Il existe dans l’Imperium un « principe de l’individu », noble mais rarement utilisé, qui stipule que toute personne qui viole une loi écrite en situation de péril ou de besoin extrême peut requérir une session spéciale de la cour de juridiction afin d’expliquer et de défendre la nécessité des actes par elle commis. Un grand nombre de procédures juridiques dérivent de ce principe, parmi lesquelles le Jury du Nid d’Écureuil, le Tribunal Aveugle et le Jugement par Forfaiture.
La Loi de l’Imperium, Commentaires
Les pertes avaient été désastreuses, mais il restait encore des refuges secrets sur Ix. Des siècles auparavant, pendant la période paranoïde qui avait suivi la prise de pouvoir de la Maison Vernius sur le monde des machines, des ingénieurs avaient aménagé une ruche clandestine protégée par des boucliers, avec des postes de transmission, des chambres d’algues et des tanières abritées des regards étrangers avec tout le génie ixien. Il faudrait des siècles pour qu’un ennemi quelconque débusque ceux qui s’y cachaient et, à vrai dire, la Maison Vernius elle-même en avait oublié la moitié.
Le Capitaine Zhaz et ses gardes avaient conduit Leto et Rhombur jusqu’à un refuge tapissé d’algues auquel on accédait par un puits foré dans la croûte planétaire. Les sondes ennemies ne détecteraient que le signal vital des algues car la chambre était isolée par de massives parois absorbantes.
— Nous ne demeurerons ici que quelques jours, annonça Rhombur en essayant de retrouver son optimisme habituel. Ensuite, les Sardaukar et les forces du Landsraad viendront à notre secours et la Maison Vernius pourra reconstruire Ix. Nous nous en sortirons.
Les yeux plissés, Leto gardait le silence. Si ses soupçons étaient fondés, ils devraient attendre bien plus longtemps.
— Maître Rhombur, dit Zhaz, cette chambre n’est qu’un point de rendez-vous. Nous devons attendre le Comte pour qu’il nous donne ses instructions.
— Oui, mon père saura ce qu’il convient de faire. Il a déjà affronté des situations militaires difficiles. (Il sourit en regardant Leto.) Et quelquefois même avec votre père.
Leto lui tapota chaleureusement l’épaule : le Prince était devenu son ami. Mais il n’était pas certain que Dominic Vernius se fût jamais trouvé dans une situation défensive aussi précaire. Il croyait se souvenir que le brillant passé militaire du Comte avait surtout consisté à commander des charges formidables contre des groupes de rebelles éparpillés.
Leto n’avait pas oublié l’enseignement de son père : Dans toute circonstance difficile, tu dois connaître ton environnement, et il inspecta longuement leur refuge, cherchant les issues possibles, les points vulnérables. La chambre d’algues avait été taillée dans la roche cristalline avec une enveloppe végétale extérieure dense qui imprégnait l’air d’un parfum aigre, organique. Il y avait quatre appartements, une cuisine équipée avec une cambuse pleine, plus un véhicule de secours capable de voler sur orbite basse.
Au centre, des bacs non entropiques silencieux gardaient les aliments et les boissons au frais. Dans les coffres, il y avait des vêtements de rechange, des armes, des bobines solido et des jeux. L’ennui était le principal ennemi de ceux qui devaient attendre ici l’occasion de s’enfuir. Mais les Ixiens avaient pensé à tout.
Selon les chronoscopes, c’était déjà le début de la soirée. Zhaz mit en place ses gardes dans les couloirs extérieurs et à proximité de l’écoutille camouflée. Rhombur ne cessait de l’assaillir de questions mais le Capitaine ignorait la plupart des réponses. Que se passait-il à l’extérieur ? Les loyalistes Ixiens allaient-ils venir à leur secours ou bien tomberaient-ils aux mains des Tleilaxu qui les jetteraient en prison pour l’éternité… ou pire ? Est-ce qu’il allait apprendre la mort de ses parents ? Pourquoi personne n’était venu les rejoindre ? Y avait-il encore une résistance à Vernii ? Est-ce que la cité était complètement détruite.
