INTERLUDE
 
BESPIN, CITÉ DES NUAGES

— Ils vont entrer ! crie Borgin Kaa à sa petite amie, Linara, une jeune danseuse.

Elle lui adresse un regard paniqué, alors qu’il indique d’un geste la porte de son luxueux domicile, où une ligne d’étincelles grignote la porte magna-verrouillée. La vitesse et la perfection avec lesquelles les étincelles grimpent indiquent une main entraînée et confiante.

L’homme d’âge mûr inspecte la table du hall d’entrée et trouve un vase en céramique du Legs Vinzor. C’est un objet d’art vieux de plusieurs millénaires, qui remonte à l’Ancienne République. C’est en tout cas ce qu’on lui a dit. Tout ce qui compte – ou ce qui comptait, plutôt – c’était sa valeur. La céramique est entrelacée de lacite, comme des toiles d’araignée céruléenne scintillantes, d’un bleu éclatant.

Même si l’idée lui fait horreur, il empoigne le vase.

C’est une arme, se dit-il. Pas une œuvre d’art ancienne de grande valeur.

Son cœur bat à tout rompre dans sa poitrine.

Est-ce qu’il a oublié ?

Est-ce qu’il va mourir ?

Non ! J’ai vécu jusqu’ici. Je suis sur la liste. La Cité des Nuages est devenue la destination pour se procurer des implants rares : de nouveaux globes oculaires, des mains fabriquées sur mesure, des systèmes d’organes complets pour les humains et toutes les autres espèces qui peuvent se les offrir. Il lui faut un nouveau cœur. Il était sur la liste. Il y est toujours, espère-t-il. Puis il a fallu que ces vauriens rebelles viennent tout gâcher et que l’Empire reprenne le contrôle de ce secteur. Maintenant, tous les implants sont en attente.

Les Impériaux vont arranger cela. L’Empereur a promis la paix à la galaxie.

Les braises dansent autour de la dernière courbe qui se dessine dans la porte, avant de tomber sur le sol.

La porte coulisse avec un sifflement.

À travers la fumée, Borgin Kaa distingue les silhouettes des intrus. Linara pousse un cri. Borgin soulève le vase avec un grognement. L’œuvre d’art rebondit sur le côté de la porte, ratant sa cible. Le vase ne se brise même pas. Il atterrit sur le sol avec un petit bruit mat.

Apparemment, les Vinzors fabriquaient des vases d’une solidité à toute épreuve.

Les silhouettes débarquent en braquant leurs blasters. Il y en a deux qu’il ne reconnaît pas : une Devaronienne et un DAP dégingandé, un droïde assistant personnel. Une tête de mort noire est peinte sur sa plaque faciale en argent terni.

Borgin reconnaît les deux autres : l’un est un malfrat local, Kars TalKorla, surnommé le Fléau de la Cité des Nuages. Difficile de ne pas l’identifier au premier coup d’œil. Sa tête est sur toutes les affiches et les holovids de mise en garde qui circulent en ville ! L’Empire le recherche activement et il est ici, dans l’appartement de Borgin, vêtu de l’armure qui est sa marque de fabrique : un patchwork mal assorti de pièces mandaloriennes, corelliennes et de quelques morceaux d’armures de troopers impériaux pour faire bonne figure.

À côté de lui, la deuxième figure familière est une vraie surprise : Jintar Oarr.

Un Onderonien, comme Borgin. Riche au-delà de l’imaginable. Un des résidents des niveaux luxueux de la Cité des Etoiles, voisin de Borgin.

Un ami. Du moins, il l’a été.

— Toi, lance Borgin en pointant un doigt vers Jintar.

L’homme est aussi séduisant que prétentieux. Il arbore une barbe soigneusement taillée, des yeux couleur de nuage gris. Même les rides de son visage lui donnent un air distingué.

Mais quand Borgin pointe son doigt accusateur, la Devaronienne approche, lui attrape le doigt et le tord. La douleur transperce Borgin comme un tir de blaster. Il pousse un hurlement qui lui fait honte, un cri porcin suraigu, comme le son que produisent les Ugnaughts quand ils tombent dans la machine. Puis Borgin s’effondre à genoux et la Devaronienne colle le canon de son fusil blaster contre son front.

— Attendez, ordonne Jintar.

Il saisit la Devaronienne au poignet et elle crache comme un serpent. Il lâche sa main et dit :

— Laissez-moi lui parler.

Kars acquiesce d’un hochement de tête.

— Qu’ils discutent. Mais l’horaire est serré, alors grouillez-vous.

Il aboie à l’attention du droïde assistant :

— Trouve-nous ce panneau d’accès.

Panneau d’accès ? Borgin suit le droïde du regard. La machine quitte le hall d’entrée en trottinant et s’engage dans le couloir. Avant qu’il ne puisse voir où se dirige l’homme de métal, la Devaronienne lui empoigne le menton sans ménagement et tourne son visage vers elle.

— Votre copain veut vous parler.

Jintar s’agenouille également.

— Bor, écoute-moi. On nous a menti. Adelhard a condamné tout le secteur. Il a installé des blocus monstrueux avec ce qui reste des forces impériales. Mais ce n’est pas comme ça qu’ils maintiennent le contrôle. Ils gardent le contrôle en nous mentant.

Jintar prend une profonde inspiration.

— L’Empereur est mort, Bor. C’est confirmé.

