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C’est le matin. Adea attend l’amiral Sloane.

Adea réalise qu’au bout du compte, elle n’a guère d’importance. Elle n’est qu’une attachée. Une assistante. Elle tend des documents. Va chercher des tasses de caf. Demande des signatures. Transmet des communications.

Un jour, peut-être, elle jouera un rôle plus important.

Elle vit une période formidable.

L’Empire est sous le choc. Ce n’est pas une bonne chose. Mais au milieu de ces fractures et de ces fêlures, des opportunités se présentent fatalement. Adea peut introduire le bout de son pied dans chaque fissure pour l’agrandir et s’y frayer une place. C’est pour cela qu’elle admire tant Sloane.

L’amiral comprend la situation et en tire parti. Et aujourd’hui, Adea a de mauvaises nouvelles à lui annoncer.

Ça l’électrise, honnêtement. Ça ne devrait sans doute pas. Des mauvaises nouvelles, comme leur nom l’indique, sont objectivement négatives. Mais c’est la réaction qui compte. Les gens se révèlent dans les situations difficiles. Les crises sont formatrices.

Adea a grandi sur Coruscant. Ses parents n’étaient pas des gens importants. Son père était soudeur. Il n’était pas au plus bas de l’échelle sociale, il ne travaillait pas dans les entrailles de la ville-planète. Non, il faisait des boulots intéressants, pour l’Empire. Il se salissait tout de même les mains. Se les brûlait et se les entaillait aussi, jusqu’à ce qu’elles soient tellement percluses d’arthrite qu’elles ressemblaient à des griffes calleuses, couvertes de cicatrices.

Adea a toujours été impressionnée par l’art des soudeurs, qui sont capables de fabriquer ou de casser des objets. D’assembler des morceaux ou de découper des structures.

C’est ce qui se joue en ce moment au sein de l’Empire.

La crise les rapprochera tous ou les détruira. Adea est en tout cas persuadée que cette crise façonnera Sloane. Pas juste cette petite crise qu’Adea s’apprête à lui annoncer, mais la crise bien plus large que la galaxie traverse.

Elle admire énormément Sloane.

Elle ne veut en aucun cas décevoir l’amiral.

 

Rae prend une douche d’eau glacée. Elle provient tout droit du canyon, a expliqué le satrape. L’eau la plus pure que l’on puisse trouver sur Akiva. L’ancien peuple Ahia-Ko la croyait capable de laver les péchés et de rendre les gens meilleurs.

Si seulement c’était vrai.

Rae prend une douche froide parce que c’est ainsi qu’elle les prenait lors de sa première mission, il y a des années de cela. Quand elle était un simple cadet à bord du Destroyer Stellaire impérial Défiance. Elle a fini par apprécier ces douches. L’eau glacée l’endurcit. La réveille. Comme maintenant.

Et puis cela crée un contraste bienvenu avec la torpeur qui règne ici. Dès qu’elle sort de la douche, Rae est accablée par la chaleur. Même si l’air chaud et humide est invisible, il n’en est pas moins tangible. Elle a l’impression de marcher dans de l’eau marécageuse bouillante. De se noyer debout.

Dehors, dans la chambre luxueuse que le satrape a mise à la disposition de Rae, Adea l’attend. La lumière du matin l’illumine. Elle se tient droite comme un piquet, professionnelle, l’holo-écran en main.

— Vous avez dormi ? demande Rae en s’essuyant les cheveux.

— Oui, amiral, répond Adea en détournant le regard et en rougissant, tandis que Rae se sèche et s’habille.

Rae oublie parfois qu’Adea n’est pas vraiment une militaire. Ceux qui ne font pas partie de la marine ou de l’armée ne partagent pas la même expérience. La nudité de Sloane n’est qu’un état transitoire. Elle n’a rien de romantique ni de honteux. C’est un aspect matériel de l’existence.

— Bien. Le sommeil vous sera utile pour la journée qui s’annonce.

— Je croyais que la réunion s’était bien passée.

— Aussi bien qu’un atterrissage forcé peut être réussi. C’était une première étape indispensable, inefficace et sans importance.

Rae enfile son uniforme, lisse les plis – c’est un des avantages de l’humidité. (Et ses cheveux sont magnifiques pour la première fois depuis des années. Même si son apparence compte peu à ses yeux, une fois de temps en temps, ce n’est pas désagréable de se rappeler à quoi elle ressemble.)

— Nous réessayerons aujourd’hui, reprend-elle. Ceci dit, je ne m’attends pas à grand-chose. Ce n’est que le premier sommet. Nous aurons sans doute besoin d’en organiser d’autres. De faire intervenir d’autres voix. Dites à Morna que la navette doit être prête juste après le dîner.

— Bien, amiral. Pensez-vous que nous ramènerons le Vigilance en orbite, ou Morna doit-elle encoder des calculs d’hyperespace dans l’ordinateur de la nav…

L’écran d’Adea clignote. Une fois, deux fois, puis devient rouge.

Rae fronce les sourcils.

— Qu’est-ce que c’est encore ?

— Nous avons un problème. Une… intrusion.