Une alarme l’interrompit : quelqu’un tentait de pénétrer dans le refuge.
Le Capitaine Zhaz leva un moniteur et, sur l’écran, Leto vit trois visages familiers penchés sur l’œil du communicateur : Dominic Vernius et sa fille Kailea, échevelée, la robe déchirée. Ils soutenaient Dame Shando, à peine consciente, enveloppée de bandages.
La voix de Dominic était ténue et crépitante.
— Requiers permission d’entrer. Ouvrez, Zhaz ! Rhombur ! Shando a besoin de soins urgents.
Rhombur voulut se précipiter vers les contrôles, mais Zhaz l’arrêta d’un geste ferme.
— Par tous les saints et les pécheurs, jeune maître, vous oubliez les Danseurs-Visages ?
Leto comprit soudain : les change-forme tleilaxu pouvaient acquérir un aspect familier et pénétrer dans les zones de sécurité si l’on ne se méfiait pas. Leto retint son ami tandis que Zhaz procédait à une contre-vérification biométrique. Le scanner annonça enfin : Identité confirmée : Comte Dominic Vernius.
— Permission accordée ! lança Rhombur. Entrez… Mère, que s’est-il passé ?
Kailea était sous le choc. Tous ses plans d’avenir étaient tombés dans les entrailles de la planète en même temps que les grandes stalactites de lumière et de cristal et elle ne pouvait y croire.
Leto les dévisageait : ils avaient apporté avec eux un relent de fumée, de sueur, de peur.
— Ta sœur a voulu sermonner les suboïdes et les renvoyer au travail, fit Shando avec une trace d’humour. Ça n’était pas très avisé de sa part.
— Mais certains étaient sur le point d’obéir…, protesta Kailea.
Sur ses joues balafrées de suie, la colère posait maintenant un peu de rose.
— Jusqu’à l’instant où l’un d’eux a tiré avec son pistolet maula. (Shando effleura son bras et ses côtes avec une grimace de douleur.). Encore une chance qu’il n’ait pas bien visé.
Dominic ouvrit une trousse médicale et s’occupa d’elle.
— Ce n’est pas très grave, mon amour. Je pourrai bientôt poser un baiser sur tes petites cicatrices. Mais tu n’aurais pas dû prendre un tel risque.
Leto comprit en cet instant ce qui avait pu amener une jeune concubine à quitter un empereur, et un héros de la guerre à risquer le courroux d’Elrood en l’épousant.
Les soldats avaient repris leurs postes dans le couloir et l’écoutille avait été à nouveau sécurisée. Sur le moniteur extérieur, Leto vit des troupes de choc en train de monter des batteries laser, des systèmes de défense sonique et des capteurs autour du puits d’accès.
Rhombur, entre les bras de ses parents, répétait : « Tout va aller bien maintenant. Très bien… »
En dépit de ses blessures, Dame Shando avait une attitude fière et courageuse, même si les larmes avaient laissé des traces sur son joli visage. Kailea jeta un bref regard à Leto avant de baisser ses yeux d’émeraude. Elle n’était plus du tout distante, seulement fragile, bouleversée. Il aurait tant voulu la consoler, mais ils étaient encore en danger, le réel avait basculé, et il n’osait pas.
— Mes enfants, nous n’avons guère de temps, dit Dominic. Et nous avons des mesures extrêmes à prendre.
Il avait des taches de sang sur son crâne lisse. Ennemi ou ami ? s’interrogea Leto. L’insigne des Vernius avait été à demi arraché de son col.
— Ce n’est donc pas le moment de nous appeler enfants, protesta Kailea avec une véhémence surprenante. Nous nous battons avec vous.
Rhombur lui aussi se redressa en une attitude qui seyait à un Prince Héritier.
— Nous sommes prêts à reconquérir Ix. Vernii est notre capitale et nous allons la reprendre.
