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— Bonjour, ici la banque Sheridan…
— … cela n’apparaît pas dans vos opérations, monsieur Cooke. Souhaitez-vous que je vérifie dans un autre compte à votre nom ?
Des bribes d’une bonne trentaine de conversations différentes résonnaient dans l’air. Les voix, pour la plupart féminines, emplissaient la salle d’un bourdonnement semblable à celui d’une multitude d’abeilles zélées. Harry circula entre les bureaux séparés par des cloisons bleues matelassées, tout en prêtant une oreille distraite aux discussions téléphoniques alentour. Elle-même possédait un compte à la Sheridan, mais peut-être qu’après cette mission elle serait obligée de changer de banque…
S’il y avait beaucoup de postes de travail vides, Harry préférait cependant s’installer au fond. Aussi marcha-t-elle jusqu’au bout de la pièce avant d’opter pour une table isolée dans un coin. Elle posa son sac sur la chaise puis attendit que la fille au visage rond qui occupait le bureau voisin ait terminé son appel.
— Encore toutes nos excuses pour ce désagrément, madame Hayes, dit l’employée. Au revoir !
Elle tapa sur son clavier avant d’adresser un clin d’œil à Harry.
— Et encore une cliente mécontente ! Harry lui sourit.
— Il y en a parfois qui sont contents ?
— Pas chez nous, en tout cas.
— Je m’appelle Catalina, prétendit Harry, la main tendue. Je commence cet après-midi.
— Ah bon ? Super. Moi, c’est Nadia.
Elle tendit à Harry une main aux ongles interminables, laqués de rouge. Chacun de ses doigts boudinés, y compris le pouce, s’ornait d’une bague en argent.
— A ton avis, je peux m’installer ici ? demanda Harry en indiquant la chaise qu’elle avait choisie.
— Bien sûr, il n’y a personne.
Harry prit place devant le PC, qu’elle alluma aussitôt.
— Je ne pense pas qu’on m’ait déjà attribué un compte. Tu pourrais m’ouvrir une session ?
Sa voisine parut hésiter.
— C’est que… je ne suis pas censée faire ça. Surtout, réagir le plus naturellement possible.
— Tant pis. Je voulais juste jeter un coup d’œil à l’application du service clients avant que Mme Nagle revienne.
Nadia, qui se mordillait la lèvre inférieure, finit par sourire.
— Bah, pourquoi pas ?
Le temps d’ôter son casque, et elle s’approcha du poste occupé par Harry pour taper son nom d’utilisateur et son mot de passe sur le clavier.
Il émanait d’elle une senteur agréable, mélange de Calvin Klein et de pastilles à la menthe.
— Voilà, c’est bon, déclara Nadia.
— Merci, je te revaudrai ça.
Lorsque sa nouvelle collègue fut retournée à son bureau pour prendre un appel, Harry orienta son écran de façon que personne ne puisse voir ce qu’elle faisait, puis elle se mit au travail.
Il lui suffit de presser quelques touches pour quitter l’application du service clients et entrer dans le système d’exploitation de l’ordinateur. Elle secoua la tête en réprimant une grimace réprobatrice. Pourquoi n’était-il pas mieux protégé ?
Une fois à l’intérieur du PC, elle explora les divers fichiers et répertoires, mais sans rien remarquer de particulier ; il s’agissait d’un poste de travail standard qui n’avait aucun secret à dévoiler. Elle cliqua sur la souris afin de visualiser toutes les connexions réseau :

 

F: \\Jupiter\shared
G: \\Pluto\users
H: \\Mars\system
L: \\Mercury\backup
S: \\Saturn\admin

 

Voilà, au moins, c’était un territoire familier. Grâce à ces informations, elle allait pouvoir pénétrer dans les ordinateurs centraux de la banque.
Harry étudia la liste des machines connectées sur le réseau pour essayer de repérer un accès possible. Certaines lui révélèrent aussitôt leurs fichiers, d’autres en revanche bloquèrent sa tentative d’intrusion. Sans se décourager, Harry approfondit ses recherches jusqu’à identifier un élément intéressant : le fichier des mots de passe, qui contenait les noms d’utilisateur et les mots de passe de toutes les personnes sur le réseau. Parfait : elle détenait maintenant une clé pour entrer. Elle cliqua deux fois sur la souris afin d’ouvrir le fichier. En vain. Il était verrouillé.
