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Aujourd’hui.

Des étoiles s’étirent et strient l’étendue noire.

Un vaisseau sort de l’hyperespace. C’est un petit Starhopper, un chasseur monoplace populaire auprès des factions peu recommandables de la Bordure Extérieure : les pirates, les bookmakers, les chasseurs de primes et ceux dont la tête est mise à prix. Ce vaisseau a pris part à l’attaque rebelle, comme en témoignent les cicatrices laissées par le plasma sur les ailes et sur les ailerons de sa queue. Une bosse à l’arrière de la coque prouve que le vaisseau a subi des tirs de bipode impérial. Tant mieux, cela lui donne un air encore plus authentique.

Droit devant : la planète Akiva. Elle est petite. D’ici, on n’aperçoit que des stries marron et vertes. D’épais nuages blancs tournoient au-dessus de la surface.

Le pilote est à son poste et marque une pause. Il s’appelle Wedge Antilles. Autrefois, il était leader d’escadron et, à présent, eh bien… il doit être autre chose, mais son rôle est encore sans titre officiel, car tout est si nouveau, si différent, si incertain.

La vue est jolie là-haut. Tout est si calme.

Pas de chasseurs TIE. Pas d’explosions qui criblent la proue de son Aile-X. Pas d’Aile-X d’ailleurs et, même s’il adore en piloter, il n’est pas fâché d’en être sorti. Pas d’Étoile de la Mort – et là, Wedge ne peut réprimer un frisson, car il a collaboré à la destruction des deux stations de combat. Certains jours, cet exploit le remplit de fierté. D’autres, Wedge ressent autre chose, de moins agréable, comme s’il était aspiré à l’intérieur de la station et que les combats faisaient rage autour de lui. Mais ce n’est pas le cas en cet instant.

Aujourd’hui, tout est calme.

Wedge aime le calme.

Il sort son datapad, fait défiler une liste sur son écran en appuyant sur un bouton latéral. Il doit s’y reprendre plusieurs fois juste pour lancer le défilé : s’il y a une chose dont il a hâte quand tout sera terminé, c’est de recevoir du nouveau matériel. Du sable s’est infiltré à l’intérieur de son datapad, c’est pour cette raison que les boutons coincent. La liste des planètes s’affiche.

Il en a visité, voyons, cinq jusqu’à présent. Florrum. Ryloth. Hinari. Abafar. Raydonia. Celle-ci, Akiva, est la sixième sur la longue liste. Trop longue.

Cette mission est son idée. Les factions de l’Empire qui tiennent encore debout poursuivent l’effort de guerre, des mois après la destruction de leur seconde station de combat. Wedge est persuadé qu’elles doivent s’être installées dans la Bordure Extérieure ; en se penchant un peu sur l’histoire de l’Empire, il est facile de se rendre compte que ses graines se sont d’abord développées ici, loin des systèmes du Noyau, à l’abri du regard de la République.

Wedge a dit à Ackbar et Mon Mothma :

— Il est possible qu’ils soient à nouveau tapis dans ces zones à l’écart. Cachés.

Ackbar a reconnu que cela paraissait logique. Mustafar ne revêt-elle pas une importance particulière pour les dirigeants impériaux ? D’après la rumeur, c’est là que Vador a emmené certains Jedi il y a bien longtemps pour les torturer et leur soutirer des informations, avant de les exécuter froidement.

À présent, Vador a disparu. Palpatine aussi.

Nous y sommes presque, se dit Wedge. Dès qu’ils auront trouvé les chaînes d’approvisionnement qui permettent aux Impériaux de tenir, il se sentira beaucoup mieux.

Il active le système comm. Essaie d’ouvrir un canal de communication avec le commandement et…

Rien.

Peut-être que le système est cassé. C’est un vieux vaisseau.

Wedge attrape le comlink qui pend à sa ceinture, le tapote, essaie d’obtenir un signal.

À nouveau : rien.

