De nombreuses inventions ont amélioré sélectivement les capacités et les talents en augmentant tel ou tel aspect. Mais aucune n’est jamais parvenue à accroître la complexité ou l’adaptabilité de l’esprit humain.
Ikban, Traité sur l’Esprit, volume II

Haletant, Leto se tenait à côté de Zhaz, le Capitaine de la garde, sur un côté de la cour d’exercice du Grand Palais d’Ix, dallée de simili-pierre. L’instructeur de combat était un homme au visage anguleux, aux cheveux bruns raides, avec des sourcils touffus et une barbe taillée au carré. Comme ses élèves, Zhaz était torse nu au-dessus de son short beige. La ventilation de la salle ne parvenait pas à chasser le relent de sueur et de métal chauffé. Comme tous les matins, il se contentait de surveiller les exercices : les machines de combat faisaient le travail pour lui.

Leto appréciait ces exercices physiques après les premières heures d’études. Il s’était désormais accoutumé à son éducation ixienne, passant de la haute technologie à la formation psychique entre deux visites d’usine et des cours de philosophie commerciale. L’enthousiasme de Rhombur le soutenait, même s’il devait souvent expliquer certains concepts difficiles au Prince ixien. Non pas que Rhombur eût l’esprit lent, mais il avait tendance à considérer les disciplines pratiques avec une certaine distance.

Un matin sur trois, ils devaient s’entraîner au combat rapproché avec les machines. Leto appréciait cette montée d’adrénaline, à la différence de Rhombur et même de leur instructeur qui semblaient considérer qu’il s’agissait là d’un enseignement dépassé qui avait été ajouté aux cours uniquement à cause du flamboyant passé guerrier du Comte Dominic.

Sous les yeux de l’instructeur et de Leto, le Prince Rhombur attaquait une machine avec une lance dorée. Zhaz considérait que si lui et ses gardes faisaient bien leur travail, aucun membre de la Maison Vernius n’aurait jamais recours à ces techniques barbares de combat.

Au repos, la machine de combat, la makung, avait la taille d’un homme et la forme d’un ovoïde grisâtre sans bras ni jambes. Dès que le combat était entamé, elle développait des protrusions et changeait de forme suivant le feed-back de son scanner avec comme unique programme la victoire sur l’adversaire. Une makung pouvait se battre avec des poings d’acier, des couteaux, des fouets de flexium et autres armes déconcertantes. Son visage de robot pouvait aussi prendre diverses expressions, tantôt mornes, tantôt féroces avec des yeux rouges ou un sourire de mauvais augure. La makung était une machine autodidacte qui interprétait et réagissait à chaque passe.

— Rappelle-toi : pas de répétition tactique ! cria Zhaz à l’adresse de Rhombur. Ne la laisse pas te deviner !

Rhombur esquiva deux fléchettes mais se laissa surprendre par un couteau traître qui laissa une estafilade sur son épaule. Il feinta et contre-attaqua sous le regard admiratif de son ami.

Souvent, Rhombur avait demandé des conseils et des commentaires à Leto sur son style, et il lui avait répondu en toute honnêteté : il n’était pas un instructeur lui-même – et ne tenait pas à trop révéler les techniques de combat des Atréides. Rhombur pourrait toujours les apprendre avec Thufir Hawat, le Maître d’armes de son père.

Le jeune Prince d’Ix se fendit et perça la défense de la makung noire qui bascula, « morte ».

— Bien, Rhombur ! lança Leto.

Zhaz approuva.

— Oui, bien mieux.

Leto avait affronté la makung par deux fois le jour même, sur des modes de combat plus difficiles que ceux de Rhombur. Zhaz lui avait demandé d’où il tenait ce talent et Leto était resté discret, ne souhaitant pas se mettre en avant. Mais il savait maintenant que les techniques d’escrime des Atréides étaient supérieures à celles des Vernius, même face à la semi-intelligence impressionnante des machines makungs. On lui avait appris à se servir des épées, des dagues, des lancettes, des boucliers personnels et des paralyseurs à charge lente : Thufir Hawat était un instructeur autrement plus imprévisible et dangereux que tous les automates.

À l’instant où il saisissait son arme et se préparait au premier round, les portes s’ouvrirent et Kailea fit son entrée, scintillante de gemmes dans une combinaison de métal soyeuse, souple et somptueuse. Elle brandit un stylus et un bloc enregistreur riduliens et feignit la surprise en découvrant son frère et Leto.

— Oh, excusez-moi ! Je venais étudier le dessin de cette makung.

Kailea poursuivait des études intellectuelles et culturelles pour la carrière qu’elle envisageait dans le commerce et les arts. Leto avait quelque difficulté à la quitter des yeux. Parfois, elle semblait presque l’aguicher, mais la plupart du temps elle l’ignorait avec une telle ostentation qu’il la soupçonnait d’être attirée par lui autant qu’il était fasciné par elle.

