Les hommes de Wren.
Au chalet, Wren, elle, s'occupait de Brian, qui était allongé, la tête posée sur sa poitrine.
- Tu m'appelleras ? s'inquiéta-t-elle.
- Quand ça ?
- Euh... quand la lune passera au-dessus de la montagne... Non, quand les hirondelles reviendront à Capistrano.
Elle l'embrassa sur la joue.
- Et d'après toi, imbécile ?
- Bon, je t'appellerai.
- Promis ?
- Mmm...
- Juste "oui" ou "non".
- OK.
- Si tu ne le fais pas, menaça-t-elle, je téléphonerai chez toi pour foutre la merde.
Il sourit.
Elle explora avec ses doigts la chevelure châtain, bouclée et souple de Brian.
- C'était gentil, de laisser les garçons prendre la limousine.
- N'en parlons plus... Que vas-tu faire de ta voiture ?
Elle recommença à s'agiter.
- Eh bien, Booter m'a demandé de la laisser ici.
- Ah.
- J'ai fait tout ce qu'il y avait à faire, après tout. Je ne suis pas sa femme.
"Pourquoi faut-il toujours que je me justifie ?"
- C'est vrai.
- J'appellerai chez lui quand j'arriverai à Chicago. Quelqu'un pourra sans doute m'en dire plus à ce moment-là.
Elle poussa un soupir maternel.
- Je déteste jouer les putes, ajouta-t-elle d'une voix triste. Ça implique trop de responsabilités.
- Ne parle pas comme ça.
Elle sourit et glissa ses doigts à travers les poils frisés du torse de Brian.
- Merci pour l'indignation, mais je n'ai pas honte de ce que j'ai fait. Je voulais tenter l'expérience, je voulais de l'argent... Et Booter a eu lui aussi ce qu'il voulait.
Le téléphone de la table de nuit sonna.
- Allô ? fit-elle d'une voix flûtée, comme une réceptionniste parfaitement rodée.
- Wren, c'est moi, commença la voix à l'autre bout du fil.
- Booter ?
- Ouais, c'est moi.
"Il a l'air sacrément bourré", pensa Wren.
- Où es-tu, Booter ?
- Euh... à Guerneville.
- Est-ce que tu vas bien ?
- Oui. Je... je vais bien.
- Tu aurais pu appeler, bon sang ! Pourquoi tu ne l'as pas fait ?
- Je n'ai pas pu... J'étais dans un canoë.
- Quoi ?
Elle discerna alors les marmonnements d'une femme.
- Booter... qui est avec toi ?
Il fit une pause, puis déclara :
- Personne.
- Je vois.
À présent, son sang bouillait de colère.
- C'est juste quelqu'un qui...
- Tu as un sacré culot, Booter !
Elle se tourna vers Brian pour s'adresser à lui.
- Il est complètement pété et il a une bonne femme avec lui.
- Mais non ! s'énerva Booter.
- Comment ça, "non" ? J'ai entendu.
- Ce n'est pas ce que tu penses.
- Je pars demain, Booter. Tu peux me faire confiance : ton chèque sera vite encaissé.
- C'est normal.
Les jacassements de la femme lui parvenaient maintenant distinctement.
- Je raccroche, Booter.
- Dieu te bénisse, balbutia-t-il.
- C'est ça, grogna-t-elle avant de raccrocher violemment.
Elle enrageait. Brian, alors, se risqua :
- Je suis désolé que tu te sois autant inquiétée.
- Je ne me suis pas inquiétée !
- C'est que... Enfin pourtant...
- Qu'il aille se faire foutre ! J'aurais dû lui faire cracher les dix mille dollars qu'il m'avait proposés au départ.
Elle alla se coucher furieuse et se réveilla dans le même état d'esprit, se levant avant Brian pour faire ses bagages. Il grilla des tartines pour eux deux, puis sortit le dernier sac-poubelle. Quand la limousine arriva à 9h45, ils l'attendaient sur les marches de derrière. Elle ne connaissait pas ce nouveau chauffeur (Dieu merci, ce n'était pas celui avec qui elle avait couché !), lequel était ouvertement curieux de savoir pourquoi on lui avait offert une nuit au Sonoma Mission Inn.
Elle le laissa s'interroger, déterminée à oublier l'épisode Booter.
Ils roulèrent en silence jusqu'à Cazadero, où Michael et Thack, qui poussèrent des sifflements admiratifs pour la limousine, prirent la place de Brian. Un court instant, devant la porte de la petite maison, elle serra Brian dans ses bras.
