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Le temps se fige à chaque fois qu’elle appuie sur la détente. Jas est à genoux et fait face à la horde qui déboule, tandis que les autres prennent la fuite. Le long fusil en main, l’œil collé contre la lunette. Là en contrebas, près de l’entrée, ils sortent en masse.

Un éclair de métal rouillé. Des jambes à pistons. Des plaques de poitrine cabossées. Des membres interminables avec de multiples articulations. Des droïdes, croit-elle. Des droïdes fous, irrationnels. Tous différents. Des yeux lumineux. Des gémissements mécaniques.

Ils se ruent dans le passage. À trente mètres de Jas tout au plus. Ils bondissent comme des bêtes féroces, comme sur Endor les sangliers-loups au dos hérissé.

Ils courent à quatre pattes. Grimpent aux murs. Rampent comme des araignées le long des plafonds effondrés.

Pan. Pan. Pan.

Le fusil lance-lim tire sans la moindre hésitation.

Ils tombent l’un après l’autre. Jas vise les jambes du premier : il s’écroule en se brisant la nuque. Une étincelle jaillit quand une balle transperce le crâne métallique d’un second, qui tombe à la renverse sur un de ses congénères. Ils poussent des hurlements aigus. Elle tire à nouveau, une plaque se détache d’une tête et rebondit contre un mur avec un écho tonitruant.

C’est à ce moment-là qu’elle réalise.

Ce ne sont pas des droïdes, mais autre chose. Des créatures. Des bêtes monstrueuses aux yeux noirs, sans nez. Leurs bouches ouvertes exhibent des rangées désordonnées de dents qui ressemblent à des aiguilles. Le monstre qui a perdu sa plaque crânienne court à sa recherche et la remet en place avant de rejoindre la horde.

Vingt-cinq mètres.

Pan.

Vingt. Dix-huit.

Plus près. Plus près.

Ils sont trop nombreux. Une dizaine ici et des tas d’autres qui se déversent encore de l’usine. Toute une tribu de créatures sauvages. Un essaim. Heureusement, elle a des munitions. Elle peut y arriver. Tout à coup, la voix de tante Sugi murmure à son oreille : Il faut savoir quand le moment est venu de prendre la fuite, ma fille.

Le message était adressé à Jas, quelques semaines seulement avant qu’elle ne suive ce conseil au pied de la lettre. C’était peut-être cela que voulait dire Sugi. Peut-être pas. Quoi qu’il en soit, Jas a quitté sa planète natale, Iridonia. Un endroit affreux. Étrange. Brutal et impitoyable.

Quinze mètres.

Les deux cœurs de Jas battent de concert, ils battent plus vite encore que la cadence à laquelle elle presse la détente.

Douze mètres.

Pan.

Ils continuent d’affluer avec un fracas métallique et des hurlements atroces.

Une main se pose sur son épaule, une voix lui parvient, presque étouffée par le sifflement de ses oreilles. C’est le garçon.

— Il faut qu’on y aille. Ils sont trop nombreux.

— Je peux y arriver ! gronde-t-elle.

Mais elle n’en est pas capable. Elle le sait.

Il faut savoir quand le moment est venu de prendre la fuite, ma fille.

Il est grand temps.

 

Temmin réalise que les histoires qu’il a entendues étaient vraies, en partie, du moins.

Ce ne sont pas des fantômes qui sont sortis de cette ancienne usine de droïdes. Cet endroit n’était pas hanté par des spectres ou des apparitions de la Force. Et il n’est pas non plus hanté par de vieux droïdes déréglés.

Ce sont les Uugteens.

Quand il revient en arrière pour aller chercher Jas, il en examine un. Ce qu’ils prenaient pour des droïdes était juste des Uugteens portant des morceaux de droïdes en guise d’armure. Ces créatures pâles et féroces – presque humaines, mais assez éloignées pour n’être que des monstres – se cantonnent d’habitude à la jungle et aux canyons. Parfois, ils trouvent des grottes dans lesquelles ils s’installent. Les catacombes sous Myrra ne sont pas de simples grottes.

C’est tout un système de grottes. Elles sont peut-être reliées au canyon d’Akar ou rejoignent la côte, en direction du sud. Cette meute doit habiter ici depuis longtemps. Peu importe. Temmin et ses amis sont assiégés. Pourchassés. Et les monstres gagnent rapidement du terrain.

Jas se tourne tout à coup et tire sur une voûte en pierre à moitié écroulée, mais toujours suspendue au-dessus du passage. Une balle suffit pour que la pierre se fissure. Deux balles et les lézardes s’étendent. La meute est presque sur eux.

Ils bredouillent et hurlent comme des hommes en colère. Temmin essaie à nouveau d’entraîner Jas avec lui…

Elle tire une dernière fois. La poutre s’écrase en projetant de l’eau et aplatit la première rangée de monstres.

Cela les ralentit.

Pour un moment.

Temmin et Jas prennent leurs jambes à leur cou. Ils bifurquent. Ici, le chemin monte. Temmin sait qu’ils se rapprochent de la zone sous le quartier royal. Encore une demi-heure de marche et ils seront au palais… ou dessous.

Monsieur Os ralentit d’un coup. Il pose la caisse de détonateurs. Son bras d’astromech tournoie à toute allure. Son autre bras brandit sa vibrolame. Os émet le même genre de sons que les Uugteens : des hurlements menaçants, des aboiements, des gargouillis de distorsion mécanique.

