CHAPITRE VI
Carvil avait été un peu gêné de devoir laisser Myriam se charger de la récupération des colis largués par l’Extase, mais il avait vite compris que, sur la surface chaotique née des derniers bouleversements de la banquise, s’acharner à vouloir participer à l’aventure n’aurait fait qu’en retarder la conclusion, au risque en outre de subir chute sur chute.
Au demeurant, les colis n’étaient pas particulièrement lourds. Le premier contenait essentiellement des couvertures, mais aussi un peu de farine, de la graisse végétale, du thé et du sucre, et un brûleur à alcool. Il était tombé à moins de deux cents pas, mais la jeune fille avait dû faire un tel détour qu’elle avait mis une bonne heure pour le ramener jusqu’à l’épave. Pendant que Carvil le hissait vers l’ouverture, elle était repartie dans la direction qu’il lui avait indiquée pour le second. Elle ne revint que vers le milieu de la journée, épuisée et surtout frigorifiée. Heureusement, le brûleur aidant, la cabine avait gagné plusieurs degrés, avec le seul inconvénient qu’il fallait l’aérer régulièrement si l’on ne voulait pas courir le risque de suffoquer.
Cette fois, il y avait surtout des vêtements chauds, des lanières de viande séchée, du pain et une sorte de trousse de secours assemblée à la hâte : poudres médicinales, pansements, onguents et désinfectant, avec quelques indications sur leur usage griffonnées à la hâte. Il reconnut l’écriture de Jobig. Il y avait aussi, protégées des chocs par les vêtements, deux bouteilles de vin de Viaiville et un flacon d’alcool d’algues. Ils s’octroyèrent tous deux quelques rasades d’alcool, en sachant que celui-ci n’apportait qu’une impression de chaleur mais, comme le fit remarquer Myriam : « Avec ça dans le corps, nous n’aurons plus cette impression de froid si paralysante. » Elle éclata de rire, un rire mi-faux car ils étaient naufragés sur la banquise, loin de toute civilisation, sans savoir quand l’Extase reviendrait, si elle revenait. Son rire était aussi mi-vrai, car avec les vêtements, les couvertures et la nourriture, ils pouvaient espérer survivre plusieurs semaines à condition de se montrer parcimonieux. Et ils pouvaient aussi commencer à soigner Judd.
Ce fut la tâche de Carvil dans un premier temps, car Myriam repartit sur la banquise dès qu’elle se fut un peu réchauffée, se forçant à avaler un peu de viande et de pain uniquement parce que Carvil l’exigeait.
Il commença par déshabiller son neveu et soigner les engelures ou crevasses dont il souffrait, particulièrement aux pieds et aux mains, en les enduisant d’un baume qui puait l’algue pourrie mais s’était révélé efficace lors de la première expédition. Ensuite, il le rhabilla bien plus chaudement qu’il ne l’était lorsqu’ils l’avaient trouvé et fut sur le point de jeter ses vêtements tant ils sentaient mauvais, mais se retint : ils ne pouvaient pas se permettre de gaspiller quoi que ce soit. Il se contenta donc de les porter là où son neveu avait campé durant quelques jours – combien de temps ? – jusqu’à leur arrivée.
Ensuite, suivant les instructions de Jobig, il prépara une potion qu’il lui fit avaler par toutes petites gorgées. Elle dut avoir un effet apaisant, car Judd s’endormit en respirant plus calmement.
Carvil se hissa sur la coque. Myriam n’était nulle part en vue, alors que la courte journée du septentrion tirait à sa fin. Il y en avait cependant encore pour une heure, peut-être un peu plus avant que la nuit ne tombe. Il ne pouvait rien faire de plus, ni pour Judd, ni pour l’ex-Héraut de la Vindicte. Il regagna la cabine, prit le réchaud à huile qui n’était plus nécessaire pour la réchauffer, et s’en servant comme d’une lanterne, partit explorer les coursives de l’épave.
