Au revoir et bonjour.
Ce matin-là, Wren se réveilla à 8h38 avec l'impression d'être en retard. La limousine qui venait la chercher devait arriver à 10 heures, environ trois heures avant le départ de son vol American Airlines 220 en direction de Chicago. Sa tête commençait déjà à s'encombrer de chiffres, à nouveau. La forêt avait perdu toute emprise sur elle.
Elle prit un petit déjeuner d'adieu sur la terrasse en regardant les vautours qui tournoyaient en contrebas, au-dessus des vieux arbres. Les plus beaux bleus et les plus beaux verts donnaient au paysage une exceptionnelle rutilance. Elle savait que tout cela allait lui manquer. L'exquise sensation d'être seule dans un tel endroit, surtout, lui manquerait affreusement.
Rolando l'attendrait à O'Hare, à 7h15, heure de Chicago, les bras chargés de bonbons et d'oeillets flétris, toujours aussi adorable et emprunté dans son costume. Même si elle s'était réjouie à l'idée de s'éloigner quelques semaines de l'extraordinaire dynamisme de son amant, qui était toujours aux petits soins pour elle et dont l'ardeur frôlait le priapisme, à présent, elle était impatiente de le retrouver. Le coeur lui battait, quand elle pensait à lui.
Après le petit déjeuner, elle fit la vaisselle pour la dernière fois, puis traîna ses valises à l'extérieur. Elle décida de ne pas emporter dans ses bagages le nid d'oiseau qu'elle avait trouvé dans les bois, réalisant combien l'effet en serait triste au milieu des chromes et des murs blanchis à la chaux de son loft. Elle avait appris que le pouvoir des souvenirs de vacances ne survivait presque jamais à une transplantation.
Tandis qu'elle rassemblait ses factures et ses livres de poche, elle contempla le chèque de Booter et sourit. Le premier chèque qu'il avait rédigé était de dix mille dollars, mais elle avait insisté pour qu'il en changeât le montant. Après tout, il lui avait d'abord proposé cinq mille dollars, et la cupidité ne lui paraissait pas de mise vis-à-vis de lui.
Le téléphone, alors, sonna. Que se passait-il, maintenant ? Son chauffeur s'était-il perdu ?
- Wren Douglas, roucoula-t-elle, adoptant de nouveau l'attitude d'une professionnelle.
- C'est moi, fit une faible voix.
C'était Booter, mais il ne semblait pas lui-même.
- Oh, salut.
- Il faut que je te revoie.
- Est-ce que tu vas bien ? demanda-t-elle. On dirait que tu viens d'entrer en collision avec un camion.
- Il est arrivé un incident, dit-il calmement, d'une voix éteinte. Il faut que je te voie.
- Booter, mon avion décolle à une heure.
- Annule ton vol. Je t'en prie.
- Je ne peux pas : il y a un chauffeur qui vient me chercher !
- Il peut passer la nuit ici. Je paierai.
- Écoute, lui opposa-t-elle, si je pose encore un lapin à mon petit ami... Quel est le problème, exactement ? Raconte-moi.
- Non... Pas maintenant.
- Eh bien, dans ce cas, si tu...
- Je te paierai davantage, naturellement.
Cela la rendit furieuse :
- Oh, merde, Booter...
- Alors, que faut-il que je fasse ?
- Rien, concéda-t-elle d'un ton las, se résignant à une autre dispute avec Rolando. Si c'est vraiment important...
- Tu pourras prendre le même vol demain. Avertis ton chauffeur qu'il peut aller au Sonoma Mission Inn. C'est très confortable et j'ai un compte là-bas. Je les appelle pour les prévenir.
- Eh bien... d'accord.
- Je viens te voir cet après-midi.
- À quelle heure ?
- Pas plus tard que trois heures, répondit-il.