Rien de romantique.
Au moment où Brian garait la Volkswagen derrière le chalet que Wren occupait au sommet de la colline, celle-ci apparut en haut des escaliers.
- Ramène quelques bûches ! lui cria-t-elle. On n'en a presque plus.
Il scruta l'obscurité, mais en vain.
- À gauche, précisa-t-elle en pointant un doigt. À côté de ce banc, il y a un tas de bois.
Il le trouva et chargea ses bras de bûches de séquoia. La plupart étaient suffisamment vertes pour suinter de résine et leur poids le surprit, le faisant chanceler un peu. Sa maladresse le gênait ; c'est pourquoi la nuit le réconfortait.
Il arriva en haut des marches essoufflé.
- Je te joue un sale tour, hein ? Tu ne savais pas que tu aurais à travailler... plaisanta Wren en lui tenant la porte.
- C'est pas un problème, dit-il en se dirigeant vers la cheminée.
- Elles sont tellement crades... J'adore les feux de cheminée, mais je déteste aller chercher ces putains de bûches !
Il déchargea son fardeau dans la grande cheminée en pierre.
- Il est plutôt vert, ce bois !
- Il brûle très bien, une fois que le feu est parti.
Elle ramassa plusieurs bûches parmi les plus petites et les jeta dans l'âtre.
- Alors, proposa-t-elle en s'essuyant les mains, un verre, un joint ?... Qu'est-ce que tu veux ?
- Rien du tout, merci.
- Tu es sûr ?
- Oui.
Elle désigna un fauteuil d'un geste élégant.
- Assieds-toi.
Il s'exécuta tandis qu'elle se pelotonnait sur le canapé. Elle portait un chemisier rose et un short blanc. Ses gros genoux accueillants étaient aussi pâles et ronds que deux melons d'Antibes. Elle redressa la tête et lui sourit :
- J'ai vu ta femme, à Super Soirée.
- Ah bon...
- Tu l'as regardée ?
- Non.
- Elle était très bien.
- C'est ce qu'on m'a dit aussi. Ma logeuse. Enfin... mon ex-logeuse.
- Tu m'as vue, le matin où je suis passée à son émission ?
"Non, pensa-t-il avec perversité, j'ai préféré me branler en feuilletant ton livre."
- En fait, non, répondit-il.
- Je ne lui ai pas plu, lâcha Wren.
Il inclina la tête :
- Ça lui arrive de temps en temps. Juste pour provoquer les gens.
Wren grogna :
- Dans ce cas, ça a parfaitement marché.
Il lui sourit.
Elle l'observa attentivement pendant un long moment, puis se leva pour prendre un joint sur la cheminée dans une boîte. Elle l'alluma et retourna sur le canapé où elle tira une bouffée qu'elle retint dans ses poumons, l'étudiant à nouveau.
- Si tu me trouves trop curieuse, dis-le-moi.
Il haussa les épaules :
- Faites, je vous en prie...
- Est-ce que tu pars en vacances sans ta femme, en général ?
Il rit avec embarras :
- Vous voulez dire avec des gays ?
- Non, insista-t-elle. Sans ta femme.
Il sentit ses traits se contracter.
- Je pense que tous les deux on avait besoin... de prendre un peu l'air chacun de son côté.
- Je vois.
- Vous êtes mariée ?
- Non, mais j'ai un petit copain.
- J'imagine qu'il ne pouvait pas vraiment vous accompagner pendant la tournée promotionnelle du livre...
- De toute façon, la tournée s'est terminée la semaine dernière.
- Ah.
- Et... j'avais besoin d'être seule, moi aussi.
Elle sourit mystérieusement.
- Enfin, presque seule.
Elle faisait manifestement une nouvelle fois allusion à son "ami".
- Mais à présent, ajouta-t-elle, Rolando me manque trop.
Elle tira une deuxième bouffée du joint et la retint longtemps dans ses poumons, comme la première.
- Même ses ronflements me manquent.