— Mensonges, fulmine Borgin. Évidemment, c’est ce que ce genre de type veut te faire croire !

Il indique du menton Kars. Le pirate dépenaillé dans son armure de bric et de broc s’assombrit et secoue la tête.

— J’ai vu les holovids, insiste Borgin. Vous aussi. Palpatine est vivant et en pleine forme sur Coruscant et…

— Ce n’est qu’un remplaçant. Une doublure. Un acteur.

— Non. Ce sont des balivernes de Rebelles.

— Nous avons comparé. Les holovids ne correspondent pas. Cette… personne en robe noire n’est pas Palpatine. Le menton est différent. Les gestes ne sont pas les mêmes. Ce n’est qu’une pâle imitation.

— Tu es un traître !

Jintar a l’air triste.

— Non, Borgin, c’est toi, le traître.

— L’Empereur a été bon avec nous.

— C’est vrai. Mais il ne l’a pas été avec tout le monde. Et les bien-pensants de la galaxie s’en rendront compte. C’est pour ça que je t’implore d’agir.

La voix de Jintar s’adoucit. Cet homme serait capable de persuader un chien-slakari de lâcher une carcasse pourrie.

— Ton aide nous serait précieuse.

Son aide ? Ils veulent son aide ?

Pas question. Borgin pousse un rugissement. Il s’est retrouvé mêlé à quelques bagarres à l’époque, quand il était un jeune baron des mines sur la lune de Sevarcos. Bien sûr, il est plus vieux aujourd’hui, beaucoup plus vieux et plus gros, mais il bondit et assène un coup de tête à Jintar…

Des étoiles explosent derrière les yeux de Borgin. Il retombe sur son coccyx. Des mains se tendent vers lui, mais il pousse un cri et les griffe.

Jintar grimace de douleur, une bosse fleurit déjà sur son front. Borgin, lui, a un goût de sang dans la bouche.

C’est au tour des Rebelles de jouer. Kars s’approche. Borgin voit trouble. Il cligne des yeux. Le pirate gratte sa barbe naissante et fait tourner le pistolet qu’il porte sur la hanche.

— Nous allons discuter. Vous disposez d’un panneau d’accès à l’arrière de votre appartement. Il est relié au même circuit que la chambre du gouverneur Adelhard dans la tour numéro un. Il faut que ce panneau soit ouvert. Vous nous filez le code, nous serons contents. Vous ne nous le donnez pas, nous devrons le faire nous-mêmes.

La bouche de Kars est déformée par un sourire machiavélique.

— Et nous ne serons pas contents du tout.

— Brutes ! Tyrans ! Criminels.

Kars soupire.

— Très bien. Rorna ?

Il lui adresse un signe de la tête et la Devaronienne enfonce son poing dans le bas du ventre de Borgin. Ce dernier bêle en agitant les bras. Jintar lui saisit les mains et les serre dans son dos. Borgin sent qu’on les glisse dans quelque chose. Un sac en tissu ? Une chaussette, peut-être ? Puis il entend de la bande adhésive qu’on déroule pour entraver ses poignets.

— Linara ! hurle-t-il. Linara, sauve-moi !

Mais sa petite amie se contente de baisser les yeux sur lui, comme une mère déçue par le comportement de son enfant.

— Est-ce que je peux faire quelque chose ? demande-t-elle à Kars.

Le pirate émet un petit rire puis lui lance un rouleau de bande adhésive.

— Pourquoi ne pas boucher le trou gazeux qui lui sert de bouche ?

Borgin proteste :

— Linara, j’ai été bon avec toi. Nous nous aimons. Ne me fais pas ça. Je te punirai ! Je punirai toute ta famille ! Je mettrai fin à leurs prêts et je dresserai des créanciers contre eux et…

Elle colle la bande adhésive sur sa bouche et elle ne s’arrête pas là. Elle entoure sa tête une fois, deux fois, trois fois. Ça a l’air de lui faire plaisir.

— Mmf ! Mmf !

Traduction : L’Empereur aura vos têtes pour ça.

Kars opine. De l’arrière de l’appartement s’élève le bourdonnement d’une perceuse. Kars porte son comm de poignet à sa bouche.

— Dis à Lobot qu’on doit employer la manière forte.

La Devaronienne ajoute à voix basse :

— On pourrait torturer le riche pour obtenir le code. Ce serait avec grand plaisir, ajoute-t-elle avec un rictus cruel.

Le pirate balaie la proposition d’un geste :

— Non. Nous avons des instructions spécifiques. Pas de ça. Faut rester propre, réglo. Bla-bla-bla, l’Alliance ne fait pas les choses « comme ça ».

Puis il se penche à nouveau vers son poignet :

— Ouais, ouais, j’écoute. Dis à Lobot de se tenir prêt avec l’équipe d’intrusion. Et fais passer un message à Calrissian. Dis-lui qu’on est presque à l’intérieur et qu’il peut transférer les crédits…

Il se tait un instant.

— Non, tu sais quoi ? Dis-lui que ce coup-ci, c’est gratos. Offert par la maison. Lui et ses potes de la Nouvelle République m’en devront une. Insiste bien là-dessus. Ils me devront une grosse faveur.

Ordures ! Ordures !

Jintar s’agenouille à nouveau.

— Tu es du mauvais côté de l’histoire, Bor. Tu n’as pas voulu comprendre que la galaxie ne se réduisait pas à un seul homme.