Les sourcils froncés, elle vérifia l’heure. Son rythme cardiaque s’accéléra légèrement. Elle était là depuis déjà vingt minutes, mais il lui restait encore beaucoup de terrain à couvrir… Renonçant temporairement au fichier des mots de passe, elle entreprit d’explorer le réseau, d’en fouiller tous les coins et recoins. Le dossier auquel elle pensait se trouvait forcément quelque part… Bingo ! Il était là, enregistré sur un disque partagé que n’importe qui pouvait lire : la copie de sauvegarde non protégée du fichier des mots de passe.
Un picotement lui parcourut la nuque, comme chaque fois qu’elle s’apprêtait à pénétrer dans un système censé garantir une sécurité absolue. Pour un peu, elle aurait crié victoire, mais ce n’était ni l’endroit ni le moment.
Au lieu de quoi, elle ouvrit le fichier de sauvegarde afin de prendre rapidement connaissance de son contenu. Si les noms d’utilisateur apparaissaient en clair, les mots de passe en revanche étaient tous cryptés. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Nadia bavardait avec un client au téléphone tout en pianotant sur son clavier.
Harry glissa une main dans la poche de sa veste, dont elle retira un CD à insérer dans l’ordinateur. Elle y avait chargé un cracker de mots de passe, auquel elle soumit la copie de sauvegarde. Puis, en attendant que le programme ait rempli sa mission, elle se pencha sur un manuel d’informatique et fit mine de le feuilleter.
Le processus risquait de prendre un certain temps. C’était souvent le cas avec les attaques par dictionnaire. Son logiciel allait en effet passer en revue l’ensemble du dictionnaire, dont il crypterait chaque mot avant de le comparer avec les mots de passe eux-mêmes cryptés dans le fichier. Il renouvellerait ensuite la manœuvre avec des combinaisons de lettres et de chiffres, jusqu’au moment où Harry obtiendrait toutes les informations dont elle avait besoin.
Elle consulta de nouveau sa montre. Comme la tension lui raidissait la nuque, elle se massa pour se détendre. Elle disposait probablement d’une dizaine de minutes avant le retour de la chef de service, et il en faudrait peut-être encore quinze au cracker pour parvenir à un résultat. Autant dire qu’elle allait devoir jouer serré… Mais bon, c’était le propre des tentatives d’intrusion. Et c’était aussi ce qui les rendait si irrésistibles.
Parce qu’elle avait un jour jeté une brique dans la fenêtre de la cuisine pour pouvoir rentrer à la maison, son père lui avait toujours dit qu’elle finirait voleuse. Ce jour-là, elle s’était retrouvée enfermée dehors après les cours et, au lieu d’attendre le retour de ses parents, elle avait opté pour une méthode plus radicale tellement elle était impatiente de découvrir les résultats du scan de ports qu’elle avait lancé sur son ordinateur en début de matinée. Lorsqu’elle avait essayé d’expliquer la situation à son père, qui contemplait les bouts de verre d’un air incrédule, elle était convaincue qu’il lui confisquerait son PC. Or, à sa grande surprise, non seulement il lui avait confié les clés de la demeure familiale, mais il avait aussi remis à niveau le processeur de son ordinateur. Autant dire qu’il avait marqué des points auprès de sa fille alors âgée de onze ans.
De son côté, celle-ci y avait gagné un nouveau surnom : c’était en effet à la suite de cette mésaventure que son père avait commencé à l’appeler « Harry ». Il y avait néanmoins des fois où elle aurait préféré un prénom aux consonances plus chantantes, comme celui de sa sœur aînée. Amaranta s’était toujours distinguée par sa taille élancée et ses cheveux d’un beau blond cendré. A sa naissance, leur mère était toujours passionnément amoureuse d’un mari au charme moitié irlandais, moitié espagnol. Mais lorsque leur seconde fille était venue au monde, les orientations financières désastreuses prises par Salvador Martinez avaient forcé la famille à abandonner une grande maison pour s’entasser dans un modeste pavillon mitoyen exigu, et sa femme avait depuis longtemps perdu toute attirance pour les prénoms latins. L’enfant avait beau tenir de son père ses yeux de braise et ses boucles noir corbeau, elle avait été baptisée Henrietta, comme sa grand-mère maternelle qui vivait dans le nord de l’Angleterre.