Au début, c’était un chemin qu’il reconnaissait facilement pour y être passé des dizaines de fois trois mois plus tôt. Mais cette fois, il ne cherchait pas la même chose, du moins pour l’instant. À l’époque, il s’était contenté de visiter sommairement chaque pièce, cherchant à comprendre ce qu’il découvrait, puis une fois qu’il avait compris qu’il ne visitait pas une île, mais un navire, il avait voulu en découvrir le centre nerveux, laissant la fouille plus détaillée aux quelques Scientistes qui osaient se risquer dans les corridors sombres, et aux Gabiers, qui ne voyaient souvent que le profit immédiat. Pas égoïstement, pas individuellement, mais celui du navire. Pour eux, bien souvent, un objet de métal n’avait pas d’autre valeur que le fait d’être en métal, donc rare et fait pour être transformé par refonte en quelque chose de vraiment utile.
Et, cette fois, Carvil agissait un peu comme eux. Il ne voulait rien détruire et saccager le moins possible, mais tout ce qui pouvait aider les trois naufragés à survivre plus longtemps, sans souffrir du froid ou de la faim serait bon. Il se souvenait des armoires découvertes la première fois et fouillait les parois pour voir si elles ne contenaient pas placards ou tiroirs noyés sous une couche de détritus provenant de la décomposition de toutes les matières les plus périssables.
Quand il revint de son expédition sans avoir découvert grand-chose d’utile, si ce n’était du tissu et de grands morceaux d’une matière spongieuse et sèche qui rendrait leurs couches plus confortables, Judd était toujours seul. Il dormait paisiblement, d’un sommeil presque normal, et sans la fièvre qui continuait à le consumer, on aurait pu oublier qu’il était malade.
Carvil lui fit prendre encore quelques gorgées de la potion préparée plus tôt, puis revint sur la coque guetter le retour de Myriam.
Cette fois, la nuit tombait, mais Octa, pour une fois utile, évitait que l’obscurité soit totale. Elle éclairait les glaces de sa lumière trop blanche, mais encore faible qui créait des zones d’ombre totale, alors que le soleil, par réverbération, atténuait les contrastes. Il n’y avait pas le moindre souffle de vent et le silence était absolu, donnant une impression irréelle, comme s’il vivait ces minutes en plein rêve.
Le Pilote patienta longtemps. Le froid était moins supportable avec l’immobilité, et il sentit bientôt qu’il était dangereux de s’y exposer ainsi. Ce n’était pas le moment de perdre l’usage de son unique pied en le laissant geler ! Il retourna à la cabine et en ramena le réchaud à huile après y avoir ajouté un peu de carburant. Il le posa sur la coque près de l’ouverture. Sans vent, la flamme brûlait paisiblement. Elle n’éclairait qu’un périmètre très restreint, mais devait être visible de loin.
Il revint à la cabine.
Il y faisait presque trop chaud, surtout quand on émergeait d’un long séjour exposé au froid du dehors. Il retira deux tuniques, se contentant de celle qu’il portait à bord de l’Extase et s’installa confortablement pour attendre le retour de Myriam. Il n’y avait que cela à faire.
Il se servit un gobelet de vin, qu’il fit réchauffer entre ses paumes après avoir bu la première gorgée, trop froide à son goût. Il humait le parfum avec plaisir, en essayant de revivre quelques instants du passé, d’évoquer une fête que lui rappelait ce vin. Il but une deuxième gorgée, une troisième. Le gobelet était vide. Il l’aurait bien rempli à nouveau, mais il rejeta l’idée de prendre plus que sa part et attendit le retour de Myriam.
La Dévoreuse était folle, et les vents participaient à cette folie. Et pourtant l’Extase restait presque immobile au-dessus de quelques chicots noirs qui dépassaient de la surface, cernés par l’écume luminescente : tout ce qui restait d’une Terre. Il ne savait pas laquelle, ça n’avait pas d’importance.
Il leva les yeux vers Octa, énorme et maléfique, et son poing fermé suivit son regard. Puis il éclata d’un rire fou, qui se moquait de l’inutilité du geste. Il regarda autour de lui, le pont était désert, il n’y avait personne à la barre, nul Gabier dans les haubans. Morts, ils étaient tous morts les uns après les autres, emportés par les vagues immenses, par le vent brutal, par la maladie. Et, même s’ils avaient survécu à tout cela, le désespoir s’était emparé d’eux, et ils l’avaient quitté les uns après les autres.
