CHAPITRE III

L’homme se sentait fort, très fort. La bête se coulait près de lui, peut-être elle aussi assurée de la victoire. Mais si Klaus était dynamisé par l’apport du xtaïx, Râx, lui, prenait la source de sa supériorité dans l’appel mystérieux du maître qui ne cessait de venir à lui.

La clarté intermittente des lunes, dont la plupart étaient en quartiers fragmentaires, laissait une semi-obscurité complice qui leur permit l’accès au soubassement de la tourelle sans paraître éveiller l’attention.

Où Cox se rendait-il ? Que devait-il faire exactement ? Il n’en savait rigoureusement rien. Il se sentait des ailes parce qu’il serrait le xtaïx, et il se laissait mener par Râx. Parce que, maintenant, le pstôr paraissait, lui, savoir parfaitement ce qu’il y avait lieu de faire.

Il se glissait, rampant plus qu’il ne marchait, avec un mouvement surprenant chez cet hybride, généralement lourdaud au sol. L’homme suivait, courbé, attentif au moindre bruit, à la plus petite lueur. Mais non ! Tout était calme. Il n’y avait devant eux que cet appareil géant, immobilisé, maintenant enrobé d’ombre mais dont l’extrémité seulement irradiait, lançant dans la nuit et le ciel ce javelot fulgurant qui se perdait à l’infini.

Il ne voyait plus que cela, sur fond d’étoiles. Et plus que jamais l’installation des Mathématiques évoquait un poignard colossal, la base en étant la garde tandis que la flèche interminablement prolongée par la radiation en eût été la lame, une lame destinée à on ne savait quel forfait cosmique.

Près de la masse même de la géante construction, Klaus Cox, en dépit de son bel enthousiasme, se sentit hésiter.

Il eût sans doute perdu un temps précieux sans Râx, lequel furetant au ras du sol paraissait bien avoir trouvé une piste. De confiance, Klaus le suivit.

Il pensa avoir affaire à des robots quand ces deux êtres hiératiques se dressèrent devant lui. Deux individus sanglés dans des combinaisons-armures aux reflets d’argent, luisant très discrètement dans la nuit.

C’est ainsi que Klaus repéra l’issue permettant l’accès aux profondeurs de la tour.

C’est aussi ainsi qu’il faillit terminer là sa mission quand les deux êtres, avec un ensemble parfait, sans hâte ni fébrilité apparente, le braquèrent avec des tubes qui étaient évidemment des lanceurs de rayons fulgurants ou paralysants.

Il réagit. Vite ! Très vite ! Assez pour utiliser le xtaïx, et foncer.

Pendant l’interminable attente, il avait longuement réfléchi, médité, fait appel à tout ce qu’il avait entendu sur le compte des gemmes magiques. Ce qu’il fallait ? Se mettre en symbiose avec le minéral. C’est déjà difficile avec un humain, souvent méfiant ou purement hostile. Difficile avec certains animaux. Mais avec une pierre…

Et pourtant, le récit d’Arimaïla et de Knet’ag, les expériences de Coqdor, avaient fortement frappé l’astronavigateur.

La possession de ce caillou irradiant, mille fois plus radioactif que le radium, susceptible par surcroît de réaction à un métabolisme humain, demeurait sa seule chance.

Comme plusieurs des cosmonautes, il n’avait tout d’abord voulu voir dans cette histoire de gemmes miraculeuses qu’un côté « conte de fées », une légende folklorique comme les aventuriers de l’espace en glanent à travers les galaxies, comme il en existe tant sur la planète patrie, le tout correspondant au besoin perpétuel de merveilleux qui est au fond de l’âme humaine.

Mais Bruno Coqdor avait longuement discuté de la question, tout d’abord en étudiant le minéral remis par la fille inconnue de Léo IX, ensuite avec les deux envoyés d’Inab’dari.

Il se basait sur un fait scientifique non négligeable : le minéral, comme le grand Tout qui constitue le cosmos, est en perpétuel mouvement.

L’inertie n’existe pas à travers l’univers. Tout palpite, tout remue, tout exécute des myriades de circuits représentant le grand circuit absolu. Parce qu’à la base de ce tout il y a l’atome, l’atome aux prodigieuses performances, la danse éternelle des électrons, le mystère infini des particules. Base de la vie. Cette vie qui semble bien relever d’un esprit unique, prestigieux organisateur, engendrant une harmonie rigoureuse que perturbe seule la mauvaise volonté de ces petits démiurges que sont les humains de toutes les planètes.