— Non, vous trois, vous allez rester ici. (Dominic leva une main impérative devant l’expression de Rhombur.) Mesure prioritaire : mettre les héritiers à l’abri. Et je ne veux entendre aucune protestation. Chaque parole de trop est un instant perdu loin de mon peuple, et il a désespérément besoin de son chef.
— Vous êtes encore trop jeunes pour vous battre, ajouta Shando, l’air décidé. Vous êtes l’avenir de nos Maisons, l’un et l’autre.
Dominic s’avança et regarda Leto droit dans les yeux. Pour la première fois, il semblait considérer l’héritier des Atréides comme un homme.
— Leto, votre père ne me pardonnerait jamais s’il arrivait quoi que ce soit à son fils. Nous lui avons déjà envoyé un message pour le mettre au courant de notre situation. Dans sa réponse, il nous a promis une assistance limitée et il envoie une mission de secours qui vous prendra en charge tous les trois, avec Rhombur et Kailea, et vous conduira sur Caladan. Vous serez sous sa protection. C’est tout ce qu’il peut faire pour l’heure.
— C’est ridicule, fit Leto. Vous aussi vous devriez vous réfugier sur Caladan, Mon Seigneur. Mon père ne vous refusera jamais l’asile.
Dominic eut un pâle sourire.
— Je ne doute pas que Paulus agisse exactement ainsi – mais je ne peux pas, car ce serait condamner mes enfants.
Rhombur et sa sœur échangèrent un regard inquiet, mais Shando appuya les paroles de son époux.
— Rhombur, si toi et Kailea êtes exilés sur Caladan, vous serez en sécurité, personne ne se souciera de vous. Je soupçonne que cette révolte sanglante a été montée avec le soutien de l’Empereur, et toutes les pièces du puzzle sont en place.
Rhombur et sa sœur, atterrés, se tournèrent vers Leto.
— Le soutien de l’Empereur ?
— J’ignore pourquoi l’Empereur veut s’emparer de notre planète, dit Dominic, mais il a de la rancune envers moi et votre mère. Si je me réfugiais auprès de la Maison des Atréides, les chasseurs nous suivraient. Ils trouveraient un prétexte pour attaquer Caladan. Non, votre mère et moi devons trouver un moyen de vous écarter de ce conflit.
— Nous pourrions encore tenir ici, Père ! fit Rhombur, indigné. Je ne veux pas vous laisser.
— Nous avons déjà conclu l’accord, fils. Seuls les Atréides nous ont tendu la main – les Sardaukar ne viendront pas en renfort, aucune armée du Landsraad ne s’opposera aux Tleilaxu. Les suboïdes sont leurs pions. Nous avons lancé des appels à toutes les Maisons Majeures mais aucune ne réagira assez vite. Nous avons été manœuvrés…
— Mais vous, qu’allez-vous devenir ? demanda Leto en voyant que Rhombur et Kailea n’avaient pas le courage de poser la question.
— La Maison Vernius va devenir… renégate, dit Shando.
Le silence ne dura que le temps d’un battement de cœur.
— Par tous les enfers vermillon ! souffla Rhombur tandis que Kailea étouffait un cri.
Shando les embrassa.
— Nous allons emporter ce que nous pourrons sauver, puis Dominic et moi gagnerons des repaires séparés. Pour des années peut-être. Quelques serviteurs loyaux vont nous accompagner, certains fuiront, d’autres resteront ici, pour le meilleur ou le pire. Nous allons vivre une vie nouvelle en attendant que la fortune revienne.
Dominic donna à Leto une poignée de main maladroite qui rappelait plus les usages de la Vieille Terre que ceux de l’Imperium – mais l’Empereur et les Maisons Majeures avaient abandonné la Maison Vernius et, en tant que renégats, le Comte et son épouse ne faisaient plus partie de l’Imperium.
Kailea pleurait doucement dans les bras de sa mère tandis que Dominic serrait son fils contre lui. Quelques instants après, ils repartirent vers le puits d’accès, accompagnés par des gardes. Rhombur et sa sœur les regardèrent partir sur le moniteur.
