TRENTE
À BORD DE L’ALAN B. SHEPARD
Kaufman remarqua que Tom Capelo, à l’inverse de Marbet, ne portait pas la combinaison verte d’un prisonnier. Il avait une tenue de soirée dont la tunique était un peu plus courte que ne l’exigeait la mode, mais dont l’étoffe semblait coûteuse. Le physicien entra calmement dans la pièce, son mince visage brun pas plus sardonique que d’ordinaire. Il tenait à la main une liasse pliée de sorties d’imprimante. Aucun PM ne l’accompagnait ; Capelo, à l’inverse de Marbet ou de Kaufman, était libre de ses mouvements. Eux étaient des délinquants, et lui un héros scientifique.
— Professeur Capelo, je vous en prie, asseyez-vous, dit Rulanov. Voulez-vous, s’il vous plaît, décrire en détail, pour ce tribunal, vos allées et venues du seize avril.
— Non.
— Je vous demande pardon ?
— Non, je ne vous décrirai pas en détail mes allées et venues du seize avril. Vous les avez toutes enregistrées. Je ne vois pas pourquoi je répéterais ce qui est déjà connu de tous ceux qui sont ici.
Les mâchoires de Rulanov se crispèrent.
— Professeur Capelo, ceci est un tribunal d’investigation qui a toute autorité pour exiger cela de vous. Vous êtes obligé de répondre.
— Non, je ne le suis pas, répliqua calmement Capelo. Vous êtes un comité d’investigation, pas une cour de justice, ni même une cour militaire. Si vous voulez me forcer à répondre, convoquez une cour martiale officielle et assignez-moi à comparaître. Je suis prêt à coopérer avec vous en répondant à de vraies questions, pas à des foutaises.
Les trois membres du tribunal se tournèrent les uns vers les autres et conférèrent, Ramsay avec une mine férocement renfrognée. Kaufman tenta de croiser le regard de Capelo, mais il avait les yeux fixés droit devant lui.
— Professeur Capelo, finit par dire Rulanov, l’air le plus glacial que Kaufman ait cru humainement possible, quels étaient vos motifs pour faire évader Marbet Grant de la prison du vaisseau et l’amener dans la zone de sécurité où l’on gardait le prisonnier de guerre ?
— Je voulais tuer ce salaud.
— Est-ce que miss Grant était au courant de votre motif ?
— Vous n’avez qu’à le lui demander.
— Je vais reformuler ma question, dit Rulanov, et Kaufman vit combien il devait faire d’efforts pour contenir sa colère. Avez-vous dit à miss Grant quelque chose qui révélait votre intention ?
— Non.
— Vous a-t-elle dit quelque chose qui indiquait qu’elle savait que vous aviez planifié un assassinat ?
— Non.
— Quel était, à votre avis, la raison qu’avait miss Grant de vous suivre ?
— Elle voulait parler au Faucheur. Ou plutôt communiquer par les moyens dont elle disposait. Ce qu’elle a fait.
Rulanov changea de position sur son siège.
— Vous doutiez-vous que le colonel Kaufman vous attendait dans le secteur protégé ?
— Non.
— Quand vous êtes-vous rendu compte qu’il était là ?
— Quand je suis entré en titubant dans le vestibule et qu’il m’a aspergé de mousse paralysante.
— Et c’est la mousse paralysante qui vous empêché de tuer le prisonnier comme vous l’aviez prévu ?
— Oui. Bien entendu, le capitaine Grafton a fini par le faire à ma place, dit Capelo, et Kaufman vit soudain le conflit intérieur avec lequel le physicien tentait, à sa manière agitée et non-introspective, de se colleter. « Je massacrerai mon ennemi et pleurerai sa mort. »
Pauvre Tom.
— Professeur Capelo, je vous en prie, dit Rulanov d’une voix tendue, contentez-vous de répondre à la question que l’on vous pose.
— Seulement si vous répondez à certaines en retour. Pourquoi est-ce que Grafton a lancé un gaz neuroleptique dans le secteur protégé au lieu d’y envoyer des PM en armure corporelle pour nous maîtriser ? Nous n’avions pas d’armes lourdes, même ce paisible Lyle, ici présent, n’avait qu’un taser et de la mousse paralysante, et nous n’aurions présenté aucun obstacle à des soldats qui n’étaient pas pris par surprise.
— Les actes du capitaine Grafton ne sont pas de votre…
— Peut-être bien que non. Mais en voici une qui l’est : Pourquoi est-ce que Marbet est encore enfermée et moi, libre, alors que c’est moi qui ai tout fait pour pénétrer dans votre prétendu secteur protégé ?