Pourquoi le minéral, qui constitue aussi bien l’élément constructif à la fois de l’animal et du végétal ne serait pas, tout autant qu’eux, digne de vivre ?

Ce raisonnement avait pu laisser Klaus quelque peu sceptique au départ. Il ne voyait, comme la plupart de ses camarades de l’astronef, qu’un phénomène simplement physique dans les radiations, invisibles ou visuelles, émanant des xtaïx.

Mis au pied du mur, projeté dans une aventure dangereuse, il avait fait un retour sur lui-même et avait repris longuement, scrupuleusement, on peut dire même, honnêtement, un raisonnement que son esprit de cosmonaute féru de matérialisme soi-disant positif lui avait fait rejeter au départ.

Et puis, il avait senti littéralement la présence du précieux caillou, dissimulé à même sa peau dans une petite poche, sous la chemise.

Il lui semblait que la pierre était douce, tiède, presque charnelle.

Petit à petit, il s’était laissé envahir par la certitude d’une présence. Il en était arrivé à croire vraiment qu’il avait là un allié de taille.

Aussi, quand les Mathématiques lui barrèrent la route, se jeta-t-il sur eux avec fureur, soudain enrobé d’une aura spontanément jaillie, l’apparition autour de lui d’un oiseau de feu, une créature de féerie intangible sans doute mais terriblement lumineuse.

Il comprit que les armes se bloquaient dans les mains de ses ennemis, qu’ils n’auraient pas le temps de tirer.

Ce fut lui qui fit feu, abattit un de ces êtres robotiques, alors que Râx, se dressant brusquement, avait raison de l’autre en lui plantant ses formidables crocs dans la gorge.

Abasourdi, Klaus Cox demeura un instant sur place.

La victoire lui semblait facile, trop facile. Mais pourtant c’était bien la réalité II y avait à ses pieds deux Mathématiques vaincus, morts peut-être.

Et devant lui, une issue béante. Noire. Donnant il ne savait sur quoi.

Le pstôr siffla doucement et bravement franchit le seuil.

Klaus se fût senti bien lâche en ne le suivant pas. Il se hâta donc lui aussi de passer à travers cette porte donnant sur l’inconnu. Il restait sur ses gardes, mais le xtaïx qui avait cessé immédiatement d’engendrer l’oiseau de feu puisqu’il n’y avait plus utilité, lui apportait son réconfort.

Au-delà, il distingua une véritable usine, ou du moins ce qu’il prit tout d’abord pour telle.

La luminosité y était relative, émanant seulement de petites sources de clarté fort discrètes. Mais, après un instant, s’accoutumant à cette faible lumière, Klaus Cox commença à comprendre.

Il se trouvait sous la tour et au-dessus de lui il apercevait un gigantesque plafond, ou ce qui en tenait lieu, incliné à près de quarante degrés. Un plafond circulaire évoquant une immense assiette posée de côté.

Il comprit très vite. C’était le dessous du soubassement de la tourelle et de l’installation supportant les compartiments où étaient immobilisés les esclaves humains.

En face de lui, il distinguait un invraisemblable enchevêtrement de poutrelles, de tuyaux, de fils, de conduits de toute sorte. Le tout de métal et paraissant jaillir des profondeurs. Parce que l’ensemble était parfaitement circulaire et Klaus Cox flanqué de Râx prenait pied sur les bords. Mais, devant lui, c’était un puits fantastique qui s'ouvrait et les éléments métalliques qui devaient constituer le mécanisme de la tour avaient leurs propres soubassements dans un abîme dont Klaus Cox avait peine à deviner les dimensions, tant tout se perdait dans des ténèbres d’autant plus épaisses que l’œil s’y aventurait.

Cependant, en dépit d’une telle obscurité, Klaus avait noté à plusieurs reprises de légères fluorescences, fugaces, mais nettement caractéristiques.

Des lueurs rapides mais dont les teintes variées, chatoyantes, évoquaient sans la moindre réticence les tons merveilleux de ces oiseaux féeriques, gracieux fantômes engendrés par le miracle de la symbiose du xtaïx et du cerveau humain.

Intrigué, l’astronavigateur observa longuement.