Mais il s’en moquait, il sauverait le navire. Il irait jusqu’au bout du monde, il la retrouverait.
Ce fut le froid qui le réveilla. Le froid soudain du corps de Myriam qui se blottissait contre le sien sous les couvertures. Elle avait aussi retiré une partie de ses vêtements, mais le froid la pénétrait si profondément qu’elle restait glacée contre lui. À demi endormi, il l’enserra de ses bras, replongeant immédiatement dans le sommeil.
Au réveil, ils étaient séparés par quelques centimètres, et il ne sut pas si c’était la suite des mouvements inconscients qui naissent souvent des rêves (il ne se souvenait pas d’avoir rêvé durant la nuit) ou si elle s’était volontairement écartée de lui… et il ne lui posa pas la question.
Il sortit se soulager la vessie à quelques pas de l’épave et découvrit le troisième colis. Myriam l’avait ramené, mais elle n’avait pas eu la force de le hisser jusqu’à l’intérieur. Il s’en chargea et l’ouvrit dans la coursive, une fois à l’abri du froid le plus vif, mais sans vouloir rentrer dans la cabine pour laisser la Pilote dormir. Des provisions, d’autres médicaments, encore du vin, de l’alcool pour le réchaud… Il y avait quelques outils et un étrange boîtier muni d’une poignée et dont l’une des parois était faite d’une mince feuille translucide. Un petit rouleau de parchemin était attaché.
Il le déroula. C’était une fois encore l’écriture de Jobig : « Accroche cette boite à l’une des boucles de ton harnais sur ta poitrine, puis tire et repousse sans cesse la poignée… Tu seras surpris du résultat ! » Le texte continuait, mais il décida de faire d’abord une expérience. On sentait une résistance quand on tirait sur la poignée, et même quand on la repoussait, une fois arrivé au bout d’une course d’une main de long environ. Il y avait aussi comme un grincement à l’intérieur du boîtier… Un mécanisme qui se mettait en mouvement.
Comme il avait concentré son attention sur le geste, puis avait écouté le son ténu produit par le boîtier, il n’avait pas fait attention. Ce fut la voix de Myriam qui lui rappela la deuxième partie de la phrase de Jobig : « Tu seras surpris du résultat… »
— Carvil ! Tu m’aveugles. Tu… brûles !
Il y avait de l’affolement dans la voix. Il interrompit son geste.
— Oh ! C’est mieux. Mais qu’as-tu sur la poitrine ?
— Un cadeau de Jobig. Je brûlais ? Je n’ai rien senti.
Il se mit à tirer et pousser la poignée, oubliant son geste, oubliant le son, pour contempler la lumière qu’il projetait devant lui. Elle n’était pas régulière, vacillant avec les va-et-vient de la main, mais elle éclairait bien mieux que le réchaud à huile.
Il se mit en marche vers Myriam qui apparut bientôt dans le faisceau lumineux. Elle avait levé un bras pour se protéger les yeux, et il arrêta un instant ses tractions pour lui épargner ce qui semblait être une souffrance intense, ne reprenant que lorsqu’elle fut à côté de lui.
— Avec ça, nous allons pouvoir visiter toute l’épave. Jobig, là-haut, doit être bien jaloux de devoir nous laisser la primauté des nouvelles découvertes.
Il savait que ce n’était pas vrai. Le Scientiste serait peut-être un peu envieux, mais la jalousie n’était pas son fort. D’ailleurs, si cela avait été le cas, il n’aurait pas joint cette lampe d’un nouveau type au colis.
Ils s’occupèrent d’abord de Judd. Celui-ci allait nettement mieux, son visage était plus détendu et s’il était toujours fiévreux, sa peau avait retrouvé un ton moins malsain que lorsqu’ils l’avaient hissé à bord. Il réussit même à s’alimenter de quelques cuillerées d’un épais bouillon confectionné par Myriam. Il était toujours inconscient, ou trop peu conscient pour avoir des gestes plus complexes que ceux d’un bébé. Trop inconscient surtout pour parler, et il n’était même pas sûr que ses yeux, qui allaient sans cesse de l’un à l’autre des deux visages penchés sur lui, savaient ce qu’ils voyaient.
