Crève-coeur.
Il était presque 21 heures quand Brian retourna à la maison d'Austin Creek. Il n'avait fait que rouler sur la route côtière jusqu'à Elk, puis était reparti à temps vers le sud pour aller dîner à Jenner, au restaurant du Bout de la Rivière. N'ayant adressé la parole à personne, mis à part une serveuse et un pompiste de chez Exxon, il se réjouissait à l'idée de retrouver de la compagnie.
Malheureusement, Michael et Thack étaient partis. Ils ne se trouvaient ni dans la maison ni près du feu de camp ; pourtant, ils n'avaient pas de voiture. Étaient-ils allés à pied jusqu'à Cazadero pour y manger un morceau ?
Il alluma un feu et essaya de se replonger dans Jitterbug Perfume, mais son esprit commença à vagabonder. Sous le coup d'une impulsion soudaine, il prit le téléphone pour appeler Mme Madrigal.
- Madrigal... J'écoute.
- Salut, c'est Brian !
- Ah... Tu es rentré ?
- Non. Nous sommes toujours ici. Je voulais juste savoir si tout allait bien.
- Oh... Oui.
- Est-ce que Puppy vous donne du souci ?
- Ne fais pas l'idiot. En fait... Puppy, ma chérie, viens dire bonjour à papa. Vas-y. Mais oui, c'est papa. Dis : "Bonjour, papa."
- Bonjour, papa, fit une petite voix familière.
- Salut, Puppy. Ça va bien ?
- Oui.
- Tu me manques beaucoup, tu sais.
- ...
- Est-ce que Papa te manque ?
- ...
- Puppy ?
Mme Madrigal reprit le combiné :
- Le téléphone la déroute. À mon avis, elle pense que tu devrais être à la télévision.
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
La logeuse rit.
- Quand maman n'est pas là, elle est à la télévision. Donc quand papa n'est pas là... C'est logique, non ?
- Je suppose.
- Sois tranquille : tu lui manques, chéri. Tu peux me croire.
- Est-ce que Mary Ami va bien ?
- Oui, répondit-elle sur un ton neutre. Je ne l'ai pas vue beaucoup, mais elle n'a pas arrêté, ces derniers temps. As-tu essayé de la joindre au Summit ?
- Non.
- Elle participe à une grande fête, ce soir, mais elle devrait rentrer vers dix heures.
- OK.
- Elle était ravissante, à cette émission d'Hollywood. Est-ce que tu as eu l'occasion de la voir ?
- Non, répondit-il.
- Elle était... d'un grand calme. Comment s'appelle cette émission déjà ?
- Super Soirée, répondit-il.
- C'est ça. Ton épouse était absolument magnifique. Je suis certaine qu'elle l'a enregistrée. Tu pourras la regarder quand tu seras de retour.
Il ne trouvait rien à dire.
- Est-ce que tu vas bien, Brian ?
- Ouais. Ça va.
- Non, ça ne va pas.
- Je suis juste un peu fatigué, ce soir.
- Alors, repose-toi. Prends une camomille.
- D'accord.
- Quand rentres-tu ? demanda-t-elle.
- Demain.
- Bien.
Elle marqua une pause.
- Au fait... Nous avons perdu, en appel.
- Oh... Vous voulez parler des marches ?
- Oui.
- Alors, qu'est-ce que ça signifie, exactement ?
- Eh bien... ils les démolissent lundi.
- Si vite ? s'étonna Brian. Comment va-t-on monter dans l'allée ?
La logeuse soupira :
- Apparemment sur d'horribles trucs provisoires. En aluminium... En attendant les marches en béton !
Elle resta un moment sans rien dire.
- C'est trop affreux à imaginer.
- Mmm...
- Tu me trouves ridicule ?
- Non ! Pas du tout.
- Tu sais... je m'assois là-bas avec mon thé tous les matins. Le bois se réchauffe au soleil et rien que de le sentir sous mes doigts...
On aurait dit quelqu'un se souvenant d'une aventure amoureuse.
- Est-ce qu'ils ne pourraient pas en construire un autre en séquoia ou je ne sais quel autre bois ? la questionna Brian.
- C'est exactement ce que je leur ai proposé. Ils n'en ont pas envie. Le coût de l'entretien, ont-ils invoqué.
- Quels sales cons ! s'indigna-t-il.
- On doit tout entretenir, dans la vie. C'est précisément ça qui est agréable : prendre soin des choses...
Il médita là-dessus un moment.
- En avez-vous parlé à Mary Ann ?
- Oui, mais... tu avais raison. Ça ne correspond pas vraiment au style de son émission.
- Peut-être, mais elle pourrait... je ne sais pas... en parler à ses confrères, au moins.
- Je lui en ai touché un mot, mais elle m'a dit qu'ils auraient besoin d'une... accroche : je crois que c'est le mot qu'elle a employé.
- Une accroche !
Brian s'emporta brusquement.
- Mais bon Dieu, ils foutent l'escalier en l'air : là voilà, l'accroche !
- Je sais bien, mais... C'est elle, la professionnelle.
- Il n'y a aucun putain de doute là-dessus ! Qu'est-ce qu'elle veut que vous fassiez ? Que vous vous enchaîniez à l'escalier ?
- Chéri... ne t'énerve pas.
- C'est qu'il m'arrive parfois d'en avoir ras le bol, d'elle.
Mme Madrigal se tut un long moment. Enfin, elle se risqua :
- Pourquoi lui en veux-tu à ce point ?
- Je ne lui en veux pas.
Il était à nouveau sur le canapé, plongé dans son livre, quand le téléphone sonna.
- Ouais ?
- Brian ?
- Ouais.
- C'est Wren Douglas.
- Ah, oui !
- Si tu te demandes où sont passés tes camarades de chambrée, minauda-t-elle, sache que c'est moi qui les ai enlevés.
- Ah. Tout s'explique.
- C'est eux qui m'ont conseillé de t'appeler... Je les ai chargés d'une petite mission.
- Ils ne sont pas avec vous, c'est ça ?
- Non. Je les retrouve à Monte Rio dans une heure, à peu près. Je suis simplement en train d'attendre qu'ils me recontactent. Je pensais que tu pourrais avoir envie de me faire coucou.
Après un moment d'hésitation, il déclara :
- Euh... bien sûr. Super.
- On pourrait flemmarder, parler. Et... que sais-je encore ?
- Formidable.
- Tu te souviens du chemin pour venir jusqu'ici ? s'assura-t-elle.
- Comment pourrais-je l'avoir si vite oublié ?