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Ils menaient activement leurs recherches, mais rien ne les mena à Aris Kaite.

— Tu as eu des réponses des clubs africains ? demanda Fredrik Halders tandis qu’ils remontaient vers chez lui.

— Non, répondit Aneta Djanali. Il n’est pas membre. Ils le connaissaient, mais c’est tout.

— Et toi, t’es membre ?

— De quoi je serais membre ?

— Du club Ouagadougou.

— Tu imagines si je t’emmenais là-bas, Fredrik ? Parfois, je me demande si tu ne fantasmes pas sur cette ville. Tu en parles souvent.

Aneta Djanali était née à l’Hôpital Est de Göteborg de parents africains qui avaient quitté le Burkina Faso à une époque où il s’appelait encore la Haute-Volta. Son père était venu faire des études d’ingénieur et ils étaient rentrés au pays lorsque Aneta sortait à peine de l’adolescence. Elle avait choisi de rester en Suède. Son père vivait seul désormais, dans une petite maison de la capitale accablée de soleil, de la même couleur que les sables environnants. Dans cet air brûlant, les gens rêvaient d’eau qui n’arrivait jamais. Aneta Djanali était… retournée là-bas, si on pouvait utiliser l’expression. Elle s’était sentie chez elle, et en même temps, elle avait compris qu’elle ne pourrait jamais y vivre.

Elle se gara devant la maison de Halders. Un chandelier de l’Avent brillait à une fenêtre.

— Je peux aller chercher Hannes et Magda, proposa-t-elle, alors qu’elle s’apprêtait à repartir.

— Tu n’as pas de courses à faire ?

— Ça peut attendre. (Elle eut un rire bref.) C’étaient surtout des racines de tapioca et des bananes séchées, on en trouve toujours.

— Sauf si le club fait sa fête ce soir.

— Que se passerait-il si les gens prenaient au sérieux tes blagues racistes, Fredrik ?

— Je n’ose pas y penser.

— Alors, je vais les chercher ?

— Bien volontiers. Je fais le dîner. Des boulettes de gazelle…

— Ouais ouais, fit-elle en redémarrant.

 

Winter était assis dans le bureau de Birgersson. Le patron fumait dans la semi-pénombre de la fenêtre.

Les piliers du stade d’Ullevi se détachaient sur un ciel clair. Il aperçut une étoile.

— Que fais-tu à Noël, Erik ?

— On part en Espagne, sur la Costa del Sol. Si tu me laisses partir.

— Bien sûr que non.

— Je comprends ta position.

Birgersson grogna et secoua sa cendre.

— Quand est-ce que vous convoquez les gamins ?

— On commence les auditions demain.

— Ce sera difficile.

Winter garda le silence. Il se pencha en avant et alluma un Corps avec une allumette qu’il laissa brûler quelques secondes. Birgersson eut un sourire.

— Merci pour l’ambiance de Noël.

— En général, ils parlent assez facilement, continua Winter en laissant monter la fumée de son cigarillo. Comme les adultes, en gros.

Birgersson émit un nouveau grognement.

— Il y a tout de même du boulot, ajouta Winter.

— De mon temps, on disait qu’il fallait faire cracher les enfants tout de suite. Qu’on n’en tirait plus rien après. (Il observa les volutes de fumée.) Mais de nos jours, on laisse mûrir les souvenirs. Les images.

— Mmm.

— Imaginons un instant que ça ait bien eu lieu, ce que racontent les gosses, fit Birgersson.

— Simon Waggoner est complètement muet.

— Mais dans son cas, on sait que c’est arrivé, pas de doute.

Winter réfléchit.

— Il a quelque chose qui les attire, dit-il.

— La même et unique chose ?

— Prenons cette supposition.

— Continue, bougonna le boss.

— Et ils ont quelque chose qu’il veut s’approprier.

— Comment ça ?

— Il cherche quelque chose chez ces enfants. Un objet. Un souvenir qu’il peut emporter avec lui.

— Il les veut aussi pour eux-mêmes. Il veut avoir… des enfants.

— Laissons ça de côté, fit Winter. (Il reprit une bouffée.) Il ramasse un objet. Il veut le rapporter chez lui. Ou l’avoir avec lui.

— Pourquoi ?

— Cela doit à voir avec… lui-même. Celui qu’il était.

— Qu’il était.

— Qu’il était enfant. À leur âge.

— On sait ce qu’il a subtilisé, reprit Birgersson. Une montre, une balle et une sorte de bijou.

— Et peut-être encore un objet enlevé au petit Skarin. Probablement.

— Ce seraient des trophées, Erik ?

— Je ne sais pas. Non, pas vraiment.

— Est-ce que ces objets ressemblent à des choses qu’il possède, lui aussi ? s’interrogea Birgersson.

Il déposa sa cigarette et se balança sur sa chaise à vis qui émit un grincement.

— Très bonne question, déclara Winter.

— Qu’il pourrait partager avec quelqu’un s’il a quelqu’un.

— Les enfants.

— Oui. Mais je pensais à d’autres adultes. Des témoins adultes. (Il se rapprocha de Winter, du cigarillo de Winter, la chemise boutonnée jusqu’au cou, la cravate comme un lacet.) Est-ce même à un adulte que nous avons affaire ici, Erik ?

— Bonne question.

— Un enfant dans un corps d’adulte.

— Ce n’est pas si simple, objecta le commissaire.

— Qui a dit que c’était simple ? C’est foutrement compliqué… et malsain. Tu sais que je trouve pas ça professionnel d’utiliser ce genre d’expression, mais je le fais quand même. (Il alluma une cigarette et la pointa vers Winter.) Attrape-le avant qu’il ne fasse pire.