Quand il eut mangé ce qui n’aurait même pas été un demi-repas pour un homme en bonne santé, mais qui était probablement plus que ce qu’il avait absorbé au cours de la dernière semaine, il s’endormit avec l’ombre d’un sourire sur les lèvres…
*
* *
À deux, l’un manipulant la lampe, l’autre fouillant le sol et les parois, ils firent plusieurs découvertes intéressantes mais qui n’apportaient rien de plus que ce que Carvil savait déjà sur le navire de fer. Il y avait des objets de métal, parfois abîmés, parfois intacts mais dont on ne pouvait deviner l’usage. Et aussi quelques autres qui seraient utiles plus tard, et notamment quelques outils qu’ils trouvèrent dans une salle assez vaste, à plusieurs dizaines de mètres de la cabine.
Ils étaient parfois taillés ou coulés dans une matière extrêmement légère que Carvil n’avait jamais vue auparavant, mais plus souvent en acier. Et c’était un acier bien supérieur à tout ce que les forges des Scientistes pouvaient produire. Il y avait par exemple une scie qui coupait les tôles sans s’user. Carvil se souvint des lames qu’on avait usées ou brisées deux jours durant pour percer une mince brèche dans ce qu’on ne savait pas encore être une coque…
Ils ramenèrent petit à petit leur butin non loin de l’entrée, mais Carvil conserva la scie accrochée à l’un des mousquetons de son harnais.
L’épave était vaste. Plus longue qu’une plate-forme et, parce qu’elle était vaguement cylindrique, elle comportait plus de compartiments à visiter que trois vaisseaux réunis. Lui et Myriam en avaient pour des semaines avant de les visiter tous, sans pour autant leur arracher tous leurs mystères. Mais ils n’en auraient que pour quelques jours dès que l’Extase reviendrait.
L’un des deux allait régulièrement sur la coque – et Myriam grimpait au sommet de l’une des falaises de glaces qui la dominaient –, pour essayer de découvrir le navire, mais celui-ci restait invisible. Carvil refusait de s’inquiéter, mais une sourde angoisse s’insinuait en lui. Et si la plate-forme était endommagée ? Et si, une fois les pirates semés ou vaincus, elle ne retrouvait pas la position de l’épave ? Et si, et si… Il y avait tant de raisons de croire au pire, avec les jours qui passaient. Il voyait le regard que Myriam portait sur les provisions : ils en étaient encore largement pourvus, mais elles diminuaient à vue d’œil, d’autant plus que Judd se remettait et mangeait maintenant presque normalement, même s’il fallait toujours l’aider à s’alimenter. Sa fièvre était tombée, mais il continuait à inquiéter ses infirmiers improvisés, car il ne disait pas un mot et ne semblait pas reconnaître son oncle.
Depuis la seconde nuit, quand ils avaient été rassurés sur l’avenir immédiat, ils avaient organisé leur vie et la cabine avait cessé d’être une sorte de trou où une bête malade se réfugie, pour devenir un vrai logement. C’était Myriam qui en avait été l’architecte, si ce mot n’était pas trop ambitieux pour décrire ce qui restait malgré tout un abri de fortune. Il y avait maintenant trois couchettes formant un « U » autour du réchaud à alcool qui brûlait presque continuellement. De cette manière, chacun pouvait dormir ou veiller sans déranger les autres. C’était plus civilisé, plus confortable peut-être, mais moins… intime. Carvil n’avait plus serré la Pilote dans ses bras, car il aurait fallu pour cela quitter sa couchette et aller vers elle. Ce qu’il n’osait pas, en se demandant si c’était par pur souci de l’ordre qu’elle avait agi, ou justement pour le tenir à distance.
Ils exploraient le navire plus avant depuis qu’ils étaient rassurés sur l’état physique de Judd, sinon sur son mental. Ils osaient maintenant le quitter plusieurs heures d’affilée, ce qui leur permettait de s’enfoncer dans les couloirs qui sillonnaient l’épave.