« Franchement, est-ce qu’on a déjà entendu parler d’une cambrioleuse prénommée Henrietta ? » avait lancé son père après l’incident de la fenêtre. A partir de là, elle était devenue Harry.
Emergeant de ses souvenirs, elle jeta un coup d’œil à l’ordinateur pour voir où en était son programme. Il avait presque terminé, constata-t-elle. Elle examina la liste des mots de passe qu’il avait décryptés jusque-là. Il y avait celui de Nadia : nom d’utilisateur, « nadiamc » ; mot de passe, « diamants ». Et celui de Sandra Nagle :  « sandran » ; mot de passe, « ténacité ». Elle secoua la tête. Non, insuffisant. Ce qu’il lui fallait, c’était un compte administrateur, bénéficiant d’un accès privilégié.
Il apparut en fin de liste – le mot de passe de l’administrateur réseau : asteroid27. Un fourmillement d’excitation la parcourut tout entière. Tel un agent de sécurité possédant la principale clé du bâtiment, elle pouvait désormais aller où bon lui semblait. Le réseau lui appartenait.
Elle se connecta grâce à ce nouveau statut et désactiva immédiatement le programme d’audit réseau. Ainsi, ses activités ne pourraient plus être enregistrées dans les journaux d’audit. Elle était invisible.
Pendant quelques minutes, Harry rôda parmi les serveurs, ouvrant tous les fichiers qui lui paraissaient intéressants. Ses yeux s’écarquillèrent devant certaines données auxquelles elle avait accès : ratios de solvabilité clients, revenus de la banque, salaires des employés… Sans compter tous les e-mails, dont ceux du président de l’établissement.
Elle s’introduisit ensuite dans une autre base de données et ses doigts s’immobilisèrent sur la souris quand elle s’aperçut qu’il s’agissait de certaines informations clients les plus confidentielles : numéros de compte, codes PIN, détails des cartes de crédit, noms d’utilisateur, mots de passe… Le rêve pour un hacker, d’autant que la plupart des renseignements n’étaient même pas cryptés !
Tout en les examinant, Harry songea à quel point il serait facile de prélever de l’argent sur ces comptes sans que personne comprenne ce qui était arrivé. Elle était pareille à un fantôme dans le système, qui ne laissait aucune empreinte de son passage.
— Tiens, elle rentre plus tôt que d’habitude…
Harry tourna la tête vers Nadia, qui lui indiqua l’entrée de la salle, où Sandra Nagle venait d’apparaître, les yeux fixés sur un bloc-notes.
Merde ! Il n’y avait plus une seconde à perdre.
Les doigts de Harry voltigèrent sur les touches. Elle copia sur son CD la liste des mots de passe décryptés puis, pour faire bonne mesure, elle y ajouta quelques données concernant les comptes clients et les codes PIN.
La manœuvre lui prit cependant un certain temps. Du coin de l’œil, elle vit Sandra Nagle avancer dans la salle, s’arrêtant ici ou là pour vérifier le travail des opératrices de la plate-forme téléphonique.
Harry savait qu’elle devrait terminer au plus vite, mais il ne lui restait qu’une chose à faire. En quelques manipulations de la souris, elle déguisa un de ses propres fichiers et le dissimula dans un coin du réseau. Pour elle, c’était comme laisser sa carte de visite.
La chef de service, occupée à prendre des notes, approchait toujours. Elle s’arrêta pour interroger une fille assise à quelques mètres seulement de Harry.
Celle-ci nettoya les journaux des événements système afin d’effacer toute trace de son intrusion. Elle réactiva ensuite l’utilitaire d’audit, puis leva les yeux.
Sandra Nagle la regardait.
Harry sentit la sueur dégouliner de ses aisselles quand la chef de service se dirigea vers elle. En hâte, elle ferma son accès au réseau et afficha de nouveau l’application du service clients.
Sandra Nagle s’immobilisa à côté du poste de travail en respirant bruyamment par les narines. Elle était si proche d’elle que Harry put distinguer le fin duvet blond au-dessus de sa lèvre supérieure.
— Qui êtes-vous ? tonna-t-elle. Et qu’est-ce que vous fabriquez ici ?
— Vous êtes Sandra Nagle ?
Harry se leva et, tout en ajustant la bride de son sac sur son épaule, elle récupéra son CD pour le glisser subrepticement dans sa poche.
