CHAPITRE XIII
Marc avait exploré la galerie à l'aide d'une minuscule torche électrique. Il rejoignit ses compagnons et se laissa tomber à terre à côté d'Elsa.
-Nous sommes coincés dans un boyau d'environ deux cents mètres de long. L'éboulement a bloqué nos assaillants, mais il nous empêche aussi de sortir. D'après ce que j'ai pu voir, d'énormes blocs de roche se sont effondrés sur une longue distance. Il faudrait un matériel considérable pour dégager le passage.
Toujours pratique, Elsa suggéra:
-Tu devrais contacter cette entité. Qui sait si elle n'aura pas une idée pour nous tirer de là?
Une vague de lassitude submergea Marc.
-C'est impossible ! Jamais on ne pourra percer une telle épaisseur de rocher!
-Pourquoi pas? Sur cette planète, tout semble illogique! Essaie, je t'en prie!
Malgré sa fatigue et son découragement, le jeune homme mobilisa sa force psychique. Il obtint aussitôt un contact très net :
-Maître, je suis satisfait de savoir que tu es hors de danger.
-Nous sommes coincés dans cette galerie!
-Effectivement. Je te localise avec précision. Souhaites-tu regagner le domaine des maîtres?
-Je veux surtout sortir d'ici.
-C'est facile, mais cela prendra un peu de temps. En attendant, repose-toi! Je te sens nerveux. Je t'avertirai quand le travail sera terminé.
La communication s'interrompit. Marc secoua la tête. Des élancements douloureux traversaient son crâne.
-Alors? s'enquit Elsa.
-Je ne sais pas! Cette créature semble s'amuser. Elle nous demande de patienter.
-Dans ce cas essayons de dormir.
La jeune femme passa le bras autour du cou de son compagnon et l'attira sur sa poitrine. Il se laissa bercer, les yeux clos.
Il lui sembla n'avoir dormi qu'une fraction de minute lorsqu'Elsa le secoua.
-Marc! Marc! La colline tremble!
Effectivement, des secousses agitaient les parois du boyau. Plusieurs pierres se détachèrent de la voûte, roulèrent avec un bruit sinistre, dangereux. La pensée étrangère frappa les neurones de Marc :
-J'ai terminé! Eloigne-toi du fond de la galerie.
Les trois amis reculèrent tandis qu'une lumière d'une intensité insoutenable éclairait l'extrémité du tunnel. Les yeux douloureux, les Terriens curent besoin de longues minutes pour récupérer un peu de vision. Enfin, ils discernèrent une lueur. Le fond de la galerie avait disparu, et un passage s'ouvrait à sa place.
Le premier, Marc avança. La faille dans la roche était étroite mais laissait le passage pour un homme. Suivi de ses compagnons, il progressa sur plusieurs centaines de mètres, avant de faire une pause, Elsa, le souffle rauque, peinait pour le rejoindre.
Maintenant, une lumière vive était visible au bout du boyau. La liberté? Difficile à croire. D'après sa boussole-chronomètre, il semblait à Marc qu'ils s'enfonçaient toujours plus profondément dans les entrailles de la colline.
Après un bref repos, ils reprirent leur marche.
-Courage, souffla Marc. Nous n'avons plus qu'une centaine de mètres à parcourir.
Effectivement, dix minutes plus tard, ils émergeaient dans une vaste excavation brillamment éclairée. Ils s'immobilisèrent, stupéfaits, en découvrant le spectacle qui s'étalait devant leurs yeux éblouis.
***
Carole pianotait nerveusement sur sa table de travail. Pour la vingtième fois, elle consulta l'horodateur. Puis avec des gestes saccadés, elle composa un numéro sur le vidéophone. Le visage de Fersen apparut sur l'écran. Elle demanda aussitôt :
-As-tu vu Lee et Surk, ce matin?
-Ils sont à Palmer-Ville. Ils devaient...
-Justement non! coupa-t-elle. Je les avais chargés de liquider Ellen. J'avais tout prévu, même un coupable parfaitement présentable. Or, Ling vient de m'appeler. Il a vu la fille en pleine forme! Et tes deux lascars sont introuvables !
-S'ils ont essayé de filer, ils le regretteront.
-Je crois que c'est plus grave ! Joë a également disparu.
Fersen eut un mouvement d'irritation.
-Ils n'ont tout de même pas pu s'envoler! Même morts, on devrait retrouver les cadavres! Enfin... Pour Ellen, que vas-tu faire?
-La liquider au plus vite. Seulement, comble de malchance, elle ne s'est pas présentée à son travail ce matin.
-Tu crois qu'elle se doute de quelque chose ?
