Le mal du pays.
Cette pommeraie, cette piscine, ces rangées de lavande bourdonnant d'abeilles, et montant vers les collines jaunes : pour DeDe, cela représentait l'image même de la tranquillité. Si Wimminwood avait été le pays magique de D'or, DeDe, en regagnant son Hillsborough chéri, avait retrouvé son havre de consolation, la zone réservée aux Halcyon.
Souriante, elle s'assit sur sa serviette et regarda se coucher le soleil semblable à un vieux penny sur l'horizon jaune paille. Un léger nuage de poussière brune planait au-dessus des pommiers, et des particules dansaient dans la lumière, donnant à la scène une teinte sépia.
Elle appela sa fille qui folâtrait en solo dans la piscine.
- Quoi ? répondit celle-ci en faisant mine de ne pas comprendre.
- C'est l'heure de sortir.
- Ohhh...
- Ne rechigne pas, Anna. À force, tu vas rétrécir !
- Non ! Je me rattrape ! J'ai été privée de piscine.
DeDe lui fit une grimace.
- Mais ma pauvre chérie, tu avais là-bas une merveilleuse rivière à tes pieds.
- C'est ça, une merveilleuse rivière dégueulasse ! ronchonna Anna en sortant de l'eau.
DeDe, dans une certaine mesure, était d'accord avec sa fille, mais elle renonça à lui en parler. Anna courut vers elle en poussant des cris aigus, puis exécuta sur place une petite danse guerrière en attendant d'être essuyée. Le seul vrai luxe, pensa DeDe, c'est l'enfance.
- Où est Edgar ? demanda-t-elle en frictionnant les jambes d'Anna avec la serviette.
- Dans la chambre, répondit-elle.
Le ton employé par sa fille éveilla les soupçons de DeDe.
- Vous n'êtes pas encore en train de vous chamailler, tous les deux ?
- Non, expliqua Anna. Il dit qu'il se sent triste.
- Il est malade ?
- Non. Il a le mal du pays.
- Le mal du pays ?
- Oui... tu sais bien : le Camp du Frère Soleil.
DeDe sécha le visage d'Anna, puis l'enveloppa dans la serviette comme dans un paréo. Elle eut une idée :
- Tiens, je parie que si tu demandes à ton frère de jouer au Monopoly...
Anna secoua lentement la tête :
- Il ne voudra pas.
DeDe ramassa ses produits solaires et à grandes enjambées traversa la terrasse jusqu'à la véranda où D'or passait au crible les factures.
- Ta mère a appelé, annonça celle-ci en levant les yeux. Elle veut qu'on vienne chez elle demain prendre un brunch.
- Comment t'a-t-elle semblé ? s'inquiéta DeDe.
- Bien. Joyeuse. Pas elle-même, en fait.
- As-tu accepté ?
- Oui. Encore plus joyeusement.
DeDe sourit d'un air narquois.
- C'est toi qui n'es pas toi-même !
Après avoir déposé ses affaires dans la cuisine, elle coupa à travers la maison et monta les escaliers rapidement ; enfin, elle s'arrêta devant la chambre des enfants, dont la porte était entrouverte. Edgar était assis en tailleur près de la fenêtre sur un siège, son journal intime posé sur ses genoux.
- Salut ! lança-t-elle.
Il leva les yeux d'un air grave.
- Salut.
- Tu as beaucoup de choses à écrire, n'est-ce pas ?
Il haussa les épaules.
- Mais si ! insista-t-elle en s'asseyant à côté de lui. Tu t'es fait beaucoup de nouveaux amis, tu as appris à confectionner des portefeuilles... plein de choses intéressantes !
Il fit oui de la tête.
- C'est normal que tes amis te manquent, tu sais.
- Je sais.
- J'aimais beaucoup Philo... Ce garçon s'appelait bien comme ça ?
Il fit un autre oui de la tête.
- As-tu écrit quelque chose sur tes activités là-bas ?
- Oui.
- Peut-être que si tu me lisais...
Il secoua la tête.
- Pourquoi non?
- C'est juste pour les garçons.
- Oh... je vois.
- Je ne veux pas te vexer, mais...
- Je comprends, je comprends...
Elle posa la main sur son petit genou, le secoua et se leva.
- D'or fait du thon grillé, ce soir. Ton plat préféré.
- Avec la sauce au beurre de cacahuètes ?
- Je crois, oui !
- Miam-miam.
Elle s'arrêta à la porte, se retourna pour le voir à nouveau plongé dans son journal intime, et ressentit les affres indéniables de la jalousie.