— Je vous attendais.
— Qu’est-ce que…
Harry la contourna et marcha vers les portes en s’efforçant d’ignorer le tremblement de ses jambes.
— J’ai été envoyée par le service de la sécurité des systèmes d’information pour vérifier la santé de vos réseaux, dit-elle. Vous avez de sérieux problèmes de virus, vous savez.
— Vous… Comment… balbutia la chef de service, sur ses talons.
— Je ne pense pas que vous ayez besoin de cesser les opérations sur-le-champ, mais j’espère pour vous que vous avez bien suivi jusque-là les procédures antivirus définies par la banque.
Lorsque Sandra Nagle marqua un temps d’arrêt derrière elle, Harry lui jeta un bref coup d’œil.
— Je vois. Bon, le moment venu, la SSI prendra contact avec vous.
Elle poussa l’un des deux battants, qui ne s’ouvrit pas. Elle essaya l’autre. Fermé aussi.
— Hé, une minute ! s’exclama Sandra Nagle. Vous êtes qui, au juste ?
La poisse !
Apercevant sur le mur la commande d’ouverture des portes, Harry la pressa frénétiquement. Enfin, un déclic résonna. Elle traversa le hall comme une flèche sous le regard stupéfait de Melanie.
Le temps de franchir l’entrée vitrée, et elle s’élançait dans la rue inondée de soleil.
Galvanisée par l’adrénaline, Harry courait le long du canal, seulement consciente du claquement de ses talons sur le trottoir et du bourdonnement dans ses oreilles. Une fois certaine que personne ne l’avait suivie, elle ralentit l’allure puis s’installa sur le muret au bord de l’eau pour reprendre son souffle.
Durant quelques instants, elle se laissa bercer par les clapotis qui montaient des joncs près des berges et par la caresse de la brise sur son visage. Lorsque ses battements de cœur eurent recouvré un rythme normal, elle retira son téléphone de son sac et composa un numéro.
— Ian ? C’est Harry Martinez, de Lúbra Security. C’est bon, je viens de terminer le test de pénétration.
— Déjà ?
— Oui. Je n’ai eu aucun mal à entrer et à obtenir tout ce qu’il me fallait.
— Bon sang ! Hé, les gars, est-ce qu’on a eu un signal de détection d’intrusion ?
Harry entendit une certaine agitation en arrière-fond.
— Ne vous en faites pas, Ian, votre système de détection fonctionne. Je ne suis pas entrée par l’extérieur.
— Ah non ? On s’attendait pourtant à une attaque de périmètre.
— Je sais. Désolée.
— Nom d’un chien, Harry…
— N’oubliez pas que les hackers agissent souvent de l’intérieur ! Il faut absolument que vous renforciez votre protection.
— Compris.
— Une fois dans le réseau de la banque, j’ai réussi à accéder au compte administrateur…
— Vous avez quoi ?
— … et j’ai découvert les numéros de compte et les codes PIN des clients.
— Et merde !
— Disons juste que votre sécurité interne ne me paraît pas particulièrement fiable. Cela dit, quelques précautions simples devraient suffire à résoudre le problème. Je ferai des recommandations dans ce sens dans mon rapport.
— Mais comment avez-vous pu entrer dans le système, bon Dieu ?
— Un peu de social engineering, beaucoup de culot… Si ça peut vous consoler, j’ai bien failli me faire pincer.
— Non, ça ne me console pas du tout… Quelle pagaille !
— Navrée, Ian. J’ai préféré vous avertir avant que votre direction l’apprenne.
— Merci, j’apprécie. N’empêche, je vais passer un mauvais quart d’heure.
— Encore désolée…
Harry perçut un signal d’appel dans son combiné.
— Ecoutez, Ian, j’ai laissé toute une panoplie d’outils de hacking derrière moi afin de tester votre logiciel antivirus. Je vous propose de voir ça plus tard, au moment de tout nettoyer.
Le signal résonna de nouveau.
— Excusez-moi, je dois vous laisser. Je vous rappellerai demain.
Elle accepta l’appel entrant.
— Salut, ma belle ! Alors, comment se passe le test ?
En reconnaissant la voix d’Imogen Brady, ingénieur de maintenance à Lúbra Security, Harry sourit. Elle se représenta son amie assise à son bureau, les pieds au-dessus du sol. Minuscule, mais dotée d’yeux immenses dans un visage à l’expression espiègle, Imogen avait tout d’un chihuahua. C’était aussi l’une des meilleures hackeuses que Harry ait jamais rencontrées.
