Cinq hommes, deux femmes, âgés d’une trentaine d’années, emmitouflés dans des couvertures, coiffés de bonnets de type péruvien.
Franx avait soufflé les bougies, mais, comme il n’avait pas eu le temps d’éteindre le feu, ils avaient aperçu les lueurs des flammes et s’étaient dirigés vers la maison. Il les voyait, par la vitre embuée d’une fenêtre, se déployer dans la rue, soulevant des gerbes grises à chaque pas. Des canons dépassaient des entrebâillements de leurs couvertures, des armes récentes, des fusils d’assaut peut-être. Ils avaient un comportement de meute en chasse ou de commando lâché en territoire ennemi, ils se plaquaient contre les moignons de murs et traversaient en courant les espaces dégagés. Franx distinguait leurs visages blêmes. Les cendres tombaient désormais de façon clairsemée dans une obscurité un peu moins dense. Le vent soufflait en rafales continues et dissipait le brouillard persistant. Les éléments lui offraient peut-être le répit auquel il avait aspiré de toutes ses forces. Si la lumière du soleil réussissait à percer l’étoupe de particules, le froid diminuerait, les probabilités augmenteraient sérieusement de franchir les quatre cent soixante-dix kilomètres qui le séparaient du Feu de Dieu.
Les visages des hommes et des femmes de la meute étaient des masques féroces, comme si le cataclysme et l’instinct de survie avaient éradiqué en eux toute forme d’humanité. Fermés à la raison, ils erraient sur la terre dévastée en quête de nourriture et d’un éventuel abri. Trois jours, trois petits jours – le temps qui, selon les estimations de Franx, s’était écoulé depuis le déclenchement du bouleversement planétaire – avaient suffi à les métamorphoser en animaux. Un pavillon intact représentait une chance inespérée dans une telle dévastation. Franx n’avait pas l’intention de le leur disputer, mais ils ne lui laisseraient pas le temps de s’expliquer. Il déverrouilla le cran de sûreté du fusil de chasse. Il lui fallait prendre l’initiative, repérer et tuer le chef de la meute, le dominant. S’il ratait son coup, ils se rueraient sur lui avant qu’il n’ait pu recharger. Il lança un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de Surya qui, assise devant la cheminée, fixait avec obstination les flammes crépitantes. Il crut un instant qu’elle avait franchi la frontière, qu’elle était passée du côté des morts affalés sur le canapé et dans les fauteuils. La meute n’était plus maintenant qu’à une vingtaine de mètres. Leurs yeux brillaient dans la pénombre. Des nuages de condensation gonflaient devant leurs bouches, aussitôt soufflés par le vent.
L’une des deux femmes dirigeait les opérations, les autres en tout cas ne bougeaient qu’à son signal. Une observation soutenue confirma à Franx qu’elle était la dominante, la tête du serpent. Taille moyenne, environ trente-cinq ans, visage émacié, yeux luisants et maléfiques, couverture beige par-dessus un anorak foncé, bonnet enfoncé jusqu’aux sourcils, bottes fourrées, gants en polaire, arme au canon large et criblé de trous. Elle se comportait avec l’autorité d’un officier sur un champ de bataille. Les remords revinrent harceler Franx : il avait poignardé un homme et les circonstances le poussaient à tirer sans sommation sur une inconnue. Il se secoua, il devait à tout prix se débarrasser des vieux principes, des oripeaux judéo-chrétiens. Dans les temps troublés qui suivraient le cataclysme, seuls s’en sortiraient ceux qui resteraient hermétiques aux émotions. Tuer ou être tué, il n’y aurait pas d’autre alternative. Franx leva le fusil et, le doigt crispé sur la détente, maintint la dominante dans sa ligne de mire. Il s’efforça de maîtriser son souffle et le tremblement de ses mains. Jusqu’alors, il n’avait tiré qu’avec des carabines à plomb sur des ballons dans les foires.
Attendre encore qu’elle s’approche.