-Je ne sais pas! Mais elle n'a pas tenté d'utiliser sa radio: je le saurais, j'ai une écoute permanente... Il y a plus grave ! Ling m'a semblé moins réceptif que d'ordinaire aux ordres, alors j'ai vérifié le cristal sur le bureau de Shore. Il a perdu son pouvoir ! Ce n'est plus qu'un vulgaire morceau de quartz! S'il en est de même des autres, nous courons à la catastrophe!
Fersen étouffa un juron.
-Ne bouge pas ! Je vais vérifier, ceux de ma réserve.
Il ne tarda pas à revenir, pâle, le front barré de rides soucieuses.
-Ils n'émettent plus! Comment est-ce possible?
-Je l'ignore, nous ne connaissons rien de ces pierres. Qui sait si l'air ou la lumière n'épuisent pas leur pouvoir?
-Combien de temps leur effet persiste-t-il sur un cerveau qui y a été exposé?
-Sans doute quelques jours, mais guère plus. D'ici là, il faudra avoir trouvé une solution. Le plus simple serait d'extraire de nouveaux cristaux de la mine. Où en sont les travaux de déblaiement?
-ils débutent à peine! Par la faute de ce maudit Stone, je n'ai plus que six hommes valides! Son évasion a encore aggravé la situation. Al est mort et Igor à l'hôpital. Quand à Mike, il est toujours dans le coma!
-Je t'en envoie deux. C'est tout ce que j'ai pu recruter dans l'arrivage du cargonef.
-Ils iront à la mine renforcer l'équipe de quatre qui s'y trouve. Ce ne sont pas des spécialistes et le travail avance très lentement. Ils n'ont encore dégagé qu'un corps.
-Qui ? demanda Carole, soudain intéressée.
-Un de mes hommes! Stone et la fille sont beaucoup plus loin. Je ne pense pas qu'on pourra les atteindre avant quatre ou cinq jours.
-Secoue tes gars! Sherman m'a appelée. Il ne veut pas qu'on annonce l'accident avant de pouvoir montrer les cadavres, il craint des manoeuvres d'autres groupes financiers.
-C'est son problème ! Dans ce cas, il devra attendre !
-Pas trop longtemps... Il nous faut d'autres cristaux. Tu devrais aller là-bas pour stimuler le zèle de ton équipe. Ils devront travailler nuit et jour !
-Tu as raison. Je termine de donner mes instructions ici et je saute dans mon trans.
Fersen rangea le dossier qu'il consultait puis écrasa la touche de l'interphone.
-Patterson, viens dans mon bureau.
Puis il alla au distributeur se servir un verre. Tout en le buvant à petites gorgées, il jeta un coup d'oeil par la fenêtre et s'étonna de ne pas voir Juan monter la garde.
-Le paresseux, grogna-t-il, il s'est mis à l'ombre de l'autre côté de la maison! Avant de partir, je lui passerai un savon!
Impatient, il renouvela son appel par interphone.
-Lui aussi roupille dans un coin ! Tous des incapables !
Il se servait un nouveau verre lorsque le bruit de la porte qui s'ouvrait le fit se retourner. Il se figea: un grand gaillard brun, massif, vêtu d'une simple combinaison d'astronaute, se dressait sur le seuil !
-Qui êtes-vous? D'où sortez-vous? rugit Fersen.
Sans répondre, l'inconnu avança d'un pas lourd. A l'instant où le propriétaire des lieux allait appeler à l'aide, l'arrivant dit d'un ton froid :
-Inutile de vous égosiller, nous sommes seuls. Vos séides dorment pour l'éternité.
Quelque chose dans sa voix, son assurance tranquille, prouvaient qu'il ne s'agissait pas d'un bluff. La peur s'infiltra dans l'esprit de Fersen. Non ! Il devait réagir.
-Que voulez-vous? Je ne conserve jamais d'argent liquide!
Tout en parlant, il retournait vers sa table de travail: un pistolaser était rangé dans le tiroir supérieur. Il ne put l'atteindre. Avec une vitesse stupéfiante, l'intrus s'était déplacé. Sa main gauche déchira la combinaison de toile de Fersen, la droite se plaqua sur son ventre. Une légère sensation de piqûre, Fersen regarda avec étonnement la sphère métallique de deux centimètres de diamètre, brillante, qui collait à son épiderme. Ses yeux emplis de surprise revinrent ensuite à son visiteur, puis il tendit le doigt pour se débarrasser de cet objet insolite.
-Non!
L'exclamation avait jailli, impérieuse, bloquant son mouvement. Un sourire féroce éclairait le visage de l'inconnu.
-C'est une grenade-tique. Un engin qui contient une substance incendiaire à très haut pouvoir calorifique. Ça se fixe n'importe où, même sur la peau, et si vous essayez de l'arracher, ça explose immédiatement. Maintenant, moi seul ai le pouvoir de le détacher... ou de le faire exploser, même à grande distance.
Une sueur glacée couvrit le corps de Fersen. Une peur panique le bouleversa. Il n'osait plus esquisser un geste.
