CHAPITRE XIV

En quittant la galerie principale pour s’enfoncer dans la fissure, Joan sut qu’elle commettait une erreur indigne de son degré d’entraînement. Mais ce fut plus fort qu’elle. Elle se sentait attirée toujours plus avant, et rien au monde n’aurait pu lui faire rebrousser chemin. Pas même ce grondement inquiétant qui résonnait dans les profondeurs, de temps à autre, et qu’elle préférait mettre sur le compte d’une rivière souterraine.

Elle descendait toujours.

Le passage était plutôt facile, même s’il fallait parfois se baisser pour franchir des goulots, ou contourner des champignons de pierre. Un moment, elle passa sous une cascade d’eaux usées qui semblaient provenir directement de la surface. Elle songea qu’elle devait se trouver à la verticale de l’une des cellules et que cette cheminée avait été creusée par…

Ses réflexions furent interrompues par un frottement lent, régulier, qui la fit songer à un pas traînant. Elle revit les taches de sang relevées sur la paroi rocheuse. Elle savait bien que l’hypothèse de la cavale était absurde, mais elle ne put s’empêcher de penser alors à un fugitif blessé, perdu, errant dans les couloirs infinis sans espoir de jamais revoir le jour. Elle n’avait plus devant les yeux l’image de ces hommes sales, hirsutes qui l’avaient violée du regard à son arrivée ; elle contemplait celle d’êtres humains ratés, plongés dans une détresse sans limites et guettés par un péril plus terrifiant qu’eux tous réunis.

Cette vision lui fit presser l’allure.

Elle connaissait son endurance physique, et aussi sa capacité à faire face à n’importe quel obstacle, si besoin était. Elle était de taille à affronter un homme, d’autant plus qu’elle portait, dissimulé sous sa combinaison isothermique, un Walther extra-plat qui pouvait se révéler un argument de persuasion très efficace.

Le passage s’affaissa en une pente plus raide. Le sol lisse laissa place à un champ de pierraille. Une humidité âcre lui monta aux narines. Elle sut que son instinct ne l’avait pas trompée. Il devait y avoir une rivière souterraine dans les parages. Il ne lui fallut que peu de temps avant de vérifier cette hypothèse : elle déboucha presque aussitôt dans une vaste salle, boursouflée de concrétions calcaires à l’aspect sinistre, que divisait en deux parties égales un cours d’eau rapide et fantasque.

Elle s’approcha de la berge, non sans scruter les environs avec insistance. Elle n’était plus aussi rassurée. Il lui semblait que quelqu’un l’observait en cet instant même, et cette impression, pour irréaliste qu’elle soit, lui était très désagréable. Le torrent léchait le bout de ses crampons. Il était profond, et son débit trop rapide pour qu’elle songe à le traverser. Pourtant, elle avait l’intuition que ce qu’elle cherchait était de l’autre côte.

Trouver un autre passage.

Elle resta une longue minute à soupeser les risques d’une telle aventure. Elle n’avait pas encore pris de décision lorsqu’un élément inattendu balaya ses hésitations. Depuis quelques secondes, un grondement sourd résonnait dans les galeries, et soudain, il explosa dans le fracas terrible d’une cataracte d’eau boueuse qui jaillit sous pression d’un tunnel supérieur pour venir se déverser dans la rivière. Avec un nuage d’écume, le flot se souleva instantanément en une vague d’encre.

Joan comprit le danger. La caverne allait être inondée d’une seconde à l’autre. Les pluies diluviennes du dehors avaient formé de nouveaux torrents. Elle tourna les talons pour échapper aux remous grondants, sachant d’ores et déjà que c’était inutile. Son cri aigu résonna dans la grotte. Mais alors même que le raz-de-marée l’atteignait, une grande ombre noire la recouvrit. Elle sentit un froid intense, en même temps qu’une poigne de fer la saisissait par le col de sa combinaison. Elle fut soulevée dans les airs. La vague s’écrasa juste en dessous d’elle dans une gerbe d’écume.

Elle retomba à genoux sur le rocher sans bien comprendre ce qui venait de se passer. Presque groggy, elle releva la tête. Un cri lui échappa :

— Mon Dieu !