Elle disparaissait par instants derrière les monticules de décombres qui jonchaient les rues et l’ancien jardin. Il se dit que le double vitrage fausserait son tir, qu’il valait mieux briser le verre avant de presser la détente, mais le bruit risquait de les alerter et de les exciter. Curieusement, malgré les battements désordonnés de son cœur, un grand calme se déployait en lui : éviter de précipiter le mouvement, rester concentré, guetter le moment propice. Il ne savait pas d’où lui venait cette étrange sérénité, une voix, un chant, s’élevait du plus profond de lui, qui dominait le tumulte de ses pensées et dissipait la peur. Le sol trembla de nouveau, une vibration sourde et prolongée ballotta la maison comme une vague une coquille de noix. Franx exploita le bruit pour fracasser la vitre avec la crosse du fusil et glisser le canon par la brèche. Les éclats de verre volèrent autour de lui et se répandirent en pluie scintillante sur ses épaules et ses manches. Les silhouettes, dehors, s’étaient figées, alarmées par la secousse tellurique et le grondement surgi des profondeurs. Le silence redescendit sur les lieux. Les cendres se remirent à tomber, denses, épaisses, répandant une forte odeur de soufre. Le vent glacial s’engouffra par la vitre, se rua dans la pièce, gifla les flammes dans l’âtre. La meute reprit sa progression, guidée par les gestes et la voix de la dominante. Elle se tenait une quinzaine de mètres plus loin, dans la ligne de mire, les yeux rivés sur la maison, le nez levé. Traits fins, mais visage incroyablement dur, comme sculpté dans une matière blessante. Aucune pensée parasite ne s’interposait entre le cerveau et l’index de Franx.
Maintenant, ordonna la voix intérieure.
Il pressa la détente. Le coup de feu éclata avec la force d’un coup de tonnerre. L’arme se cabra et lui meurtrit l’épaule. La femme ne broncha pas. Il crut qu’il l’avait manquée et s’apprêtait à tirer la deuxième cartouche quand elle esquissa quelques pas chancelants. Elle parcourut six ou sept mètres sur ses jambes flageolantes avant de s’effondrer comme une masse dans la cendre. Les autres, stupéfaits, ne bougèrent pas jusqu’à ce que l’un d’eux pousse un glapissement. Ils s’égaillèrent et s’évanouirent dans l’obscurité. Franx inséra une cartouche dans la culasse encore brûlante et resta un moment posté près de la fenêtre. Ils avaient réagi comme il l’escomptait. Ils ne reviendraient pas tout de suite, pas avant de s’être choisi un nouveau chef, mais ils reviendraient. Pas question de traîner dans les parages. Il rhabilla Surya, enfila son manteau de cuir, son bonnet, ses lunettes, son sac à dos, ses gants, et mit son fusil en bandoulière après avoir verrouillé le cran de sûreté. Il contempla une dernière fois les flammes qui sifflaient dans la cheminée. Il n’avait vraiment pas envie d’affronter le froid, les averses de cendres, la nuit perpétuelle, les innombrables pièges d’une Terre devenue folle. Il raffermit sa résolution d’une profonde inspiration, se rapprocha du feu pour sentir une dernière fois la chaleur bienfaisante sur son front et ses joues, prit la fillette par la main et quitta l’abri de la maison.
Le froid, de nouveau, omniprésent, implacable.
Ils passèrent devant la femme étendue sur le sol, en partie occultée par les cendres. Elle gisait dans une mare de sang déjà gelée, sur sa couverture déployée. Les plombs lui avaient déchiqueté la poitrine et le cou. L’extrémité du canon de son arme dépassait d’un pan déchiré de son anorak. Ses yeux, grands ouverts sous l’élastique froncé de son bonnet, imploraient Franx, des gémissements à peine perceptibles mouraient dans son souffle. Elle n’était plus la créature dure, animale, qu’il avait aperçue quelques instants plus tôt, son agonie lui restituait sa douceur et sa beauté originelles. Il regretta de l’avoir tuée sans sommation, sans lui avoir offert une opportunité de négocier. Elle tenta de parler, ne parvint pas à expulser le moindre son, sa tête roula sur le côté, elle se figea définitivement dans un ultime spasme. Il renonça à récupérer l’arme de la morte ; il n’était pas sûr de savoir s’en servir ni de trouver les munitions correspondantes, il n’avait ni le courage de manipuler son corps, ni celui de s’attarder dans le coin, la crainte de voir resurgir les autres membres de la bande et les nuées de remords.