-En... enlevez ça, bafouilla-t-il. Je vous donnerai tout ce que vous voudrez... Une fortune... Je vais crever... La peur...
Ray se contenta de hocher la tête, goguenard :
-Mais non, vous ne mourrez pas. Enfin... pas tout de suite... Je veux simplement retrouver le capitaine Stone et Mlle Swenson... vivants!
Le teint de Fersen prit une vilaine couleur grisâtre.
-Je ne savais pas... Ce n'est pas de ma faute... Ils se sont enfuis... Dans la mine... Un éboulement...
Marc! Marc! Les neurones électroniques de Ray subirent une surtension brutale. Il attrapa Fersen par l'épaule et le gifla à toute volée.
-Explique-toi, sinon je t'arrache les tripes! gronda-t-il.
L'expression féroce de son visage augmenta encore, s'il était possible, la terreur qui déferlait sur son interlocuteur, qui se mit à parler d'un débit précipité... La capture d'Elsa..., de Stone...
Le pouvoir des cristaux... Les arrangements avec Carole et Sherman... Après l'évasion des prisonniers, leur repli dans la mine... La poursuite...
-Nous ne voulions pas les tuer, termina-t-il. Ils n'avaient pas encore signé.
Ray souleva Fersen à bout de bras.
-Où est cette mine?
-A une heure de trans.
-Conduis-moi! Et attention: à la première fausse manoeuvre, je déclenche le feu d'artifice !
Dans l'entrée, Fersen dut enjamber le corps de son employé. L'angle curieux que faisait son cou prouvait qu'il avait les vertèbres brisées.
-J'ignorais combien vous étiez dans cette maison, et je voulais arriver discrètement jusqu'à toi, expliqua Ray avec un calme inhumain.
Il embarqua son compagnon, qui se tassa sur son siège, et s'installa au volant. Fersen émit un gémissement apeuré tant le démarrage fut brutal. Sans se soucier des protestations des turbines malmenées, l'androïde conduisit à la vitesse maximale, indifférent aux cahots qui secouaient l'engin.
A ce régime d'enfer, une demi-heure suffit pour atteindre l'entrée de l'exploitation. Sans ralentir, Ray la franchit évitant d'un coup de volant la carcasse calcinée du robot de surveillance. Un coup de frein brutal projeta en avant son passager qui hurla de terreur. Tandis que l'intrus sautait à terre, il se laissa aller sur son siège. En quelques minutes, il avait vieilli de vingt ans. Dans ce vieillard au teint terreux, il était difficile de reconnaître le sémillant Fersen !
Quatre hommes travaillaient à l'entrée de la galerie, sans déployer, à dire vrai, une énergie féroce. Seuls quatre ou cinq blocs rocheux déplacés témoignaient de leur activité. En une fraction de seconde, Ray enregistra la scène. Pire que ce qu'il avait imaginé!
-Fichez le camp! hurla-t-il.
Pour toute réponse, l'un des types s'avança, brandissant une pioche. L'androïde l'écarta d'un revers du bras. Malheureusement, le contrôle qu'exerçait d'ordinaire son ordinateur sur ses mouvements était perturbée par la tempête qui bouleversait ses « neurones ». Le sbire de Fersen eut l'impression d'être heurté par un bulldozer. Il décolla de terre et fut projeté cinq mètres plus loin, où il resta inanimé. Les trois autres n'insistèrent pas et s'écartèrent avec une prudente célérité.
Arrivé au contact de l'éboulement, Ray ferma les yeux, utilisant son amplificateur psychique. Trente secondes... Une minute... il n'obtint aucune réponse.
« Peut-être Marc est-il seulement blessé... inconscient. »
Il se retourna vers les trois hommes qui tentaient de ranimer leur camarade:
-Disparaissez, ordonna-t-il. Et ramenez votre patron chez lui.
Comme ils hésitaient, il lança à Fersen: -Dites leur d'obéir, sinon...
La menace était claire et Fersen s'empressa d'appeler ses employés. Avant même que le trans démarra, Ray s'était mis au travail. Il soulevait les blocs de roche puis les rejetait loin derrière lui à une cadence infernale. En une heure, il progressa de plusieurs mètres. La vision d'une botte coincée par un madrier lui fit accélérer encore son allure, mais il découvrit avec un soulagement égoïste, qu'il s'agissait d'un sbire de Fersen.
Une difficulté se présenta: le chemin était barré par un gigantesque quartier de roc pesant plusieurs tonnes. Même lui ne pouvait le bouger. Il lui fallait utiliser son désintégrateur, en dépit des risques d'éboulement que cela comportait.
Procédant par petites décharges, il finit par franchir l'obstacle. La chaleur lourde, étouffante, que cela provoqua, n'avait pas prise sur lui. Il poursuivait sa besogne avec une obstination féroce.
La nuit tombée, il ne ralentit pas son rythme de travail.