CHAPITRE VII
Le pénitencier de Salt Hills étirait ses honteux dominos de béton à l’écart de la route mal goudronnée. Il se composait de trois bâtiments de quatre étages, aux étroites lucarnes grillagées toutes identiques, formant un U aux angles acérés. Autour s’étirait un no man’s land de terre battue que les mauvaises herbes elles-mêmes avaient renoncé à envahir. Un tiers de cet espace avait été grossièrement aménagé en terrain de sport, le reste étant dévolu à des tables en bois solidement scellées. Tout autour courait un grillage électrifié rehaussé d’un treillis de barbelés rébarbatifs. Des miradors phalliques plantés aux quatre coins de l’esplanade désertique, on pouvait surveiller tout cela.
Au-delà du grillage, rien qui donne envie d’une exploration. Les collines pelées barbotaient dans des bourbiers hérissés d’ajoncs, exposant leurs cicatrices blêmes au soleil triste. Du flanc de l’une d’entre elles jaillissait une rivière glauque, tel le pus d’une blessure, qui suivait les méandres calcaires jusqu’à la vallée. La première ville se trouvait à plus de vingt kilomètres, là-bas, dans une brume incertaine, dans cet autre monde que les prisonniers résumaient d’un mot.
Dehors.
Les collines n’étaient pas dehors.
Elles étaient comme le prolongement naturel des murs et des barbelés, arides et sinistres. On ne les appelait pas pour rien les collines de sel.
Depuis un moment, la route avait presque disparu sous la poussière. À mesure que l’enceinte se rapprochait, Graymes sentait ses muscles se contracter, sa respiration s’alourdir. Était-ce le sentiment de tristesse engendré par ce décor morose qu’écrasait un plafond de nuages bas ? Il le pensa tout d’abord. Mais il convint rapidement qu’il y avait autre chose. Des sueurs froides roulèrent sur ses tempes. Il dut crisper les mâchoires pour venir à bout de l’anxiété qui s’emparait de lui.
— Stoppez la voiture, dit-il.
Camelli n’obtempéra pas sur-le-champ.
Depuis le départ, il avait redouté cet instant. Aucun doute, la force maléfique évoquée par Maître Anika planait sur ces collines, frappant de plein fouet ceux qui, comme Graymes, détenaient une sensibilité particulière. Personnellement, l’homme du F.B.I. n’éprouvait rien de particulier, sinon une forte envie de vider sa vessie. Mais en bon Sicilien, il croyait dur comme fer à l’existence du monde invisible. Il surveillait son passager depuis un moment dans son rétroviseur. Il avait vu la tension creuser peu à peu ses traits maigres et savait que l’épreuve de force avait commencé. Si l’occultiste flanchait, il faudrait rebrousser chemin. Chose que le fédéral répugnait à faire plus que tout au monde. Il n’envisageait pas d’annuler l’opération. Quitte à forcer la main au destin…
— Arrêtez la voiture ! répéta Graymes.
Et, cette fois, il serra la nuque du fonctionnaire.
Camelli stoppa dans un crissement de pneus. Pendant un bref instant, il avait cru qu’on lui injectait de la glace dans la moelle épinière. Il dut secouer la tête durant plusieurs secondes avant de retrouver ses sensations. À côté de lui, Pig Waterford avait manqué heurter le tableau de bord. Il se mit à jurer furieusement.
Sans attendre l’assentiment de ses gardes du corps, Graymes avait ouvert la portière d’un coup de pied.
— Qu’est-ce qui cloche ? glapit Pig. Il est dingue ou quoi ?
— Laisse tomber, temporisa Camelli.
Il donna une chiquenaude dans le rétroviseur, afin de ne pas perdre leur homme de vue. Le démonologue se tenait debout sur le bas-côté. Son regard semblait comme aimanté par la masse sombre du pénitencier qui se détachait sur le blanc crayeux des collines. Il avait l’air d’un dormeur, au seuil du réveil, qui lutte avec son cauchemar.
Pig s’épongea le front avec son mouchoir taché de ketchup.
— Putain, y fait lourd. On va rester là longtemps ?
— Le temps qu’il faudra.