Le phénomène ne se reproduisait qu’à intervalles irréguliers, si bien qu’il était assez malaisé à étudier. Klaus se déplaça donc, parcourut une assez grande distance tout au long de cette sorte de large trottoir circulaire qui entourait l’immense puits où était installée la mécanique qui, de toute évidence, assurait le bon fonctionnement de la mystérieuse tour.

Râx, naturellement, le suivait. Mais Klaus sentait bien que le pstôr demeurait perpétuellement en éveil.

Ils avaient eu aisément raison des deux premiers Mathématiques. Cependant, il demeurait évident que ces deux-là n’étaient pas des sentinelles isolées et qu’avant peu l’audacieux et son fidèle animal allaient se heurter à d’autres forces.

En attendant, il fallait mettre ce répit à profit et Klaus voulait avant tout comprendre quelle était l’origine de ces clartés bizarres, dont la luminescence exceptionnelle ne pouvait pas ne pas avoir de rapport avec les gemmes magiques.

Il les revit à deux ou trois reprises. Il lui sembla que cela montait depuis le fond du gouffre, comme si des canalisations qu’il ne pouvait distinguer et qui se perdaient dans les méandres des innombrables rouages de la gigantesque mécanique conduisaient ces lucioles fantastiques vers le sommet, c’est-à-dire vers ce plafond incliné qui lui-même supportait les cellules aux esclaves et la tour proprement dite, braquée vers le ciel.

Parfois, des vibrations se manifestaient. Il semblait que tout cet ensemble se fût mis à vivre étrangement. Klaus les ressentait profondément et se rendait compte que Râx, de son côté, les percevait également.

Et puis le pstôr siffla, sur le mode d’alarme que Klaus commençait à savoir parfaitement interpréter.

On venait. Qui, sinon les Mathématiques ?

Il les vit. Ils étaient six, cette fois. Ils marchaient posément, avec cette agaçante précision, cet insupportable calme qui les caractérisaient. Ils venaient à la rencontre des intrus, l’arme à la main, n’évoquant en aucune façon des guerriers prêts au combat mais bien plutôt de débonnaires fonctionnaires se préparant à quelque besogne de père de famille.

Et pourtant, Klaus connaissait les dangers que représentait une pareille petite troupe.

Immédiatement, il avait saisi le xtaïx.

Il était prêt à se battre, se demandant toutefois si cela lui serait aussi aisé que la première fois.

Soudain, les Mathématiques disparurent à sa vue. Spontanément. Ils n’étaient plus là, ou plus exactement ils semblaient ne plus y être.

Dérouté, Klaus demeura ahuri un instant. Râx, lui, sifflait de façon de plus en plus alarmante, si bien que l’astronavigateur, se retournant, distingua un second groupe de six Mathématiciens, venant derrière lui.

Un groupe qui disparut avec la même rapidité à partir du moment où il l’eut entr’aperçu.

Crispé, le cosmonaute ne savait que faire. Mais l’attitude du pstôr l’aida à comprendre.

Ils étaient là. Les uns et les autres. Les deux groupes venaient à la rencontre l’un de l’autre, de façon à prendre Klaus comme dans une tenaille.

Et s’ils s’étaient ainsi aussi aisément volatilisés, ce n’était qu’apparence. En réalité, ils étaient toujours là mais on les avait enveloppés d’un réseau d’invisibilité qui perturbait les sens de Klaus Cox, sans préjudice du péril.

Plus que jamais, il faisait appel au xtaïx. La dynamisation née de l’aura du minéral agissait fortement sur son cerveau mis en état de réceptivité. Est-ce ainsi qu’il eut l’inspiration ? Ou la trouva-t-il simplement dans le tréfonds de son propre raisonnement ?

Toujours est-il que Klaus crut comprendre qu’il aurait peine, cette fois, en dépit de l’apport magique ou simplement purement matériel du xtaïx, à vaincre les Mathématiques. D’autre part, il comprenait qu’il fallait en finir par quelque coup d’éclat, si désespéré fût-il.

Il n’hésita plus. Il fit jouer le système antigrav de son sustentateur et se jeta dans le vide, ce vide d’ailleurs en partie comblé par la formidable installation mécanique.

Râx, d’un coup d’aile, le rejoignit.

Tous deux paraissaient en suspens au-dessus de cet abîme sombre, parmi les tubes, les canalisations, d’énormes conduits et des myriades de filaments, et aussi ces subtils supports qui amenaient par instants les fluorescences énigmatiques évoquant toujours la lumière merveilleuse des xtaïx.