Elle n’était pourtant ni croyante, ni superstitieuse, mais en découvrant le géant maigre qui la dominait, avec son visage blême et tendu, ses yeux luisants dans la pénombre, elle ne put s’empêcher de songer aux contes effroyables d’autrefois, aux légendes prétendant que le centre de la Terre abritait toutes sortes de créatures démoniaques.

L’homme était vraiment grand, même si elle douta un instant qu’il puisse effectivement s’agir d’un homme. Il avait le teint cadavérique dans la lumière pâle de la lampe frontale et un regard étrange, d’un gris très clair, presque transparent, vaguement mélancolique. Elle se sentit pourtant instantanément rassurée. Non pas comme tout à l’heure, dans la galerie. L’état second s’était dissipé. Elle se retrouvait à nouveau elle-même, comme si la grande peur qu’elle venait d’éprouver avait déchiré le voile recouvrant son esprit.

— N’ayez pas peur de moi. Je suis le docteur Ebenezer Graymes. Faites-vous partie de l’équipe Mac Daniel ?

Le fait qu’il ait prononcé le mot docteur, et qu’il connaisse le nom du lieutenant acheva de la persuader qu’il n’était pas un ennemi. Mais après tout, ne venait-il pas de la tirer d’un très mauvais pas ?

— Oui. Je… je suis Joan Mayens. Je…

Précaution supplémentaire pour décourager toute tentative hostile, nécessité de justifier sa présence dans ce lieu si étrange, lugubre, elle ajouta :

— J’ai… je suivais une piste. Les autres ne sont pas loin. Je suis venue ici en éclaireur.

— Très peu prudent de votre part, commenta Graymes. Très peu prudent…

Il marqua un temps, et elle vit bien à la façon dont il la dévisageait qu’il n’était pas dupe. Il semblait lire en elle comme dans un livre.

— Votre venue ici n’est pas de votre initiative. On vous a attirée.

— Comment le savez-vous ? Et qu’y a-t-il, ici ?

Il tourna la tête vers l’autre rive. Hors d’atteinte.

— Le niveau des eaux risque de monter encore. Il ne faut pas rester ici.

— Je crois… J’ai entendu quelqu’un par là.

— Un pas traînant, n’est-ce pas ? Une respiration rauque ?

— Oui. Très exactement ça.

— Eh bien, quoi que cela pouvait être, c’est parti. Allons.

Soudain, elle se rendit compte qu’il ne portait sur lui aucun équipement. Ni combinaison, ni casque, ni lampe, et ses vêtements semblaient sortir d’une vieille photo jaunie. Comment avait-il pu arriver jusqu’ici, à près de deux cents mètres sous terre ? Joan songea qu’il avait peut-être établi un bivouac quelque part. Puis, presque aussitôt, une image idiote lui vint à l’esprit : un personnage de Jules Verne. Voilà ce à quoi il lui faisait penser. Elle avait beaucoup lu Voyage au centre de la Terre, quand elle était gamine, et… Un sourire furtif éclaira son visage barbouillé. Il dut saisir sa pensée, car il sourit lui aussi, et il n’eut plus l’air aussi effrayant. Une sorte de malice bienveillante passa sur ses traits creusés, même si, quand il referma ses doigts noueux sur le poignet de la jeune femme, elle ne put s’empêcher de frissonner.

— Je dois vous remercier. Une sacrée veine que vous vous soyez trouvé là…

Brusquement, comme sentant une présence importune, il lui fit un rempart de sa haute stature et scruta les ténèbres avec une expression farouche. Joan vit sa main droite plonger dans les replis de son long manteau. À cet instant, trois lumières familières se matérialisèrent à quelques mètres d’eux.

— Joan ? C’est toi ? Sacré bordel de merde, mais…

Mac Daniel n’acheva pas. Il venait de prendre soudain conscience qu’ils n’étaient pas seuls, que la grande ombre près de leur compagne était une forme humaine. D’instinct, il braqua son fusil. Mais il n’aurait pu presser la détente, même s’il l’avait souhaité, car un grand froid lui paralysa soudain les doigts. Heureusement, Joan s’interposa :

— Non, arrête, Mac. Il est avec nous. Il vient de me tirer d’un mauvais pas. La rivière a brusquement monté et… il était là.