— Qu’est-ce qu’il a, ce fêlé ?
— Il y a quelque chose, ici, expliqua Camelli. Aussi sûr qu’on devine un rat en surveillant la queue d’un fox-terrier.
Graymes se pencha soudain à la portière.
— Vous saviez qu’un tel phénomène se produirait, Camelli.
— Mais… quel phénomène ?
— Une force, là-dessous. Très puissante. Quelqu’un vous l’a dit. Ça ne peut être autrement. Quelqu’un qui sait, lui aussi. Qui ?
— Je vous assure, vous vous trompez…
— Tout ceci n’est pas votre idée, j’en suis sûr. On vous manipule.
— Voyons, vous…
Graymes toisa son interlocuteur d’un regard glacial.
— Ce n’est pas grave. Je l’apprendrai. Tôt ou tard.
Il resta encore un instant à humer l’air à la façon d’un animal, les narines dilatées. Wateford eut l’impression que des mots se formaient sur ses lèvres, des mots étranges qu’il n’avait jamais entendus auparavant dans aucune langue.
— Nom de Dieu, qu’est-ce qu’il fabrique ? murmura-t-il. On dirait qu’il prie.
— Un type comme ça ne prie pas, assura Camelli, qui savait de quoi il parlait.
Finalement, leur compagnon remonta dans la voiture sans un mot. Son visage ascétique accusait une pâleur plus grande qu’à l’accoutumée.
— Il faut repartir, lança-t-il.
Docile, Camelli embraya, lançant en douce un clin d’œil à son adjoint. S’il y avait eu lutte entre deux volontés, celle de Graymes avait triomphé. C’était de bon augure pour la suite.
— À partir de maintenant, docteur, n’oubliez pas : vous êtes un détenu condamné pour meurtre, transféré d’Atlanta. Perpétuité. Tâchez de vous en souvenir. Si la situation vous pèse ou que vos recherches ne la nécessitent plus, ou encore si vous désirez me contacter, vous n’aurez qu’à prévenir le directeur, Desmond Linns. Il est dans la confidence.
Camelli atteignit le portail du pénitencier.
Presque joyeux.
*
* *
Graymes avait mis du temps avant de se défaire du sentiment d’oppression qui l’avait assailli à l’approche de l’établissement. Mais à présent qu’il avait franchi les grilles, l’étau s’était desserré. Il suivait sans broncher le gardien armé dans le labyrinthe des couloirs vétustes d’où émanait une forte odeur de Javel. On lui intima l’ordre d’entrer chez le médecin. Là, sous les regards blasés des matons qui échangeaient des plaisanteries, il se mit entièrement nu et soumit sans un mot son long corps maigre, couturé de terrifiantes cicatrices, à l’examen attentif du docteur Pears.
— Eh bien, mon gars, je ne sais pas où vous avez récolté ces blessures-là, mais on vous a plus enlevé de chair que vous n’en avez conservé !
Graymes eut un sourire cynique.
— On m’a mordu.
Le praticien dut monter sur un escabeau pour lui examiner les gencives.
— Jamais malade ?
— Je veux conserver mes vêtements.
Pears dévisagea son interlocuteur.
— Ici, chacun porte ce qu’il veut. Mais dans votre cas précis… (il reluqua le vieux costume dix-neuvième siècle) il vaudrait mieux que vous vous contentiez d’un tee-shirt et d’un jean.
— Je suis très bien comme ça.
— À vous de voir. Terminé.
Le nouveau prisonnier se rhabilla.
Les gardiens l’encadrèrent à nouveau, visages hermétiques, gestes automatiques. Avec une condamnation pour meurtre dans son paquetage, Graymes ne s’attendait pas à une réception fleurie. Il savait à quoi il s’exposait en pénétrant ici. Mais cela servait son plan. Il avait insisté auprès de Camelli pour que les subalternes ignorent tout du véritable but de sa présence. Les détenus ont les oreilles longues. Ils savent vite repérer une taupe. Il avait trop l’habitude des cellules pour ne pas savoir que la moindre fuite ruinerait ses efforts pour faire parler les témoins du drame.
