La loi écrite de l’Imperium ne peut être modifiée, quelle que soit la Grande Maison qui détient le dominion ou quel que soit l’Empereur assis sur le Trône du Lion d’Or. Les documents de la Constitution Impériale ont été établis pour des milliers d’années. Ce qui ne veut pas dire que chaque régime soit légalement identique : les variations résultent de subtilités d’interprétation et de vides juridiques parfois assez vastes pour laisser passer un Long-courrier.
La Loi de l’Imperium : Commentaires et Réfutations

Leto, allongé sur sa couchette, s’était abandonné au massage mécanique, aux mains invisibles qui soulageaient sa nuque et son dos. Il était encore dans le doute sur ce qu’il ferait.

Jusque-là, il n’avait reçu aucune réponse du Prince Shaddam et il avait l’amère certitude que son bluff avait échoué. Il avait pris un risque certain en se reposant sur le message secret qu’il avait reçu et dont il ne comprenait même pas le sens véritable. Depuis des heures, il discutait de leurs chances avec Thufir Hawat. Ils devaient se fier à leur seule intelligence.

Dans ces heures d’attente et d’ennui, il disposait d’une garde-robe complète, de livres-films, il avait de quoi écrire et des Messagers étaient en permanence à sa disposition. Chacun connaissait l’importance de ce procès et, sur Kaitain, tous ne voulaient pas qu’il gagne.

Techniquement, la procédure légale exigeait qu’il n’ait plus de possessions personnelles, mais il appréciait celles qu’il avait encore, le sentiment de stabilité qu’elles lui apportaient, comme s’il était encore dans son « existence précédente ». Depuis le mystérieux attentat du Long-courrier, le chaos avait envahi son esprit.

Tout ou rien : son avenir, le destin des Atréides, le fief de Caladan dépendaient du Jugement par Forfaiture. S’il échouait, la Grande Maison serait dans une situation pire que celle des Vernius. Elle n’aurait plus d’existence du tout.

Au moins, songea-t-il, amer, je n’aurai pas à me soucier de négocier un mariage pour garder les faveurs du Landsraad. Il soupira en pensant à Kailea, à ses cheveux cuivrés, à ses rêves d’avenir qui jamais ne se réaliseraient. S’il perdait son titre et ses possessions, il choisirait de l’épouser sans plus se préoccuper de politique ou de dynasties… Mais l’accepterait-elle encore s’il n’était plus Duc ?

Je me débrouille toujours pour savoir où est mon avantage, lui avait dit Rhombur, et il aurait tant voulu partager l’optimisme de son ami en ce moment.

Thufir Hawat était resté devant le bureau, plongé dans la lecture des holo-pages du procès, les preuves et les charges retenues contre Leto, les analyses des légistes du Landsraad, les rapports des avocats des Atréides. Auxquels s’ajoutaient ses projections de Mentat.

L’affaire reposait entièrement sur des constats de circonstance, mais elle était astreignante à cause de la déclaration irritée que Leto avait faite devant le Conseil. Oralement, cela équivalait à une déclaration de guerre au Bene Tleilax.

— Tout me désigne comme le coupable parfait, non ? fit Leto en se redressant, interrompant net le massage automatique.

Hawat acquiesça.

— Et trop bien, je dirais, Mon Seigneur. Les preuves s’accumulent. Les lanceurs de projectiles multiphases de nos capsules de combat ont été vérifiés au cours de l’enquête et il serait prouvé qu’ils ont tiré. Fâcheuse conclusion qui ne fait que s’ajouter aux autres.

— Thufir, toi et moi nous savons que ces projectiles ont été tirés. Nous l’avons déclaré depuis le début. Rhombur et moi avons participé à des tirs d’exercice avant que le Long-courrier prenne le large. Il n’y a pas un membre de notre équipage qui ne puisse l’attester.

— Il est à craindre que les magistrats ne nous croient pas. Nos explications ressemblent trop à un alibi fabriqué. Ils doivent considérer que nous avons fait ces exercices de tir parce que nous savions qu’il allait y avoir enquête après notre attentat contre les Tleilaxu. Une astuce assez primaire, non ?

— Tu as toujours excellé dans les détails compliqués, fit Leto avec un sourire indulgent. C’est le résultat de ta formation de protection. À tous les niveaux tu projettes, tu calcules.

— Mais, Mon Duc, c’est très exactement ce qu’il faut faire en ce moment.