— Je viens de finir, répondit-elle. Et de ton côté, quoi de neuf ?
— Mister Plein aux As te cherche.
Imogen faisait allusion à leur patron, Dillon Fitzroy. La rumeur prétendait qu’il était devenu multimillionnaire à l’âge de vingt-huit ans, pendant l’explosion de la bulle Internet. Celle-ci remontait maintenant à neuf ans. Dillon avait fondé Lúbra Security peu après, puis racheté d’autres sociétés de software jusqu’à faire de la sienne l’une des plus importantes du secteur.
— Qu’est-ce qu’il veut ? demanda Harry.
— Va savoir… Un rendez-vous, peut-être ?
Harry leva les yeux au ciel. Malgré son apparence discrète et réservée, Imogen était une vraie commère.
— Bon, passe-le-moi, marmonna Harry.
— Ça marche.
Quelques secondes plus tard, la voix de Dillon s’éleva dans le combiné :
— Allô, Harry ? Où en es-tu avec la Sheridan ?
A en juger par l’écho, il parlait dans un téléphone de conférence placé à une certaine distance.
— C’est fait, répondit Harry. Je n’ai plus qu’à m’atteler à la paperasserie.
— Laisse tomber. J’ai un autre boulot pour toi.
— Maintenant ?
Elle avait une faim de loup, et une bonne odeur, mélange de café et de bacon grillé, lui parvenait de Baggot Street. Elle se leva, puis se dirigea tranquillement vers le pont.
— Ouais, maintenant. Envoie-moi les infos sur la Sheridan, je demanderai à Imogen d’établir un rapport. Je veux que tu procèdes à une autre évaluation de vulnérabilité.
Harry l’entendit pianoter sur son clavier d’ordinateur en même temps qu’il lui parlait. Dillon était connu pour ne jamais laisser passer une occasion de faire plusieurs choses à la fois. Sans doute tapait-il de la main gauche pendant qu’il se servait de la droite pour prendre des notes tout en discutant avec elle.
— Il s’agit de quoi, ce coup-ci ? lança Harry.
— De l’IFSC. Le client a bien insisté pour que ce soit toi. Je leur ai dit que tu étais la meilleure.
— Merci, Dillon, c’est gentil.
Elle se félicita d’avoir choisi les talons. L’International Financial Services Centre était incontestablement une cible prestigieuse.
— Appelle-moi quand tu auras fini, reprit-il. On ira dîner quelque part et tu me raconteras tout.
Harry sentit ses yeux s’arrondir de surprise. Une raison de plus de se féliciter du choix des talons !
— OK, répondit-elle d’un ton léger.
Puis, sans se laisser le temps de réfléchir aux implications éventuelles de ce dîner, elle ajouta :
— Parle-moi un peu de ma mission. On sait quel genre de système utilise l’IFSC ?
— Non. Tu n’auras qu’à poser la question à nos clients quand tu les verras…
Il marqua une pause.
— Si j’ai bien compris, ils aimeraient te rencontrer avant l’intervention.
Harry s’immobilisa.
— Pourquoi ?
Dillon hésita une seconde de trop.
— Bon, écoute, dit-il enfin, ce n’était peut-être pas une si bonne idée que ça. Je ferais sans doute mieux de confier cette mission à Imogen.
Une main plaquée sur son oreille gauche pour étouffer le bruit de la circulation, Harry insista :
— Qu’est-ce que tu racontes ? Qui sont tes clients ?
Elle l’entendit prendre une profonde inspiration à l’autre bout de la ligne.
— D’accord, j’ai merdé, admit-il. C’est KWC.
A ces mots, Harry eut l’impression que toute son énergie la désertait d’un coup. Elle s’approcha de nouveau du muret au bord du canal et se laissa choir sur la pierre humide.
KWC. Klein, Webberly et Caulfield, l’une des plus prestigieuses banques d’affaires de la ville, qui gérait les comptes de certaines des personnalités et des entreprises les plus riches d’Europe. Elle avait son siège à New York et des bureaux à Londres, à Francfort et ici même, à Dublin.
C’était aussi la banque qui avait employé son père avant de l’envoyer en prison.