Son cœur se serre. Il a l’impression de tomber dans un gouffre, parce que c’est à cela que se résume sa situation : le signal est bloqué. Certains syndicats du crime qui opèrent encore dans les parages disposent de la technologie nécessaire pour brouiller le signal localement… mais ici, dans l’espace au-dessus de la planète, non, ce n’est pas possible. Une seule organisation dispose de cette technologie.

Sa mâchoire se crispe. Son mauvais pressentiment se confirme quand un Destroyer Stellaire troue l’espace comme la pointe d’un couteau, en sortant de l’hyperespace. Wedge allume les moteurs. Il faut que je parte d’ici.

Un deuxième Destroyer rejoint le premier.

Le tableau de bord du Starhopper se met à clignoter en rouge.

Ils l’ont repéré. Comment doit-il réagir ?

Que dit toujours Han ? Pilote de façon détendue. Ce n’est pas pour rien que le vaisseau est camouflé : il a l’air d’appartenir à un contrebandier minable. Akiva en regorge. La planète est un repaire de despotes corrompus, plusieurs syndicats du crime se disputent les ressources locales et les opportunités d’affaires louches, le marché noir de la planète est réputé : il y a des dizaines d’années, la Fédération du Commerce avait installé ici une usine de fabrication de droïdes. Si on cherche un droïde non enregistré, c’est le meilleur endroit de la galaxie. Même l’Alliance se fournit ici.

Nouveau dilemme : que faire ?

Descendre vers la planète pour effectuer une reconnaissance aérienne, comme le prévoyait la mission initialement, ou retourner sur Chandrila ? Il se passe quelque chose. Deux Destroyers Stellaires sortis de nulle part ? Un système comm bloqué ? Ce n’est pas rien. Cela signifie que j’ai trouvé ce que je cherchais.

Et peut-être mieux encore.

Cela veut dire qu’il est temps d’encoder les coordonnées pour filer loin d’ici.

Cela prendra quelques minutes – quitter la Bordure Extérieure pour se diriger vers l’intérieur n’est pas aussi facile que d’aller d’un point A à un point B. C’est un saut dangereux. Toute une série de variables doit être prise en compte : des nuages de nébuleuses, des champs d’astéroïdes, des amas de déchets spatiaux à la dérive, traces de quelques affrontements et batailles.

Wedge ne voudrait pas prendre le risque de frôler un trou noir ou de passer au centre d’une étoile qui se transforme en supernova.

Le système comm crépite.

Ils entrent en contact avec lui.

Une voix impériale cassante lui parvient sur le canal.

— Ici le Destroyer Stellaire Vigilance. Vous avez pénétré dans l’Espace Impérial.

Ce n’est pas l’Espace Impérial, se dit Wedge. Que se passe-t-il ?

— Identifiez-vous.

La peur le foudroie comme un choc électrique. Parler n’est pas son fort, mentir encore moins. Un vaurien comme Solo serait capable de convaincre un Jawa de lui acheter un sac de sable. Wedge, lui, est pilote avant tout. Heureusement, il a anticipé la situation. Calrissian lui avait préparé une biographie. Wedge s’éclaircit la gorge, appuie sur le bouton.

— Ici Gev Hessan. Je pilote un Starhopper HH-87 : le Vagabond.

Il transmet sa datacarte.

— Je vous envoie mes références.

Une pause.

— Identifiez la nature de votre visite.

— Cargaison légère.

— De quel type ?

La réponse prévue est : des composants de droïdes, mais ça risque de ne pas passer ici. Il réfléchit à toute allure. Akiva est une planète chaude, humide, principalement composée de jungle.

— Des pièces de déshumidificateur.

Nouvelle pause. Une véritable torture.

Le navordinateur effectue ses calculs.

Ça y est presque.

Une autre voix s’élève dans le petit haut-parleur. Une voix de femme, glacée, moins coupante, pas du tout mélodieuse. On devine qu’il s’agit de quelqu’un qui a de l’autorité – ou du moins qui estime en avoir.

— Gev Hessan. Pilote numéro 45236. Dévaronien. C’est exact ?

Les infos collent. Calrissian connaît Hessan. Le contrebandier – pardon, le pilote et homme d’affaires – a procuré du matériel de contrebande pour aider Lando à construire sa Cité des Nuages. Et c’est effectivement un Dévaronien.

