La nécessité de punir fait partie des responsabilités du commandement… mais seulement quand la victime le requiert.
Prince Raphael Corrino, Discours sur la conduite du pouvoir dans l’Imperium Galactique, 12e édition

Échevelée, en lambeaux, Janess Milam courait sur le sable, cherchant éperdument un refuge.

Elle se retourna, le regard embué de larmes et vit l’ombre de la plate-forme. Le Baron Harkonnen et son neveu Rabban étaient sur ses traces et elle courut plus vite encore. Elle titubait et vacillait sur la piste poudreuse et s’orienta vers le sol plus stable du désert, torride et mortel.

Enfoui dans une dune proche, le marteleur fatal cognait en rythme… Et le pouls de Janess s’affolait.

Elle cherchait un abri dans les éboulis, les grottes, l’ombre d’un rocher. Elle voulait avant tout mourir à l’écart, loin de leurs rires mordants. Mais les Harkonnens l’avaient lâchée entre les dunes comme un gibier des sables.

Elle glissa et mordit la poussière.

Sur leur plate-forme à suspenseur, le Baron et son neveu se régalaient de ses efforts pitoyables, à l’aise dans leur distille dont ils avaient rabattu le masque.

Ils étaient revenus sur Arrakis depuis quelques semaines. Janess, elle, avait débarqué du vaisseau pénitentiaire la veille. Le Baron avait d’abord envisagé de la faire exécuter pour traîtrise à Baronia même, mais Rabban avait insisté pour qu’elle meure lentement sous ses yeux dans les étendues calcinées d’Arrakis pour avoir aidé Duncan Idaho à leur échapper.

— Elle est tellement insignifiante au milieu de tout cela, non ? fit le Baron d’un ton sans passion.

Parfois, son neveu avait des idées originales, même s’il manquait de la concentration mentale nécessaire pour les réaliser.

— C’est bien plus réjouissant qu’une simple décapitation, je dois dire. Et puis, un ver va en profiter.

Rabban se racla la gorge et le Baron eut le sentiment d’entendre un fauve gronder.

— Ce ne devrait plus être très long. Ces marteleurs les attirent toujours. Toujours.

Sous le soleil, le Baron transpirait. Et il ressentait des douleurs depuis quelques mois. Il inclina la plate-forme afin de mieux profiter du spectacle et dit d’un ton pensif :

— Ce garçon est avec les Atréides, d’après ce que l’on m’a dit. Il s’occupe des taureaux salusans du Duc.

— Si je le retrouve, il est mort. Comme n’importe quel Atréides que je pourrais coincer seul.

— Rabban, tu es un vrai bœuf. (Le Baron serra l’épaule musculeuse de son neveu.) Mais ne gaspille pas ta force pour des broutilles. C’est la Maison des Atréides qui est notre ennemi, pas seulement un malheureux palefrenier. Mmm… un palefrenier.

Janess tomba encore une fois et roula sur le versant d’une dune avant de se redresser avec peine.

— Jamais elle n’arrivera à s’éloigner à temps, commenta le Baron.

— La chaleur est terrible, grommela Rabban. Est-ce que nous n’aurions pas dû apporter un auvent ?

Il porta le tube de son distille à ses lèvres et aspira une gorgée avec une grimace.

— J’aime bien transpirer. C’est bon pour la santé, ça purge l’organisme de ses poisons.

Rabban s’agita, lassé du spectacle un instant. Il porta son regard sur l’immensité éblouissante, guettant le moindre signe révélateur d’un léviathan.

— À propos, qu’est devenu le Planétologiste que l’Empereur nous a collé sur les bras ? La dernière fois, je l’avais emmené à la chasse au ver.

— Kynes ? Qui peut savoir ? Il est toujours au fin fond du désert. On ne le voit à Carthag que lorsqu’il expédie ses rapports. Il y a un moment que je n’ai plus entendu parler de lui.

— Et s’il était blessé ? On ne pourrait pas nous reprocher de ne pas l’avoir mieux surveillé ?

— J’en doute. L’esprit de l’Empereur n’est plus ce qu’il fut. (Le Baron eut un rire de dérision.) Quoique, même dans sa jeunesse…

La fille courait et tombait toujours, le corps couvert de poussière ocre, zigzaguant entre les dunes avec des foulées rageuses, désespérément accrochée à la vie.

— Ça finit par être ennuyeux, dit Rabban. On reste là à regarder.

— Certaines punitions sont faciles, remarqua le Baron, mais elles ne sont pas toujours suffisantes. En supprimant cette fille, nous n’effaçons pas la marque qu’elle a laissée sur l’honneur de la Maison Harkonnen… avec la complicité des Atréides.

