12
— Il y a un problème.
Quelqu’un secoue Temmin pour le réveiller. Ce dernier pousse un cri étouffé et s’assied sur son lit, dans l’alcôve à l’étage de leur maison. Dehors, le tonnerre gronde aussi fort que des tirs de canon, comme si des vaisseaux se déchiraient dans le ciel. Les éclairs ressemblent à des explosions. C’est un mausim – un vieux mot akivan qui qualifie les orages qui grondent annuellement pour signaler le début de la saison des pluies. Les nuages virent au noir et se resserrent au-dessus de la ville comme un nœud coulant. Un mausim peut durer des jours, des semaines même. Inondant la ville de grosses pluies. De vents violents qui interrompent la circulation.
Temmin renifle, se frotte les yeux. C’est son père. Il se penche et embrasse Temmin sur le front.
— Papa. Qu… qu’est-ce qui se passe ?
Une voix leur parvient depuis le seuil. Maman.
— Brentin, qu’est-ce que c’est ?
Le père répond :
— Je suis désolé. Je suis vraiment…
En bas, quelqu’un tambourine à la porte.
Puis un nouveau coup de tonnerre.
Brentin s’abaisse, serre son fils très fort.
— Temmin, il faut que tu sois gentil avec ta mère. Promets-le-moi.
Temmin cligne des yeux, il est encore un peu endormi.
— Papa, de quoi est-ce que tu parles ?
Maman est là maintenant, debout à côté du lit. Chaque éclair illumine son visage inquiet. En bas, les martèlements reprennent, puis l’impatience doit gagner le visiteur, qui force la porte. La mère pousse un cri.
Brentin demande à son fils :
— Promets-le-moi.
— Je te le promets.
Son père le serre une dernière fois.
— Norra, aide-moi…
Il court à la fenêtre, protégée par un volet à claire-voie en métal censé garder la tempête dehors. Si le vent venait à briser la vitre, le volet réagirait, les fentes se refermeraient d’un coup et tout serait scellé.
Ils se positionnent chacun d’un côté et tirent sur les leviers qui permettent de solidariser le volet et l’encadrement.
— Brentin, qu’est-ce qui se passe ?
— C’est moi qu’ils viennent chercher. Pas toi.
Des voix. Un comlink qui grésille. Des pas. Tout à coup, d’autres gens font irruption dans la chambre. L’armure blanche des stormtrooper. Ils sont deux. L’uniforme noir d’un officier impérial. Tout le monde crie. Des blasters sont levés. Le père dit qu’il se laissera emmener dans le calme. Temmin crie. La mère se poste entre les troopers et le père, les mains en l’air – l’un d’entre eux lui donne un coup de crosse de fusil sur la tête.
Elle s’écroule en poussant un cri. Le père bondit en les traitant de monstres, il frappe des poings sur un casque…
Un blaster tire. Papa hurle et s’effondre. Ils le traînent vers l’extérieur. La mère commence à ramper derrière eux. L’officier en noir reste dans la chambre, il s’accroupit et lui colle un datapad sous le nez.
— Le mandat d’arrestation pour Brentin Lore Wexley. Saleté de Rebelle.
La mère tend les mains, toutes griffes dehors, vers ses hottes, mais il se dégage.
Temmin s’approche de sa mère pour voir comment elle va. Elle s’est écroulée en tas et pleure. La tristesse et la peur de Temmin sont étouffées sous un accès soudain de colère. Il se relève et court à l’étage en dessous. Ils ont déjà emmené son père dehors. Ils le traînent dans la me, sous la pluie. L’eau ruisselle sur leurs bottes tandis qu’ils avancent. Temmin fonce sous les énormes gouttes d’eau. Toute la scène ressemble à un cauchemar, cela ne peut pas être réel. C’est comme si le ciel s’était ouvert et que tous les êtres malfaisants en étaient descendus. C’est pourtant la réalité.
Il leur hurle de s’arrêter. L’officier se retourne et éclate de rire tandis que les deux stormtroopers jettent son père à barrière d’un bala-bala – un modèle de speeder utilisé pour se frayer un chemin dans les ruelles étroites de Myrra.
L’officier dégaine son pistolet.
— Arrêtez, l’implore Temmin, d’une voix qui ressemble à celle d’un animal blessé. Je vous en prie.
L’officier pointe son blaster.
— Ne t’en mêle pas, mon garçon. Ton père est un criminel. Laisse la justice suivre son cours.
