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La tactique, très simple, est la suivante : ils se dirigent vers l’entrée du palais du satrape. Contrairement à ce qu’ils pensaient, elle n’est pas bouchée par un éboulement de pierres, mais par un mur de briques élégantes. Des briques rouge sang incrustées de flocons de lucryte – une pierre semi-précieuse qui brille et émet des reflets quand la lumière la frappe. Les briques portent une inscription gravée : Scellé par l’autorité du satrape de Myrra, Akiva.

Ils se tiennent dans le passage, au dernier tournant.

Et attendent.

Les officiers vont arriver par ce mur. Sans doute accompagnés de quelques stormtroopers ou des gardes du palais. Une surprise les attend.

Norra hésite. Elle s’accroupit derrière un tas de gravats recouvert de mousse et se penche vers Jas :

— Vous êtes certaine que ça va marcher ?

— Non. Je n’en suis jamais sûre. Mais c’est notre meilleure option.

— Nous n’aurons jamais le dessus.

— À nous quatre, j’ai confiance. Le combat est mon métier et ce droïde est redoutable : nous nous en tirerons sans encombre.

— Tout va bien ? demande Norra à Temmin.

Il acquiesce d’un hochement de tête, mais elle constate qu’il est soucieux. Il tente d’afficher un air confiant, sûr de lui, en lui adressant son habituel sourire narquois. Mais le rictus n’est pas sincère. Une mère sent ce genre de subterfuge. Quelque chose le turlupine, le dévore de l’intérieur.

La peur, peut-être ?

Est-ce simplement cela ? Rien ne semble l’effrayer, d’habitude. Elle pressent qu’il y a autre chose.

Pas le temps de s’en préoccuper dans l’immédiat.

Un bruit se fait entendre. Norra pose un doigt sur ses lèvres pour signifier à Jas et Temmin de se taire, puis articule en silence : Ils arrivent.

Plusieurs minutes s’écoulent. L’horreur et la confusion en profitent pour s’insinuer dans l’esprit de Norra, parce que les bruits qu’elle entend ne proviennent pas de la porte scellée, mais de l’autre direction. De derrière eux.

Le sol frissonne légèrement. Des bruits de pas. Qui approchent sans ralentir.

— Les Uugteens, chuchote Jas en insérant une munition dans son fusil.

— Non, objecte Norra, je connais ce son.

Ce n’est pas les pas traînants des créatures – les Uugteens se déplacent avec des grincements métalliques et des gémissements mécaniques. Ce qu’ils entendent est un pas mesuré. Le cliquetis d’une armure plutôt que celui de pièces de droïdes recyclées.

— Des stormtroopers ! s’exclame Norra.

Le long du passage escarpé dans leur dos, elle entrevoit un morceau d’armure blanche. Un tir de laser rouge troue l’air juste au-dessus de leurs têtes, provoquant une pluie de pierres et de gravats. Norra riposte et, d’un coup, l’air est saturé de rais de lumière vive.

— On s’arrache ! ordonne Norra.

Ils n’ont qu’une seule position de repli. Ils n’ont pas le choix, ils sont contraints de reculer vers la porte scellée qui donne accès au palais : en d’autres mots, dans un cul-de-sac.

Ils bifurquent dans le dernier tronçon de couloir et Norra tente d’évaluer rapidement le nombre d’assaillants : une dizaine de stormtroopers, peut-être davantage. Une rude bataille, mais jouable. Peut-être.

Devant eux…

La porte explose. Des briques rouges rebondissent sur le sol, tandis que l’explosion fait voler en éclats l’obstacle qui se dressait devant eux.

À travers le brouillard de fumée et de poussière, ils aperçoivent à nouveau des silhouettes blanches. Des stormtroopers débarquent de ce côté aussi. Jas, Norra et Temmin sont piégés des deux côtés, coincés comme un rat entre deux chats…

D’un coup, elle comprend. Son cœur se serre : Sinjir les a trahis.

Ils sont bloqués au carrefour à l’entrée du passage, accroupis les uns près des autres. Temmin et Norra tirent dans une direction, Jas et le droïde dans l’autre, Os brandit un blaster dans sa main griffue.

Une voix au milieu du chaos.

— Posez vos armes.

Une voix de femme.

L’expression de Jas est un masque de rage pure, de fureur, de détermination meurtrière.

— Bouffez mes balles ! aboie-t-elle en pointant le long canon de son fusil.

Mais Norra pose une main sur son épaule. Jas lui adresse un regard perdu. Suppliant. Laissez-moi les tuer, semble-t-elle dire.

Mais Norra secoue la tête et lâche son arme.

— Norra, l’implore Jas.

— Vous ne pourrez pas toucher votre prime si vous êtes morte.

— Je suis désolé, déclare Temmin.

