on le foute dans une grotte perdue sous les flots de lave de l’Enfer !
De Vries resta paralysé et le Baron ricana.
— Piter… ici, sur Giedi Prime, et nulle part ailleurs, vois-tu, je n’ai à me soucier des mouchards. (Ils pénétraient dans la grotte centrale.) Nous pourrions tenir à l’aise ici pendant une éternité en résistant à une attaque d’atomiques de contrebande. Personne ne pourrait nous atteindre. Il y a des armes, et des cuves non entropiques et j’y ai fait stocker l’essentiel pour la Maison Harkonnen : les dossiers génétiques, les documents financiers, les archives de chantage– toutes les affaires les plus répugnantes, les plus excitantes des autres Maisons.
Rabban s’installa devant une table de bois poli et pressa un bouton. Brusquement, les murs devinrent transparents et, dans une lumière jaune, dans une vitrine, ils virent des corps distordus, au nombre de vingt et un, accrochés entre des feuilles de plass.
— L’équipe de construction, dit Rabban. C’est leur… mausolée privé.
— Plutôt pharaonique, commenta le Baron d’un ton léger.
La chair des cadavres était livide et gonflée, leurs visages déformés par des grimaces macabres. Ils semblaient à la fois tristes, résignés, mais aussi terrifiés par la mort qui allait les frapper. Mais ceux qui avaient accepté de construire une chambre secrète pour les Harkonnens avaient dû connaître leur destin dès le premier instant.
— Certes, ils offriront un spectacle déplaisant en pourrissant, admit le Baron, mais à terme, nous aurons de beaux squelettes bien propres et lisses.
Les autres parois de la chambre étaient décorées de fresques : le griffon bleu des Harkonnens côtoyait des images pornographiques choquantes de diverses formes de copulation entre humains et bêtes. Rabban apprécia en gloussant l’horloge mécanique qui rythmait les ébats d’un couple éternel.
De Vries fit le tour des lieux, analysant chaque détail pour en alimenter sa projection de Mentat.
— Cette pièce, reprit le Baron avec un sourire satisfait, est entourée par une projection-bouclier qui rend tout objet invisible sur l’ensemble des longueurs d’ondes. Aucun sondeur ne pourrait la détecter visuellement, acoustiquement, thermiquement ni même au contact. Nous appelons cela un non-champ. Réfléchissez. Nous sommes dans un lieu qui n’existe pas pour le reste de l’univers. L’endroit parfait pour discuter de nos plans tellement… délicieux.
— Je n’ai jamais entendu parler d’un tel champ – pas plus par la Guilde que par Ix, remarqua de Vries. Qui l’a inventé ?
— Tu te souviendras sans doute de… ce chercheur de Richèse qui nous a rendu visite.
— Chobyn ? Oui, c’était bien son nom.
— Il était venu nous entretenir en secret d’une technique de pointe développée par les Richésiens. Elle était selon lui nouvelle et risquée, mais il avait su en entrevoir les possibilités. Il était prêt à la vendre à la Maison Harkonnen pour un prix raisonnable.
— Et il a été généreusement rémunéré, ajouta Rabban.
— Jusqu’au dernier solari. (Le Baron pianotait doucement sur la table.) À l’intérieur de ce non-globe, nul ne peut nous entendre, pas même un Navigateur de la Guilde avec sa maudite prescience. Pour l’heure, Chobyn travaille sur… quelque chose de mieux encore.
Rabban s’assit d’un air impatient.
— Parlons de ce qui nous a amenés ici.
De Vries s’installa à son tour, les yeux brillants, son esprit de Mentat soudain en effervescence devant les implications d’une technologie de l’invisibilité. Et tous les avantages qu’il pourrait en tirer…
Le regard du Baron dévisagea tour à tour son neveu et le Mentat tordu. Quel contraste ! À eux deux, ils représentent les extrêmes du spectre de l’intellect. Et tous deux exigeaient de lui une vigilance permanente, le premier à cause de sa cervelle épaisse et de son tempérament bouillant, et l’autre simplement à cause de ses talents brillants et tout aussi dangereux.