— Miss Grant est aux arrêts pour le même délit qui a causé son arrestation précédente. Professeur Capelo, quelle que soit votre envergure scientifique, vous ne pouvez pas…
— Discutons de mon envergure scientifique, voulez-vous ? Est-ce la raison pour laquelle je suis libre d’aller et venir sans qu’aucune charge soit portée contre moi ? Parce que j’ai fourni la théorie physique qui va vous faire gagner la guerre ? Suis-je libre et elle non parce que j’aurai une grande valeur médiatique dès que j’aurai publié, que je suis peut-être un futur prix Nobel, et que personne ne veut que leur sauveur scientifique soit en prison ? Mais une simple Sensitive dans un monde où les Sensitifs ne sont pas populaires ne manquera guère à quelqu’un, n’est-ce pas ?
— Ça suffit ! Professeur Capelo, vous…
— Une hypocrisie à la taille du vaisseau, capitaine. C’est ce que nous avons là.
— … outragez la cour. Un sortie de plus et je…
— Vous quoi ? C’est votre problème, n’est-ce pas ? Vous ne savez pas que faire de moi, maintenant que j’ai travaillé pour vous. Oh, et pour moi, je le reconnais. Mais maintenant, je suis un problème intéressant, n’est-ce pas ?
Kaufman dit, parce qu’il ne pouvait plus se contenir :
— Pas aussi important que vous le pensez, Tom. Avez-vous entendu parler de J. Robert Oppenheimer ?
Capelo se tourna vers lui en souriant.
— Alors, ils ne vous ont pas coupé la langue, Lyle. Ni les couilles.
— Policiers ! cria Rulanov. Expulsez le professeur Capelo du tribunal !
— Posez de nouveau une main sur moi, dit Capelo tranquillement sans bouger de son siège, et vous devrez me tuer pour m’empêcher de causer le pire problème de relations publiques que la Marine ait jamais connu. Et si vous me tuez, ma fille et sa nurse sont prêtes à raconter une histoire qui, j’en suis sûr, fascinera les journalistes. Amanda fera une témoin holo extrêmement pathétique.
Rulanov était beaucoup trop militaire pour se laisser intimider. Il fit signe aux PM qui saisirent Capelo. Kaufman se surprit en train de se lever.
Capelo dit, toujours sans élever la voix :
— La fête est déjà terminée ? Mais j’ai d’autres questions à poser. Par exemple, qu’allez-vous… (Les PM le traînaient vers la porte. Capelo se laissait porter, comme un poids mort, tout en continuant à parler.)… faire de cet artefact, maintenant que j’ai expliqué ce dont il est capable ?
— Nous allons l’utiliser, dit une autre voix, depuis le seuil.
Kaufman, à moitié levé de son siège, finit de s’en extraire en trébuchant. Le tribunal, après un moment de stupeur, sauta sur ses pieds et salua. Kaufman fit tardivement de même. Seuls les PM continuèrent à faire leur travail en traînant Capelo vers la porte. Le nouveau venu dit :
— Relâchez cet homme, soldats.
Les PM n’y prêtèrent pas attention.
— Relâchez-le ! répéta Rulanov, écho le plus étranglé que Kaufman ait jamais entendu. (Mais le capitaine se reprit vite.) Bienvenue à bord, mon général.
Capelo, de nouveau libre et droit sur ses pieds, se retourna pour regarder le seuil, comme tout le monde.
Kaufman n’avait jamais rencontré le général Sullivan Stefanak, Commandant en Chef du Comité de Défense de l’Alliance solaire, mais bien sûr, il le reconnut aussitôt. Le visage du général était sur tous les bulletins d’information de chaque média : holo, accès en ligne, presse interactive, inforéseau. Ce n’était pas un visage que l’on pouvait oublier, ou ignorer. Son immense taille et sa force, au moins égales à celles de Dieter Gruber, étaient naturelles. Tout comme l’était, visiblement, le visage dur sous la tête chauve, ni l’un ni l’autre n’étant modifiés par un traitement cosmétique. La peau de Stefanak était légèrement bronzée, ses yeux brun foncé moucheté d’or. Il avait des lèvres charnues et une large mâchoire. Il rayonnait d’énergie, de charisme, et d’une absence totale de pitié. On disait que ses appétits, dans tous les domaines, étaient énormes.