Au matin, les trois réfugiés prirent un petit déjeuner de barres vitaminées et de jus d’ixap. Et ils attendirent.
Kailea parlait peu et c’est vainement que son frère essayait de la réconforter. Elle semblait écrasée par la situation. Ils étaient coupés du reste de la planète, ils ne savaient pas si des renforts étaient en route, si Vernii avait été totalement ravagée…
Après avoir fait un brin de toilette, elle se mit vaillamment à réparer sa jupe et ses dentelles déchirées. Elle assumait son infortune avec une certaine grâce altière.
— Cette semaine, j’étais invitée à un bal, déclara-t-elle d’une voix lavée de toute émotion. Le bal du Solstice de Dur, l’une des plus grandes réceptions de Kaitain. Ma mère m’a dit que je pourrais m’y présenter quand j’en aurais l’âge. (Elle regarda Leto avec un rire sans joie.) Étant donné que l’on devait me présenter un fiancé désigné cette année, je dois être assez grande pour une danse. Vous ne pensez pas ?
Elle chiffonnait sa manche de dentelle et Leto ne sut quoi dire. Il essaya de se souvenir de ce que sa mère lui avait dit à propos de la fille des Vernius.
— Lorsque nous serons sur Caladan, je dirai à ma mère d’organiser un grand bal en votre honneur. Cela vous plairait, Kailea ?
Il savait que Dame Helena n’appréciait guère les enfants Vernius pour des raisons religieuses, mais il pensait qu’elle se radoucirait dans ces circonstances. Et puis, nul ne l’avait jamais vue commettre un faux pas dans l’étiquette.
Kailea lui lança un regard venimeux.
— Comment ? Avec des pêcheurs qui feront des gigues en braillant des chansons paillardes et des ramasseurs de riz qui nous régaleront d’un petit spectacle sur le rituel de la fertilité ?
À ces paroles blessantes, Leto se dit que sa planète et son héritage n’étaient pas dignes d’une fille comme elle.
Mais elle retrouva son calme et lui posa la main sur le bras.
— Veuillez m’excuser, Leto. Je suis navrée. C’est seulement que je voulais tellement aller sur Kaitain, découvrir le Palais Impérial, les merveilles de la Cour…
Rhombur était maussade.
— Elrood ne l’aurait pas permis, ne serait-ce qu’à cause de la rancune qu’il voue à Mère.
Kailea arpenta leur refuge.
— Pourquoi l’a-t-elle quitté ? Elle aurait pu rester au Palais, vivre dans le luxe – mais elle est venue ici, dans cette… caverne. Une caverne qui est maintenant rongée par la vermine. Si Père l’aimait autant que cela, devait-il vraiment lui demander un tel sacrifice ? Ça n’a pas de sens.
— Ne croyez-vous pas en l’amour, Kailea ? demanda Leto. J’ai observé la façon dont ils se regardent.
— Bien sûr que j’y crois, Leto. Mais je crois aussi au sens commun, et il faut faire la part des choses.
Elle se détourna et farfouilla dans les réserves pour essayer d’y trouver un moyen de se distraire. Leto décida de ne pas insister et proposa à Rhombur :
— Nous devrions employer ce temps à apprendre à piloter le spatioptère. Au cas où.
— Inutile. Je sais le piloter.
Ils reprirent un peu de jus d’ixap.
— Mais si vous êtes blessé ? Ou pire… Que ferons-nous ?
— Mais il va très bien, fit Kailea d’un ton las. Mais montre-lui donc, Rhombur.
— Eh bien… vous savez comment fonctionne un ornithoptère ? Ou une navette ?
— J’ai appris à piloter un orni quand j’avais dix ans. Mais les seules navettes que je connaisse sont robotisées.
— Des machines sans cerveau, comme les servoks, qui répètent constamment les mêmes fonctions. Je déteste ces choses, même si c’est nous qui les construisons. Enfin, du moins jusqu’à maintenant.
Il leva la main droite et frotta brièvement l’opaflamme de son anneau princier.