— Exact, confirme Wedge.

Encore une pause.

L’ordinateur a presque terminé ses calculs. Encore dix secondes tout au plus. Des chiffres défilent à l’écran…

— C’est étrange, nos dossiers indiquent que Gev Hessan est décédé, alors qu’il était détenu par l’Empire. Nous ferions bien de corriger nos informations.

L’ordinateur a achevé ses calculs pour le saut en hyper-espace.

Sans attendre, Wedge pousse le manche de la paume de la main, mais le vaisseau se contente de frissonner. Puis le Starhopper tremble à nouveau et avance en direction des deux Destroyers Stellaires. Ils ont engagé des rayons tracteurs.

Wedge se tourne vers les commandes des armes.

S’il veut s’en sortir, c’est maintenant ou jamais.

 

L’amiral Rae Sloane pose les yeux sur le tableau de bord, puis les lève vers la baie vitrée. L’immensité noire, les étoiles blanches et, au fond, comme un jouet d’enfant qui traînerait sur une couverture, un petit chasseur longue portée.

— Scannez-le, ordonne-t-elle.

Le lieutenant Nils Tothwin lève les yeux vers elle et lui adresse un sourire obséquieux.

— Cela va de soi.

Son visage jaunâtre est tendu par ce sourire. Tothwin est révélateur de ce qui ne tourne pas rond dans les forces impériales en ce moment : les meilleurs éléments ne sont plus là. Il ne reste pratiquement que la lie. Les feuilles et les brindilles qu’on trouve au fond d’une tasse de thé aux épices. Il obéit tout de même aux ordres, c’est déjà ça. Sloane se demande quand l’Empire va vraiment se fracturer pour de bon. Les forces font ce qu’elles veulent, quand elles veulent. Le chaos et l’anarchie règnent de tous côtés. Dès qu’une personnalité un peu significative décidera de se séparer de la masse pour suivre sa propre route, ils seront vraiment fichus.

Tothwin scanne le Starhopper tandis que le rayon tracteur l’attire inexorablement vers eux. L’écran émet une faible lueur et une image holographique du vaisseau se dresse, comme si elle était tracée par des mains invisibles. Le bas de l’image clignote en rouge. Nils annonce d’une voix paniquée :

— Hessan charge son système d’armement.

Sloane lui jette un regard noir.

— Calmez-vous, lieutenant. Les armes d’un Starhopper ne suffisent pas à…

Une seconde. Elle plisse les yeux.

— Est-ce que c’est ce que je crois ?

Elle approche le doigt de l’holographe et souligne d’un cercle le large nez incurvé du chasseur.

— Ici. Un lanceur militaire. Des torpilles à protons.

— Le Starhopper ne peut pas être équipé de… oh. Oh.

— Il était prêt au combat, décrète Sloane.

Elle se penche et active à nouveau le système comm.

— Ici l’amiral Rae Sloane. Je vous vois, petit pilote. Vous préparez deux torpilles. Laissez-moi deviner : vous vous imaginez qu’une torpille à protons peut perturber notre rayon tracteur suffisamment longtemps pour vous permettre de nous échapper. C’est peut-être vrai, mais laissez-moi aussi vous rappeler que nous avons assez d’armement militaire à bord du Vigilance pour vous transformer non seulement en tas de ferraille, mais aussi en fines particules, comme de la poussière projetée dans l’obscurité. Vous avez mal calculé votre coup. Vous allez lancer votre torpille, nous les nôtres. Et quand bien même notre rayon cesserait de fonctionner quand vos armes nous frapperont…

Elle fait claquer sa langue.

— Eh bien, si vous avez envie de tenter votre chance, faites-le.

Elle ordonne à Nils de cibler le Starhopper. Juste au cas où.

Elle espère tout de même que le pilote est malin. Pas un imbécile. Sans doute quelqu’un envoyé en reconnaissance par les Rebelles, un espion, ce qui n’est déjà pas futé en soi – même si c’est moins dangereux, maintenant que la deuxième Étoile de la Mort a été anéantie comme la précédente.