L’officier abaissa son arme, et la sensation désagréable disparut instantanément.

— Nom de Dieu, vas-tu me dire ce que tu fous ici avec ce mec, pendant qu’on te cherche dans tous les coins ? Qu’est-ce qui t’a pris de partir comme ça ?

Joan chercha ses mots. Tout à l’heure, la façon dont elle avait agi lui avait semblé logique, explicable, et en la circonstance la meilleure possible. Maintenant, face à son supérieur, elle se demandait si elle n’était pas devenue complètement folle. Elle avait passé outre les règles les plus élémentaires de prudence.

— Et vous, là, qui êtes-vous ? demanda hargneusement Mac Daniel.

Le démonologue fit un pas en avant.

— Docteur Graymes.

— Graymes ? Oh, attendez… Ne me dites pas… Vous êtes ce putain de sorcier à la noix que Camelli a envoyé pour exorciser le pénitencier ? Dites-moi que je rêve ! Qu’est-ce que vous foutez donc ici ?

Terry s’approcha de l’officier, vivement impressionné.

— Lieutenant, regardez, il n’a pas de matériel, ni de combinaison ! Comment il est venu ?

— Bonne question, railla Mac Daniel. Vous avez glissé dans un trou ?

— Si l’on veut.

— Sérieusement, où est votre bivouac ?

— Je n’ai pas de bivouac. Je suis venu par mes propres moyens.

— Eh ben, si vous voulez me croire, sorcier, remontez vite pendant que vous n’êtes pas encore gelé jusqu’aux couilles. C’est la pire connerie que de descendre ici en tenue de ville. On a laissé les agrès sur place. Si vous n’êtes pas trop manchot, vous arriverez à temps pour le petit déjeuner.

— C’est dingue, murmura Terry. Il a dû varapper, pas possible autrement.

— Mais il déconne, tu vois bien. Il est passé par une autre entrée, c’est tout.

Graymes s’avança vers Mac Daniel et le considéra avec un rien de mépris, du haut de ses deux mètres.

— Peu importe la façon dont moi, je suis venu. Ce qui est sûr, c’est que je repartirai à l’heure décidée par moi. Vous n’avez qu’une seule chance de vous en sortir : me suivre et faire ce que je dirai.

Le militaire sentit qu’il devrait soigneusement peser ses mots s’il ne voulait pas piquer une tête dans la rivière glacée qui grondait en dessous d’eux.

— En somme, vous vous imposez ?

— Si vous voulez. Il y a eu encore un mort, cette nuit. Vous savez aussi bien que moi que quelque chose rôde dans ces galeries, qu’elle peut percer à souhait.

— Vous croyez que cet endroit est foutrement hanté, pas vrai ?

Graymes plissa les yeux.

— Je crois que vous êtes foutrement dans la merde, Mac Daniel. Vous n’êtes pas prêts, ni vous ni les autres, pour affronter ça.

Devant le tour que prenait la conversation, Collins décida d’intervenir :

— On a trouvé un cadavre dans l’autre galerie. Voulez-vous le voir ?

— Avec plaisir, acquiesça Graymes, avec un sourire fielleux pour le lieutenant.

Le groupe retourna sur ses pas, jusqu’à l’endroit où gisait le corps fossilisé de Casper. Le démonologue s’agenouilla, pour l’examiner avec l’autorité d’un médecin légiste.

— C’est bien Casper. Cette créature l’a saisie sous mes yeux. Je n’ai rien pu faire. Mais au moins, je n’ai plus le moindre doute… Il récita :

« Et la montagne autour du roi Denbarth se mit à trembler, la terre à se soulever comme les vagues d’un océan sous les chevaux fous.

« Les plus fidèles parmi les fidèles prirent la fuite, et leurs cris d’horreur résonnèrent dans la vallée.

« Tandis que surgissaient les mains de la pierre.

« Pour étrangler la lune changeante. »

— Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Joan, fascinée.

— Une vieille chanson de gestes. L’histoire d’un roi nordique qui voulut chasser les trolls de son territoire. Il leur livra une bataille sans merci avant de périr, tué par eux.