On le guida jusqu’à une pièce annexe. L’éclairage trop cru lui fit plisser les yeux. Il détestait la lumière vive. Il fut assis sur une chaise en bois, et ce fut un détenu en short qui lui rasa complètement la tête. Cela ne dura que quelques secondes, durant lesquelles on n’entendit que le cliquetis de la tondeuse. Puis il se leva, ignorant le regard tendrement appuyé du coiffeur.
On le conduisit ensuite à l’étage supérieur.
Derrière son grillage, le préposé aux objets personnels lui fit un signe de tête. Le démonologue vida le contenu de ses poches. Peu de choses. Il n’avait rien emporté, pas même sa vieille montre à gousset. L’autre mit le tout dans une enveloppe et lui fit signer un registre. Alors seulement, il sembla s’apercevoir de l’étrange tenue du nouvel arrivant et tendit vers lui un stylo menaçant.
— Si j’étais toi, je changerais de fringues. C’est pas une ferme de réhabilitation, ici.
— On me l’a déjà dit.
— Dans ton intérêt.
Graymes ressortit sans répondre.
Ses deux cerbères le poussèrent vers un escalier métallique qui semblait plonger au cœur de la terre. Ils descendirent jusqu’au sous-sol. Sur le mur, la mention QUARTIER D, à demi dévorée par l’humidité, attira le regard de l’arrivant. Au moins, ici, ce n’était pas l’éclairage qui risquait de l’indisposer. Il régnait dans les couloirs une pénombre digne des cachots de l’inquisition.
— T’as de la veine, railla l’un des gardiens. T’es au meilleur étage. Pour l’eau courante, c’est quand il pleut ! La 807, ouverture.
Graymes fut propulsé dans une cellule de deux mètres sur un et demi, aux parois lépreuses constellées de posters érotiques, sans fenêtre. Quatre lits, superposés deux par deux, occupaient presque toute la place, ne laissant qu’un étroit passage pour le déplacement. Contre le mur du fond trônait un broyeur, et juste à côté une tablette rabattable solidement scellée au mur. Cela sentait l’urine, le moisi, et quelque chose d’autre qui semblait monter du sol lui-même.
Ce détail frappa le démonologue.
— Salut.
Jed « Flat » Appangis aimait accueillir les nouveaux. Cela lui permettait d’emblée d’asseoir son autorité sur eux. Mais à la différence de l’habitude, il se garda bien d’émettre une plaisanterie facile. Ce grand type trop sec et trop pâle n’avait pas l’air commode. À la façon dont il promenait son regard taciturne autour de lui, le prisonnier comprit que c’était un sniper. Un type qui avait le meurtre dans la peau. Casper se souleva légèrement sur sa couchette, bras croisés derrière la nuque, et dévisagea l’arrivant sans aménité.
— Merde, pourquoi chez nous ? grogna-t-il. On était bien à deux.
— Je ne dérangerai pas vos tripotages, répliqua Graymes en sondant le ciment du talon.
La réflexion n’eut pas l’heur de plaire au maniaque.
— Dis donc, t’arrives juste et tu joues les branleurs ? Tu veux que je te les fasse remonter dans les oreilles ?
— Ça sera difficile, jusqu’aux oreilles, susurra le démonologue en déployant sa haute stature. Je suis très grand.
Casper comprit qu’il valait mieux ne pas insister. Il se tourna contre le mur en maugréant :
— Putain. Et en plus, c’est un marrant…
— Fais pas attention. Moi, c’est Flat. J’ai un nom, mais on m’a toujours appelé Flat.
Graymes serra la main tendue.
— Un salopard a dû te pistonner. Le quartier D, y a pas pire. C’est le mitard permanent. D’habitude, ils attendent plutôt que tu fasses la connerie en premier. Un mot de travers, une bagarre, et youppie…
— Personne n’occupe les couchettes du bas ?
Flat se racla la gorge.
— C’est pas vraiment la mode, en ce moment. Et si j’étais toi…
Il lança un regard explicite en direction de Casper.
— Je m’en accommoderai, dit Graymes.
— T’as rien entendu sur ce qui se passe ici ?
— Non.
— D’où tu viens ?
— Atlanta. Et avant, New York. Qu’est-ce qu’on raconte ?