— Thufir, n’oublie pas que la vérité est de notre côté, et que c’est une puissante alliée. Nous garderons la tête haute devant nos pairs et leur dirons très précisément ce qui s’est passé, ainsi qu’une bonne part de ce qui ne s’est pas passé. Ils devront nous croire, sinon des siècles d’honneur et d’honnêteté ne signifieront plus rien pour les Atréides.

— J’aimerais partager votre conviction… votre optimisme, répliqua Hawat avec une expression douce-amère. Vous me semblez si paisible et décidé. Votre père a su vous éduquer, nul doute. Il serait fier de vous. (Il éteignit le projeteur et les pages s’évanouirent dans l’air lourd.) Jusqu’à présent, nous n’avons que peu de magistrats et de jurés du Landsraad favorables à notre cause suite aux allégeances passées.

Leto sourit tout en remarquant le malaise d’Hawat. Il revêtit une robe bleue avec un frisson et augmenta la température de la pièce.

— Nous aurons plus de partisans après qu’ils m’auront entendu et auront vu nos preuves.

Le Mentat le regarda comme l’enfant qu’il avait été.

— Nous avons un avantage : la majorité de nos alliés voteront pour votre acquittement parce qu’ils méprisent les Tleilaxu. Quoi qu’ils puissent penser de vos agissements, vous êtes de sang noble, vous appartenez à une famille respectée du Landsraad. Vous êtes du même rang et ils n’entendent certainement pas vous destituer au profit du Bene Tleilax. Plusieurs maisons nous soutiennent par respect pour votre père. Au moins, il ne se trouvera aucun magistrat pour se laisser impressionner par l’insolence de votre déposition devant le Conseil il y a quelques mois.

— Mais ils pensent encore tous que je suis coupable d’une chose aussi affreuse ? proféra Leto.

— Pour eux, vous êtes un inconnu, à peine plus qu’un enfant réputé pour être impulsif, téméraire. Dans l’immédiat, nous devons plus nous inquiéter du verdict que des motifs. Si vous gagnez votre cause, il vous faudra des années pour rétablir votre réputation.

— Et si je perds, cela n’aura aucune importance.

Hawat acquiesça avec solennité, droit comme un monolithe.

— Il n’existe pas de règle établie pour un Jugement par Forfaiture. Il consiste en un forum libre sans règles de procédure ni de charges, un réceptacle juridique sans contenu. Nous ne sommes pas tenus à la divulgation de nos preuves – mais ni plus ni moins que les autres. Nous ignorons les mensonges que peuvent proférer nos adversaires, encore moins les pièces à conviction qu’ils ont pu fabriquer. Nous ne connaîtrons pas à l’avance les preuves supposées que les Tleilaxu pourraient détenir, ni les déclarations de leurs témoins. Bien des choses abominables vont être dites à propos de la Maison des Atréides. Vous devez vous y préparer.

Dérangé par un bruit soudain, Leto vit un garde s’écarter du rideau de sécurité ronronnant pour laisser entrer Rhombur, qui venait lui rendre visite, comme chaque matin. Le Prince portait une simple chemise blanche, avec l’hélice de Vernius brodée sur le col. Il avait encore le visage rouge après ses exercices.

Leto eut une brève pensée pour la similitude de leur sort : ils appartenaient à deux Maisons menacées.

— Comment se sont passés les exercices ? demanda Leto en s’efforçant de prendre un ton léger.

— J’ai cassé la machine, fit Rhombur avec un sourire espiègle. Elle avait certainement été fabriquée par l’une de ces Maisons Mineures sans garantie. Nous sommes loin de la qualité ixienne.

Leto rit en réponse tandis qu’ils se croisaient les doigts dans la tradition de l’Imperium.

Rhombur passa la main dans ses cheveux ébouriffés.

— Je profite des exercices pour réfléchir, surtout quand ils sont difficiles. Ça me permet de me concentrer sur n’importe quel sujet. Oh, à propos, ma sœur nous souhaite bon courage : je viens d’avoir un message de Caladan. Je me suis dit que ça vous ferait plaisir.

Il avait repris son air grave qui révélait les épreuves qu’il avait subies, la maturité qu’il avait acquise brutalement à seize ans. Leto savait qu’il s’inquiétait de son sort et de celui de Kailea si jamais la Maison des Atréides perdait le procès… Deux familles nobles périraient en même temps. Rhombur et Kailea avaient peut-être envisagé de partir en quête de leur père disparu…

— Thufir et moi, nous discutions du fond de notre cause, dit-il. Ou plutôt, ainsi qu’il le dit, de notre manque de fond.