Graymes eut un geste vers le cadavre, à ses pieds.

— Ceci est l’œuvre d’un troll.

Un silence pesant accueillit sa conclusion.

— Je pensais qu’il n’en existait plus de par le monde, poursuivit-il. Mais il faut croire que c’est une race particulièrement résistante et tenace.

— Une race ? s’étrangla Terry. Une race vivant sous terre ?

— Ils n’ont pas toujours habité sous terre, expliqua l’occultiste en se redressant de toute sa hauteur. Autrefois, les trolls étaient légions dans le nord de l’Europe, dans les endroits rocheux et reculés. De nombreuses légendes anciennes en font état, mais aussi des manuscrits d’historiens, de chroniqueurs, comme ceux de Lars Aaven par exemple. Ils vivaient en hordes dans les régions sauvages, n’en sortant que pour mettre les villes à feu et à sang. Ils étaient les pires ennemis des hommes. On raconte que certains offraient leurs services comme mercenaires dans les armées de conquête. On leur a alors donné à tort le nom de bersekers. Ils ne connaissaient ni peur, ni fatigue, ni pitié. Leur seule vue faisait fuir l’adversaire. De plus, grâce à leur grande sensibilité aux vibrations du sol, ils pouvaient deviner les mouvements ennemis sans avoir à se montrer…

— Bordel, arrêtez vos conneries ! s’échauffa Mac Daniel. Est-ce que vous vous écoutez parler ? Vous voulez nous faire croire qu’il y a dans ces grottes des créatures millénaires qui auraient échappé à toutes les explorations ?

— Pas des créatures, répondit calmement Graymes comme s’il se trouvait dans son amphi, à Columbia, devant un étudiant réfractaire à ses théories. Une seule, à mon avis, sans quoi les empreintes laissées dans le calcaire auraient été plus nombreuses. Du reste, le terme de créatures n’est pas très adapté à l’espèce des trolls. Ce sont d’anciens esprits de l’air qui ont trouvé asile dans la matière primordiale de ce monde, en des temps immémoriaux où l’homme n’était probablement qu’un invertébré aquatique forniquant dans la vase. Aussi ne sont-ils pas soumis comme nous aux règles élémentaires. Toutefois, ils répondent aussi à des lois. Certaines connues, d’autres moins. Ils ont une apparence semi-humaine durant la nuit. Ce sont des géants d’une force peu commune, capables de forer un puits dans la roche la plus dure avec leurs seules mains. Ils se nourrissent de choses diverses, champignons, fruits, petits animaux mais n’ont jamais caché leur préférence pour la chair humaine.

— Cela expliquerait que le détenu de la nuit passée n’ait pas été retrouvé…

— Il a pu l’emmener dans sa tanière. Mais c’est surtout la haine de notre espèce qui anime les trolls, plus que la faim. Une haine terrible, inextinguible, aux origines mal connues. Et leur vengeance est à la mesure de cette haine. Il n’y a qu’à voir ce pauvre type pour comprendre…

Enfin, le jour venu, un troll doit regagner son repaire, où il reprend son aspect originel ; celui d’un rocher. Il se confond alors avec les parois de la montagne qui l’abrite. Invisible à tous. Même aux explorateurs avertis.

— Si un tel monstre existe, remarqua Collins, s’il a réellement franchi les âges en échappant aux recherches, comment pourrons-nous en venir à bout ?

Graymes hocha la tête.

— Il n’existe guère de moyens, le seul connu étant d’exposer le troll sous sa forme semi-humaine à la lumière du jour. Sous terre, autant dire que les chances d’y parvenir sont quasiment nulles.

— Alors ?

— Nous verrons, trancha l’occultiste. En attendant, je vais poursuivre par là. Il doit y avoir un moyen de contourner la rivière souterraine.

Un flottement s’empara de l’équipe. Joan et Terry échangèrent un regard dont Mac Daniel comprit parfaitement la signification. À l’évidence, les siens étaient prêts à suivre ce type surgi de nulle part. Il avait réussi à les convaincre. La scission du groupe était ce qu’il fallait éviter de pire. Aussi, il décida pour l’heure de nager dans le sens du courant. Il hocha gravement la tête.