Toute la mécanique vibrait. Klaus flottait littéralement et se demandait ce qu’il convenait de faire.

Il était dérouté parce qu’il n’apercevait plus ses ennemis. Mais il savait, il avait la certitude, qu’ils étaient là, présents, masqués par l’armure d’invisibilité, qu’ils le guettaient et que peut-être, cette fois, son allié minéral ne suffirait pas à le préserver, à lui donner la suprématie.

Alors, apercevant de nouveau les lueurs mystérieuses, comprenant que c’était là le fluide qui animait l’ensemble, qui donnait vie à la titanesque installation, Klaus, tout en se croyant définitivement perdu, songea au moins à porter un grand coup contre les Mathématiques, contre ces ennemis de toute humanité, en sabotant au maximum leurs manigances.

Il brandit son fulgurant et tira, un peu au hasard, à travers le mécanisme.

Aussitôt, il comprit qu’il venait de faire mouche. Les Mathématiques reparaissaient, les deux groupes de six individus qui n’avaient plus de raison de se cacher.

Mais ils ne tiraient pas sur lui et, bien que connaissant évidemment les dispositifs antigrav, ils ne se lançaient pas à sa recherche.

La réponse était simple : les Mathématiques évitaient de faire feu sur la précieuse machine, et aussi de se heurter en plein vol au cosmonaute, ce qui eût pu provoquer d’autres avaries dans le mécanisme.

Ce mécanisme sur lequel, presque étourdiment, Klaus s’acharnait…

Râx voletait autour de lui en sifflant sur un mode furieux et triomphant à la fois.

Plus que jamais, le grand ensemble s’était mis à vibrer.

Cela monta, augmenta, grandit, s’enfla, prit des proportions assourdissantes et le vacarme devint infernal dans les soubassements de la tour fantastique.

Et puis tout parut se mettre en marche.

Dans un grondement formidable, la tour, totalement détraquée par les agissements de Klaus Cox, se mettait en marche à la façon dont il avait pu l’observer de l’extérieur.

Le plafond incliné s’était mis à tourner, de plus en plus vite, tout en oscillant, en prenant des positions fantaisistes, irrationnelles, complètement en désaccord avec la rigueur habituelle qui présidait à toutes les entreprises de la race mathématique.

Cette fois, les guerriers quittèrent le trottoir et n’hésitèrent plus à se jeter en vol antigrav pour s’emparer de Klaus.

Râx siffla, piqua vers lui, l’entraîna curieusement vers le bas.

Le groupe volant des Mathématiques arrivait.

Klaus ne chercha pas à comprendre. Il obéit au pstôr et régla vivement son sustentateur pour la descente.

Tous deux amorcèrent alors une véritable chute dans les profondeurs de la tour, dans l’ombre où luisaient les formidables tubulures, tandis qu’au-dessus d’eux, dans un bruit d’enfer, la tour, totalement déphasée, s’était mise plus que jamais à virevolter, en un mouvement cahotique, désordonné, tel un manège de démons.

Klaus avait eu l’impression de plonger dans un véritable enfer ténébreux, mais il se rendit compte presque immédiatement que l’obscurité n’était pas aussi absolue qu’il avait pu le croire au premier abord.

Des fluorescences étranges trouaient en effet l’ombre noire et il y retrouva, non sans surprise, les coloris suaves et mystérieux qui étaient l’apanage des xtaïx.

De véritables colonnes luminescentes se formaient autour de lui et de Râx, Cela paraissait monter du fond de l’abîme, s’élevant vers le plafond incliné, se perdant on ne savait comment, pas plus qu’on ne pouvait comprendre comment cela avait pu naître.

C’est entre ces colonnes, dans ce temple fantastique, immatériel, que l’astronavigateur et le pstôr s’enfonçaient, s’enfonçaient toujours…

Au-dessous, c’était le noir, l’inconnu, le gouffre. Au-dessus, la plus extravagante des constructions où – cela demeurait ancré en Klaus Cox comme un cancer – des êtres humains, dont son amie Giovanna, étaient bizarrement crucifiés.

D’autre part, le bruit demeurait effrayant et des sonorités inconnues résonnaient dans cette cuve gigantesque.

Le vacarme n’avait donc pas cessé. Il parut même aux oreilles du cosmonaute qu’il ne faisait qu’augmenter à la fois d’intensité et de fréquence. Il ne voyait rien, sinon ces fuseaux fluorescents, mouvants, séduisants d’aspect en opposition avec ce trou ténébreux, mais il lui semblait que des présences emplissaient l’abîme autour de lui.