Depuis combien de temps longeaient-ils la faille ? Il avait l’impression d’avoir parcouru des dizaines de kilomètres, et aucun passage ne s’était présenté. Ils avaient traversé d’autres villes, d’autres lotissements, d’autres centres commerciaux dévastés, d’autres routes jonchées de voitures, de bus et de camions couchés… À en perdre tout sens de l’orientation. Il ne connaissait pas le nom des villages sur les pancartes couchées qu’il réussissait à déchiffrer. La pluie de cendres, toujours aussi dense, l’empêchait de voir à plus de deux mètres devant lui. De temps à autre, il juchait la fillette sur ses épaules, par-dessus son sac à dos, et la portait jusqu’à ce que la fatigue l’oblige à la reposer par terre. Elle marchait alors à ses côtés d’une foulée menue qui le contraignait à ralentir l’allure. Il pensait de plus en plus souvent qu’elle le retardait, qu’elle était un fardeau, et il regrettait amèrement la promesse extorquée par sa mère agonisante. Il était parfois taraudé par la tentation de l’abandonner à son sort sur le bord du chemin ou, plus radical encore, de la précipiter dans la faille. Il avait ensuite honte de ses accès de rage ou de haine, se sentant aussi inhumain que les hommes et les femmes de la meute qui avaient tenté de prendre d’assaut le pavillon intact. La facilité avec laquelle il avait tué un homme et une femme, la vitesse à laquelle il se transformait lui-même en animal, en monstre, l’effrayaient. Peut-être le froid lui chamboulait-il les nerfs ? Peut-être la disparition de la ceinture magnétique qui protégeait la Terre perturbait-elle son métabolisme, son comportement ?
Une lumière brillait dans le lointain, assez puissante pour transpercer la brume de cendres. Elle s’élevait à une hauteur vertigineuse et retombait en longs rubans dorés sur les flancs de ce qui était sans doute une colline. Les particules qui frappaient les rares parties du visage découvertes de Franx étaient tièdes. L’odeur de soufre était tellement forte qu’il redouta l’asphyxie et rajusta l’écharpe sur le nez et la bouche de Surya. L’éruption volcanique – c’en était une, sans aucun doute, il avait visionné de nombreux films sur les volcans en activité – n’aurait jamais dû se produire dans cette région. Il n’était pas encore sorti de l’Île-de-France, loin, très loin de la chaîne des puits d’Auvergne, mais les anciennes logiques n’avaient plus cours, les mouvements de plaques avaient ouvert de nouvelles blessures dans l’écorce terrestre, les hypothèses et les calculs des spécialistes avaient perdu toute pertinence. Portant Surya, il grimpa au sommet d’une butte pour admirer le spectacle somptueux qui se jouait quelques kilomètres (ou dizaines de kilomètres) plus loin. Il ne distinguait pas la masse sombre du volcan, seulement les panaches étincelants qui, projetés presque en continu, s’évasaient en une corolle titanesque et rougeoyante, les filaments scintillants qui s’affaissaient et s’évanouissaient avant de toucher le sol, les torrents rutilants qui dévalaient les pentes pour se jeter dans une large couronne d’or, les cascades qui tiraient sur la nuit des rideaux flamboyants. Fasciné, il ne parvint pas à s’arracher de sa contemplation. Aucun autre bruit ne résonnait que le grésillement des flocons de cendres et les mugissements du vent, et cette impression de paix, de silence, soulignait la splendeur du jaillissement de lave.
