La vision, assez floue au début, se précisa : Josy, vêtue de noir, fichu gris sur la tête, debout devant la cuisinière, en train de verser quelque chose dans le fait-tout. Une poudre blanche. Franx en déduisit que la nourriture avait un lien avec sa paralysie et qu’il devait éviter d’absorber ce que Milou leur versait quotidiennement dans la paille de la soue. Oublier la faim qui lui tenaillait le ventre. Il aurait davantage de chances de s’en sortir en sacrifiant un peu de ses forces pour recouvrer la coordination entre son cerveau et son corps. Il n’avait pu pour l’instant qu’esquisser de dérisoires mouvements de reptation, approcher sa bouche des morceaux de nourriture éparpillés entre les brins de paille, soulever les paupières, remuer la tête d’un côté sur l’autre. Il restait totalement incapable, en revanche, de bouger bras et jambes. Lorsque le vieil homme entrait pour vider le contenu de ses seaux, la lumière jaunâtre de sa lampe tempête n’éclairait pas assez longtemps les corps allongés pour permettre à Franx de distinguer les détails. Il n’entrevoyait qu’une chevelure, une épaule, une hanche, un genou… Surya était vivante, sans doute, ou il n’aurait pas eu cette vision fugitive de Josy, mais il ne savait toujours pas si la fillette faisait partie des captifs. Il lui fallait d’abord se libérer de la gangue qui lui emprisonnait les nerfs, jeûner, donc, bien qu’il mourût de faim. Il espéra que l’effet de la poudre de Josy s’estomperait au bout d’un ou deux jours, ou il n’aurait plus assez d’énergie pour s’évader de ce sinistre cachot. Il ne servirait à rien de discuter avec les deux vieux, ils avaient depuis longtemps renié leur humanité. Il aiguisa sa volonté. Surtout, surtout, ne pas céder à la tentation lorsque le fumet du ragoût s’insinuerait dans ses narines.
Tenir deux jours.
Deux jours.
Laper un peu d’eau à l’une des écuelles disséminées dans la paille et remplies régulièrement par Milou. Tendre le ressort à l’intérieur et le relâcher d’un seul coup. L’opportunité ne se présenterait qu’une seule fois. Il roula sur le côté et se rapprocha du récipient à demi enfoui dans la paille sur sa gauche, avec une telle maladresse qu’il faillit le renverser, trempa le menton et les lèvres dans l’eau fraîche, but plusieurs gorgées, faillit tout recracher lorsque quelques gouttes s’insinuèrent dans sa trachée. Il se demanda si l’eau n’était pas elle-même empoisonnée. L’odeur et la vague sensation d’humidité entre ses jambes lui donnèrent à penser qu’il avait pissé et chié sur lui. Il ne maîtrisait plus ses sphincters. Enfermé dans une soue, vautré dans une litière sale, réduit à la condition de porc, condamné à finir comme un porc, saigné, coupé en morceaux, transformé en jambons, en côtelettes, en boudin, en pâtés, en rillettes.
Le grincement du verrou précéda de quelques secondes l’entrée de Milou dans l’enclos. Comme à son habitude, le vieil homme renversa le contenu du seau dans la paille en s’arrangeant pour répartir la nourriture devant chacun des captifs. Son œil clair brilla une fraction de seconde à la lueur de sa lampe tempête. Il vérifia les écuelles et sortit en parsemant ses expirations de grognements prolongés.
Franx ignora la supplique de la faim, ferma les yeux, puis, constatant que le vertige s’accentuait, les rouvrit jusqu’à ce que, terrassé par la fatigue, il glisse peu à peu dans une léthargie où les pensées se désagrégeaient en rêves.
Lorsqu’il reprit conscience, il sentit les picotements des brins de paille sur les extrémités de ses doigts, mains et pieds. Une érection nerveuse, douloureuse, comprimait son pénis contre le tissu serré de son slip. Il commanda à son bras droit de se lever et, miracle, son bras se souleva de quelques centimètres. Idem pour son bras gauche et ses jambes. Il n’avait pas encore recouvré toute sa motricité, mais la camisole chimique avait enfin relâché son emprise, une constatation qui l’aida à ne pas se jeter sur les morceaux de lard et les pommes de terre disséminés à quelques centimètres de son nez.