— O.K. On n’a rien de mieux à faire, pour l’instant, pas vrai ?

Il ne broncha même pas lorsque le démonologue prit la tête de la petite troupe.

— J’ai une lampe dans mon barda, prenez-la, proposa Joan.

— Inutile. J’ai l’habitude du noir.

Enjambant le corps, Graymes remonta la galerie à grands pas. Force fut de constater qu’il n’avait pas menti. Il se déplaçait avec une totale aisance dans le tunnel, devinant les obstacles, même ceux qui passaient inaperçus dans la lumière des torches. De plus, il faisait montre d’une agilité presque surnaturelle quand il s’agissait de franchir des passages délicats, corniches ou goulets étroits.

Ils atteignirent un plateau buriné par l’érosion souterraine, hérissé de stalagmites géants qui ressemblaient à des tuyaux d’orgue. Graymes huma l’air à la façon d’un animal. Depuis quelques instants, il semblait avoir retrouvé la piste abandonnée. Mais à l’arrière, un gémissement se fit entendre. Victime de son entorse, Terry ne pouvait décidément plus suivre.

— Ce crétin ne regarde pas où il met les pieds, expliqua Mac Daniel.

Ce contretemps embarrassa visiblement leur guide. Toutefois, il signifia aux autres de faire halte.

— Ici, vous serez en sûreté.

— Pourquoi s’arrêter ? s’insurgea Mac Daniel.

— Parce que ce serait un suicide de continuer dans ces conditions. Je vais aller seul en reconnaissance.

Mac Daniel soupira. Terry s’était déjà débarrassé de son équipement et adossé à un rocher. Joan restait à ses côtés pour le réconforter. Graymes émit une sorte de feulement.

— Il n’est pas loin. Il est revenu sur ses pas, je le sais. Pas un de nos mouvements ne lui a échappé. Je ne serais pas étonné qu’en ce moment même, il nous observe. Quelque part. Collins, avez-vous l’heure ?

— Il fera jour dans moins de deux heures, si c’est ce que vous voulez savoir. Mais cela a-t-il une importance ?

— Oui. Si je retrouve la rivière.

L’occultiste n’expliqua pas plus avant le fond de sa pensée. D’un bond, il grimpa sur une roche plate. Là, il tira sa longue épée des profondeurs de son manteau. Mac Daniel le regarda avec stupeur.

— Merde, manquait plus que ça.

Sans lui prêter aucunement attention, le démonologue traça un large cercle dans la pierre, d’où s’éleva une vapeur grise qui n’était pas seulement de la poussière. Puis il psalmodia un chant millénaire, tout en faisant le tour de la figure afin de l’enclore dans d’étranges symboles gravés. Quand il eut terminé, il invita ses compagnons à venir s’asseoir au milieu.

— Conneries, soupira Mac Daniel.

Mais, voyant que ses subordonnés se rangeaient une fois de plus à l’avis de Graymes, il ne put faire autrement que les imiter.

— J’ai peur que l’efficacité de la formule se soit émoussée avec le temps, prévint leur mentor le plus sérieusement du monde. Aussi je vous conseillerai de faire le guet tour à tour. Je reviendrai bientôt.

— Merci, grand chef blanc, marmonna l’officier.

— Pourquoi ne pas rester dans le cercle, vous aussi ? s’enquit Joan. Il serait plus sage de ne pas nous séparer. Et vous devez être fatigué…

Un curieux sourire, à la fois empreint de malice et de nostalgie, passa sur les lèvres effilées du démonologue.

— Non. Et d’ailleurs, je n’entre pas dans ces cercles-là.

Sans rien ajouter, il tourna les talons et se confondit avec les ténèbres. Collins avait déballé nourriture et thermos. Plus une fiasque d’alcool. Bientôt, alanguis par la tiédeur agréable qui coulait dans leurs veines, les quatre spéléos commencèrent à somnoler. Une somnolence étrange, à dire vrai, à laquelle ils se sentirent incapables de résister, et peuplée de rêves tout aussi étranges.

Des rêves où les gouffres eux-mêmes se mettaient à bouger.