Une dalle descendit lentement du plafond et se posa sur le sol. En levant les yeux, Leto aperçut une longue forme argentée.
— Suivez-moi, dit Rhombur en posant les pieds sur la dalle avec Kailea. On va vérifier les systèmes.
La dalle repartit vers le haut, traversa le plafond et, plus haut encore, les déposa sur une plate-forme, bien au-dessus de l’engin fuselé.
Avec sa carlingue effilée et sa rangée de hublots, le spatioptère était comme une version miniaturisée d’un chaland interstellaire. Il était à la fois ornithoptère et vaisseau orbiteur. Les spatioptères, totalement illégaux par rapport au monopole de la Guilde, constituaient l’un des secrets les mieux gardés de la planète Ix et on ne les utilisait qu’en ultime recours.
Une écoutille coulissa et Leto entendit le bourdonnement grave des machines et des circuits. Rhombur pénétra le premier dans le centre de contrôle miniature où il n’y avait que deux sièges et deux panneaux de pilotage séparés. Ils s’y installèrent. Les sièges se moulèrent sur leurs formes tandis que des voyants vert pâle s’illuminaient. Kailea resta debout derrière son frère, cramponnée à son siège.
— Votre clavier est en mode instruction, dit Rhombur. C’est le vaisseau qui va vous apprendre à le piloter.
Les voyants de Leto étaient passés au jaune. Étonné, il se demanda comment le spatioptère pouvait penser par lui-même. Il retrouvait ses doutes sur les tabous du Jihad Butlérien. Sa mère l’avait mis en garde à propos de tant de choses, mais surtout les machines d’Ix, qu’il ne devait pas juger sur les apparences.
Au-dehors, il y avait toujours les parois grises de la chambre d’algues.
— Alors il pense vraiment ? Comme ces makungs que vous m’avez montrées ?
Rhombur hésita.
— Je… je sais ce qui vous vient à l’esprit, Leto, mais cette machine n’imite pas l’esprit humain. Les suboïdes ne comprennent pas. Elle n’est vraiment rien de plus que les makungs d’entraînement qui sondent l’adversaire et adaptent leurs tactiques de combat. Elle ne fait que réagir. À la vitesse de la lumière. Elle lit vos gestes, anticipe et produit une réponse.
— Pour moi, ça ressemble à la pensée humaine.
Kailea soupira, irritée.
— Le Jihad Butlérien gouverne depuis des milliers d’années, mais les humains continuent à se comporter comme des rats terrorisés qui se cacheraient dans l’ombre. Dans tout l’Imperium, Ix est mal considérée parce que nous construisons des machines. Les gens ne comprennent pas ce que nous faisons, et c’est ainsi que les soupçons se développent.
Leto hocha la tête.
— Alors, aidez-moi à comprendre. Allons-y.
— Mettez vos doigts au-dessus des plaques d’identification. Ne touchez pas au panneau.
Une pâle clarté jaune monta lentement du panneau, entoura Leto, et il sentit un picotement.
— La machine absorbe les composantes d’identification de votre corps : la forme de votre visage, vos cicatrices les plus infimes, vos follicules, vos empreintes rétiniennes. Toutes les données que je lui ai demandé de charger. (La clarté s’estompa et Rhombur ajouta :) Voilà, vous êtes autorisé. Activez l’instruction en passant votre pouce droit au-dessus de la deuxième rangée de voyants.
Leto s’exécuta, et une boîte de synthèse visuelle apparut à hauteur de ses yeux. Il découvrit un paysage aérien de montagnes dentelées et de gorges profondes – celui-là même qu’il avait observé des mois auparavant quand il avait évacué sans cérémonie à bord d’une navette.
Brutalement, un tourbillon d’étincelles éclata en grondant. Des explosions et des crépitements de statique envahirent la cabine. Le paysage synthétique vacilla, revint le temps d’un éclair, puis s’effaça. Leto avait encore les oreilles sifflantes.
— Restez assis ! lança Rhombur. Ce n’est pas une simulation !
— Ils nous ont déjà retrouvés !