Vers ce que Carvil appelait la poupe, sans être certain qu’il ne se trompait pas de sens, ils trouvèrent des compartiments écrasés, des parois tordues, que la glace avait envahis, ce qui stoppa leur progression. Sur un flanc on pouvait avancer de quinze mètres de plus que sur l’autre, ce qui laissa à Carvil – vu la régularité des compartiments –, la certitude que l’épave était amputée d’une bonne part. Cela s’était-il produit avant qu’elle ne tombe sur la glace, causant en fait sa chute ? Ou plus tard, lorsque le vaisseau de fer avait été soumis, cycle après cycle, aux efforts destructifs de la banquise ? Ils ne le sauraient probablement jamais, et c’était secondaire. Mais qu’avait contenu la partie disparue du navire ? Les labos des Scientistes, comme sur les plates-formes…, ou quelque chose de bien différent ? Le seul moyen de le découvrir serait de trouver un plan complet du navire, et le seul endroit auquel il pouvait penser était la grande salle où tournait sans cesse l’image du système solaire.
Ils ne s’y étaient pas encore rendus, à la fois parce que les recherches plus immédiates avaient pris tout leur temps, et parce qu’il semblait sacrilège à Carvil – sans qu’il en eût pleinement conscience – d’emmener Myriam dans ce lieu primordial découvert en compagnie de Jobig. « Ahhh, si le Scientiste avait été là ! »
*
* *
Au neuvième jour, l’Extase n’était toujours pas revenue. Il restait des vivres pour trois jours, peut-être quatre.
Ce matin-là, ils mangèrent normalement, sans regarder le long de la paroi de gauche où Myriam avait rangé les provisions. Un peu comme s’ils voulaient oublier encore pour quelques heures leur situation précaire.
Ce fut Myriam qui se leva la première et prit les devants. Carvil la suivit en manipulant la lampe. La veille, il avait, selon les instructions détaillées de Jobig, réglé les deux tiges de cuivre qui se touchaient presque et entre lesquelles naissait cette étrange lumière trop brillante pour qu’on la regarde en face. La lampe, même s’il tirait ou poussait lentement, donnait assez de lumière, d’autant plus qu’ils traversaient une zone qu’ils connaissaient bien.
Il vit Myriam s’engager sans hésiter, sans le consulter du regard, dans un conduit donnant sur une partie qu’ils n’avaient pas encore visitée. Donnant vers la proue, vers la grande salle. Il faillit lui dire d’attendre. Il restait des compartiments inexplorés autour d’eux. Mais il se tut. Il avait assez cherché à ignorer cette voie, et peut-être d’une manière trop visible, qui avait poussé la Pilote à vouloir découvrir ce qu’on lui cachait.
Ils traversèrent les entretoises qui isolaient cette partie du vaisseau du reste de la coque. Il laissait faire Myriam, moins pour freiner leur progression que pour savoir si elle trouverait une autre voie que celle qu’ils avaient utilisée, Jobig et lui.
Mais elle n’en trouva pas d’autre, et ils débouchèrent en pleine lumière, loin au-dessus du sol de la salle. Un sol qui avait été une paroi quand le navire se trouvait en position normale, la proue pointant vers le ciel.
La corde qu’ils avaient utilisée la première fois se trouvait toujours là, évidemment. Ils descendirent, mais cette fois, ne perdirent pas de temps à observer les points lumineux qui tournoyaient au centre de la pièce. Carvil expliqua brièvement ce qu’ils représentaient à Myriam, elle les regarda un moment puis se désintéressa du spectacle. Pour elle, savoir qu’Octa menaçait l’équilibre d’Aqualia n’était pas nouveau, même si c’était une connaissance qui ne datait que de quelques semaines.
Il y avait des armoires métalliques le long des parois. Certaines étaient difficilement accessibles, trop hautes, mais ils s’attaquèrent aux plus proches.