— Ce n’est pas de la justice.
— Fais un pas vers moi et tu vas savoir ce que c’est la justice.
Temmin lève un pied pour faire un pas…
Mais deux mains le saisissent à la taille et le soulèvent. Temmin se débat en donnant des coups de pied. En criant. Sa mère lui chuchote à l’oreille :
— Temmin, non. Calme-toi. Pas comme ça. Rentre. Rentre !
— Je vais te tuer ! hurle-t-il sans savoir lui-même à qui il s’adresse. Je jure que je vais te tuer pour ça !
— Il y a un problème.
La voix de sa mère dans son oreille. Qui chuchote.
— Quesque c’est, bafouille-t-il, la bouche sèche et pâteuse.
— Chut. Nous sommes en danger.
Il prend une profonde inspiration. Essaie de comprendre où il est. Une cale. Celle d’un petit vaisseau. Un cargo, peut-être. De conception corellienne. Ils sont tapis derrière une pile de caisses en fibre de carbone, sur une palette. Une palette à répulsion, à en juger par son apparence, même si en ce moment, elle est éteinte et posée sur le sol métallique.
Puis il le repère : un corps.
Un homme mort. Tourné sur le côté. La moitié de son visage est un entrelacs de cicatrices et de cratères formés par de vieilles brûlures. Son regard est vide, il a perdu tout son éclat.
À sa gauche, la porte de la cale. Assez large pour laisser passer trois de ces caisses, côte à côte. À sa droite, une porte scellée, qui doit mener au reste du vaisseau.
La couchette, le poste d’artillerie, le cockpit.
Derrière cette porte, on entend le bruit de conversations il travers le système comm. Et des voix qui sortent des haut-parleurs de casques.
— Des stormtroopers, observe-t-il à voix basse.
Il essaie de se souvenir de ce qui s’est passé, comment il est arrivé là. C’est comme tenter d’attraper des nuages entre ses doigts. Puis la mémoire commence à lui revenir. Il venait de se disputer avec sa mère. Il tournait les talons pour partir quand…
Elle avait planté quelque chose dans son cou.
Sa mère commence à dire quelque chose, mais il murmure :
— Tu m’as emmené ici !
L’inquiétude se lit dans son regard.
— J’étais obligée.
— Oh, tu étais obligée ?
— Il faut que nous quittions cette planète, Tem.
— Où est Monsieur Os ? Et où sommes-nous ?
— Ton droïde ? demande-t-elle d’un ton presque irrité. Je ne sais pas. Nous sommes à bord d’un vaisseau. À la sortie de la ville, près de la route d’Akar.
Dieux, comme elle l’a emmené loin ! Jusqu’ici, près des canyons et des vieux complexes de temples ? Il est saisi de panique. Ma boutique. Mes marchandises. Mes droïdes.
Norra indique le cadavre.
— C’est le pilote. Il allait nous emmener hors d’ici. Ça grouillait de stormtroopers, alors je suis montée à bord en cachette et je l’ai trouvé là, déjà mort. Les stormtroopers sont revenus, je ne sais pas pourquoi. Une seconde fouille, sans doute. Ils cherchent peut-être de la contrebande.
C’est nous qu’ils cherchent, se dit Temmin.
— Il faut que nous prenions ce vaisseau pour nous enfuir, déclare sa mère. On peut y arriver. Ensemble. Il va falloir que tu sois mon navigateur : nous n’avons pas d’astromech.
Elle doit voir son regard effrayé parce qu’elle ajoute :
— Je t’expliquerai comment faire.
Elle lui serre la main.
— Je ne peux pas partir d’ici, siffle-t-il avec rage. C’est ici chez moi.
— Nous avons une nouvelle maison, maintenant.
— Tu n’as pas le droit de me kidnapper et…
— Si, parce que je suis ta mère.
Un millier de répliques furieuses se bousculent dans sa tête, comme des chiens qui courent après leur queue. Mais ce n’est pas le moment.
— Je… j’ai un plan, annonce-t-il.
Ce n’est pas un mensonge. Pas vraiment.
— Je t’écoute.
— Reste ici et suis mon signal.
Elle veut protester, mais il sort de leur cachette d’un bond et court jusqu’à la porte de la cabine. À côté, sur la porte, il y a un panneau de contrôle. Il jette un œil à sa mère, qui l’observe d’un air intrigué.