Mais, malgré ses tares évidentes, Rabban était le seul Harkonnen capable de succéder au Baron. Car il était certain qu’Abulurd n’était pas qualifié. À l’exception des deux filles que le Bene Gesserit avait tirées de lui, il n’avait pas d’enfant. Il avait donc le devoir de former son neveu aux us et aux abus du pouvoir s’il tenait à mourir avec la certitude que la Maison Harkonnen continuerait comme par le passé.
Mais ce serait encore mieux si les Atréides étaient anéantis…
Rabban aurait peut-être besoin de deux Mentats pour le guider. À cause de sa nature belliqueuse et grossière, son règne serait sans doute marqué par la brutalité à un niveau que Giedi Prime n’avait jamais connu encore dans la longue histoire d’esclavagisme, de répressions et de toiture des Harkonnens.
— Oui, revenons au travail, fit le Baron avec une expression plus sombre. Et écoutez-moi bien, tous les deux. Piter, je veux que tu utilises à fond tes capacités de Mentat.
De Vries prit sa fiole de jus de sapho, but une longue gorgée et claqua des lèvres avec un bruit que le Baron jugea répugnant.
— Mes espions m’ont rapporté des informations passablement inquiétantes, dit-il. Cela concerne Ix et certains plans que l’Empereur aurait mis sur pied avant sa mort. Ils menacent sérieusement les intérêts de notre famille. Même la CHOM et la Guilde en ignorent tout.
Rabban grommela et de Vries se redressa, avide d’autres données.
— Il semblerait que l’Empereur et les Tleilaxu aient conclu une sorte d’alliance pour des opérations inorthodoxes et hautement illicites.
— Les lochons et les tire-bouchons, fit Rabban.
Pour une fois, cela fit rire le Baron, qui poursuivit :
— J’ai appris que notre cher Empereur défunt était personnellement à l’origine du coup de force d’Ix. Il a obligé la Maison Vernius à se déclarer renégate pour installer les Tleilaxu à sa place à seule fin d’utiliser les installations industrielles sophistiquées de la planète pour commencer leurs recherches.
— Et quel est le sujet de ces recherches ? demanda de Vries.
— Une méthode biologique de synthèse du Mélange. Ils espèrent pouvoir produire artificiellement leur propre épice à bas prix, et couper ainsi Arrakis – c’est-à-dire nous – du réseau de distribution.
— Impossible, fit Rabban. Personne n’y arrivera.
Mais dans l’esprit du Mentat, les relations se mettaient en place.
— Pour ma part, je ne sous-estimerais pas les Tleilaxu – surtout avec l’apport de la technologie et du substrat d’Ix. Ils auront tout à leur disposition.
Rabban se hérissa.
— Mais si l’Empereur arrive à obtenir de l’épice synthétique, que deviendront nos parts ? Et tous les stocks que nous avons entassés depuis des années ?
— Si cette nouvelle épice synthétique est peu coûteuse et efficace, la fortune des Harkonnens va s’évaporer, déclara de Vries d’un ton inflexible. En l’espace d’une nuit, comme ça…
— C’est exact, Piter. (Le Baron cogna du poing sur la table dans un cliquetis de bagues.) Le moissonnage de l’épice sur Arrakis est incroyablement ruineux. Si l’Empereur venait à avoir sa propre source, et à bas prix, le marché s’effondrerait et la Maison de Corrino constituerait un monopole aux mains de l’Empereur.
— Ça ne va pas plaire aux Honnêtes Ober Marchands, susurra Rabban avec une clarté de déduction surprenante.
— Il faut mettre la Guilde Spatiale au courant, suggéra de Vries. Leur révéler ce que l’Empereur méditait afin qu’on puisse exiger de Shaddam qu’il abandonne ces recherches. La CHOM et la Guilde ne tiennent certainement pas à perdre leurs parts d’investissement dans la production d’épice.
