INTERLUDE
 
HYPERESPACE

Les étoiles s’étirent en lignes, des lignes qui filent dans le noir autour du Faucon Millenium tandis qu’il creuse une brèche dans l’hyperespace.

Han Solo se gratte la barbe de plusieurs semaines qui a gagné ses joues. Les poils le démangent et il fait la grimace en se grattant.

Chewie pousse un rugissement en le montrant de la patte.

— Ouais, ouais, je suis vraiment devenu une saie fripouille. Si ces poils poussent assez longtemps, on va finir par me confondre avec toi.

Il adresse un sourire narquois au Wookiee, qui grogne une réponse.

— C’est bon, relax, mon grand, personne ne va me confondre avec toi. T’es comme un arbre sur pattes couvert de poils.

Chewie prend appui contre le dossier du siège de copilote et les étoiles qui s’étirent se reflètent dans ses yeux. Il s’ennuie. Et un Wookiee qui s’ennuie, c’est dangereux. Dans le dernier système où ils étaient – Ord Mantell, dans la Bordure Médiane –, Chewie a passé son temps à tripoter le système de navigation du Faucon. Il essayait de régler une défaillance du propulseur d’hyperespace. Il l’a réparé, génial. Mais par la suite les flingues ont cessé de fonctionner – et, évidemment, ils ne s’en sont rendu compte quand ils étaient pris en embuscade par un trio de vaisseaux maraudeurs krishs. Ils s’en sont sortis avec de sérieuses brûlures sur les plaques vectorielles et les aéropads. Ils ont failli ne pas s’en tirer, d’ailleurs.

C’est tout de même agréable, en un sens, d’être ici, seul avec Chewie. Même si Leia et Luke lui manquent très fort – et Lando également, mais cela il ne l’admettrait jamais ouvertement –, être ici avec son vieux pote lui rappelle sa jeunesse. Le Wookiee, le Faucon et lui. Pas de responsabilités, à part celle de protéger sa propre peau… et de s’enrichir. Ce qui ne s’est jamais produit, lui rappelle une petite voix.

— Bien, nous quittons l’hyperespace, annonce-t-il en relâchant l’accélérateur.

Les lignes d’étoiles se réduisent, puis vient la sensation étourdissante. Celle qui ne disparaît pas, quel que soit le nombre de sauts qu’ils aient effectués, celle qui lui donne l’impression que son cerveau est projeté dans l’espace, tandis que son estomac reste une douzaine de parsecs en retrait. Puis la planète grossit devant eux : Dasoor.

Un monde de plus sur la liste des endroits sans foi ni loi : une planète ingérable, qui grouille de voleurs, dirigée par des gangs (eux-mêmes dirigés par un cartel du crime) et qui repose sur l’exploitation des esclaves.

Ce genre d’endroit est trop infâme, même pour Han Solo dans sa folle jeunesse. Les voleurs, ça passe, mais les esclaves font bouillir son sang.

Chewie pousse quelques rugissements accompagnés de grognements et Han lui répond :

— Le plan n’a pas changé.

C’est le même que sur Ord Mantell, Ando Prime, Kara-bin et tout le reste. Il pose l’implant cybernétique sur son œil – une lentille héliodore télescopique qui ne fonctionne pas et n’a d’autre but que de faire illusion. Cet accessoire, ajouté à son allure débraillée et à l’affreuse casquette d’aviateur qu’il pose sur sa tête forme un déguisement suffisant pour qu’on ne le reconnaisse pas au premier coup d’œil. Quand Chewie proteste en mugissant, il hoche la tête :

— Je sais, mon vieux, je sais. Je préférerais aussi que tu m’accompagnes, mais s’il y a bien une chose qui va nous trahir, c’est un contrebandier qui se balade avec un des rares Wookiees affranchis. Il faut qu’on trouve les chaînes d’approvisionnement de l’Empire et ça veut dire que je dois débarquer tout seul, soulever un peu de poussière et voir l’odeur qu’elle a. Toi… reste sur tes gardes dans le Faucon, au cas où la situation tournerait au vinaigre.