Raison de plus pour rester vigilante, comme le suggère le nom du vaisseau. La réunion sur Akiva ne peut pas échouer. Elle doit avoir lieu. Elle doit déboucher sur un résultat. Rae Sloane a l’impression que tout l’Empire est au bord du précipice et que les abords s’effritent sous leurs pieds.

La pression monte. Elle est presque réelle, comme un poing qui appuierait dans son dos et chasserait l’air de ses poumons.

C’est une opportunité de briller.

De changer le sort de l’Empire.

D’oublier les anciennes méthodes.

Pour de bon.

 

Wedge fait la grimace. Son cœur bat dans sa poitrine comme un canon à ions. Il sait qu’elle a raison. Le timing ne joue pas en sa faveur. Il est un pilote chevronné, peut-être l’un des meilleurs, mais la Force n’est pas de son côté. Si Wedge lance ces deux torpilles, ils riposteront avec tout l’arsenal dont ils disposent. Cela n’aura alors plus d’importance qu’il se libère ou non du rayon tracteur. Il n’aura pas une seconde pour échapper à leur force de frappe.

Il se passe quelque chose. Ici, dans l’espace au-dessus d’Akiva. Ou là en bas, sur la surface de la planète.

S’il meurt ici, personne ne saura jamais rien de ce qui se trame.

Il n’a pas le choix, il doit jouer ses cartes au mieux.

Il coupe les torpilles.

Il vient d’avoir une autre idée.

Baie d’amarrage 42

Rae Sloane se tient sur le balcon vitré, qui donne sur un bataillon de stormtroopers alignés. Comme Nils, ils sont loin d’être parfaits.

Ceux qui ont reçu les meilleures notes à l’Académie ont été affectés à bord de l’Étoile de la Mort ou du vaisseau de commandement de Vador, l’Exécuteur. La moitié des stormtroopers présents ici n’ont même pas terminé l’Académie. On est allé les chercher avant la fin de leur formation.

Ils feront tout de même l’affaire, pour le moment. Devant elle, le Starhopper dérive dans le vide de l’espace, pris dans la poigne invisible du rayon tracteur. Derrière l’alignement de chasseurs TIE (la moitié de ce qu’il leur faudrait, le tiers de ce qu’elle aurait voulu), il dérive lentement vers les stormtroopers rassemblés.

Les chiffres jouent en leur faveur. Le Starhopper n’aura sûrement qu’un seul pilote. Peut-être un deuxième ou un troisième membre d’équipage.

Il se rapproche de plus en plus.

Elle se demande à qui elle va avoir affaire. Qui est à l’intérieur de cette petite boîte de conserve ?

Puis, un éclair entoure le vaisseau, accompagné d’un frémissement : le Starhopper devient tout à coup bleu du nez à la queue.

Il explose dans une pluie de feu et de débris.

— Nous ne saurons jamais qui c’était, déclare le lieutenant Tothwin, j’imagine qu’il ne voulait pas être démasqué et a préféré une fin rapide.

Sloane s’approche de l’épave brûlante du chasseur longue portée. La ferraille calcinée empeste l’ozone et le feu. Deux astromechs noirs étincelants s’approchent en bourdonnant et lancent de la mousse pour éteindre les dernières flammes. Ils doivent se frayer un chemin entre la demi-douzaine de corps de stormtroopers qui gisent tout autour, immobiles, leurs casques fendus, leur armure carbonisée. Des fusils blasters ont été projetés sur le sol, réduits en pièces.

Sloane toise Tothwin.

— Ne soyez pas naïf. Le pilote ne voulait évidemment pas être démasqué, mais il est toujours ici. S’il ne voulait pas qu’on l’abatte dans le ciel, vous pensez vraiment qu’il souhaitait mourir ici ?

— Ça pourrait être une attaque-suicide. Pour causer un maximum de dégâts.

— Non, il est ici. Et il ne peut être loin. Trouvez-le.

Nils lui adresse un hochement de tête rapide et nerveux.

— Bien, amiral. Tout de suite.