- Appelle-moi !... chuchota-t-elle.
- Promis, lui accorda-t-il.
Elle lui fit au revoir de la main par la vitre, mais elle ne fut pas certaine qu'il l'avait vue.
De retour en ville, comme Michael insistait, elle demanda au chauffeur de remonter Russian Hill sur sa pente la plus raide, une rue baptisée Jones, presque en à-pic, qui éprouva la limousine au maximum de ses possibilités et les fit tous crier comme des fous.
- Ça devrait être illégal ! s'exclama-t-elle en mettant ses mains sur sa poitrine.
- C'est encore mieux quand on descend, annonça Michael en riant.
- Tu es pervers, le réprimanda-t-elle.
- Je n'avais jamais fait ça dans une limousine.
- À mon avis, il y a mieux à faire dans une pareille bagnole.
- Ça, je veux bien le croire, intervint Thack.
- Bon Dieu, s'étrangla-t-elle, c'est un stop, là-haut ?
Elle se pencha pour tapoter l'épaule du chauffeur.
- Ne vous arrêtez pas, d'accord ? Mon organisme ne le supporterait pas.
Cela fit rire Michael à nouveau :
- Est-ce qu'il peut supporter un bus Muni lancé à fond de train ?
Le chauffeur s'arrêta là où il était censé le faire, puis tourna à droite et continua à monter, moins précipitamment cependant. Il tourna encore une fois à droite pour descendre petit à petit une autre route qui soulevait le coeur. La baie, au loin, s'étendait au-dessous d'eux, ridiculement bleue.
- Bon, décida-t-elle en se tournant vers Michael. Ça suffit comme ça, les montagnes russes.
- Nous voilà arrivés, claironna-t-il, les yeux écarquillés. Je le jure.
- Arrivés où ?
Elle agrippa le dossier du siège avant, comme si cela devait l'empêcher de tomber par la fenêtre, et de dévaler la colline pour finir dans la baie.
- Là où je vis, précisa-t-il. L'escalier en bois que nous venons de dépasser.
- Ici ?
- C'est ça ! acquiesça-t-il, rayonnant de fierté. Vous pouvez vous garer sur la droite, lança-t-il au chauffeur, on continue à pied.
Il se retourna vers Wren.
- Brian habite dans cette tour, là-haut.
Je ne peux pas lever les yeux, se plaignit-elle. Ni les baisser. Je vomirais mon déjeuner.
Utilisant le frein à main, le chauffeur se gara sur la droite. Michael et Thack rassemblèrent leurs affaires à la hâte. Puis Thack commença à ramasser leurs bouteilles de jus de fruits vides pour les mettre dans un sac en papier.
- Laisse tomber, lui conseilla-t-elle. Ça fait partie du délire.
- Que voulez-vous : il est maniaque, ironisa Michael.
Thack les regarda tous les deux en plissant les yeux et continua à rassembler les détritus.
- C'est tout à fait ce qu'il te faut, glissa Wren à Michael.
Cette petite manoeuvre d'entremetteuse sembla embarrasser Michael ; elle mit alors une main dans la sienne et ajouta :
- C'était génial.
- Oui ! Je n'arrive pas à croire que je vous ai rencontrée.
- Brian a mon numéro de téléphone, ajouta-t-elle en se demandant s'il devinerait pourquoi.
Michael hocha la tête.
- Prends soin de lui, lui recommanda-t-elle.
- Je n'y manquerai pas, répondit-il en évitant son regard.
Elle se tourna pour prendre la main de Thack.
- Embrasse Charleston pour moi.
- OK, promit Thack. Merci pour la balade.
Il sortit de la voiture et attendit sur le bord du trottoir.
Michael la regarda un moment, puis l'embrassa rapidement sur la joue et sortit de la limousine d'un bond. Wren les regarda, Thack et lui, traverser la rue et commencer à monter ensemble l'escalier en bois délabré. Dans les herbes sèches, à côté du soubassement, se trouvait une pancarte de guingois sur laquelle était inscrit le mot BARBARY.
- C'est pas trop dangereux ? cria-t-elle quand ils arrivèrent au premier palier.
Michael mit ses mains en porte-voix et lança en retour :
- De nos jours, qu'est-ce qui ne l'est pas ?
Elle souriait toujours quand il disparut derrière le feuillage poussiéreux qui ombrageait le haut de l'escalier.
Son chauffeur se retourna :
- À l'aéroport, mademoiselle Douglas ?
- Oui. Il est temps de rentrer à la maison, maintenant.