Temmin lui crie que ce n’est pas le moment.

Mais Os est programmé pour le protéger. Cette programmation outrepasse tout le reste. Os est violent, loyal, psychotique.

Les Uugteens enjambent la voûte effondrée.

Temmin entend sa mère l’appeler. Il essaie d’ordonner à Os de le suivre. Il tire même sur le bras du droïde de combat. Mais Os ne bouge pas.

Puis Temmin baisse les yeux. Aperçoit la boîte de détonateurs, près des pieds du droïde.

La boîte de détonateurs.

— J’ai un plan ! crie-t-il à Os. Allez, viens !

Il attrape un détonateur. Juste un. Il l’ouvre, fait tourner le sommet pour enclencher le retardement le plus court et le rejette dans la caisse où il l’a pris. Enfin, il crie :

— Courez ! Que tout le monde coure !

Temmin bondit de toute la force de ses jambes, tout son corps est tendu. Il fait signe à tout le monde de s’éloigner. Os court à ses côtés, les pieds du droïde martèlent le sol. Le droïde annonce :

— TOUT VA FAIRE BOUM !

Six secondes. Les Uugteens continuent à affluer.

Cinq secondes. Norra fait signe à tout le monde de courir.

Quatre secondes. Les monstres en habits de droïdes arrivent à hauteur de la boîte.

Trois secondes. Jas se retourne et tire avec son fusil par-dessus l’épaule de Temmin.

Deux secondes. Os ricane.

Une seconde. Temmin plonge sur le sol au moment où…

 

Il relève la tête, qui bourdonne comme le moteur d’une moto speeder à l’arrêt. Temmin se redresse en poussant sur ses mains. De la poussière et des morceaux de pierre pleuvent de ses cheveux. Il tressaille en voyant Jas bondir et enfoncer la crosse de son fusil dans la plaque qui couvre le visage d’un Uugteen : une tête de droïde de protocole peinte avec du sang dirait-on. Le masque est arraché au milieu, l’ouverture forme une fente en dents de scie, qui lui donne une allure de bouche cauchemardesque. La créature tourne comme une toupie avant de tomber. Os la piétine à plusieurs reprises.

Ça n’a pas marché. Mon plan n’a pas marché.

Temmin s’appuie contre le mur pour se remettre debout. Il prend la main que lui tend Jas. Deux Uugteens gisent sur le sol en piteux état. Ici, le sol est en carrelage déformé, des dalles manquent ici et là. Tout est brisé.

Le tunnel est bouché.

— Ce sont des retardataires, les rassure Jas en indiquant les deux monstres.

De près, Temmin distingue leur chair pâle sous l’armure, dans les interstices entre les jointures. Ça lui rappelle la chair d’un crabekrill quand on le retourne pour détacher sa viande.

— Ça va ? lui demande-t-elle.

Il hoche la tête d’un air hébété.

— C’était une bonne idée, le félicite Jas, puis elle s’écarte rapidement pour laisser passer Norra, qui se jette sur Temmin et l’enlace.

— C’était une excellente idée, renchérit Norra.

Elle lui embrasse le front. Temmin pense distraitement : Même si je suis sale. C’est comme ça une mère.

— Merci.

Un bruit suraigu continue à se déplacer d’une oreille à l’autre, sa tête cogne comme une pluie violente qui frappe un vieux baril de carburant.

Sinjir s’approche en époussetant son uniforme d’officier.

— N’ouvrons pas tout de suite une caisse de vin mousseux. Je vous rappelle en passant que le gamin vient de faire exploser la clé qui devait nous donner accès au palais du satrape.

C’est vrai, se dit Temmin. Nous allons devoir faire demi-tour. Et tout ira à nouveau bien.

— Nous ne pouvons pas rebrousser chemin, leur signale Jas.

— Alors, tout est fini, décrète Temmin en haussant les épaules.

Il essaie de cacher son enthousiasme.

— Ça va… s’arranger. Nous allons trouver un moyen de remonter à la surface et…

Sinjir lève la tête.

— Vers la surface ? Tu peux nous trouver un chemin près d’ici ?

— Frag que oui ! répond Temmin.

— Ton langage, le reprend sa mère.

— Désolé. Bon, attendez…

Il déroule la carte. Son cœur bat à se rompre. Ils sont sauvés. Ses hésitations au sujet de tout le reste n’ont plus d’importance.

— Ici. Tout près. Cinq minutes et on y est, ça devrait nous mener droit dans l’ancien bâtiment du Clan Bancaire.

— Pas nous, corrige Sinjir. Moi.

Cela lui vaut des regards intrigués.

— Je suis habillé pour jouer les imposteurs, souligne-t-il en montrant d’un geste théâtral son uniforme d’officier. Je trouverai un moyen de sortir. Je contacterai les Impériaux du palais – je devrais pouvoir trouver la fréquence… parce que, oh, c’est vrai, j’étais gradé et j’avais accès à des informations top secret. Puis j’irai au palais vous ouvrir la porte.

Jas fronce les sourcils.

— Comment comptez-vous faire ?

— C’est la partie la plus brillante de mon plan. Je leur dirai que les tunnels leur offrent la seule issue pour évacuer le palais en toute sécurité.