— Mon Seigneur, je ne dirais pas cela, protesta Hawat.

— En ce cas, j’apporte de bonnes nouvelles, annonça Rhombur. Le Bene Gesserit souhaite produire des Diseuses de Vérité lors du procès. Ces Révérendes Mères sont capables de déceler le mensonge chez n’importe qui.

— Excellent, dit Leto. Elles régleront tout le problème en un instant. Dès que je prendrai la parole, elles pourront attester que je dis la vérité. C’est aussi simple que cela ?

— Normalement, le témoignage d’une Diseuse de Vérité n’est pas recevable, fit Hawat. Une exception pourrait être concédée dans le cas présent, mais j’en doute. Les sorcières ont leurs propres intérêts et les légistes estiment qu’elles peuvent donc être achetées.

Leto cligna des yeux, surpris.

— Achetées ? Alors ils ne doivent pas connaître beaucoup de Révérendes Mères. (Il réfléchit aux diverses possibilités offertes.) Mais auraient-elles des intérêts secrets ? Pourquoi le Bene Gesserit ferait-il une telle proposition ? Que gagneraient les Sœurs en aidant à prouver mon innocence – ou ma culpabilité ?

— Soyez méfiant, Mon Duc, dit Hawat.

— Pourtant, cela mérite d’être essayé, dit Rhombur. Même s’il n’est pas probant juridiquement, le témoignage d’une Diseuse de Vérité donnerait du poids à la version de Leto. Tout le monde pourrait se soumettre aux Diseuses de Vérité : vous, Leto, ainsi que tous les vôtres, Thufir, l’équipage de la frégate et même vos domestiques. Et nous savons que leur récit est sincère. Votre innocence sera prouvée sans l’ombre d’un doute. (Il sourit.) Et nous retournerons sur Caladan comme ça, en un éclair.

Hawat restait sceptique.

— Mais qui précisément vous a contacté, jeune Prince ? Qui, dans le Bene Gesserit, a pu vous faire une proposition aussi généreuse ? Et que vous demande-t-on en retour ?

— Elle… euh… elle n’a rien demandé, fit Rhombur, décompte nuancé.

— Rien encore, mais ces sorcières pensent à long terme, jeune Prince.

— Elle s’appelle Margot. Elle appartient à l’entourage de Dame Anirul, elle l’accompagne pour le mariage, je suppose.

Leto retint son souffle : il lui était venu une idée subite.

— C’est une Bene Gesserit qui va épouser l’Empereur. Alors Shaddam pourrait-il être l’auteur de cette offre ? Il répondrait ainsi à notre message ?

— Les Sœurs ne travaillent pour personne, remarqua Hawat. Elles sont notoirement indépendantes. Elles n’offrent leurs services que lorsqu’elles le veulent et généralement dans leur intérêt.

— Je n’ai cessé de me demander pourquoi elle était venue me voir, admit Rhombur. Mais réfléchissez : son offre ne nous bénéficiera que si Leto est réellement innocent.

— Mais je le suis !

Hawat eut un sourire admiratif à l’adresse de Rhombur.

— Bien sûr. Mais nous avons maintenant la preuve que le Bene Gesserit sait que Leto dit la vérité, également. Sinon les Sœurs n’auraient pas fait cette proposition.

Le Mentat se demandait pourtant si elles savaient vraiment et ce qu’elles comptaient gagner.

— Ou alors, elles me mettent à l’épreuve, suggéra Leto. Si j’accepte leurs Diseuses de Vérité, c’est que je ne mens pas. Si je les repousse, par contre, c’est que j’ai quelque chose à cacher.

Hawat se tourna vers une fenêtre.

— Ne perdez pas de vue que ce jugement n’est qu’une simple apparence. Il existe des préjugés à l’égard du Bene Gesserit et de ses manœuvres secrètes de sorcellerie. Les Diseuses de Vérité pourraient trahir leur serment et mentir pour un motif plus vaste. Magie, sorcellerie… Peut-être convient-il de ne pas nous précipiter pour accepter leur aide.

— Tu penses à un piège ? demanda Leto.

— Je soupçonne souvent la tromperie. C’est dans ma nature. (Hawat passa au langage gestuel atréides et acheva à l’intention de Leto :) Ces sorcières pourraient bien être à la solde de l’Empereur, après tout. Quelles alliances nous cache-t-on ?

La Maison des Atréides
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