Il pensa naturellement aux Mathématiques qui lui avaient déjà joué le tour de se rendre invisibles. Ils étaient là, il en avait la conviction. Seulement, pour des motifs qui lui échappaient, ils ne songeaient plus à s’emparer de lui ni du pstôr. Sans doute avaient-ils de bonnes raisons pour cela.

Parce que ce déferlement de colonnes luminescentes mais non irradiantes, véritables serpents dénués d’aura qui montaient, montaient sans cesse, et ce grondement effrayant, ces vibrations de plus en plus frénétiques, de plus en plus assourdissantes, devaient bien correspondre à quelque chose de dramatique.

De dramatique pour ce peuple bizarre qui, subitement, dédaignait de s’en prendre à l’intrus qui violait cette installation formidable et certainement délicate dans son grandiose.

Et puis, tout en poursuivant la descente, la réglant du mieux qu’il le pouvait tout en s’arrangeant pour ne pas s’éloigner de Râx qui, lui, semblait bien savoir où il allait, Klaus Cox commença à distinguer des formes dans l’ombre.

Des silhouettes humaines, ou tout au moins humanoïdes : les Mathématiques.

Il les voyait assez mal mais reconnaissait les armures aux tons d’argent, luisant doucement, qui évoluaient parmi les colonnes de clarté. Tous, ils montaient, ils montaient même très vite et toute une équipe passa près de l’homme et de l’animal sans paraître y prêter la moindre attention.

Ils montaient et, en levant la tête, Klaus les vit s’élancer à grande vitesse vers la coupole inclinée surplombant ce puits gigantesque. Ils devaient tenir des objets divers, lesquels étaient évidemment des armes, thermiques, atomiques, ou à rayons paralysants. Ou autres, cette race étant réputée pour son diabolique génie.

Il en vint encore, et encore. Tous rapides, filant comme des flèches vers le haut du puits, c’est-à-dire la base de la tour.

Klaus crut comprendre : ce bruit infernal, ces feux mystérieux, cette horde guerrière qui se hâtait armes en main, tout cela ne devait-il pas correspondre à une alerte ?

On attaquait la tour. Qui ?

Klaus frémit.

N’était-ce point Martinbras et ses hommes, lesquels, lassés d’espérer le retour d’Arimaïla, de Coqdor et des autres, impatients au point de négliger les renseignements que Cox était chargé de ramener, commettaient la folie de s’en prendre à la race terrifiante ?

Il eut peur pour eux. S’il s’agissait d’eux. Déjà, il était à peu près sûr que le Fulgurant, astronef de croisière et de mission et non vaisseau de guerre, risquait de ne pas faire le poids face à l’éblouissante technique des Mathématiques.

Il venait encore de véritables grappes de ces guerriers en armures d’argent ; ils paraissaient voler, piquaient vers le haut, naissaient des ténèbres et se perdaient dans les ténèbres.

Et les colonnes continuaient à glisser leurs fluorescences sans jeter la moindre clarté ambiante, et le grondement formidable emplissait toujours l’immensité de l’abîme.

Mais Râx descendait, descendait. Et Klaus le suivait.

Il ne vit plus de Mathématiques. Il entendait encore le bruit et il distinguait les colonnes de lumière. Sous lui, tout lui parut encore plus noir.

Alors il entendit l’appel.

Plus intérieurement qu’auriculairement, en raison du vacarme. Mais il avait été touché psychiquement. Peu entraîné à la télépathie et parfaitement nul en ce qui concernait les phénomènes occultes, Klaus ne comprit pas très bien tout d’abord mais ressentit cependant une impression lénifiante.

Etait-ce encore un piège des Mathématiques ? Au point où il en était, il avait quelque raison de se méfier.

Alors Râx changea soudain d’attitude, revint vers lui, se mit à tournoyer en un mouvement qui lui était familier quand il voulait guider quelqu’un.

Klaus, d’ailleurs conditionné, quoi qu’il en eût, par l’appel mental, finit par se laisser convaincre.

Il étreignait son arme. Il se sentait prêt à saisir au besoin son poignard de cosmonaute, qu’il s’était exercé à lancer. Homme, soldat des étoiles, il savait se battre et faire face, avec la peur au ventre, ce qui constitue le véritable courage.