— Mais, Piter, si l’Empereur passe d’abord un accord avec elles ? risqua le Baron. La CHOM est en partie contrôlée par la Maison de Corrino. Shaddam va poser ses marques dès le début de son règne. Que se passera-t-il si la CHOM le presse de lui donner accès au Mélange synthétique à prix cassé en échange de sa coopération ? Quant à la Guilde, elle aimerait sans doute une production régulière, fiable et moins chère. L’une comme l’autre pourraient bien abandonner Arrakis devant la difficulté.
— Ce qui nous laisserait tout seuls, grogna Rabban. Et ils nous passeraient tous dessus.
Le Mentat ferma à demi les paupières en reprenant.
— Nous ne pouvons même pas déposer une plainte officielle devant les Maisons du Landsraad. Si l’on venait à savoir qu’il existe un substitut de l’épice, cela déchaînerait une tempête de demandes chez les familles fédérées. Les alliances politiques ont fluctué récemment et la plupart des Maisons se soucieraient peu de la chute de notre monopole. Et encore moins de celle du prix du Mélange. Les seuls à perdre quelque chose dans cette affaire seraient ceux qui ont fait de lourds investissements secrets et stocké illégalement l’épice, ou qui sont parties prenantes dans les opérations de moissonnage d’Arrakis.
— En d’autres termes, il s’agit de nous, encore une fois, et de nos plus proches alliés, conclut le Baron.
— Le Bene Gesserit et votre petite sorcière chérie ne seraient probablement pas opposés à une ressource plus économique.
Rabban ricana et son oncle le foudroya du regard.
— Alors, que pouvons-nous faire ?
— La Maison Harkonnen devra régler seule ce problème. Nous ne pouvons attendre aucune aide extérieure.
— N’oublie pas que nous ne disposons que d’un quasi-fief sur Arrakis. Il nous a été concédé à regret par la CHOM et l’Empereur. Et voilà à présent que nous pendons au bout d’un crochet et qu’ils vont nous laisser pourrir. Il convient de nous montrer extrêmement prudents.
— Nous ne disposons pas d’une force militaire suffisante pour les combattre, dit Rabban.
— Il faudra donc être subtils, fit le Mentat.
— Subtils ? (Le Baron haussa les sourcils.) D’accord, je veux bien essayer des choses nouvelles.
— Nous devons saboter les recherches des Tleilaxu sur Ix, poursuivit de Vries, et de préférence y mettre un terme. Je suggère que la Maison Harkonnen négocie divers actifs, se constitue une réserve de liquidités et tire à fond sur la production d’épice actuelle afin de réaliser un maximum de bénéfice brut, car la ressource pourrait être supprimée à tout moment.
Le Baron observa Rabban.
— Oui, nous allons mettre la pression. Je vais faire en sorte que ton idiot de père fasse grimper le rendement de la chasse à la baleine sur Lankiveil. Nous devons remplir nos coffres. Les batailles qui nous attendent vont sérieusement taxer nos ressources.
Le Mentat lécha une goutte de sapho écarlate sur ses lèvres.
— Il faut agir dans le secret le plus absolu. La CHOM surveille nos activités financières et elle détecterait aussitôt une tactique inhabituelle. Pour le moment, mieux vaut ne pas révéler ce que nous savons des recherches du Bene Tleilax. Nous ne tenons pas à ce que la CHOM et la Guilde unissent leurs forces à celles du nouvel Empereur pour tomber sur la Maison Harkonnen.
— L’Imperium doit rester dépendant de nous ! proféra le Baron.
Rabban avait le front plissé, cherchant comme toujours une solution brutale.
— Mais si les Tleilaxu sont retranchés sur Ix, comment détruire leurs installations sans révéler la nature de leurs travaux ? Dès qu’ils comprendront nos projets, nos ennemis contre-attaqueront.
Le regard de De Vries courut rapidement sur les fresques pornographiques et les hideux cadavres jaunes qui semblaient avoir épié leur conversation.
