Nouvelle édition en 1999
Revue de presse
Avec "Mendiants et orgueilleux", l'écrivain égyptien a signé un bijou romanesque où l'intrigue policière se double d'une lancinante interrogation sur le sens de la vie, dans l'égarement d'une société qui cahote entre ses vices, perversions, misères variées et complémentaires. Comme souvent chez Cossery, le bordel tient logiquement une place centrale dans un univers d'hommes plus ou moins désorientés et désœuvrés.
Spectaculaire théâtre des vanités humaines les plus dérisoires, c'est dans un bordel caricatural que va avoir lieu le crime central, paradoxal, injustifié, que va devoir élucider Nour El Dine, policier homosexuel cachant ses amours fragiles dans des banlieues sordides, fasciné par l'idée que ce crime apparemment gratuit le sorte enfin de son quotidien minable pour lui faire croiser la route d'un individu d'exception, un criminel à sa mesure.
De fait, le criminel est bien tel qu'il l'imagine, même si l'acte fatal a été commis dans une sorte de vertige tourbillonnant causé par le manque de drogue - car même cet homme supérieur, privé de sa dose quotidienne, peut s'échapper à lui même dans une aliénation frénétique et violente.
Le besoin de drogue est là, au cœur du texte, comme la métaphore de tous les manques ressentis par les personnages : accumulation de frustrations et d'angoisses, manque de travail, manque de reconnaissance, manque de liberté, manque d'amour, manque de sexe. Grimace ricanante, l'image inverse de l'homme-tronc, transformé paradoxalement en homme à femmes, récoltant de nombreuses aumônes, et comblé par son malheur… Comme si l'univers ne pouvait s'empêcher de se déformer en caricature.
Le fond du livre est dans la révolte hautaine du personnage central, Gohar, professeur de philosophie qui a préféré devenir mendiant, plutôt que d'être complice d'un système social auquel il ne croit pas. "Est-ce que son destin était d'être un professeur respectable enseignant les vils mensonges par lesquels une classe privilégiée opprimait tout un peuple ? Et était-ce trahir son destin que de fuir cette imposture ? Rien n'était moins certain. Nul doute qu'il était un homme marqué, le produit d'une civilisation prospérant par le meurtre. Mais il croyait avoir échappé à l'angoisse, retrouvé la paix et la tranquillité, dans cette parcelle de terre encore inviolée où s'épanouissait la noblesse d'un peuple porté à la joie… "
Il n'y a pas de leçon chez Cossery, sinon celle d'un grand scepticisme face aux mensonges sociaux, et l'acuité d'un scalpel taillant dans l'âme humaine. D'où ce regard plein de fraternité pour Gohar, homme droit, lucide, sans compromission -sauf la drogue, toujours la drogue, qui a sa part dans sa sérénité supérieure. Le choix de la misère et de la mendicité est, peut-être, dans son cas, une expression de noblesse, fruit d'un dégoût devant toutes les bassesses sociales. Mais un doute subsiste jusqu'au bout : n'est-ce-pas aussi une pose, le dernier masque, celui que porte la faiblesse, la paresse, le renoncement ? Bien entendu, même si c'était le cas, il reste que ce masque là porte beau. Et c'est ainsi que Cossery invente l'aristocratie désespérée des enfants du néant. -- Khaled Elraz -- -- Afrik.com
Quatrième de couverture
Dans les rues du Caire, Gohar, ex-philosophe devenu mendiant, sillonne avec nonchalance les ruelles de la ville et croise des figures pittoresques et exemplaires. Dans ce petit peuple où un manchot, cul-de-jatte, subit les crises de jalousie de sa compagne, on rencontre aussi Yéghen, vendeur de hachisch, laid et heureux, et Set Amina, la mère maquerelle. Il y a aussi Nour El Dine, un policier homosexuel, autoritaire mais très vite saisi par le doute à mesure que progresse son enquête. Un meurtre a eu lieu, celui d'une jeune prostituée...