Et puis il distingua une silhouette. Humaine. Masculine. Mais cette fois, il sut tout de suite que ce n’était pas un Mathématique.

— Chevalier Coqdor !

Il se demanda un bref instant s’il rêvait, mais le temps n’était plus aux tergiversations.

Oui, c’était bien Coqdor. Coqdor debout sur une sorte de plate-forme dont le rebord arrondi annonçait qu’elle devait être circulaire et entourer le vaste puits de même façon que celle située bien plus haut et où Klaus avait débarqué en compagnie de Râx lorsqu’il s’était risqué sous les soubassements de la tour.

L’homme aux yeux verts, très droit, faisait un signe amical à Klaus Cox mais, avant que le cosmonaute n’eût rejoint l’officier-psychologue, Râx s’était jeté sur son maître, battant des ailes, avec une violence à le renverser, pour lui manifester sa tendresse. Il devait siffler selon son habitude mais les vibrations qui emplissaient le puits annihilaient tout autre bruit.

Coqdor saisit Cox par le bras et l’entraîna.

Ils dépassèrent une issue, se trouvèrent dans une pièce, sorte de vaste cellule aux parois évoquant le plastique. Mais insonorisée sans doute car Cox eut la satisfaction d’entendre parler Coqdor.

Il était encore abasourdi de sa chute, dans ce bruit, ces ténèbres crevées par les colonnes fluorescentes, par les commandos de Mathématiques. Mais, très vite, il se reprit.

Coqdor se tenait devant lui, souriant, un peu pâle, grattant le crâne de Râx qui ronronnait comme un gros chat et semblait avoir déjà oublié les émotions précédentes.

— Remettez-vous, Cox… Vite ! Nous avons une grande tâche à accomplir !

Encore éberlué, l’astronavigateur bredouilla :

— Mais… où sommes-nous ? Que se passe-t-il ?

— Je vous expliquerai plus tard ! Venez !

Il l’entraînait et Râx progressait à leurs côtés, incroyablement gauche, autant qu’il était majestueux en vol.

— Chevalier… Les Mathématiques…

— … Sont attaqués ! Ce qui explique ce chaos !

— Mais par qui ?

— Hé ! N’avez-vous pas compris ? Les nuées… Les nuées vivantes, avides de se repaître de vitalité, de chair, de sang, ont été attirées par ces malheureux catalyseurs vivants qui sont crucifiés à la base de la tour…

Cox évoqua encore Giovanna. Pour un peu, il eût claqué des dents.

Mais en compagnie de Coqdor, il pénétrait dans une autre salle souterraine, immense celle-là. Il y voyait des machines, si complexes qu’il eût été bien incapable d’en comprendre le plan.

Plusieurs Mathématiques, hiératiques, paraissaient monter la garde.

— Il faut en finir ! Ce sont les derniers. Les autres, tous les autres, ont été lancés dans la bataille contre les nuages vivants !

Ils avançaient tous trois.

— Vous avez votre xtaïx, il me semble ?

— Oui.

— Il vous stimule, il vous protège… Attaquez sur la gauche… Moi, je me sers de Râx…

— Ne pouvez-vous hypnotiser un de ces… ?

— Je n’ai aucun pouvoir sur eux, Cox… Ils sont trop peu humains pour cela. C’est à la fois leur force et leur faiblesse. Vous saurez tout en temps utile !

Cox ne réfléchit plus et s’élança.

Deux Mathématiques s’avancèrent, toujours avec calme, braquant les fulgurants. Mais lui, ayant fait jaillir l’aura merveilleuse, stimulé par l’oiseau de feu, eut rapidement raison des humanoïdes. Il en abattit un et alors que le second osait se jeter sur lui sans tenir compte de son armure luminescente, il le poignarda proprement.

Il eut un mouvement de dégoût. Tuer ! Tuer encore et toujours ! Mais ces créatures étaient-elles des hommes ?

Coqdor, lui, avait profité de la diversion et lancé Râx contre deux autres sentinelles. Le pstôr eût été en danger et sans doute foudroyé par les fulgurants des Mathématiques sans le chevalier aux yeux verts qui avait réussi à provoquer une sorte de court-circuit dans le mécanisme. Sans doute avait-il trouvé le moyen de l’étudier, pensa Cox, qui se demandait, fortement intrigué, ce que l’homme étrange qu’était Coqdor pouvait bien faire dans ce gouffre.

— Par ici !… Regardez !