— Je suis désolé, articule-t-il en silence.
Sa mère écarquille les yeux quand elle comprend.
J’ai un plan, c’est juste qu’il ne va pas te plaire.
Il enfonce rapidement quelques boutons du panneau. Il neutralise les charnières pneumatiques de la cale – celles qui ouvriraient la porte et abaisseraient lentement la rampe pour la poser délicatement contre le sol, comme une mère couche son bébé dans son berceau. Temmin n’a pas le temps pour cela. Il active les pistons avec un sifflement strident et la rampe tombe bruyamment.
Dehors, une plate-forme d’atterrissage craquelée, brisée. Des racines et des plantes poussent sur le plastobéton. La jungle et la ville s’étendent au loin.
Et des stormtroopers.
Tout un escadron de stormtroopers.
Ils semblent pris par surprise. Ils ne sont pas alignés, prêts au combat.
Ils font les cent pas, attendent, fouillent les taillis, ouvrent des caisses.
Temmin doit saisir cette chance.
Il court en hurlant et cogne de son épaule une palette chargée de caisses. D’un rapide coup de genou, il appuie sur la poignée de la palette et l’engin se soulève du sol. Il flotte à quelques centimètres du sol de la cale. Sa mère bondit vers lui.
Mais elle n’est pas assez rapide.
Temmin avance au pas de charge en poussant de l’épaule la pile de caisses qui plane vers la porte de la cale. Il se cache derrière l’entassement, pour se protéger du soudain déluge des blasters. Sa mère l’appelle mais il arrive juste à penser : C’était une idée idiote, complètement idiote.
— Il y a un problème ? demande Surat Nuat.
Sinjir traverse la salle de jeu en repoussant les lanceurs de dés et les joueurs de cartes, pour se retrouver face au gangster sullustéen. Le malfrat le toise de son œil indemne. Sinjir se sent tout à coup disséqué, comme un insecte ailé taillé en pièces par un enfant cruel. Cette sensation est décuplée par le cliquetis des blasters pointés dans sa direction et prêts à tirer.
Des cris étouffés fusent de toutes parts. La musique s’arrête. Les regards convergent vers lui.
Il sent son nouvel « ami » twi’lek trembler dans son dos.
Sinjir s’éclaircit la gorge et sourit.
— Pas du tout. Aucun problème. Juste un entretien poli, si vous le voulez bien. Puis-je faire appel à votre…
Quel mot satisferait cet escroc suffisant ? Qu’est-ce qui titillerait l’ego du Sullustéen, un ego surdimensionné, gonflé comme une carcasse de shaak chauffée par le soleil ?
— … à votre grâce sans limite, à votre sagesse à multiples facettes, à votre puissance éternelle ?
Surat serre les lèvres.
— Vous ne manquez pas d’éloquence. Vous avez de bonnes manières. Ça me plaît. Même si votre nez crochu d’humain est noirci d’excréments. Allez-y, faites votre demande. Mais faites vite.
Une pensée tourne en boucle dans l’esprit de Sinjir : Va-t’en. Ça ne te concerne pas. Elle n’est personne. Elle n’a aucune importance. Vous ne vous connaissez même pas. Vous avez partagé un moment, un instant étrange. Ces parenthèses dans le cours de la vie ne correspondent à rien d’important. Fuis, comme tu sais si bien le faire.
Mais cette femme ? La Zabrak l’observe. C’est peut-être son imagination, mais l’éclair qui est passé dans ses yeux n’indique-t-il pas qu’elle l’a reconnu ? Un regard insistant ?
Comme pour confirmer son impression, elle lui adresse un signe de tête discret.
— Cette femme, est-ce que vous la vendez ?
— Effectivement, confirme Surat en souriant d’un air amusé.
— Alors, j’aimerais l’acheter. Je payerais bien pour une occasion…
— Le protocole, pour une candidate de choix comme celle-ci, l’interrompt Surat, est une mise aux enchères. Pour maximiser l’effort et assurer une chance à tous les acheteurs.
— Je vous propose un généreux supplément pour être le meilleur enchérisseur.
Surat lève la main.
— Ça n’a pas d’importance car il n’y aura pas d’enchère pour celle-ci. Nous avons déjà un acheteur. À moins que vous ne pensiez entrer en compétition avec les ressources infinies de l’Empire Galactique ?