D’après les dernières rumeurs, l’Empire – après avoir perdu une partie de ses chaînes d’approvisionnement traditionnelles et des vaisseaux au cours des derniers mois – a resserré les rangs autour de certaines organisations criminelles qu’ils ont soutenues discrètement pendant des décennies. Han fait le tour des planètes mal famées, pose des questions, se bat de temps en temps dans un bar (bon d’accord, plus que de temps en temps) et voit s’il en ressort quelque chose.

Jusqu’à présent, ça n’a rien donné.

Chewie pousse un aboiement aigu et Han acquiesce :

— Ouais, j’espère que Wedge se marre mieux que nous de son côté. Allons nous poser et…

Le système comm crépite. Un hologramme bleu apparaît en vacillant.

Han éclate de rire et Chewie fait signe.

— Eh bien, regardez-moi ce que les ondes spatiales ont rejeté.

La femme projetée par hologramme incline les hanches d’un air taquin.

— Salut, vieille fripouille.

— Vieux, moi ?

Il feint d’être dégoûté.

— Imra, ça me fait de la peine. Ça me transperce le cœur.

Il affiche son sourire craquant.

— Je ne vieillirai jamais.

— Tu crois que Leia est du même avis ?

— Ça, c’est un coup bas.

— Tu pourrais larguer la Princesse, tu sais. Abandonner ton costume de citoyen respectueux des lois et revenir à la vie d’homme libre et sauvage, en dehors du carcan des lois.

— Imra, tu m’as appelé pour te moquer de moi ou tu as quelque chose à me proposer ?

— Nous avons une opportunité intéressante avec une toute petite fenêtre de tir.

Chewie gargouille et Han acquiesce :

— Imra, comme tu l’as dit toi-même, cette vie est finie pour moi, alors ce que tu me proposes…

Elle disparaît pour laisser la place à une nouvelle holo-image : une planète.

Chewie, troublé, se lève, rugit en agitant les poings et décroche la barre des stabilisateurs au-dessus de sa tête – le Faucon frissonne et roule d’un bord sur l’autre. Han se dépêche de replacer les stabilisateurs. Il s’apprête à dire à son vieil ami de se calmer, de se détendre, sans savoir ce qui l’a mis dans cet état…

Puis il comprend.

La planète.

C’est Kashyyyk.

La planète natale de Chewie.

Un monde où les Wookiees sont encore soumis à l’esclavage de l’Empire. Chewbacca a été un esclave comme les autres : enchaîné, à moitié affamé, à moitié fou, la fourrure clairsemée, il coupait les magnifiques wroshyrs pour leur bois et permettre de cultiver de quoi nourrir l’armée impériale, alors que tout cela appartenait à son peuple. Les Wookiees étaient également exploités dans le reste de la galaxie, expédiés comme esclaves au fond des mines ou pour construire des structures comme l’Étoile de la Mort. Parfois ces pauvres boules de poils étaient même utilisées pour des expériences scientifiques : on les ouvrait pour tester des médicaments et des armes.

— Chewie, tout va bien, mon vieux, tout va bien.

Han tapote son ami sur l’épaule et l’aide à se rasseoir.

Les muscles du Wookiee sont tendus sous sa fourrure et il montre les dents. Son souffle est court tant la colère bouillonne dans ses veines.

— C’est quoi cette histoire d’opportunité ? demande Han à Imra.

— La planète des Wookiees est toujours verrouillée. L’Empire ne veut pas la lâcher, mais leurs rangs se sont éclaircis. Normalement, des vaisseaux vont et viennent pour relever les stormtroopers et les officiers, mais leur nombre ne varie jamais. Bientôt, ça va changer, pendant un court moment.

— Je ne suis pas.

— Ils vont faire un… qui peut le dire ? Une relève de la garde ou quoi. Ils ont peut-être besoin de vaisseaux pour une autre planète… je ne sais pas, Solo. Les détails ne sont pas clairs, mais ce qu’on sait, c’est que les vaisseaux qui s’en vont ne seront pas remplacés immédiatement. Ce qui veut dire qu’on dispose de quelques jours.