Seulement boire.
Il lapa à l’écuelle une gorgée d’eau dont l’âpre goût de chlore, qu’il n’avait pas identifié jusqu’alors, provoqua une série de spasmes douloureux. La légèreté, la fluidité de ses déplacements déclenchèrent en lui un début d’euphorie. Impression de revenir à la vie, à peine assombrie par une sensation persistante de saleté, d’humiliation. Il essaya de parler. Ses lèvres, ses dents et sa langue lui obéirent, formèrent les lettres et les syllabes, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il ne voyait rien. Un souffle chaud, agréable, jaillissant d’une cavité dans le mur, lui léchait les jambes. Il en déduisit que la soue jouxtant l’habitation était chauffée par le poêle, voilà pourquoi les captifs ne souffraient pas du froid bien que légèrement vêtus. Il tendit le bras devant lui. Sa main heurta une forme. L’arrière d’un crâne. Il passa les doigts dans une chevelure épaisse et collée par la crasse, puis sur une tempe et une mâchoire agitées par des mouvements de mastication. Le garçon – un garçon, sans aucun doute, une barbe éparse lui parsemait la joue – ne se défendit pas, comme s’il ne s’apercevait pas qu’une main se promenait sur son visage, ou qu’il n’avait pas la force de réagir. Franx n’insista pas. Éviter de gaspiller ses forces. Attendre le retour de Milou. Il ne disposait pas d’arme, pas même d’une pierre ou d’un bout de bois, et le vieil homme avait visiblement la force d’un bœuf. Le combat semblait inégal, perdu d’avance.
À moins que…
Le verrou grinça et réveilla Franx en sursaut. Il eut besoin de quelques secondes pour reprendre pied dans la réalité. Milou s’engouffrait déjà dans la soue, portant d’une main un seau et de l’autre la lampe tempête, qu’il accrocha à un énorme clou planté dans une poutre. Il commença à verser le contenu du seau dans les différentes écuelles. Le cœur de Franx battit à tout rompre. C’était le moment ou jamais. Les effets de la poudre ajoutée par Josy à la nourriture s’étaient totalement estompés. Il se sentait encore faible, mais lucide. Guetter le moment propice, tendre encore le ressort. Milou marmonnait d’incompréhensibles sons entre ses lèvres serrées. Franx se tint prêt à bondir. S’il manquait sa cible, le vieil homme l’assommerait et le transformerait plus tôt que prévu en conserves. Il pensa à Surya. Pour elle au moins, il n’avait pas le droit de manquer son coup. Et pour Alice, Zoé, Théo. Ils l’attendaient.
Éclairé par la lueur ténue de la lampe, Milou s’avançait dans sa direction. Surtout rester immobile. Ne pas éveiller ses soupçons. Franx s’était arrangé pour poser sa tête juste à côté d’une écuelle en plastique. Le vieil homme se pencha au-dessus de lui pour la remplir. Son odeur, une odeur âpre, suffocante, mélange d’humus et de vieux bouc, supplanta la puanteur habituelle. Le bruit de ses bottes sur la paille et de l’eau frappant le récipient résonna aux oreilles de Franx avec la puissance fracassante d’un orage. Les deux hommes n’étaient plus séparés que par une cinquantaine de centimètres.
Maintenant.
Franx détendit son bras. Son index tendu se ficha dans l’œil brillant du vieil homme. Son ongle long déchira la cornée et s’enfonça dans le cristallin. Lâchant le seau, Milou écarta violemment le bras de son agresseur, se jeta en arrière avec un hurlement et percuta le mur.
« Qu’est-ce qui se passe, Milou ? »
La voix criarde de Josy.
Franx se leva, esquissa un premier pas sur ses jambes flageolantes, se dirigea avec une maladresse crispante vers la porte de la soue, trébuchant sur les corps allongés. Fou de colère, Milou battait l’air de ses énormes poings.