Le cœur de Sinjir devient lourd, on dirait une pierre qui s’enfonce dans un marécage boueux. Mais il refuse de laisser transparaître sa peur et sa déception. Il placarde un grand sourire sur son visage et frappe dans ses mains.
— Il doit y avoir eu une confusion, un problème de communication. Voyez-vous, je suis de l’Empire Galactique. Je suis un émissaire. Je suis Sinjir Rath Velus, stationné en dernier lieu sur la base impériale d’Endor et maintenant sur Akiva, dans le cadre d’une… mission diplomatique. On ne vous a pas prévenus que je venais ? Tout fonctionnait si bien avant que ces saletés de Rebelles ne fassent exploser notre jouet préféré. Je vous présente mes excuses. Mais je suis là, tout va rentrer dans l’ordre.
— Je n’ai pas encore informé l’Empire de ce trophée, proteste Surat.
— Comment ? Je ne vous suis pas.
— Ils ne savent pas que je l’ai, rétorque le gangster en indiquant la femme d’un geste. Peut-être un Jedi quelque part a-t-il prédit ce coup de filet ? Ou alors, officier du Renseignement Sinjir Rath Velus, peut-être êtes-vous une sorte de magicien doué pour la prémonition ?
— Eh bien, je suis assez doué, je l’avoue.
— Ou alors vous êtes un Rebelle. Ou juste un escroc. Quelle importance, au fond ?
Sinjir déglutit péniblement. Il se force à sourire.
— Je vous assure…
Surat le fusille du regard.
— Tuez-le ! aboie le gangster.
Les hommes de Surat ouvrent le feu.
— Il y a un problème, amiral, annonce Adea Rite.
Sloane traverse le couloir du palais, dont les murs sont couverts de portraits de satrapes précédents, encadrés sous les dorures. Le visage apathique aux joues flasques du satrape Mongo Hingo ; le teint jaunâtre et maladif du satrape Tin Withrafisp ; le portrait du séduisant, jeune et beau satrape Kade Hingo, un gouverneur mort trop tôt (les archives historiques disent qu’il a été assassiné, mais la rumeur affirme qu’il est décédé des suites d’une maladie vénérienne). Sloane s’arrête d’un coup.
— Quel genre de problème ? Je vous rappelle que je me rends à une réunion qui fera ou défera l’avenir de l’Empire. Et celui de la galaxie qu’il entend diriger.
Oh, l’air effrayé de la pauvre fille, on dirait un soleil obscurci par des nuages. Sloane ressent une pointe de honte – quel que soit le problème qu’elle ait à lui annoncer, il y a peu de chances pour que ce soit sa faute. La jeune femme a du mérite car elle rassemble son courage après avoir pris une profonde inspiration.
— Deux vaisseaux de reconnaissance rebelles.
Nouveau mérite, elle prononce cette phrase à voix basse. Qui sait si quelqu’un les écoute ?
— Où ? Ici ? Au-dessus de cette planète ?
Léger hochement de tête.
— Oui. D’après Tothwin, ce sont deux Ailes-A rebelles.
Ça va trop vite.
— Et que sont-ils devenus ?
Après tout, ça n’a pas beaucoup d’importance.
— Ils ont été détruits avant de pouvoir retourner dans l’hyperespace.
Rae fait la moue.
— Est-ce que les autres Destroyers Stellaires les ont vus ?
— Je ne crois pas. Ils ne l’ont en tout cas pas indiqué. Les vaisseaux sont arrivés à tribord, loin des deux autres Destroyers. La distance entre les Destroyers est telle qu’ils n’ont probablement pas pu les voir.
Cela leur permet de gagner un peu de temps. Si les Ailes-A avaient réussi à s’éloigner et à faire signaler la présence impériale, une attaque rebelle rapide contre leur blocus naissant aurait pu avoir un impact profond. Comme les Ailes-A n’ont pas pu retourner à la base, les Rebelles n’auront probablement aucun renseignement utile. Ils vont se poser des questions. Les Ailes-A peuvent avoir été abattues par une attaque rebelle, oui. Ou par un nuage d’Oort instable. Ou un champ de débris inattendu. La Flotte Rebelle fera preuve de prudence.
Cela implique tout de même un nouveau problème.
Est-ce qu’elle le dit aux autres ? Elle pourrait essayer de supplanter leur autorité. Ni Shale ni Pandion n’ont le grade d’amiral. Aucun des deux n’a techniquement le droit d’ordonner des mouvements de flotte comme Sloane. Ils sont à la tête d’un Destroyer Stellaire et les règles ne sont plus très claires désormais pour déterminer qui a l’autorité suffisante pour faire quoi que ce soit.