Kailea se recroquevilla derrière une cloison de protection derrière le siège de Leto et un champ de sécurité l’enveloppa instantanément. Tout comme Leto, tandis que Rhombur se harnachait frénétiquement.
Sur l’écran de surveillance, Rhombur vit les soldats tleilaxu qui surgissaient dans leur refuge, tirant au hasard pour faire sauter les portes. Ils avaient déjà franchi la deuxième barrière. Le Capitaine Zhaz et ses gardes gisaient immobiles dans la fumée.
— Vos parents ont dû réussir à leur échapper, fit Leto.
Rhombur lança la procédure de décollage immédiat et Leto se redressa, prêt à le remplacer aux commandes.
Un éclair bleu, une explosion, et le spatioptère roula bord sur bord. Leto entendit le grognement de douleur de Rhombur : il venait de basculer en avant et un filet de sang ruisselait sur son visage.
— Par tous les enfers ! Rhombur ?
— C’est pour de vrai, Leto ! hurla Kailea. Faites-nous décoller !
Mais Rhombur n’avait pas eu le temps d’achever la routine de préparation et une deuxième explosion pulvérisa dans la chambre des fragments de roche et des lambeaux d’algues. Au même instant, des silhouettes menaçantes se matérialisèrent dans la salle du bas. Des suboïdes désignèrent les trois survivants et une vague de feu-laser balaya la carlingue du spatioptère. Leto lança la séquence d’autodécollage. En cette seconde, il espérait avec ferveur que l’esprit de l’ordinateur allait comprendre et réagir efficacement, même en transgressant tous les interdits.
Le spatioptère jaillit le long d’un tunnel, puis franchit une sorte de roche et traversa une couche de neige. Il émergea enfin dans un ciel parsemé de nuages éblouissants. Leto retrouvait d’instinct les touches et pilotait habilement. Il esquiva de peu une volée de traits de laser et plissa les yeux dans la lumière. Les Tleilaxu les avaient repérés.
Il décrivit une longue boucle dans la stratosphère, prêt à d’autres attaques venues de l’espace, et repéra alors la forme massive d’un Long-courrier sur orbite basse. Deux traces ardentes jaillirent du géant et s’écartèrent en V. Le signal était familier : Vaisseaux Atréides.
Il répondit par son code d’identification dans le langage de bataille crypté que son père et ses professeurs lui avaient enseigné. Les deux vaisseaux se placèrent en position d’escorte. Dans le même temps, le vaisseau de tribord pulvérisa d’une rafale mauve un nuage, loin en bas, où un groupe d’appareils ennemis s’était dissimulé.
— Rhombur, ça va ? s’inquiéta Kailea.
Il bougea faiblement, porta la main à sa tête en geignant. Un boîtier électronique l’avait blessé avant de se fracasser sur le sol.
— Oh, par tous les enfers vermillon ! Je n’ai pas activé le champ assez vite !
Il essuya le sang de ses paupières.
Ils suivaient à présent les deux vaisseaux d’escorte en direction du Long-courrier qui abritait deux grandes frégates de combat atréides. À l’instant où le spatioptère s’enfonçait dans la cale, Leto entendit un message en Galach. Mais l’accent traînant était bel et bien celui de Caladan.
— C’est une bonne chose que nous ayons fait attendre le Long-courrier une heure de plus. Bienvenue à bord, Prince Leto. Vos compagnons et vous-même allez bien ? Combien y a-t-il de survivants ?
— Nous sommes trois, en plus ou moins bon état. Emmenez-nous loin d’ici.
Le spatioptère fut amarré auprès des unités atréides. Leto, en se penchant vers un hublot, découvrit des soldats en uniforme noir et vert frappé de la tête de faucon familière et il eut un soupir de soulagement.
Il se tourna vers Rhombur. Sa sœur lui nettoyait le visage et, regardant Leto, il lui dit :
— Bon, on oublie les simulations, ami. Mieux vaut toujours apprendre par soi-même.
Sur ce, il s’évanouit.