Y compris son appétit de pouvoir. Des commérages persistants déclaraient que, pour Stefanak, diriger le Comité de Défense de l’Alliance solaire contrôlant l’Armée et la Marine de tout le système solaire ne lui suffisait pas. Qu’il ne se serait même pas contenté d’être élu président de l’Alliance solaire. Qu’il voulait être dictateur, et qu’avec cette guerre et la possibilité d’établir la loi martiale, cela pouvait arriver. En regardant Stefanak – encore plus magnétique, laid et dangereux en chair et en os qu’en holo – Kaufman crut soudain à ces rumeurs. Un dictateur éclairé, peut-être, mais néanmoins un dictateur. Cet homme créait ses propres règles.
À côté de lui, il y avait le général Tolliver Gordon, qui avait confié à Kaufman cette satanée mission, et le capitaine Grafton. Celui-ci paraissait curieusement morne.
— Le grand homme en personne, dit Capelo, mais cette remarque n’avait rien de mordant. Même lui semblait subjugué par Stefanak.
— Et vous, le grand professeur Capelo. J’ai lu votre article préliminaire sur les probons. Je n’en ai pas compris un seul mot.
Capelo n’était pas facile à charmer.
— Je ne m’attendais guère à ce que vous le compreniez. Les résultats vous intéressent plus que les causes.
— Tout à fait exact, professeur Capelo. Et vous, vous intéressez aux résultats que nous projetons de réaliser à partir de votre travail.
— C’est vrai. Allez-vous vraiment me le dire ?
— Oui. Vous avez le droit de savoir. De plus, comme vous venez de le faire remarquer avec tant d’éloquence, vous représentez un problème pour nous. Si vous finissiez par mourir, est-ce que votre fille de-pas-tout à fait-onze-ans essaierait vraiment de révéler votre version de l’histoire aux holos ? Lui avez-vous donné des instructions concernant ce qu’il faudrait dire ?
— Oui, et elle le ferait. Tenteriez-vous de l’en empêcher ?
— Ce serait difficile, j’imagine, si elle aime son père. Asseyez-vous, ou non, professeur Capelo, à votre gré. Moi, je vais certainement le faire.
Le lieutenant Framingham bondit hors de son propre siège et Stefanak réussit à y introduire sa corpulence. Après un moment d’incertitude – son premier cependant, pensa Kaufman – Capelo s’assit également. Tous les autres restèrent debout.
— Vous avez des questions à poser, dit Stefanak à Capelo. Mais avant que vous ne commenciez, j’ai des obligations à remplir. (Il leva les yeux sur Rulanov.) Capitaine, vous avez fait un excellent travail en dirigeant ce tribunal d’investigation. Avant que je vous décharge de cette responsabilité, je veux que vous sachiez que l’on a pris note de votre minutie et de votre professionnalisme. Il en est de même pour vous, lieutenant Ramsay, lieutenant Framingham.
Les trois officiers tentèrent de ne pas avoir l’air trop flattés. Rulanov dit :
— Merci, mon général.
Stefanak se tourna vers Grafton, toujours morne.
— Et vous, capitaine, vous avez agi en accord total avec les plus hauts critères de la Marine de la Défense de l’Alliance solaire, en suivant correctement la procédure pour chaque action que vous avez menée, depuis l’instant où le prisonnier de guerre a été amené à bord du vaisseau. Vous recevrez une lettre d’éloges, en temps voulu, pour votre dossier de promotion.
Grafton parut moins morne, bien que toujours mal à l’aise. Ce ne devait pas être facile, pensa Kaufman, de se voir prendre le contrôle de votre propre vaisseau, aussi aisément qu’un saut sur la Lune. Pas facile pour le tribunal d’investigation, non plus. Stefanak était maintenant en charge de tout.
— Colonel Kaufman, les accusations retenues contre vous ont été abandonnées. Elles étaient appropriées quand on les a classées, mais de nouvelles informations, dont le général Gordon discutera avec vous plus tard, les ont invalidées.
— Merci, mon général. » (Kaufman prit garde de ne pas regarder Grafton. Mais il se risqua à poser une question.) Si je peux me permettre de vous le demander, mon général… et miss Grant ? A-t-on aussi écarté les accusations portées contre elle ?
— Miss Grant est une civile, elle ne dépend pas de notre juridiction. L’affaire est toujours en suspens.
Tous ceux qui étaient dans la salle comprirent que ces charges disparaîtraient aussi. On n’aspire pas à devenir dictateur sans posséder un contrôle politique étendu.
— Merci, mon général, dit Kaufman.
— Bien. Professeur Capelo… vos questions. Faites feu.
Capelo n’avait pas eu le temps de retrouver son équilibre.
— Qu’allez-vous faire avec mon artefact ?