« Milou ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Y en a un qu’a crevé mon œil !
— Qu’est-ce que tu racontes ? Ils peuvent pas bouger ! »
Le vieil homme se déplaça latéralement en prenant appui sur le mur et se campa devant la porte afin d’empêcher les captifs de s’échapper. D’une main, il tentait de retenir le vitré qui s’écoulait de son œil crevé.
« Amène le fusil, Josy ! J’te dis qu’y a un enragé là-dedans ! »
Son autre main balayait l’espace devant lui à la façon d’un essuie-glace et maintenait Franx à un mètre de la porte. Un mètre de la liberté. Sortir de la soue avant que Josy ne rapplique avec le fusil. Il avisa le seau métallique couché dans la paille, le ramassa et le lança aussi fort que possible sur la tête de Milou. Touché à la face, le vieil homme proféra une série de jurons entrecoupés de glapissements. Le fer-blanc ne l’avait pas assommé, ni même simplement ébranlé. Franx, remarquant qu’il avait les jambes écartées, plongea devant lui et se faufila à quatre pattes entre ses bottes. Ses épaules frottèrent contre le caoutchouc. Milou tenta de l’attraper en refermant les jambes. Il ne parvint qu’à effleurer une hanche et une cuisse de Franx. Le bout de tissu qu’il agrippa se déchira dans un craquement et lui resta dans les mains.
« Y en a un qu’est sorti ! glapit-il. Tire-lui dessus ! »
Franx se releva. Le bref affrontement avec Milou l’avait exténué. Ses yeux ne parvenaient pas à saisir les reliefs qui papillonnaient devant ses yeux, poutres, cheminée, cuisinière, table, bergère… Une ombre noire fondait sur lui. Elle pointait maladroitement sur lui une forme allongée et noire. Un fusil. Les expirations précipitées de Josy s’achevaient en gémissements suraigus, comme ceux d’un chiot terrorisé.
« Qu’est-ce donc que t’attends pour lui tirer dessus, bon d’là ! » vociféra le vieil homme.
Elle épaula le fusil et coucha son vis-à-vis en joue. Pendant une seconde, peut-être davantage, aucune pensée ne traversa l’esprit de Franx, puis, voyant qu’elle ne maîtrisait pas ses gestes, il franchit en trois bonds l’espace qui le séparait d’elle, saisit le fusil par le canon et l’abaissa vers le sol. Le coup partit dans un vacarme de tonnerre, les plombs rebondirent sur les tommettes en terre cuite et se fichèrent dans la chaux du bas du mur. Franx lâcha le canon, tout à coup brûlant. Surprise, la vieille femme perdit l’équilibre et tomba lourdement sur le dos.
« Tu l’as eu ? » cria Milou.
Pris de vertige, Franx faillit s’affaler aux côtés de Josy. L’effort soudain et intense l’avait vidé de ses forces. Son cœur cognait comme un sourd sur les barreaux de sa cage thoracique. Ses pensées ressemblaient aux débris éparpillés d’un navire sur une mer d’huile. Refoulant la tentation de s’allonger, il se pencha vers l’avant et, les mains posées sur ses genoux, reprit sa respiration.
« Tu l’as eu, Josy ? »
La vieille femme geignit, emberlificotée dans les plis de ses vêtements, incapable de se relever. Le fusil lui avait échappé des mains, avait glissé sur le carrelage et s’était arrêté sous un banc rustique calé contre un buffet. Il s’en approcha à pas hésitants, ramassa l’arme avant de se laisser choir sur le bois rugueux du siège, ouvrit la culasse, retira la cartouche vide, vérifia que la deuxième était pleine.
« Réponds, Josy, bon d’là ! »
La frénésie cardiaque de Franx s’apaisa, les formes cessèrent de tourbillonner, ses pensées se réorganisèrent. La chaleur de la cuisinière, deux mètres plus loin, lui irradiait le flanc et la jambe droite. Du fait-tout s’échappait une appétissante odeur de bouillon parfumé de laurier et de lard. Du coin de l’œil, il entrevoyait les mouvements convulsifs de Josy qui, telle une tortue couchée sur sa carapace, tentait en vain de se relever. Il referma le fusil avant de se rendre près de la vieille femme et de l’aider à se rétablir sur ses jambes.