La femme répète :

— Posez vos armes. Levez-vous, les mains en l’air. Doucement.

Jas jure dans une langue que Norra ne connaît pas, puis pose son fusil. Le blaster de Temmin est déjà au sol et il demande à Os de faire pareil.

Ils se relèvent tous, les mains en l’air.

Des stormtroopers émergent du brouillard. Une dizaine de chaque côté. Ils sont beaucoup trop nombreux pour être abattus, même par une chasseuse de primes qualifiée et un droïde de combat psychopathe. L’estomac de Norra se noue.

Du côté du palais, une femme – celle qui leur a ordonné de poser leurs armes, semble-t-il – passe entre les stormtroopers qui s’écartent et se dirige vers eux. Elle garde les mains derrière le dos. Son teint et ses yeux sont foncés, son visage plissé et son regard scrutateur. Son dos est arqué et sa position évoque à la fois l’autorité et la confiance en elle.

Un amiral, si l’on en croit les barrettes sur sa poitrine.

— Je suis l’amiral Rae Sloane. Vous êtes en état d’arrestation pour avoir conspiré contre l’Empire Galactique. Que son règne soit long.

Jas jure à nouveau dans une langue inconnue :

— A-kee a’ tolo, fah-roo kah.

Puis elle crache par terre.

— Vous ne vous en tirerez pas comme ça, proteste Norra. C’est la fin de l’Empire. La comète arrive, elle va écraser les vestiges de votre empire et vous réduira en poussière.

— Oui, eh bien, cette comète ne nous a pas encore frappés, Norra Wexley. Venez. Pendant quelques heures, vous serez les hôtes du satrape d’Akiva.

 

Jom est couché sous la console. Des fils pendent au-dessus de son visage comme les tentacules faciaux d’un dentiste quarren. Il noue un câble, puis en couple deux autres. La console projette des étincelles et il jure. Il se bat désespérément pour contourner le mécanisme de mise à feu – qui doit être hors d’état – et permettre au contrôle de tir d’être relié à la console. Il ignore les petites décharges sur son visage et essaie un troisième câble…

Un bourdonnement se fait entendre au-dessus de sa tête. La console s’allume.

Ça a marché. Yes !

Il se mord l’intérieur de la joue pour ne pas sentir la douleur quand il se remet debout, puis braque à nouveau les canons : à présent, le yacht est arrivé au palais. Non, pas exactement, il ne parvient pas à se poser. La plateforme d’atterrissage n’est plus en état. Même d’ici, il constate que la structure est inclinée à un angle étrange et semble aussi fragile qu’un château de cartes de pazaak. Le yacht fait du surplace en consommant du carburant pour se maintenir près du palais.

Ce qui offre à Jom un angle de tir parfait.

Il en profite. Il trouve le bouton vers lequel il a détourné le mécanisme de tir – un interrupteur qui, jusqu’alors, servait à allumer et éteindre l’éclairage à l’intérieur de la tourelle – et l’enfonce d’un mouvement du pouce.

Rien ne se passe.

Il lâche un rugissement de frustration et appuie à nouveau.

Les lumières de la console s’allument. La luminosité continue à augmenter, des étincelles s’élèvent en crépitant, puis tout le mécanisme s’éteint d’un coup.

 

Norra est forcée de se mettre à genoux sur le sol du palais. Un sol magnifique, d’un bleu céruléen comme elle n’en a jamais vu, avec des entrelacs de cuivre et de bronze. On dirait de l’eau de mer qui est parvenue à capturer les rayons du soleil. Une partie de Norra aimerait l’observer indéfiniment cette surface, en se faisant croire que rien de tout cela ne se passe. Mais c’est la sinistre vérité. Sinjir les a vendus. Ils sont prisonniers. Leur mission a échoué et ils seront emprisonnés ou exécutés.

Même si elle en a très envie, Norra n’est pas du genre à tourner le dos aux événements à venir, aussi horribles soient-ils.

Elle redresse le menton et affronte son sort avec un regard noir.

Temmin et Jas sont à genoux, eux aussi. Le droïde reste debout, il tourne prudemment la tête pour observer ceux qui les entourent. À chaque fois que son crâne pivote sur son axe, elle entend les petits servomoteurs gémir.

Le droïde est perdu, se dit-elle. Perturbé. Imprévisible.

— Contrôle ton droïde, murmure-t-elle à son fils.

Temmin est blême. Il ne répond pas.

L’amiral passe et repasse devant eux. Au sommet d’une majestueuse cage d’escalier se tiennent d’autres éminentes personnalités : un homme imposant au visage de renard, portant un uniforme de Moff, et une femme plus menue et plus âgée. Sans doute le général Jylia Shale. Derrière eux, un homme rubicond au ventre proéminent et portant une barbe fine, puis un autre individu affublé d’un chapeau haut et prétentieux. Celui-là affiche un sourire étrangement béat.