Le pronom possessif qui, Kaufman le savait, avait été dit délibérément par Capelo, arracha un sourire à Stefanak qui ne fit aucun commentaire là-dessus.
— Nous allons l’emporter dans le système solaire, l’y installer dans quelque endroit sûr et classé secret, et activer le réglage du nombre premier « treize », qui protégera tout notre système d’une attaque des Faucheurs.
Quelque endroit sûr et classé secret. Mon Dieu, pensa Kaufman, Stefanak le contrôlera totalement. Personne n’osera le contrecarrer ; il va détenir une Excalibur invincible, qui pourrait devenir apocalyptique s’il le décidait. Il sera dictateur.
— Je vois, dit Capelo, d’un ton plein de sous-entendus. Alors, vous n’allez pas l’emporter dans le système solaire des Faucheurs, et activer le réglage du nombre premier « treize » pour griller tout leur système natal ?
— Vous nous avez dit que ce n’est pas possible sans affecter de façon désastreuse le tissu même de l’espace-temps.
— Et si je me trompais ?
— Nous espérons que vous allez continuer à affiner votre théorie, pour qu’elle devienne indubitable.
— Et si je me trompais sur ce qu’accomplit le réglage du nombre premier « treize » ?
— Même réponse.
Stefanak semblait s’amuser.
— Et tandis que « j’affinerai ma théorie », et que d’autres feront de même – me donnera-t-on la permission de publier ?
— Certainement.
— Mais vous savez que, très probablement, les Faucheurs sont, autant qu’ils le peuvent, à l’écoute de notre spectre électromagnétique. Il se peut qu’ils soient capables de déchiffrer nos découvertes capitales.
Kaufman s’était aussi posé cette question. Il écouta attentivement la réponse de Stefanak.
— Laissons-les faire. Mes conseillers scientifiques sont convaincus que leur approche de la science est tellement différente de la nôtre que la traduction et l’imitation leur poseraient d’énormes difficultés.
— C’est probablement vrai, reconnut Capelo. Et si, tandis que j’« affinerai ma théorie » et que d’autres feront de même, on découvrait d’importantes erreurs ?
— Nous les corrigerons pour eux. Professeur Capelo, je suis un soldat, pas un modéliste. Je m’attends à d’importantes erreurs, et je m’attends à être obligé de les corriger. La guerre est ainsi.
— Et comment espérez-vous « corriger » la destruction de l’espace-temps si on active le réglage du nombre premier « treize » de deux artefacts dans le même système solaire ?
— Vous ne pensez pas que les ingénieurs qui les ont conçus ont pensé à cela et créé des sûretés intégrées ?
— Je n’en ai aucune idée. Et vous non plus.
— Exact. Mais, professeur, je ne prévois pas d’utiliser le réglage du nombre premier « treize ». Cela constituerait un risque inacceptable.
Capelo réfléchit. Pour finir, il dit :
— Vous ne devriez pas avoir à prendre des risques. Vous ne devriez pas avoir besoin d’activer réellement l’artefact. Il vous suffirait de convaincre les gens, humains et Faucheurs, que vous l’activez. L’effet sera le même, à moins que ces salopards ne soient assez stupides pour apporter leur artefact dans notre espace et vous prendre au mot.
Stefanak ne dit rien. Il continuait à sourire, détendu et à l’aise, ses immenses jambes croisées.
Capelo rit, émettant ce bref son discordant que Kaufman avait entendu des centaines de fois.
— Bien, général. Je suis pas soldat. Mais j’ai encore une question de plus, et c’est une question de soldat. J’ai consulté, à la bibliothèque du vaisseau, toutes les données sur les combats depuis que les frelons faucheurs sont apparus pour la première fois, protégés par les champs disruptifs de faisceau. Bien entendu, je n’ai pas eu accès à celles classées secrètes, mais vous connaissez ces correspondants de guerre : leurs robots vont pratiquement partout et couvrent pratiquement tout. Alors, j’ai écrit un programme afin de comparer ces données à une utilisation probable du système des tunnels et un temps maximal de vol d’un frelon. Et j’ai trouvé quelque chose d’intéressant.
« On peut coordonner les deux de façon telle qu’un seul artefact faucheur aurait pu être transféré d’un vaisseau à un autre et couvrir tout de même le lieu où le champ disrupteur de faisceau est activé. Ils n’en ont pas du tout découvert l’ingénierie, vous comprenez ? Ils possèdent seulement un artefact, tout comme nous.