— Il faut que quelqu’un d’autre se batte pour nous. Sans qu’ils le sachent de préférence.
— Qui ? demanda Rabban.
— C’est pour cette raison que j’ai amené Piter. Nous avons besoin de ses suggestions.
— Première projection, la Maison des Atréides, déclara de Vries.
Rabban, stupéfait, lança :
— Jamais les Atréides ne se battront pour nous !
— Le Vieux Duc est mort et leur Maison est actuellement déstabilisée. Le successeur de Paulus est un jeune chiot impétueux. Il n’a pas d’amis au sein du Landsraad et il a récemment prononcé un discours assez maladroit devant le Conseil. Il est rentré humilié.
Le Baron attendait, intrigué, de savoir où son Mentat voulait en venir.
— Deuxième point : la Maison Vernius, solide alliée, a été chassée d’Ix par les Tleilaxu. Dominic Vernius se cache quelque part, et sa tête est mise à prix. Son épouse Shando, renégate, a été récemment tuée. La Maison des Atréides a offert asile aux deux enfants Vernius. Ils sont tous des victimes des Tleilaxu. (De Vries leva l’index.) Notre jeune et impétueux Leto est l’ami du Prince d’Ix. Il blâme le Bene Tleilax pour l’invasion d’Ix, pour le meurtre de Shando et la ruine des Vernius. Il a déclaré devant le Landsraad : « La Maison des Atréides respecte l’honneur et la loyauté bien plus que les joutes politiques. » Il doit considérer comme de son devoir de rétablir Rhombur Vernius dans ses fonctions sur Ix. Qui mieux que lui pourrait frapper à notre place ?
Le Baron sourit en comprenant peu à peu les implications du plan.
— C’est cela… Déclenchons une guerre entre la Maison des Atréides et les Tleilaxu ! Qu’ils se déchirent. Ainsi, nous en aurons fini avec les Atréides et l’épice synthétique.
Rabban avait visiblement quelque peine à l’admettre. Le Baron vit à son expression concentrée que son neveu cherchait à réfléchir comme eux.
De Vries acquiesça.
— Si nous nous y prenons bien, nous réussirons de telle manière que la Maison Harkonnen restera complètement à l’écart des hostilités. Nous aurons ce que nous convoitons tout en gardant les mains propres.
— Très brillant, Piter ! Je suis content de ne pas t’avoir exécuté chaque fois que tu t’es montré ennuyeux.
— Moi de même.
Le Baron ouvrit une des chambres non entropiques et en sortit un flacon de précieux cognac kirana.
— Portons un toast, fit-il avec un sourire matois. Parce que je viens de saisir quand et comment tout va se passer. (Ses deux comparses étaient encore plus attentifs, soudain.) Notre nouveau Duc est accaparé par la gestion complexe de ses biens. Naturellement, il sera présent au couronnement de Shaddam IV. Une Grande Maison ne saurait prendre le risque d’offenser le nouvel Empereur Padishah en boudant ce premier jour de prestige.
De Vries comprit aussitôt.
— Oui. Quand le Duc se rendra sur Kaitain pour la cérémonie… nous aurons une chance de frapper.
— Sur Kaitain ? s’inquiéta Rabban.
— Je pense que le Baron va nous suggérer quelque chose de plus intéressant, susurra le Mentat.
Le Baron savoura sa première gorgée d’alcool.
— Ah, quelle délicieuse revanche… Et Leto ne devinera rien, il ne saura pas d’où est venu le coup.
Rabban avait une lueur d’excitation dans le regard et il gloussa.
— On va le taquiner, mon Oncle ? Il va se tortiller ?
Le Baron tendit les verres de cristal. Rabban vida le sien d’une seule lampée tandis que de Vries observait l’alcool ambré comme s’il en étudiait la structure chimique.
— Oui, Rabban, dit le Baron, ça, il va se tortiller. Jusqu’à ce qu’une grosse botte impériale l’écrabouille.