CHAPITRE XVI
Carole contempla l'écran éteint avec une satisfaction certaine. Ling allait la débarrasser de ses ennemis. Mais qui étaient-ce? Cette question la tracassait. Etaient-ce les mêmes qui avaient fait disparaître Lee et Surk?
Elle haussa les épaules. Le capitaine ne tarderait pas à lui apporter la solution ! Il lui fallait maintenant regagner son bureau et attendre les événements. Quand la mort de Fersen serait officielle, elle produirait l'acte de donation et prendrait possession des lieux. Même sans la mine, le domaine représentait une jolie fortune pour une fille de vingt-cinq ans qui avait débarqué trois ans plus tôt avec pour toute fortune les vêtements qu'elle portait sur le dos ! Elle savait qu'elle ne s'arrêterait pas en si bon chemin. Le gouverneur était veuf, un peu vieux mais encore présentable. Si elle avait la chance de retrouver quelques cristaux actifs... Femme du gouverneur... en attendant de prendre sa place...Elle interrompit net cette agréable rêverie. Il y avait encore beaucoup de travail en perspective ! Elle jeta un dernier regard sur le cadavre de Fersen, dont les yeux reflétaient toujours l'horreur et se leva.
A l'instant où elle allait sortir de la pièce, elle s'immobilisa. Deux hommes se tenaient dans l'entrée. Un grand costaud blond, un plus trapu, noir de poils.
-Qui êtes-vous? lança-t-elle sèchement.
Le blond esquissa une grimace.
-Souvenez-vous ! Nous venons d'arriver sur Terrania XIX et vous nous avez dit que nous trouverions du travail ici.
-Apparemment, ricana l'autre en désignant le bureau du menton, nous sommes chômeurs avant d'avoir commencé! Dommage. Je crois que nous nous serions plus ici, surtout si vous nous aviez souvent rendu visite.
-Revenez à Palmer-Ville avec moi. Je vous trouverai un autre job.
Elle voulut avancer, mais les deux repris de justice lui barraient le passage. Et ils n'esquissaient pas un geste pour s'effacer. La jeune femme hésita une fraction de seconde.
-Dépêchons-nous, pressa-t-elle. Vous toucherez même une prime d'engagement.
Mais sa voix était un peu moins assurée. Les regards de ces deux types la mettaient mal à l'aise.
-Ça te dirait de travailler pour une bonne femme? lâcha enfin le grand blond.
Son acolyte secoua la tête en riant:
-Pas tellement ! Sur Terre, c'était plutôt les nénettes qui bossaient pour moi !
Ils avancèrent lentement, obligeant Carole à reculer.
-Que voulez-vous? cria-t-elle tandis qu'un frisson de peur courait le long de son échine.
-Toucher notre prime... en nature, dit le grand, dont les joues s'étaient colorées. Faut nous comprendre. En tôle, on n'a pas la possibilité de rigoler. Après, sur le cargonef, on a bien eu une occasion, mais un imbécile est arrivé au mauvais moment.
-C'est ridicule! les défia leur interlocutrice, mobilisant son courage. Ici, la police ne pardonne rien et le capitaine Ling est un ami !
La menace ne provoqua que des hochements de têtes attristés.
-Tu ne voudrais pas, s'esclaffa le brun, que nous disions à ton copain que nous t'avons vu arracher la grenade-tique? Je ne crois pas que votre belle amitié survivrait à cette révélation.
Le coeur de Carole manqua un battement. Elle devait trouver un moyen d'éliminer ccs malfaisants !
-Assez flirté, siffla le blond.
D'un mouvement vif, il saisit la jeune femme par le bras et la plaqua contre lui. Carole se débattit, voulut gifler, griffer. Il lui happa l'autre poignet, le lui ramena dans le dos.
Elle étouffa un gémissement. L'autre bandit avançait la main, défaisait les attaches magnétiques de sa combinaison de toile, dévoilant ses seins, dénudant son ventre.
Elle fut bousculée, trébucha et roula sur le sol. Aussitôt, ses bras furent étirés au-dessus de sa tête. Elle tenta de ruer, de frapper. En vain ! Une force irrésistible lui écarta les genoux ; le colosse blond s'effondra sur elle. Un puissant coup de reins paracheva sa conquête, arrachant un cri de douleur à sa victime.
***
Le capitaine Ling fit déployer ses hommes en tirailleurs devant l'exploitation minière. La trace de violents combats était partout visible. Les policiers progressèrent lentement, étonnés de ne pas rencontrer de résistance, craignant un piège. Ils visitèrent les baraquements extérieurs avant de se regrouper devant l'entrée de la galerie principale.