Brian émit un petit rire blanc.
- Il vous manque tant que ça, alors...
- Puisque je te le dis. Tu ronfles, toi ?
- Pas moi, non. Mary Ann, répondit-il. C'est la pire.
- Elle ronfle ? Comme c'est mignon !...
- Elle me tuerait si elle savait que je vous ai raconté ça !
Posant un doigt sur sa bouche, Wren lui fit signe qu'elle garderait le secret.
- Et toi, tu ne racontes rien à Rolando, hein ? exigea-t-elle en retour.
- Qu'est-ce que je pourrais bien lui dire ?
- Eh ben... pour commencer, il croit que je suis toujours en tournée.
- Ah, ah.
Il se sentait beaucoup plus à l'aise, maintenant que leur conversation impliquait quatre personnes au lieu de trois.
- Tout ira bien, l'assura-t-elle. Une fois que je serai rentrée.
Il la regarda un moment, puis déclara :
- J'aimerais pouvoir en dire autant.
- Mary Ann... euh... soupçonne quelque chose ?
Il secoua la tête.
- Ce n'est pas d'elle qu'il s'agit.
- Tiens... fit-elle.
- Je voyais cette fille, de temps à autre. Rien de romantique : juste... l'amour entre bons copains, quoi !
Elle sourit avec indolence.
- Je comprends ça.
- Et elle a le sida, murmura-t-il.
Wren cligna des yeux.
- Je l'ai vue la semaine dernière. Elle n'était déjà plus elle-même.
- Merde ! soupira Wren en posant son joint.
- J'ai fait le test, mais je dois attendre encore une semaine avant d'avoir le résultat.
- Et ta femme ?
- Elle ne sait pas. Je ne pouvais pas le lui dire avant de...
Et, incapable de terminer sa phrase, il fit à ce moment-là un geste vague.
Elle profita de l'occasion pour prendre le relais :
- Tu es pourtant en bonne santé. Tu as l'air d'aller très bien.
Il haussa les épaules.
- J'ai des sortes de brûlures à l'estomac, se plaignit-il. Je n'ai plus d'énergie.
- Ça peut être un tas de choses.
- C'est ce que le médecin a prétendu.
- Eh bien alors ?...
Un silence gêné s'ensuivit, puis elle lui demanda :
- Tu as peur ?
- Il fit oui de la tête.
- Il ne faut pas, dit-elle.
Il haussa les épaules une nouvelle fois, se retenant de fondre en larmes.
- Je t'apprécie trop pour accepter de te voir souffrir comme ça.
Il ne pouvait pas la regarder en face, mais il répliqua :
- Est-ce qu'un mec qui fait ce genre de choses à sa femme est tellement appréciable ?
- Arrête ! le supplia-t-elle gentiment.
- Si je lui ai... transmis...
- Ne dis pas ça : tu n'en sais rien.
- Si je l'ai contaminée, je mérite...
- Ça suffit : boucle-la ! Tu ne devrais pas penser à ça avant de... Bon Dieu, Brian, pense un peu à toi. C'est toi qui m'inquiètes.
Il sentait qu'il allait flancher.
- Écoutez... Je suis vraiment désolé. Je devrais y aller.
- Ah, non ! s'insurgea-t-elle. Pas question ! C'est un délit de fuite, ça, mon pote.
- Je m'excuse si...
- Viens ici, commanda-t-elle.
- Pardon ?
- Allez, ramène ton beau petit cul par là.
Elle tapotait le coussin à côté d'elle sur le canapé. Brian hésita, puis obéit.
Elle passa son bras autour de lui, et l'attira doucement vers elle jusqu'à ce que sa tête se posât sur ses seins moelleux et chaleureux.
- Voilà, conclut-elle en lui passant la main dans les cheveux. Maintenant, taisons-nous un peu.
Lorsqu'il eut les larmes aux yeux, elle commença à le bercer doucement, fredonnant un air qu'il n'arrivait pas à reconnaître.