Le lieutenant Framingham poussa un hoquet de surprise. Kaufman sentit son propre visage exprimer le même sentiment. Pour la première fois, Stefanak parut mal à l’aise. Personne ne dit mot ; personne ne l’osa.
Pour finir, le général dit :
— Vous êtes très intelligent, professeur Capelo. Quelle pitié que vous n’ayez pas choisi de devenir militaire.
— J’aurais fait un soldat lamentable.
— Vous avez peut-être raison. Êtes-vous un bon patriote ?
Capelo rit de nouveau.
— Vous voulez savoir si parlerais à quelqu’un de cette conjecture ? Si je la publierai ? Si je l’intégrerai à l’armure de ma fille ? Non. Je veux vous voir gagner la guerre, général, tout autant que vous. Peut-être plus, parce que je ne suis pas militaire, et que je n’ai rien à tirer du succès d’une bataille et même plus à perdre que je n’ai déjà perdu. Aussi longtemps que vous ne me poursuivrez pas pour trahison, ou pour être entré par effraction dans un secteur protégé, ou toute autre charge stupide, je resterai silencieux sur tout ce que vous qualifierez de classé secret. J’ai déjà des autorisations de haut niveau touchant la sécurité, vous le savez.
— Je le sais.
— Et Marbet Grant ?
— Des autorisations bien moins étendues. Mais je suppose qu’elle aussi gardera le silence sur tout ce qui arrivé est à bord de ce vaisseau.
— En échange de sa liberté.
Stefanak avait retrouvé son paisible sourire.
— Je vous l’ai dit : miss Grant est une civile. Tout ce que je peux faire, c’est présenter son affaire telle que je la vois aux autorités appropriées.
— Oui, dit Capelo d’un ton sarcastique, rien que cela.
— Avons-nous terminé, professeur Capelo ?
— Aussi terminé qu’un sujet comme cela peut l’être.
Stefanak se leva. Capelo aussi ; il était impossible de rester assis quand cette présence écrasante ne l’était plus. Stefanak lui tendit la main.
— Au revoir, professeur Capelo.
— Au revoir, général Stefanak.
— Colonel Kaufman, dit Stefanak, le général Gordon va rester sur ce vaisseau pour vous débriefer. Je dois partir immédiatement. Messieurs, mesdames.
Il salua les officiers, qui répondirent avec la ferveur hypercorrecte des cadets de l’Académie. Stefanak sortit, traînant Grafton derrière lui, tel un aviso derrière un vaisseau de guerre.
Rulanov, Ramsay et Framingham semblaient tout aussi pressés de partir. Ils franchirent la porte avec raideur. Capelo les suivit en disant :
— Il faut que j’aille apprendre à mes filles que je ne suis plus en prison. Elles seront contentes de rentrer sur Terre, je pense. Bonne chance, Lyle, vous le méritez.
En quelques instants, il ne resta plus, dans la salle, que Kaufman et Gordon. Après tant de chocs, le silence parut anormal à Kaufman. Comme le temps suspendu après un tremblement de Mars.
Gordon sourit.
— Je lui ai dit que vous étiez l’homme qu’il fallait pour ce travail.
— L’homme… qu’il fallait ?
— Certainement. Peu importe que tous ceux avec lesquels vous étiez en contact soient arrêtés, et le prisonnier de guerre tué. Oh, cela importe, à vrai dire, vous le savez. Votre carrière dans l’armée est terminée. Vous en savez beaucoup trop. Plus important encore, Stefanak aura besoin d’un bouc émissaire pour ces séances à huis clos, du CDAS, au cours desquelles il expliquera comment nous avons perdu le prisonnier de guerre que nous n’avons jamais eu officiellement. Il vous sera reconnaissant, Lyle, et un peu inquiet aussi, alors il vous collera derrière un bureau, sur une lointaine station de combat desservie par un tunnel spatial, et espérera ne plus jamais poser les yeux sur vous. Probablement après qu’il aura, d’abord, adouci cela avec une promotion et une médaille. Et si vous vous retournez contre lui d’une manière ou d’une autre, vous serez un homme mort.
— Je le sais.
— Je suis désolé. Mais vous étiez l’homme qu’il fallait pour la mission. Vous avez accompli votre travail, Lyle, et aussi bien que n’importe qui, dans la galaxie, aurait pu le faire.
— Merci, capitaine. Je suis juste une victime de la guerre, n’est-ce pas ?
— Oui. Capelo et Stefanak auront la gloire de protéger le système solaire. Mais, grâce à vous, la guerre peut encore être gagnée. Cela vous suffit-il ?
— Non.
Kaufman savait, tout comme Gordon, que pourtant il le fallait bien.