Flat hocha la tête avec un sourire sinistre.
— Ouais, je vois. Ils tiennent certainement ça secret.
— La ferme, marmonna Casper. Y verra ça bien assez tôt.
Flat haussa les épaules.
— T’as pas remarqué des cellules en réfection, en venant ?
— Une seule.
— Ouais, parce qu’il y a un trou en plein milieu. Et dans le trou, un pauvre type y a laissé sa peau. Je le sais. J’y étais.
Graymes fit mine d’observer la pointe de ses chaussures.
— Des effondrements ?
— Ouais, tu parles.
— Ta gueule, Flat, bougonna Casper. C’est un étranger. J’ai pas confiance.
— Y a des choses en dessous qui cherchent à te bouffer, ça, c’est la vérité. Fais vraiment gaffe. Y fait pas bon dormir près du sol.
Graymes acquiesça. Il n’avait pas pensé entrer si tôt dans le vif du sujet.
— Les autres savent ?
— Et comment ! C’est devenu la guerre pour récupérer les couchettes du haut. Par tous les moyens. C’était déjà pas vivable avant. Mais maintenant, ça tourne à la roulette russe.
— Attention, maton ! prévint Casper d’une voix étouffée.
Dans le corridor chichement éclairé résonna un pas lourd. Prudemment, Flat s’écarta du nouveau venu et fit mine de s’asseoir sur le broyeur. La silhouette massive de Jenkins apparut devant la cellule.
— Graymes. Chez le directeur.
L’interpellé dévisagea le faciès rébarbatif du maton, une outre à whisky dont la main droite semblait éternellement vissée à la matraque qu’il portait ostensiblement au côté.
— Si j’étais toi, rookie, je baisserais les yeux. L’occultiste ignora la remarque. En d’autres circonstances, il aurait volontiers fait éclater ce nez trop rouge sous ses phalanges, mais il était résolu à jouer le jeu.
— T’as vraiment pas l’air aimable, lança encore Jenkins, même quand tu te forces.
Graymes ne pipa mot en sentant l’acier froid des menottes enserrer à nouveau ses poignets.
*
* *
Desmond Linns triturait nerveusement son stylo lorsque Graymes fut introduit dans son bureau. L’arrivant resta sur le seuil, attendant qu’on lui donne l’ordre de bouger.
— Je vous en prie, docteur. Plus de comédie, ici. Asseyez-vous. Voulez-vous un brandy, une cigarette ?
— Non. Si je sentais l’alcool ou le tabac, les autres se douteraient de quelque chose. Personne ne doit être au courant.
— Je… je voudrais avant toute chose vous remercier pour votre aide, même si je ne suis pas d’accord sur la méthode employée. C’est courir un risque inutile que de vous mêler à ces bêtes fauves. La plupart termineront leur vie ici, vous savez ?
— Je dois les faire parler. Je dispose de trop peu d’éléments. Quand pourrai-je voir le corps de Lennion ?
— Tout de suite, si vous voulez… Au moins, ne croyez-vous pas que je pourrais prévenir les gardiens-chefs ? Ce ne sont pas des tendres. Ils risquent de vous malmener…
— Je m’en accommoderai.
Linns adressa un coup d’œil au portrait de famille qui trônait devant lui.
— Ce sont des animaux, docteur. Ils ne respectent rien, ne reconnaissent aucune autorité. Mis à part les petites peines, ils se foutent des possibilités de travail qu’on leur offre. Ils sont remplis de haine. Vous n’enlèverez jamais à un prisonnier le sentiment qu’il subit un châtiment immérité. Ils sont ainsi faits. Au fond d’eux-mêmes, ils se sont fabriqué tout un tas de raisons qui les ont poussé à agir comme ils l’ont fait. Et le quartier D est le pire. Les braqueurs, les meurtriers, les violeurs, et j’en passe. On les a rassemblés là. Je risque de vous choquer, mais je me réjouis presque de savoir qu’à présent, ils ont peur de quelque chose. Cela les rend un peu plus humains à mes yeux…
Graymes s’était approché de la fenêtre et promenait son regard sur les locaux désuets.
— Vous avez fait des travaux, récemment ?