Si elle tente de jouer un coup fourré…
Ils essaieront de lui en faire un en retour. Un soulèvement peut-être.
Et dans ce cas, la réunion changera de nature.
Elle réprime un juron.
— Très bien, conclut-elle avant de remercier l’assistante.
Sloane se dirige vers la première réunion capitale du sommet.
— Quel est le problème dans… Hé !
Norra se tourne en direction de la voix – qui est celle d’un des stormtroopers, un des trois qui montent la garde a la porte entre la cale et le reste du vaisseau. Ils pénètrent tous les trois dans la pièce, leurs fusils blasters levés et prêts à tirer.
Temmin, pourquoi a-t-il fallu que tu t’enfuies ?
Une petite voix en elle lui répond : Parce que tu ne lui as pas laissé le choix.
À l’extérieur du cargo, au-delà de la porte de la cale, là où son regard ne porte pas, Norra entend les bruits d’une bataille : des fusils blasters. Des hommes qui poussent des cris terrifiés.
— Là ! annonce un des stormtroopers en la repérant.
Ils se tournent tous les trois vers elle en agitant leurs armes.
— Ne bougez plus.
Le troisième ordonne :
— Debout.
Norra se relève doucement. Le blaster à sa hanche semble peser une tonne, comme pour lui rappeler les risques et la détermination qu’il implique. Sa main a envie de se baisser, de le dégainer et de saisir sa chance. Son sang bourdonne dans ses oreilles, comme une rivière qui charrie la peur et la colère. Ses souvenirs remontent, les stormtroopers qui défoncent la porte de sa maison, les Impériaux qui traînent son mari hors de la chambre de son fils, le coup de crosse sur la tête.
Tu es rapide, se dit-elle. Ces boîtes de conserve sont lentes. Tente ta chance.
Un des troopers retourne vers la cale. Il sursaute, visiblement surpris et, pendant un moment, elle se demande pourquoi.
— Attention ! a-t-il juste le temps d’articuler, avant que des tirs de blaster ne le collent au mur.
Ses deux collègues pivotent en ouvrant le feu, mais c’est déjà trop tard pour eux, aussi.
Une moto speeder fait irruption dans la cale en trombe et freine dans un dérapage contrôlé. L’arrière de l’engin glisse et fauche les deux stormtroopers à hauteur des genoux. Ils sont projetés au sol et s’écroulent en hurlant de douleur.
Temmin soulève la visière de son nouveau casque.
— En route ! Allez, allez, vite.
Norra prend une profonde inspiration et enfourche l’arrière du speeder, tandis que Temmin tourne la poignée sans ménagement. Le véhicule décolle comme une torpille à protons.
— Il y a un…, commence Rae.
Pandion complète sa phrase à sa place.
— … un problème, oui. C’est le moins qu’on puisse dire. On m’a dit que le capitaine Antilles ne régissait pas encore à nos… efforts.
Tashu est arrivé en retard, vêtu d’un étrange masque en métal rouge qui lui donne un air démoniaque. À présent, il est assis et fait tourner de la main le masque posé à l’envers sur la table.
— Ne vous inquiétez pas, Moff Pandion. Ma technique nécessite du temps, mais j’ai été formé par les meilleurs. L’art Sith ancien n’a…
— Grand Moff, le corrige Pandion, et je tiens à vous rappeler que les Sith sont tous morts et que vous ne possédez, pas leur magie.
— Le problème, intervient Rae d’un ton déterminé, c’est que le Vigilance a découvert deux Ailes-A envoyées en éclaireurs par les Rebelles. Nous les avons abattues toutes les deux…
Arsin Crassus se lève. L’homme, d’ordinaire aussi blanc que de la poudre d’os, est à présent quasiment translucide. La panique lui étrangle la voix et il bégaie :
— Les Re… Rebelles vont venir nous attaquer. Nous devons interrompre cette réunion immédiatement : je ne suis pas un guerrier, je suis un simple commerçant…
— Asseyez-vous, lui ordonne Rae.
Crassus hésite en frottant ses pouces contre ses autres doigts. Un tic nerveux.
— Ne vous comportez pas comme un lâche, Crassus, insiste Pandion, asseyez-vous.
