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Norra redescend dans la cave. La porte secrète est toujours fermée, le valacorde n’a pas bougé. Elle pousse un grognement de frustration. Elle va devoir faire quelque chose pour laquelle elle n’a jamais été douée.
Elle va devoir se rappeler comment jouer du valacorde.
Ou plutôt, il faut qu’elle se souvienne comment jouer quelques notes. Elle n’a jamais eu ne serait-ce qu’un pour cent du talent musical de son mari et de son fils. Elle s’assied, appuie sur quelques touches. Chaque note est un son mélodieux teinté d’une légère susurration mécanique en arrière-plan.
Tap, tap, tap. Ce n’est pas de la musique qu’elle joue, c’est n’importe quoi.
Puis… ahh. Là, c’est la bonne note. C’est le début de La Cabane de Chariot et Pavé, non ? La vieille chanson des mineurs. Norra ferme les yeux. Elle revoit les mains de son mari sur les touches, la façon dont ses doigts s’écartent. La progression des notes : un, deux, trois, quatre, cinq…
Elle prend une profonde inspiration et les joue.
La porte s’ouvre et de l’air frais s’engouffre dans la pièce.
Envahie par un énorme sentiment de soulagement, Norra franchit le passage. La même odeur lui frappe les narines : de la poussière, des vieux objets, des moisissures. L’odeur d’une motte de terre qui s’effrite dans la main ou de mousse sèche qui tombe en miettes.
Les murs sont bâtis en vieille pierre. Norra a habité suffisamment longtemps à Myrra pour savoir que sous la ville se trouvent les anciennes catacombes : une ville sous la ville, un labyrinthe d’une époque lointaine. Les rumeurs abondent à son sujet : on raconte aussi bien que c’était un temple pour la formation des Jedi qu’un piège tendu par les Sith, le premier endroit habité par les Uugteens primitifs ou un vivier de Hutts louches. On dit que des gens s’y sont perdus et n’ont jamais été retrouvés, qu’ils auraient été dévorés par des rancors. Qu’ils seraient tombés pour toujours dans des puits sans fond, qu’ils auraient été enlevés par des Uugteens pour se les approprier, même si personne ne sait clairement ce que cela signifie devenir un Uugteen. Il y a même des histoires de fantômes, comme si cet endroit était hanté.
Elle a entendu tous ces racontars.
En revanche, jusqu’alors, Norra ignorait que les anciennes catacombes étaient reliées à sa maison. C’est quelque chose.
Elle fait un pas et retient un cri.
Temmin est assis là, dans une alcôve, le visage éclairé par la lueur bleuâtre d’un petit ordinateur holotab. Une carte est affichée à l’écran. Il retourne l’appareil et l’écran devient noir. Il renifle, s’essuie les yeux avec le dos de la main et redresse le menton, comme pour cacher qu’il a pleuré.
— Je suis désolée, déclare Norra.
— Ouais, moi aussi.
Elle lui tend la main et il la prend. Norra la serre un peu.
— Je ne savais pas qu’il y avait ce passage, ici.
Il regarde autour de lui.
— Les catacombes ? Oui, je me suis procuré une carte il y a quelques années. Le sous-terrain est relié à de nombreuses maisons, surtout ici sur Chenza Hill.
— J’ai parlé à tes tantes.
— Et ?
— Elles m’ont dit que tu n’habitais plus avec elles.
Il s’éclaircit la gorge.
— Non, j’habite ici, maintenant. Je suis indépendant.
Il soupire.
— Tu vas aller les voir pendant ton séjour ici ?
— Non.
— Ça ne m’étonne pas.
Elle sent une pointe de colère monter en elle. Pas contre Temmin, mais contre les deux tantes. Sa sœur, Esmelle, et la femme d’Esmelle, Shirene. Norra sait que ce n’est pas leur faute, mais elle ne peut s’empêcher d’être fâchée contre elles. Elles ont été incapables de s’occuper de Temmin et à présent il vit ici. Il s’occupe de sa boutique. Il mène une vie dangereuse. Il a failli se faire tuer par… qui ? Des criminels locaux. Des malfrats. Des brutes.
— Je leur ai parlé, elles ne veulent pas quitter Akiva. Elles ont fait leur trou ici, je ne leur en veux pas.
Temmin se lève. Il affiche un sourire incrédule et sarcastique.
— Partir ? Comment ça, partir ?
Norra serre sa main plus fort.
— Temmin, c’est pour ça que je suis venue. Pour venir te chercher. Nous devons partir.
— Pas question. Ma vie est ici. C’est ma boutique.
C’est chez moi. Tu es folle si tu crois que je vais me casser.
— Écoute-moi. Il se trame quelque chose ici. L’Empire est tombé, mais ses forces sont encore là. La ville grouille de stormtroopers. L’Empire est ici. Ils ont instauré un blocus et ont coupé toutes les communications.
Temmin plisse les yeux. Il n’était visiblement pas au courant. Comme la plupart des habitants de Myrra, même s’ils s’en rendront compte tôt ou tard.
— Peu importe. J’ai des contacts avec des Impériaux. Je leur vends des trucs. Je ne suis pas inquiet. Tu devrais y aller et sauver… ton ami. Wedgie ou je ne sais quoi.
— Wedge.
— C’est ça.
— Je ne le ferai pas. J’ai entendu ce que tu as dit, Temmin. J’ai fait un choix et c’est toi que j’ai choisi. Tu es ma priorité. Je t’emmène.
— Non. Je reste ici. Tu peux partir si tu veux. Je continuerai ce que j’ai fait jusqu’ici : je continuerai à me débrouiller sans toi.
Norra se mord la lèvre, elle retient les mots qui menacent de sortir. Il a toujours été têtu et déterminé, mais là, c’est pire encore. Temmin la contourne pour se diriger vers le sous-sol de la boutique en repassant par la porte secrète.
— Temmin, attends…
— Il faut que je commence à ramener les marchandises dans les catacombes. Que je les cache pour que Surat ne mette pas la main dessus. Ça m’a fait plaisir de te revoir, maman. Tu peux y aller.
Elle l’attrape par le bras au moment où il franchit la porte. Quand il se retourne, il voit ce qu’elle tient en main et sa bouche forme un O de protestation…
Norra enfonce dans le cou de son fils l’aiguille à moitié cassée qu’elle a volée au droïde d’interrogatoire. Elle n’a besoin d’enfoncer le piston qu’à moitié : les paupières de Temmin battent comme des papillons pris dans un bocal. Il perd connaissance et elle le rattrape.
— Je suis désolée.
Puis elle le remonte jusqu’au rez-de-chaussée.