Cox fut un instant extasié. Parce qu’il voyait naître devant lui ces colonnes de clarté qui l’avaient tant intrigué lors de sa descente dans l’abîme.

Elles jaillissaient d’une formidable machinerie, façonnée en une dizaine de tubulures énormes, concentriques, soutenant plusieurs vasques de métal desquelles montait directement cette lumière qui n’irradiait pas.

— Comprenez-vous ? Là-dedans, là-dessous… Des xtaïx… Ils nous les ont volés… Ils ne les avaient pas encore trouvés sur le planétoïde… Et ils se sont servis de nous… La machine était toute prête… Ils utilisent l’aura, la canalisent…

— Mais… l’apport humain… Ce sont les esclaves, n’est-ce pas ?

— Exactement, puisque eux-mêmes ne possèdent pas un subconscient susceptible d’enclencher ce mystérieux mécanisme qui crée la synthèse nécessaire entre l’homme et le minéral et fait jaillir les oiseaux de feu…

— Pourquoi justement un oiseau ?

— Sans doute parce que, dans la nuit des temps, le premier humain qui a éprouvé l’aura a dû penser à un oiseau… Un automatisme a été engendré… Mais trêve de bavardages !… Il faut nous emparer des xtaïx…

Ils durent encore lutter contre quatre Mathématiques. La pierre portée par Cox fut des plus salutaires en la circonstance, ainsi d’ailleurs que les attaques redoutables de Râx.

Bruno Coqdor mena Cox. Ils s’en prirent directement à une sorte de réservoir placé sous l’énorme mécanisme. Coqdor paraissait savoir parfaitement ce qu’il faisait et, bientôt, Klaus découvrit, dans plusieurs cylindres horizontaux, disposés de sorte qu’ils épousaient le mouvement des fortes tubulures, l’émerveillement des gemmes magiques.

On les distinguait par des sortes de petits hublots, d’une matière analogue au dépolex des Terriens, pratiqués dans la masse du cylindre.

— Voilà le moteur de la tour… L’aura, captée, est en quelque sorte transmutée de lumière statique en énergie par le truchement des cerveaux humains des esclaves enchaînés au bas de la tour…

— Et ensuite ? J’ai vu un rayon… un rayon interminable, braqué vers le ciel comme une menace… Pourquoi ? Dieu du cosmos ! Mais pourquoi ?

Coqdor eut un geste désespéré.

— Pourquoi ? Au nom du mal ! Du mal gratuit ! Du mal imbécile ! Avez-vous entendu ceux d’Inab’dari parler du Grand Cœur ?

— Oui. Le pulsar. L’étoile palpitante qu’ils adorent tel un dieu tutélaire… Superstition, bien sûr ! Mais peut-être réalité mystérieuse s’il est vrai qu’il existe un rapport entre un soleil et un humain…

— Eh bien, écoutez cette monstruosité : ils veulent tuer le pulsar !

— Pourquoi ? hurla encore Klaus Cox.

— Parce que… parce que qui tue ne tue que pour tuer… Qui détruit ne détruit que pour détruire… Qui veut et fait le mal n’agit que « parce que »…

Ils avaient perdu un temps peut-être précieux. Ils s’emparèrent chacun d’un cylindre après que Coqdor eut fait jouer des rouages qui libérèrent ces containers. Il prit encore un moment pour détacher les autres de la machine et Cox constata aussitôt que les colonnes de lumière cessaient de se manifester.

— La tour ne fonctionne plus, gronda Bruno Coqdor. Un javelot de moins dans le Grand Cœur !

— Un de moins ! Il y en a donc d’autres ?

— Hélas !… Mais nous, fonçons ! Im’ va se reprendre !

— Im’… ?

— Leur chef. Du moins le chef de leur base sur le planétoïde.. Nous remontons, Cox… Des humains sont en péril… Les esclaves, menacés par les nuées et que les Mathématiques auront peine à contrer… Mais nous… avec cela !

Ils portaient chacun un cylindre, outre la pierre unique qui avait déjà rendu tant de services à Cox. Plusieurs centaines de xtaïx chacun.

Leur pouvoir était formidable. Klaus Cox repartit un instant après, dans l’immense puits remontant, cette fois, vers la surface.

Et Coqdor montait lui aussi, soutenu par Râx qui l’enlevait d’un vol lent et sûr, au secours des victimes des Mathématiques, au secours du Grand Cœur.