— Quand ?

— Maintenant.

Chewie renverse la tête en arrière et hulule.

— Maintenant ?

Han se penche en avant, pris de nervosité.

— Tu veux dire, aujourd’hui ?

— Presque. Le compte à rebours va commencer demain.

— L’Alliance – la Nouvelle République, peu importe leur nom – m’a confié une mission. J’ai une responsabilité. Je ne peux pas changer de plan et filer comme ça…

Il sait ce que la Nouvelle République dira. Ils ont une stratégie. Ils ne se détourneront pas de leur objectif pour Kashyyyk, pas encore.

Il a demandé la permission. Plus d’une fois.

Chewie lui lance un regard entendu. Il n’émet pas le moindre son. Il se contente de soulever et abaisser sa poitrine.

Tout à coup, Han se rend compte que les mots qui sortent de sa bouche ne lui ressemblent pas. En ce moment, avec Chewie, il se sent comme avant. Comme à l’époque où ils allaient où ils voulaient. Où ils agissaient à leur guise. Quand ils avaient envie de boire, de trafiquer, d’empocher de l’argent ou de sauter sur les occasions, bonnes ou mauvaises, ils n’hésitaient pas. Ils fonçaient.

Une étincelle s’allume dans les tripes de Han.

C’est le moment de le faire.

— Tu m’en dois une fameuse, rappelle-t-il à Imra. Tu t’en souviens ?

Un jour, il l’a débarrassée d’un Destroyer Stellaire qui lui collait aux fesses (et il s’est fait choper par la même occasion).

— Ne me dis pas que tu as oublié ?

— Non, non, je m’en souviens, c’est pour ça que je suis là. Tu m’as dit que si jamais j’entendais quoi que ce soit à propos de la planète des Wookiees, je devais te prévenir. Je suis là, je te préviens.

— Ça ne suffit pas, gronde-t-il. Tu dois faire plus que ça.

Elle hésite.

— Plus comment ?

— Rassemble tout le monde. Toutes les fripouilles, tous les escrocs, tous les pirates, tous les contrebandiers : tous ceux qui m’en doivent une. Tous ceux qui détestent autant l’Empire que nous.

— Cette liste n’est pas aussi longue que tu le voudrais.

— Bon. Offre-leur l’immunité. S’ils veulent un casier vierge, dis-leur que la Nouvelle République est disposée à allonger sa liste. Grâce totale.

— C’est vrai ?

— Bien sûr, ment-il.

Ce n’est pas vrai. Il n’a jamais entendu parler de grâce. Mais il s’arrangera pour que cela devienne vrai. Il se tourne vers Chewbacca :

— Hé, mon vieux, tu sais toujours comment contacter les autres réfugiés ? Roshyk, Hrrgn, Kirratha et les autres ?

Un groupe d’une demi-douzaine de Wookiees s’est enfui de Kessel et a échappé à l’Empire, quand personne d’autre n’en était capable. Les brutes les plus redoutables et les plus poilues qui soient. Ils sont devenus des mercenaires aujourd’hui, ils ne s’intéressent pas trop à la politique ou à la Nouvelle République, mais libérer leur planète devrait les intéresser.

Chewie hoche la tête et grogne son assentiment.

— Bien. Rassemble-les. Toi, Imra, tu te charges des autres. Dis-leur de nous retrouver à l’extérieur de la Station Warrin. Tout de suite. Blast ! Non, hier. On n’a pas besoin de l’Alliance ou de la République. On va régler ça à notre façon.

Le Wookiee brandit ses longs bras en signe de triomphe.

Imra donne sa parole et disparaît.

— On n’a pas de stratégie, mon vieux.

Le Wookiee grogne.

— On improvise !

Chewie hoche la tête et hulule.

— Génial. Comme au bon vieux temps.

Chewie l’attrape dans ses gros bras et le secoue comme un gobelet de dés. Han rit en tentant de ne pas se laisser écraser.

— Allez, Chewie, encode de nouvelles coordonnées. Il est temps de te ramener à la maison.