« Josy ? Qu’est-ce que tu fiches, bon sang ? »
Franx pointa l’extrémité du canon sur le ventre de Josy.
« Où est Surya, la petite qui était avec moi ? »
Les yeux de la vieille femme étaient maintenant les miroirs de son âme ; ils réfléchissaient la bassesse, la haine, la peur.
« Qu’est-ce que tu as fait à mon Milou ? »
Franx perdit patience, il en avait assez de cette maison, assez de ce couple, assez de leurs abominations, il enfonça brutalement le canon dans la chair molle de son interlocutrice.
« Où est Surya ? »
À contrecœur, la vieille femme désigna d’un mouvement de menton une porte basse en partie dissimulée par des vêtements suspendus à une patère.
« J’espère pour vous qu’elle est en bonne santé. Entrez là-dedans, maintenant. »
Franx poussa Josy en direction de la soue. Milou se tenait immobile dans l’entrée, la main posée sur son œil blessé.
« Josy ? C’est toi ? Dis-moi donc c’qui se passe ! »
Elle ne répondit pas, elle se contenta de prendre son mari par la main et de l’entraîner à l’intérieur de la soue. Franx referma la porte et poussa les deux verrous.
Surya l’accueillit d’un sourire radieux. Elle n’avait pas été maltraitée, elle avait mangé à sa faim, les creux de ses joues s’étaient en partie comblés. On lui avait installé un matelas et des coussins dans le minuscule réduit sombre et poussiéreux où elle était bouclée. Franx se demanda pourquoi elle avait bénéficié d’un traitement de faveur. Parce qu’elle n’avait pas assez de viande sur les os ? Parce qu’elle avait su toucher le cœur de ses geôliers comme elle avait touché le sien ? Il eut honte de lui, de sa saleté, lorsqu’elle vint se blottir dans ses bras.
Il commença par chercher leurs effets, le sac à dos, le fusil et les cartouches, le pistolet et les chargeurs remis par Dalbard. Les vêtements, les chaussures, les réserves de nourriture et d’eau, les armes et les balles étaient disséminés dans plusieurs réduits identiques à la geôle de Surya. Il parvint à reconstituer le tout et découvrit, dans une annexe plus vaste, un puits à la margelle de pierre, un établi rudimentaire et, posée contre un mur, une large échelle aux barreaux et aux montants maculés de rouille. Instruments de boucher sur une planche, scie, hachoir, couteaux, tranchoir, bocaux, fragments d’os disséminés sur la terre battue, odeur caractéristique de sang : c’était dans cette pièce que les captifs étaient égorgés et découpés. Franx ouvrit la porte basse du fond de la pièce. Elle donnait sur l’extérieur. Un froid suffocant lui s’agrippa les jambes et le torse. Il resserra les pans de la veste posée sur ses épaules. Les ténèbres impénétrables ne crachaient aucun flocon, aucune particule de cendres. L’air était figé. Il frémit d’horreur lorsqu’il aperçut, posées sur une couche de glace et de cendres mêlées, deux têtes trépanées, vidées de leurs contenus, encerclées d’une couronne de cheveux blonds et clairs pour l’une d’elles, sombres et courts pour l’autre. Des bocaux, des morceaux de bras encore pourvus de leurs mains, des épaules et d’autres parties de corps humains s’alignaient sur les étagères grossières d’un enclos grillagé, un ancien poulailler sans doute, utilisé comme un congélateur naturel.