Le froid transperçait ses bottes fourrées, ses trois paires de chaussettes, et s’agrippait à ses pieds. Il lui fallait bouger rapidement s’il ne voulait pas finir pétrifié. L’air ne se réchauffait pas malgré la tiédeur des cendres. Il décida d’avancer en direction du volcan, de bénéficier ainsi de la chaleur dégagée par l’éruption, puis il se dit que l’atmosphère serait de moins en moins respirable et que, comme les hommes, les femmes et les enfants piégés dans leurs voitures près de la faille, la fillette et lui risqueraient de mourir asphyxiés. Il observa les environs, suivit des yeux la course sinueuse de la faille, s’aperçut, grâce à la lumière ténue de la lave, qu’elle s’étranglait à l’horizon. Peut-être ses bords finissaient-ils par se rejoindre quelques kilomètres plus loin ? Il épousseta son bonnet, ses lunettes, resserra le pan de tissu sur le bas de son visage, vérifia l’équipement de Surya avant de la jucher sur ses épaules et de dévaler la pente de la butte.
Il perdait la notion du temps. Bien que Surya pesât des tonnes, il la gardait sur ses épaules. La présence de plus en plus marquée de soufre dans l’air accentuait sa fatigue. Il avait estimé, du haut de la colline, que la faille se rétrécissait après deux kilomètres, mais il avait parcouru quatre ou cinq kilomètres et le bord opposé ne paraissait pas se rapprocher. Il continuait d’avancer vers le volcan, guidé par la lumière de l’éruption. Il faillit rebrousser chemin tant l’air devenait irrespirable, mais il n’avait aucune idée de la longueur de la faille de l’autre côté, des dizaines de kilomètres sans doute, et il préféra continuer en espérant qu’il pourrait bientôt la traverser et s’éloigner des émanations de soufre. Il repoussa avec l’énergie du désespoir l’envie envoûtante de s’arrêter, de s’allonger, d’attendre tranquillement que la mort vienne le délivrer de ses tourments. Si le cataclysme ne les avait pas emportés, Alice et les enfants s’étaient organisés sans lui. Il n’était qu’un être humain parmi d’autres, un rêve infime sur le point de s’éteindre, une poussière dans l’immensité cosmique, sa vie ne valait pas toute cette débauche d’énergie, toute cette souffrance. Le destin, par l’un de ces détours ironiques dont il avait le secret, l’avait entraîné loin du Feu de Dieu juste avant le grand bouleversement, il devait maintenant s’effacer de la surface de la Terre sans colère ni peur, se libérer d’une enveloppe organique inadaptée, passer sur l’autre rive à la fois attirante et effrayante. Son pas se fit heurté, lourd. Il ne voyait plus rien. Il s’immobilisa une première fois. Les talons de Surya lui frappèrent les pectoraux, comme un jockey aiguillonnant son cheval. Saisi d’une rage soudaine, il faillit l’empoigner par la cheville et la balancer le plus loin possible de lui. Il évacua sa colère en marchant d’une allure soutenue jusqu’à ce que, épuisé, il s’arrête une deuxième fois. Il posa la fillette sur le tapis de cendres et reprit son souffle. Elle le fixait, au travers des verres des lunettes, avec ces petites lueurs moqueuses qu’il avait fréquemment remarquées. Il fut de nouveau tenté de l’abandonner à son sort, d’abandonner tout court. L’odeur du soufre le rendait fou. Il se défit de son fusil et de son sac à dos. Le vent se glissait sous les diverses couches de ses vêtements et semait sur sa peau des baisers glacés. Il s’accroupit devant la fillette, la prit par les épaules, la secoua sans ménagement et hurla :
« Tu trouves que c’est marrant ? Hein ? Tu trouves que c’est marrant ? »
Les cendres accumulées sur ses vêtements volèrent autour d’elle. Elle ne protesta pas, elle ne parut pas effrayée, ni même simplement inquiète.