— Dans ce cas, allons plus loin, fit Rabban avec une moue jubilatoire. Frappons les Atréides.

Dans le rythme sourd du marteleur, sous la morsure du soleil, le Baron parvint à sourire, mais il eut l’impression que son visage se craquelait.

— Nous le devrions peut-être.

— Comment cela, mon oncle ?

— Il est peut-être temps de nous débarrasser du Vieux Duc Paulus. Ça nous fera une épine de moins dans le flanc.

Rabban était brusquement impatient.

Avec des gestes lents destinés à énerver son neveu, le Baron régla ses jumelles et explora l’horizon. Il espérait repérer le ver géant avant les ornithoptères de sécurité qui tournaient au large. C’est alors qu’il sentit la vibration sourde et puissante du monstre qui approchait. Son pouls se synchronisa sur celui du marteleur.

Des dunes ondulaient au loin. C’était comme une ride montagneuse en marche, un croissant de sable grège qui semblait cacher un long poisson. Et le Baron surprit dans l’air torride le crissement de la bête ondulante. Il saisit son neveu par le coude et pointa le doigt.

Au même instant, le communicateur de Rabban tinta dans son oreille et une voix lointaine lui parvint à travers les filtres.

— On le sait ! On l’a vu ! grinça-t-il.

Le bolide violent et furieux se forait un tunnel. Il venait droit sur le marteleur comme un phénoménal engin blindé, mais le Baron continuait à penser à haute voix.

— J’ai gardé mes contacts… individuels sur Caladan, vois-tu. Le Vieux Duc a ses habitudes. Et chacun sait que les habitudes sont dangereuses. (Il eut un sourire de granit en clignant des yeux dans le flamboiement du soleil.) Nous avons déjà mis en place des agents opérationnels et j’ai un plan.

Là-bas, Janess s’était retournée avant de se remettre à courir, folle de peur : elle avait vu le ver géant.

La vague de sable atteignit le marteleur, au pied du versant sous le vent d’une dune en dos de baleine. Ce fut comme un mascaret de sable et le marteleur sombra entre les crocs de verre de la gueule béante.

— Démarre la plate-forme ! ordonna le Baron. On la suit !

Rabban obéit aussitôt et ils dérivèrent au-dessus du désert pour se rapprocher de l’action.

Le ver avait surpris les foulées de la fille et changé de direction. Il replongea et la suivit comme un squale formidable dans l’océan de rouille et de safran.

Janess s’effondra sur la crête d’une dune et se figea en frissonnant, les genoux contre le menton, essayant de ne plus faire le moindre bruit. Elle retint son souffle. Une pluie de sable la gifla.

Le monstre lui aussi s’était arrêté. Janess priait.

La plate-forme se stabilisa au-dessus d’elle et elle leva des yeux haineux vers les deux Harkonnens. Elle avait peur, elle serrait les mâchoires, mais le Baron sentit son regard comme une dague ardente.

Il tendit la main vers sa bouteille de liqueur d’épice, mais il l’avait vidée durant l’attente. Il porta un toast moqueur.

Le ver géant restait figé, épiant le plus infime mouvement.

Le Baron lança la bouteille vide en direction de la fille. Elle tourbillonna dans l’air chaud et tomba dans le sable avec un bruit sourd.

Le ver réagit instantanément et se rua sur elle.

En lançant des injures, Janess s’élança vers le bas de la dune dans une avalanche de sable. Mais le désert s’ouvrit sous elle.

La gueule du ver était une caverne de dents scintillantes. Janess fut happée en même temps qu’une plage entière de poussière et le monstre replongea dans les profondeurs.

Rabban appela l’ornithoptère d’observation pour demander si les hommes avaient réussi à prendre des clichés holos à haute résolution.

— Je ne l’ai même pas vue saigner, et elle n’a pas crié, fit-il, désappointé.

— Tu pourras toujours étrangler un de mes serviteurs si ça te console, fit le Baron. Mais c’est bien parce que je suis de bonne humeur.

Il contemplait les dunes et devinait tous les dangers qui se dissimulaient sous les vagues minérales apparemment paisibles. Il aurait bien aimé que son vieux rival Paulus se soit trouvé à la place de cette fille. Il se dit qu’il aurait fait enregistrer la scène par toutes les holo-caméras de la Maison Harkonnen afin de la savourer sous tous les angles, encore et encore. À vrai dire, il aurait aimé partager le festin du ver s’il avait eu droit au Vieux Duc.

Mais ce que je réserve au vieux est tellement plus intéressant, songea-t-il.

La Maison des Atréides
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