Carvil avait la scie et d’autres outils. Ils forcèrent les portes de certaines, percèrent à coups de poinçon celles qui refusaient de céder, la scie permettant d’élargir l’ouverture…
Souvent, le contenu était décevant, parce qu’il n’avait pas résisté au temps, même à l’abri dans ces coffres de métal. Il y avait du papier qui s’effritait avant même qu’on le touche – leur souffle suffisait – et quelques objets sans utilité apparente ou immédiate comme ils en avaient trouvés ailleurs dans le vaisseau. Telles ces espèces de petites assiettes, d’une main de diamètre et dont le rebord était marqué de trois ou quatre creux larges comme l’index…
Carvil prit un autre objet, long comme un doigt et un peu plus épais que lui. À un bout, il y avait une molette d’acier à la surface striée qui tournait avec difficulté, comme si quelque chose la freinait. Une molette est faite pour tourner, et si elle ne tourne pas, l’objet devient inutile. Ce fut sa première réflexion. La suivante fut de forcer sur la molette pour tenter de la débloquer. Tout à coup la molette tourna et une étincelle jaillit, suivie d’une courte flamme jaune. Surpris, il lâcha l’objet.
Myriam le ramassa, et elle imita ses gestes, faisant à nouveau jaillir la flamme pour un instant seulement.
La découverte du briquet, et de plusieurs autres, dans diverses armoires, qu’ils apprirent à utiliser – prouvait une fois de plus que chaque trouvaille devait être soigneusement examinée, sans se fier à son apparence, ni à ce qu’on pouvait en tirer au premier abord. Ils vidèrent toutes les armoires qu’ils pouvaient atteindre, et ramenèrent en plusieurs fois leurs trouvailles vers la cabine.
Dans la dernière armoire, Carvil trouva un petit coffre métallique. Il aurait pu le laisser là, ou l’emporter tel quel, pour l’ouvrir plus tard, mais il décida de tenter de le fracturer sur place. Ils avaient déjà tant à emporter qu’il était inutile de se surcharger.
Le coffre était solide, mais il put le fendre à coups de hache. La scie vint à bout du reste. Il détailla ce qu’il avait découvert. Pas grand-chose d’intéressant : des rectangles de papier coloré qui s’effritaient au toucher comme bien des objets à bord, de petites plaques circulaires en métal, blanches ou jaunes, qu’il mit de côté car tout métal était bon à prendre, et une boîte en carton. Il la regarda avant de la toucher. Il y avait des mots écrits sur le carton, illisibles à la fois parce que c’était une langue qu’il ne comprenait pas et parce que l’encre avait pâli avec le temps. Il y avait aussi, sur les trois faces visibles de la petite boîte – moins d’une main de long – une sorte de fleur à trois pétales qui avait dû être rouge. Il prit la boîte, qui se déchira sans s’effriter. Elle était lourde. Quand son fond céda une pluie de petits objets métalliques roula sur le fond du coffret. Des balles semblables à celles de l’automatique ! Ou presque semblables. Elles n’étaient pas faites du même métal et semblaient un peu plus longues. Elles pourraient être utiles… si elles acceptaient d’exploser. Il les fourra dans une des poches de sa tunique et continua le pillage de l’épave.
Ce déménagement leur prit tout le neuvième jour, puis le dixième. Quand ils s’arrêtèrent, ils avaient vidé les armoires accessibles de tout ce qui présentait un semblant d’intérêt.
Ce soir-là, ils se passèrent de nourriture, mais n’en privèrent pas Judd, qui, pour la première fois avait semblé reconnaître son oncle. Il avait même dit quelques mots : « l’Extase… Il faut marcher, Sérine… Nous la retrouverons. » Ce n’était qu’un souvenir, Sérine était une Pilote de son escadrille, mais c’était la première fois qu’il s’exprimait.
Le lendemain matin, Carvil partit seul sur la glace. Il avait l’automatique, une hache et un poinçon d’acier trouvé à bord de l’épave. L’idée de trouver du gibier lui était venue pendant la nuit. Ils avaient été toute une équipe, avec les explosifs de Jobig quand ils avaient tué un monstre, et il était seul, presque sans arme, mais il aurait été stupide de se laisser mourir de faim alors qu’il y avait peut-être de quoi se nourrir non loin de soi.