Rae hoche la tête. On lui amène Sinjir.

Un de ses yeux reste fermé tellement son arcade est tuméfiée. Ses narines sont bouchées par le sang et l’arête de son nez est couverte de croûtes, peut-être même cassée. Ses mains sont entravées dans son dos. Il est poussé en avant et atterrit lourdement contre l’épaule de Norra en étouffant un cri.

— Sinjir, dit Norra. Je ne comprends pas.

Des stormtroopers approchent avec des magna-menottes.

— LIBÉREZ-MOI, MAÎTRE TEMMIN, réclame Os en commençant à faire pivoter lentement son bras d’astromech.

— Non, Os, non ! répond Temmin d’une petite voix.

Un trooper attrape sans ménagement les deux bras de Norra et les tire en arrière. Les menottes claquent autour de ses poignets. Ils attrapent aussitôt Jas, qui se débat. Elle écarte les épaules en grognant comme une bête féroce. Ce mouvement de rébellion ne suffit pas. Les menottes bourdonnent et se referment autour de ses poignets.

Temmin, lui, se lève.

— Temmin, mon fils, ce n’est pas le moment !

Temmin ignore sa mère et fait un pas en avant. Le plus étrange, c’est que personne ne l’arrête.

— Laissez-nous partir. Moi, ma mère et le droïde.

— Oh non, Temmin, non, déclare Jas d’un ton déçu.

Norra ne comprend pas au début. Puis Temmin ajoute :

— C’était notre accord. Vous devez l’honorer !

Rae brandit un petit holo-écran. Elle appuie sur un bouton et la projection démarre. Un hologramme bleu vacillant reproduit la silhouette d’un Sullustéen borgne. Norra le reconnaît. C’est Surat Nuat.

— C’est avec lui que tu avais un accord, décrète Sloane.

Le Sullustéen sourit et prend la parole :

— Hélas, mon garçon, l’Empire a lui aussi négocié un accord. Et ils ont imposé leurs conditions.

— Non ! proteste Temmin. Vous aviez dit que nous serions libres !

— Temmin, commence Norra.

Elle entend elle-même l’angoisse dans sa voix. Ce n’est pas vrai. Il n’a pas pu. Il ne ferait pas cela…

— Temmin, que se passe-t-il ?

Il lui jette un regard triste et perdu.

— Je suis désolé.

Sinjir grogne :

— Il nous a vendus.

— Je voulais rester ici, se justifie Temmin. Je ne voulais pas partir. C’est ici que je vis ! Je devais offrir quelque chose à Surat, sinon il nous aurait tués. Maman, je t’en prie.

Puis il s’adresse à l’amiral :

— Non ! Ce n’est pas ce que nous avions convenu. L’accord nous couvrait ma mère, mon droïde et moi. Nous pouvons nous en aller tous les trois.

— Tu peux y aller, réplique Rae. Les autres restent. À moins que tu ne préfères rester aussi ? Je peux me montrer flexible sur la taille du nœud coulant.

Surat ricane.

Jas regarde Temmin et déclare :

— Tu ferais un excellent chasseur de primes, gamin.

— Il ferait un meilleur Impérial encore, renchérit Sinjir.

Temmin paraît secoué. Il se tourne vers son droïde.

— Os ! Sauve-nous !

Le droïde pousse un cri de guerre mécanique et bondit en l’air…

Le droïde de combat n’a aucune chance. Des tirs de laser le fauchent en plein saut. Le droïde B1 pousse un hurlement et retombe avec une telle violence qu’il lézarde le carrelage bleu et bronze. Ses jambes se dérobent et il s’écrase sur le côté. Temmin court vers lui. Des stormtroopers écartent le garçon, puis le retiennent. Norra tente de se mettre sur pied, mais ils l’en empêchent.

Impuissante, elle regarde Sloane s’approcher du droïde. L’Impériale dégaine son blaster et tire à plusieurs reprises dans la tête de la machine. Après six décharges, la tête se détache et roule en fumant.

Les membres du droïde s’immobilisent dans un dernier cliquetis métallique. Temmin est en larmes.

— Comme le prévoit notre accord, tu peux t’en aller, déclare Sloane au garçon.

— Escortez-le dehors, ordonne-t-elle aux stormtroopers qui le retiennent. Par le toit, s’il vous plaît.

Non !

Norra se remet debout d’un bond et se précipite vers Temmin. Un éclair blanc traverse son champ de vision, quand un stormtrooper intervient et lui assène un coup de crosse sur la tête. Elle s’effondre parmi les débris de droïde. Sinjir gît non loin de là. Norra pousse un cri lorsque les troopers emportent Temmin, qui se débat en hurlant et en appelant sa mère.