— Un peu de rénovation. Cinq ans pour obtenir les crédits ! Mais impossible d’augmenter le nombre des cellules. Les détenus s’entassent comme de la vermine. La surpopulation devient chaque jour plus intolérable… On dit que vous enseignez la démonologie à Columbia ?
— Exact. Avez-vous fait examiner les fondations ?
— Oui. Sauf dans votre aile. Priorité aux réinsérables, c’est comme ça. On a posé des rustines, rien d’autre. Vous voyez un lien ?
— Je pense que les vibrations des travaux ont éveillé quelque chose.
— Vous rigolez ?
— J’en ai l’air ?
— Croyez-vous réellement à une manifestation… surnaturelle ?
— Qu’appelez-vous précisément manifestation surnaturelle ?
Linns s’éclaircit la gorge, comme s’il avait peine à donner consistance par des mots à des détails qui offusquaient son esprit cartésien.
— Racontez-moi, l’encouragea son visiteur.
— Camelli ne vous a rien dit ?
— Rien d’autre que ce qu’il a bien voulu.
— Eh bien, cela remonte à un mois environ. Comment dire… l’ambiance a changé. Nous avons enregistré plus d’incidents qu’à l’accoutumée. Des bagarres, des viols, des actes antisociaux… Certains détenus superstitieux ont commencé à se fabriquer des amulettes et autres bêtises du même genre. Il y en a même un qui est devenu carrément cinglé et que nous avons dû conduire à l’infirmerie. Il ne tardera pas à être transféré dans un asile, j’en ai bien peur.
— C’était avant les meurtres ?
— Oui. Et depuis, c’est encore pire. Ils se battent tous pour les couchettes du haut. Ils n’hésitent pas à s’égorger entre eux. Plus personne ne veut dormir à moins d’un mètre et demi du sol et moins encore passer au mitard. Les gardiens ont du mal à contenir cette panique… Mais vous n’avez pas répondu à ma question ?
Graymes hocha la tête.
— Je ne peux rien dire pour l’instant… Avez-vous reçu la mallette que je vous ai envoyée ?
— Elle est là, dans cette armoire.
— N’en parlez à personne. Même pas à Camelli.
— J’ai suivi vos instructions.
Linns sortit un trousseau de clé d’un tiroir et ouvrit une armoire. Il y attrapa un long bagage de cuir râpé qu’il déposa sur la table, devant lui.
— Vous pouvez la ranger, dit son interlocuteur. Cela ne me sera d’aucune utilité pour l’instant.
— Dites-moi au moins ce qu’elle contient ?
— De quoi affronter certains éléments si besoin est. Que personne ne s’en approche. Elle est… piégée.
— Je comprends, mentit Linns. Le corps de Lennion est à la morgue, en bas. Nous prendrons un escalier de service, personne ne nous verra.
Graymes lui emboîta le pas, songeur.
En chemin, ils ne rencontrèrent pas âme qui vive. La morgue elle-même était déserte. Linns avait dû prendre ses précautions. Sous ses dehors intraitables, il semblait être un homme scrupuleux.
— Nous avons tout fait pour retarder la remise du corps à la famille, afin que vous puissiez le voir…
Le tiroir mortuaire coulissa sans bruit. Le démonologue souleva le drap. Il ne put retenir une exclamation.
— Très étonnant ! Un homme changé en fossile…
— Vous voyez une explication ?
— Je vais y réfléchir. Mais je dois retourner en cellule… Allons-y. Vous me ferez raccompagner.
Linns repoussa le sinistre réceptacle.
— Bon courage. N’hésitez pas à me faire prévenir lorsque vous en aurez assez de cette mascarade. Une dernière chose. J’attends pour demain une équipe de spéléologues de l’armée. Ils doivent explorer les tunnels. Une idée à Camelli.
Une ombre passa sur le visage de Graymes.
— Ils ne devaient pas entrer en action avant que j’aie rendu mes conclusions. C’est courir un risque bien inutile !
— Camelli aime monter deux chevaux à la fois. Remontons.
L’occultiste renifla.
Quelque chose lui disait de se méfier de Camelli. Et aussi qu’il aurait mieux fait de refuser ce séjour en enfer.