-Il y a plusieurs cadavres, capitaine. Ils sont méconnaissables, on dirait qu'ils ont été retirés d'un éboulement.
-Les coupables doivent se terrer là-dedans. Il faut explorer ce boyau.
Il désigna deux hommes qui avancèrent en hésitant.
-N'oubliez pas les ordres. Tirez sans hésiter !
Ling essuya son front humide de sueur. Depuis deux jours, une migraine lui taraudait le crâne. Il respira très fort à plusieurs reprises. Puis, soudain, il lui sembla que le nuage cotonneux qui entourait son esprit se déchirait. Il se demanda ce qu'il faisait devant cette mine. -Obéir... Obéir... A qui, à quoi?
Il se répéta la question à mi-voix, avec la désagréable impression d'oublier quelque chose. Sa migraine se dissipait, mais il ne comprenait pas ce qui l'avait amené ici. Deux policiers ressortirent de la galerie, couverts de poussière, toussant et crachant.
-Chef, il n'y a personne là-dedans. Un nouvel éboulement vient de se produire et nous ne pouvons pas aller plus loin !
Ling regarda le soleil, bas sur l'horizon.
-Faites un relevé photographique. Nous reviendrons demain. Sur le chemin de retour, nous passerons par la propriété Fersen. Il aura peut-être des renseignements à nous donner.
***
Un rayon du soleil couchant pénétrait par la fenêtre. Allongée à plat ventre sur la moquette, Carole haletait. Une douleur sourde déchirait son ventre. A un mètre d'elle, ses deux tortionnaires dormaient, abrutis de fatigue et d'alcool car ils avaient déniché une bouteille de whisky. Pendant des heures, elle avait dû subir leurs assauts. Dès que l'un se relevait, l'autre prenait sa place. Cela avait duré une éternité. La jeune femme avait eu de nombreux amants mais jamais d'aussi brutaux, d'aussi pervers. Des fauves en rut! Elle se sentait humiliée, avilie, salie à jamais. Une haine farouche l'emplissait, lui donnant le courage de ramper. Quelques centimètres... quelques centimètres. Suante, tremblante, elle fut bientôt devant le bureau.
Se redresser. Il le fallait! Sa main droite agrippa le pied du meuble. Une traction. Non, elle n'aurait jamais la force ! Elle serra les dents.
« Je les hais, je les hais... »
Soudain, elle se retrouva à genoux, la tête à hauteur de la table. Le tiroir. L'ouvrir sans bruit. Elle tira doucement. Son coeur battait à un rythme désordonné. Sa respiration sifflait. Enfin, elle put avancer la main. Ses doigts se refermèrent sur la crosse du pistolaser. Un ultime effort. Maintenant, elle avait l'arme bien en main. Mais elle tremblait. Elle s'aida de l'autre main. Le canon s'abaissa, se pointa sur la tête du brun. Il était le plus près, dormant la bouche ouverte. Rêvait-il? Avec rage, elle appuya sur la détente. Le rayon rouge fusa, frappa sa cible, ajoutant au milieu du front un troisième oeil très noir.
A l'autre, à présent! Le sifflement avait réveillé le blond en sursaut. En une fraction de seconde, il vit le canon pivoter, se diriger vers lui. Ses réflexes jouèrent aussitôt, plus rapides que sa masse ne le laissait croire. Il plongea sur Carole, retournant l'arme à l'instant où elle pressait la détente. Frappée sous le sein gauche, elle glissa lentement à terre, tuée sur le coup.
L'homme lui arracha le pistolaser et se releva.
-La vache ! gronda-t-il en s'essuyant le front d'un revers de l'avant bras.
Il vérifia que son acolyte était bien mort.
-Dommage! C'était un bon copain, et plein d'idées... Bon il ne s'agit pas de moisir ici!
Il fouilla rapidement le bureau, raflant une poignée de dols.
-Ça me permettra d'attendre quelques jours.
Enfin, il sortit d'un pas pressé. Sous le porche, il s'immobilisa ébloui par le soleil couchant. Aussi ne vit-il pas immédiatement les deux trans qui s'arrêtaient devant la maison. Quand il reconnut les uniformes des policiers, il leva instinctivement son arme. Il n'eut pas le temps d'achever son geste. Trois rayons laser le touchèrent au ventre et à la poitrine. Il hoqueta, tomba à genoux. Une deuxième salve l'acheva.
Les hommes avaient appliqué la consigne de leur chef. Tuer d'abord, faire les sommations ensuite.
« Pourquoi ai-je donné cet ordre? » se demanda Ling.
Un de ses subalternes qui avait pénétré dans la maison, en ressortit secoué de hoquets douloureux.
-Affreux... affreux, bégaya-t-il, les yeux emplis de larmes.