Crassus finit par s’asseoir. Sloane remarque qu’il n’obéit que quand Pandion lui en donne l’ordre.
— J’ai une stratégie, annonce-t-elle, mais elle va peut-être vous paraître peu conventionnelle.
Jylia Shale se penche en avant.
— Nous vous écoutons.
— Je voudrais emmener les Destroyers Stellaires dans l’hyperespace. Pas loin, juste hors de la vue et en dehors du champ d’action des senseurs longue portée.
— Nous serions totalement vulnérables ! proteste Crassus.
— Si les Rebelles ne détectent rien ici, ils passeront leur chemin. Ils n’ont ni le temps ni les ressources nécessaires pour sonder en détail un territoire perdu comme celui-ci. En revanche, s’ils voient trois Destroyers Stellaires impériaux…
Pandion s’appuie contre le dossier de sa chaise et affiche un rictus de mépris.
— Si je comprends bien, je suis attablé avec une bande de lâches. Laissez-moi proposer une autre solution, amiral. Vous contrôlez la flotte du Ravageur, notre dernier Super Destroyer Stellaire. Vous disposez de ce vaisseau et de combien d’autres ? Nous ne le savons même pas. Disons donc une quantité inconnue de vaisseaux que vous maintenez cachés, comme un enfant égoïste planque ses jouets préférés.
Il se penche en avant et pointe un doigt accusateur vers elle.
— Il est peut-être temps de partager, amiral. Déployez votre flotte. Ne fuyons pas la queue entre les jambes. Adoptons la stratégie inverse. Renforçons notre présence. Si les Rebelles viennent fouiner, ils se rendront compte qu’ils ont mis le pied sur un nid de vipères.
Le général Shale frappe la table de son petit poing fripé et secoue la tête avec fermeté.
— Non. Aucun d’entre nous n’est prêt pour ça. C’est une partie de chatta-ragul. Tous les pions sont sur le plateau, que ça nous plaise ou non. Les Sbires, les Éclaireurs, les Chevaliers, tous jusqu’aux Pontifes, l’Alcazar, l’Impératrice. On ne déplace son Impératrice que quand il n’y a plus aucune autre solution. C’est l’erreur que nous avons commise avec la station de combat de Palpatine. L’Étoile de la Mort était notre Impératrice. Nous l’avons avancée trop vite : c’était une tactique de chatta-ragul qui a échoué lamentablement.
— Exprimez-vous clairement, lui demande Pandion. Ce n’est pas un jeu.
— C’est un jeu, insiste Jylia en raidissant la mâchoire. L’enjeu est très élevé et nous sommes contraints de tenter de deviner ce que va faire notre adversaire. Le chef de la Flotte de la Nouvelle République est le grand amiral Ackbar. C’est un tacticien de génie. Un guerrier de l’esprit. Mais il ne réagira pas au quart de tour. Un Rebelle disparaît, puis deux. Il craindra que quelque chose se prépare, il redoutera un nouveau piège dans lequel il pourrait se laisser prendre. S’il n’a aucune information, il hésitera avant d’envoyer un Rebelle de plus au casse-pipe. Son prochain coup sera plus probablement l’envoi d’un vaisseau-drone.
— Ou d’un droïde, suggère Rae.
— Oui. Une sonde longue portée. C’est très probable. Envoyée depuis un vaisseau qui gardera ses distances – juste assez près pour que les scanners soient opérationnels. Ce qui signifie que si nos vaisseaux sont stationnés ici, le droïde ne sera même pas nécessaire. Ce vaisseau rebelle nous détectera alors qu’il est encore hors de portée de nos armes. Il effectuera un saut en hyperespace et Ackbar mobilisera sa flotte. Ce sera à nouveau une guerre ouverte, une bataille que nous ne pouvons pas nous permettre de perdre car, comme j’aimerais vous le rappeler, nous épuisons nos ressources plus vite que nous en produisons de nouvelles. Nous avons perdu des vaisseaux, des usines d’armements, des fabriques de droïdes, des mines d’épices, des dépôts de carburant. Vous voulez risquer encore plus ? Nous n’avons pas les moyens de payer la facture.
Pandion semble fou de rage. Il se lève si vite qu’il manque renverser sa chaise.
— Maudits froussards. Le Ravageur est une arme puissante et Rae le préserve comme une grosse femelle nuna qui couverait des œufs déjà éclos.