Bien des fois, dans la salle à manger, dans la bibliothèque ou sur les balcons du Grand Palais, ils s’étaient croisés et n’avaient échangé que des phrases maladroites. Même si les grands yeux verts de Kailea étaient comme un aimant, Leto n’avait jamais surpris la moindre invite de sa part.

Ce n’est qu’une jouvencelle qui joue à la Dame, se dit-il.

Mais son imagination n’en était pas convaincue. Kailea semblait persuadée qu’elle était destinée à un avenir grandiose, loin de la mégapole souterraine d’Ix. Son père était un héros de la guerre et régissait l’une des plus fortunées d’entre les Grandes Maisons. Et puis, la beauté de sa mère lui avait valu d’être la concubine de l’Empereur. Quant à elle, elle semblait douée pour les affaires. Toutes les possibilités lui étaient offertes.

Elle observait la machine de combat immobile.

— J’ai convaincu Père d’envisager la commercialisation de nos makungs néo-phasées. (Elle lança un regard furtif vers Leto, appréciant son profil noble et l’arête régalienne de son nez.) Nos machines de combat sont meilleures que toutes les autres – adaptables, versatiles et autodidactes. Elles constituent le meilleur adversaire d’un humain qui ait été conçu depuis le Jihad.

Leto eut un frisson intérieur en se souvenant de ce que sa mère lui avait dit à propos d’Ix. Il la voyait déjà pointant un doigt accusateur avec un sourire satisfait.

Il se tourna vers la machine inerte et demanda :

— Vous voulez dire que cette chose possède un cerveau ?

— Par tous les saints et les pécheurs ! s’exclama le Capitaine Zhaz, saisi, ce serait en violation des restrictions qui ont suivi la Grande Révolte : « Tu ne feras point de machine à l’esprit de l’homme semblable » !

— Nous… nous sommes très… prudents à ce propos, balbutia Rhombur tout en essuyant la sueur de son front avec une serviette mauve. Il n’y a pas d’inquiétude à avoir.

Leto insista.

— Eh bien, si une makung peut sonder les gens, si elle lit en eux, comment traite-t-elle l’information ? Si ce n’est pas un ordinateur, comment fait-elle ? Ce n’est pas une simple machine réactionnelle. Elle apprend et adapte ses attaques.

Kailea jeta des notes sur son bloc à cristaux et rajusta l’un des peignes qui maintenaient ses cheveux sombres.

— Leto, il existe encore des créneaux mal définis, et si nous nous y prenons habilement, la Maison Vernius devrait faire des bénéfices fantastiques. (Elle effleura ses lèvres du bout de l’index.) Néanmoins, il vaudrait mieux avoir un premier échantillon en proposant d’abord quelques modèles sans marque sur le marché noir.

— Ne vous inquiétez pas, Leto, fit Rhombur, essayant de changer de sujet. Notre Maison dispose d’équipes de Mentats et de conseillers juridiques qui vérifient à la lettre le respect des lois.

Il quêta le regard de sa sœur, qui acquiesça d’un air absent.

Leto avait tout appris sur les conflits interplanétaires, les brevets, les détails techniques mineurs, les échappatoires subtiles. Se pouvait-il que les Ixiens aient trouvé un moyen différent d’utiliser des unités mécaniques pour traiter les données, un moyen qui ne ferait pas réapparaître le spectre des machines pensantes, comme celles qui avaient réduit l’humanité en esclavage durant tant de siècles ? Il ne voyait pas comment la Maison Vernius pouvait avoir créé un appareil de combat réactionnel et capable d’apprentissage comme les makungs sans avoir transgressé aucun interdit du Jihad.

Si sa mère venait à l’apprendre, elle l’arracherait à ce monde envers et contre l’avis du Duc.

— Voyons la qualité du produit, fit-il en se détournant.

Il sentit le regard pesant de Kailea tandis que Zhaz s’écartait d’un air désinvolte.

Leto balança sa lance entre ses mains avant de donner l’assaut en clamant : « Sept deux quatre ! » C’était huit degrés au-dessus de l’exercice précédent.

La makung resta inerte.

— Trop haut ! intervint Zhaz. J’ai bridé les niveaux trop dangereux.

Leto fronça les sourcils. Ainsi leur instructeur refusait de risquer la vie de ses élèves, ou même de les voir blessés. Thufir Hawat aurait bien ri.

— Essayez-vous d’impressionner cette jeune dame, Maître Atréides ? Vous pourriez bien vous faire tuer.

Il se tourna vers Kailea. Elle l’observait avec une expression à la fois troublée et taquine. Puis elle griffonna quelques signes sur son bloc. Leto était rouge de confusion. Zhaz lui lança une serviette.

— L’exercice est fini. Ce genre de distraction n’est pas bon pour votre éducation et vous courez des risques. (Il se tourna vers la princesse.) Dame Kailea, je vous demanderai d’éviter ce genre de visite lorsque Leto Atréides s’entraîne avec nos makungs. À cause des perturbations hormonales. Votre présence ici est plus redoutable que celle de n’importe quel ennemi, je dois dire.

La Maison des Atréides
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