Il tira de l’eau au puits à l’aide d’un seau relié à une chaîne et emplit une bassine en fer qu’il posa sur la cuisinière aux côtés du fait-tout. Assise à la grande table, Surya grignotait un morceau d’un pain rond et plat. Taraudé par la faim, il se demanda si Josy avait déjà ajouté la poudre paralysante dans le ragoût qui mijotait dans le fait-tout. Dans le doute, il s’abstint d’en manger et se contenta, comme Surya, d’un bout de pain à la saveur âpre et de quelques barres chocolatées aux emballages intacts liquéfiées par la chaleur de la maison.
Quand l’eau fut tiède, il en versa une partie dans une grande casserole, tira deux chaises en paravent sommaire devant la cuisinière, se dévêtit entièrement et se récura aussi complètement que possible à l’aide d’un bout de tissu transformé en éponge et d’un morceau de savon noir déniché sous l’évier. Il se rinça avec l’eau de la casserole, s’essuya avec un autre pan de tissu, puis nettoya et essora ses sous-vêtements souillés. Il se rhabilla sommairement, alla vider les récipients dehors, tira encore de l’eau au puits, posa de nouveau la bassine sur la cuisinière et invita à Surya à se laver à son tour. La fillette acquiesça d’un sourire et se dévêtit sans se faire prier. Franx fut alarmé par ses côtes et ses hanches saillantes. Il se souvint qu’au même âge sa fille Zoé était aussi blanche et potelée que Surya était brune et squelettique. Il lui passa un chiffon imbibé de savon sur le corps, puis frotta vigoureusement ses cheveux bouclés et emmêlés. Il retrouvait les gestes effectués quelques années plus tôt et qu’il croyait déjà oubliés, ses réflexes de père. Quand il l’eut rincée et essuyée, il lava également les sous-vêtements de la fillette et les mit à sécher près des siens sur les dossiers des chaises. Il rajouta du bois dans la cuisinière, puis, terrassé par la fatigue, enveloppé de couvertures, il somnola un temps près de la fillette dans la bergère débarrassée du monceau de vêtements qui l’encombrait.
Lorsqu’il se réveilla, il se demanda ce qu’il devait faire du couple terrible et des captifs dans la soue. Ces derniers ne recouvreraient pas leur coordination et leur énergie avant quatre ou cinq jours. Il n’était pas certain d’avoir la force de repartir à l’issue d’un séjour de quatre ou cinq jours dans une maison bien chauffée, confortable. D’un autre côté, il n’avait pas le cœur de les abandonner à leur sort. Il comprit qu’il ne servait à rien de lutter contre sa nature profonde. Il s’était trompé en créant une structure hermétique comme le Feu de Dieu. Les chances de survie ne résidaient pas dans l’isolement, dans la fermeture, mais dans l’ouverture et le partage. Le repli sur soi rapprochait l’être humain de la nature reptilienne. Or il ne croyait pas que l’homme descendît de l’animal, même s’il en avait parfois le comportement. L’homme était un pont entre le ciel et la terre, dont le regard restait trop souvent rivé à la matière, comme leurré par la gravité. Deux mois avant le cataclysme, Franx avait lu un essai passionnant sur la théorie de la perception subjective de l’Univers. De l’article il avait retenu que, même si l’auteur ne le formulait pas dans ces termes, la réalité n’était qu’une illusion, une construction mentale, qu’il n’existait donc pas de réalité objective, que les hommes la fabriquaient et l’entretenaient en permanence par la pensée. La théorie rétablissait la légitimité du couple esprit/matière et la liaison entre les deux, le Verbe, une autre illustration de la trinité chrétienne, Père, Fils, Saint-Esprit, ou de la Trimurti hindoue, Brahmâ le créateur, Vishnou, le conservateur et Shiva le destructeur. En créant le Feu de Dieu, il avait commis la même erreur que Josy et Milou, qui, parce que la peur avait rétréci leur espace mental, avaient sauté de plusieurs dizaines de milliers d’années en arrière.
Surya dormait paisiblement à ses côtés. Il la contempla un long moment, émerveillé par la pureté irréelle de son visage dans l’abandon du sommeil. Il ne partirait que lorsqu’il aurait rendu les captifs à la liberté. Leurs regards, leurs pensées, augmenteraient les chances de la Terre de revenir à la vie.