« Qu’est-ce que je vais faire de toi, bon Dieu ? Qu’est-ce qu’on va faire de nous ? »
Des larmes lui vinrent aux yeux, embuant ses lunettes. Jamais il n’avait éprouvé un tel sentiment de solitude, une telle détresse, même lorsque ses parents étaient morts. Il traversait le pays de la désolation, le monde des enfers, là où la vie était niée. Il s’assit sur le sol, résigné. Le vent éparpillait les cendres, dénudait des bandes de terre noire, des gravats, des formes allongées, sans doute des carcasses de vaches ou de chevaux. Il lança un dernier regard autour de lui avant de se coucher. Une bourrasque particulièrement violente balaya le ciel et éclaircit les environs. Il s’aperçut qu’il était arrivé à l’extrémité de la faille : les deux bords se rejoignaient à moins de dix mètres de lui. Des restes de pavillons se dressaient dans l’obscurité tels des spectres figés. Il estima que, comme la fracture terrestre l’avait obligé à bifurquer vers l’ouest, il lui fallait maintenant prendre la direction perpendiculaire à celle qu’il venait de suivre. Rien n’était moins sûr. Il ne pouvait se fier qu’à ses impressions. Il avait faim et soif, ses mains s’engourdissaient, le manque de sommeil lui pesait sur les paupières, sur la nuque et les épaules. Le fait d’être arrivé au bout de la faille lui redonnait envie de lutter, d’essayer encore, mais, s’il ne trouvait pas rapidement un abri pour se reposer, il finirait par s’endormir n’importe où et ne se relèverait plus. Il sautilla sur place afin de rétablir la circulation sanguine. Surya l’imita et, même s’il ne distinguait pas ses traits, il vit qu’elle souriait. Une fois l’engourdissement atténué, il dégagea une bouteille d’une poche du sac à dos. L’eau était gelée. Il brisa le plastique et, à coups de lame de couteau, brisa la glace en petits morceaux. Il en tendit un à la fillette.
« Tiens, garde ça dans la bouche jusqu’à ce que ça fonde. Ça ne vaut pas l’eau, mais ça t’évitera de mourir de soif. »
Surya releva son masque de tissu au-dessus de sa bouche et glissa le glaçon entre ses lèvres. Franx lui proposa ensuite des barres de céréales et des dattes, qu’elle accepta sans rechigner et mangea de bon appétit. Ils repartirent quelques instants plus tard, revigorés. Lorsqu’il contourna la faille et tourna le dos à la lumière du volcan, Franx eut l’impression de s’enfoncer dans un pays ténébreux d’où l’on ne revenait pas et en appela à toute sa raison, à toute sa volonté, pour ne pas rebrousser chemin.
Ils arrivèrent dans ce qui avait été quelques jours plus tôt une petite ville. Le clocher de l’église dominait encore la masse informe de décombres qu’était le reste de l’édifice. Des dizaines de corps jonchaient la place entre les arbres arrachés, les voitures blêmies par les cendres et les reliefs impossibles à identifier. Franx explora les maisons effondrées, ne trouva aucun abri parmi les gravats, pas même un soupirail qui leur aurait permis de se glisser dans une cave.
Il entrevit tout à coup des lumières et des silhouettes dans une habitation souterraine. La vision s’estompa presque aussitôt qu’elle lui était apparue. Il pensa qu’il avait rêvé et se remit à fouiller les ruines. D’autres images s’imposèrent à lui quelques secondes plus tard, plus nettes, plus proches. Elles lui montraient une porte en fer, l’intérieur d’un passage voûté et luisant, une immense salle souterraine éclairée par des projecteurs, des silhouettes allongées sur des matelas ou assises devant des écrans scintillants. Une illusion d’optique sans doute. La forte teneur en soufre lui donnait-elle des hallucinations ? Il respira lentement et garda un temps les yeux fermés afin de les disperser. Lorsqu’il les rouvrit, Surya n’était plus à ses côtés. Scrutant les environs, il vit l’obscurité avaler sa frêle silhouette une dizaine de mètres plus loin.
« Surya ! Reviens ! »
Il poussa un juron, se lança à sa poursuite, faillit la perdre de vue à plusieurs reprises dans le labyrinthe des décombres. La fillette filait entre les murs affaissés avec une vivacité et une adresse surprenantes, sans marquer la moindre hésitation, comme si elle savait où elle allait.
« Surya ! »
Elle disparut derrière la façade pratiquement intacte d’une maison. Franx passa à son tour sous un porche en partie effondré et déboucha, de l’autre côté, dans une cour intérieure habillée d’un épais tapis gris. Il eut beau sonder l’obscurité avec la plus grande attention, il ne distingua pas la fillette. Il n’y avait pourtant aucune autre issue que le porche.