Il pointe le doigt vers Crassus et Tashu.
— Dans cette réunion, toutes les voix comptent, non ? Alors laissez-moi vous poser une question à tous les deux : comment votez-vous ? Sommes-nous un Empire de chiens galeux et de poules qui caquettent et gémissent dans le noir ? Qu’avez-vous à dire ?
Crassus hoche la tête.
— Je dis qu’on prépare ce Super Destroyer Stellaire et qu’on attaque.
D’un geste maladroit, il frappe du poing droit sa paume gauche.
Rae prend la parole.
— Crassus a admis ne pas être un guerrier, mais un commerçant, n’est-ce pas Arsin ? Allez-vous suivre son conseil ?
Tashu devance Pandion, qui semble prêt à exploser à nouveau.
— Voici mon avis : les Sith étaient maîtres dans l’art de la tromperie. Ce n’est pas de la lâcheté de se tapir dans l’ombre et de frapper quand l’ennemi passe à portée. Je suis d’accord avec l’amiral.
Sloane hoche la tête.
— Ça fait trois contre deux. Nous déplaçons les Destroyers.
— Non, réplique Pandion. Un de ces vaisseaux est sous mon commandement. Je refuse de le déplacer. Il reste où il est.
Ses yeux jettent des éclairs de défi.
Cette scène se produit plus tôt qu’elle ne s’y attendait. Elle imaginait que l’un d’entre eux, probablement Valco Pandion, la mettrait à l’épreuve. Parfait. Elle fait le tour de la table d’un pas décidé et s’arrête quand elle est nez à nez avec Pandion.
— Je suis l’amiral de cette flotte navale. Vous n’avez pas l’autorité, autoproclamée ou non, pour commander un vaisseau à l’encontre du reste de la flotte. Vous n’avez pas l’autorité pour rejeter cette décision.
Pandion sourit de toutes ses dents.
— Et si je le fais quand même ?
— Alors le Vigilance abattra votre vaisseau. Ses débris retomberont sur nous et c’est ainsi que l’Empire finira. Nous nous détruirons les uns les autres comme des rats poussés à la folie par la faim. Des rats qui se mangent entre eux au lieu de chasser pour trouver un vrai repas.
— Je pourrais emporter mon vaisseau, fuir vers un système lointain…
— Fuir ? Vous voulez prendre la fuite, c’est donc vous le lâche.
Pandion étouffe un petit cri de surprise.
Je l’ai eu.
Pour le moment.
Pandion incline la tête et lui adresse même un demi-sourire. Quand il prend la parole, son ton a changé.
— Amiral, je me fais simplement l’avocat de l’Empire. Pour comprendre un animal, il faut le disséquer complètement et je vous remercie de m’avoir laissé vous défier de cette manière. Faites comme bon vous semble.
Elle acquiesce d’un signe de tête. Elle sait que cette victoire n’est que temporaire, mais Pandion accepte sa manœuvre au-dessus d’Akiva. Ils vont battre en retraite temporairement, dans l’espoir de combattre au moment opportun. Qu’a dit Tashu ? Se tapir dans l’ombre et frapper quand l’ennemi passe à portée.
On dirait qu’il y a un problème, en fin de compte, rumine Sinjir en se baissant pour éviter les tirs de blaster, juste avant de se relever d’un bond pour courir entre les tables de jeu. Des jetons sont projetés en l’air. Le joueur, un gardien de nerfs dégénéré au visage ruisselant de sueur, court après ses mises et se prend un tir de blaster en plein dos. Sinjir fait tomber des dés d’une autre table et fait vaciller une roulette avant de courir…
Il se prend le comptoir du bar dans le ventre. L’air quitte ses poumons. Des tirs de blaster criblent le bois et envoient des bouteilles et des verres sur le sol, qui se brisent en tombant. Sinjir parvient tout de même à escalader l’obstacle en se couvrant la tête d’une main pour se protéger des objets qui continuent à chuter du bar.
Puis soudain, tout est calme.
Est-ce que c’est terminé ?
Une ombre le recouvre soudain.
Le barman le dévisage avec un sourire narquois. Son menton est toujours vert et luisant de crachat.
— Vous avez un problème, annonce-t-il avant de balancer son poing, qui s’abat sur Sinjir comme un météore.
Il a l’impression de s’être pris une porte à pistons déréglée en pleine face. Ses yeux deviennent blancs et il perd connaissance.