CHAPITRE VII

Cahotant et zigzaguant, le camion parcourut encore une centaine de mètres. Soudain, une énorme carcasse noirâtre, recouverte par la végétation, se dressa dans la lueur mourante des phares. Cent mètres ? Cinquante… Un piège à guano ou quelque chose de ce genre.

Peut-être l’appareil de Nora.

Le détecteur clignotait rapidement dans la main de la jeune femme. Puis le camion, à bout de souffle, se jeta dans un trou boueux et les roues se mirent à tourner follement dans le vide.

— On y est ! dit Nora.

Elle souriait, la poitrine tendue, haletante.

— On va finir le chemin à pied, dit Dennic.

Les roues motrices patinaient dans la boue liquide sans accrocher le terrain dur. Dennic posa une caisse d’outils sur l’accélérateur.

— Viens, dit-il. Courons !

Le moteur rugit. Dennic jeta son sac sur son épaule. Tout son bien, désormais. Il aurait voulu emporter l’exemplaire du Han'hrar caché sous le plancher du camion. C’était trop tard. Un regret fulgura en lui… Il bondit hors du camion en entraînant Nora. Les véhicules poursuivants pataugeaient à deux ou trois cents mètres.

— Nous avons une minute, dit-il.

Il calcula : même pas une minute. À moins que tous les autres s’enlisent en même temps… Trente secondes. La Lune montait au-dessus du plateau. À la fin du premier quartier, elle formait une ellipse orangée, entourée d’un halo mauve, signe de mauvais temps. Dennic perdit trois ou quatre secondes pour un regard à la vieille compagne de ses nuits d’errance, en se demandant s’il la voyait pour la dernière fois.

Un pâle reflet dansa sur l’eau. Les fugitifs se trouvaient à quelques mètres d’une lagune. Ils coururent à l’abri d’une ligne de roseaux. Des coups de feu éclataient derrière eux, de plus en plus près. Une balle s’écrasa sur le camion ; puis les impacts sur la tôle se multiplièrent. Un faisceau de projecteur balaya la plaine.

Nora lâcha la main de Dennic et dégrafa la ceinture de sa jupe qui la gênait pour courir. La jupe tomba. Libérée, la jeune femme s’envola, dépassant Dennic. Presque aussitôt, elle trébucha et gémit : « Mon pied ! » Dennic la soutint quelques mètres. Le moteur du camion toussa deux fois et cala. Les phares s’éteignirent. Une balle siffla dans le silence. Puis la fusillade s’arrêta.

Dennic souleva Nora et l’emporta en rassemblant toutes ses forces. Il avançait sur des pierres limoneuses et glissantes. Il chancelait à chaque pas. Une balle pénétra dans la vase, avec un « ploc » mou, à moins d’un mètre. Dennic voyait devant lui la masse sombre et allongée du piège à guano ou de l’appareil camouflé. Si Nora avait dit la vérité… Maintenant, il était presque sûr qu’elle n’avait pas menti sur ce point.

De la taille d’une maison basse, au toit arrondi… Quel était cet énorme véhicule ?

Il buta contre un obstacle lisse qu’il n’avait pas vu. Il reçut une secousse électrique et ne put s’empêcher de crier. Il lâcha Nora qui retrouva son équilibre et se tint debout près de lui. Elle leva un objet rond à la hauteur de son visage. Il reconnut le détecteur qui ressemblait à un demi-citron.

Dennic se frotta le front. Elle lui demanda s’il avait mal. Il secoua la tête. Non, non… ou plutôt si. Mais peu importait !

— C’est le champ protecteur de l’appareil qui s’est déclenché à notre approche. Nous allons passer !

Elle poussa son compagnon en avant. Elle ne semblait plus souffrir de son pied. Lui était encore à moitié assommé.

Son pied ? L’accident n’était donc qu’une feinte ?

— Ça y est, dit-elle, nous sommes passés. Et les autres ne passeront pas !

Une lumière diffuse s’alluma et les enveloppa. Dennic ne comprenait rien à ce qu’il voyait. Il continua d’avancer parce qu’il n’avait pas le choix. La lumière devint plus vive et plus blanche. Ébloui, il se laissa guider par Nora. Le silence fut de nouveau total. Il monta quatre marches métalliques à la suite de la jeune femme.

Dans une clarté adoucie, il put voir qu’il se trouvait au milieu d’une cabine d’environ dix mètres carrés, avec des sièges et un tableau de bord beaucoup plus compliqué que celui du camion.

Nora éclata de rire.

Dennic eut un réflexe de colère et de désespoir. Il avait tout perdu à cause de cette fille qui s’était servie de lui et qui se moquait de son ahurissement.

Il leva la main pour la gifler. Il put retenir ce geste à temps ; mais il regretta aussitôt de l’avoir esquissé.

Il pensa : « Imbécile ! Va te coucher dans un coin et pleure sur ta bêtise ! » La responsabilité des événements lui incombait pour une large part. Il était en colère contre lui-même. À quoi bon essayer de se venger sur Nora ? Mais elle crut vraiment qu’il allait la frapper. Une expression d’horreur ou de fureur apparut sur son visage et dans son regard. Et…

Dennic ne comprit pas ce qui arrivait. Il reçut un coup sur la tête et un autre sur le côté de la figure, entre la mâchoire et la pommette, comme assenés par des poings invisibles ou un souffle d’air puissant. Mais Nora n’avait pas fait un mouvement. Et Dennic ignorait l’existence d’un dispositif automatique de sécurité, destiné à protéger le pilote du mystérieux appareil.

Bien que moins violent, le troisième coup, qui l’atteignit au front, lui fit perdre connaissance.