CHAPITRE VI

Mike pénétra dans le bureau de Fersen. Son visage avait pris une teinte brique inquiétante.

-Nous avons un pépin, patron. Ce matin, comme chaque semaine, j'ai envoyé une équipe à la mine pour ramasser les diamants et les cristaux. Elle a eu un problème avec le robot de garde.

-Il est déréglé?

-Pire ! Son conditionnement à été modifié. Martin a voulu passer quand même, et il a été tué.

-Comment est-ce possible?

-Je l'ignore! Ce doit être un tour de ce damné Stone. Dois-je donner l'ordre d'attaquer en force?

-Il n'y a pas urgence. Ce genre d'engin est introuvable sur Terrania XIX. Il faudra en faire venir un nouveau de la Terre, ce qui demandera plus d'une semaine. Pendant ce temps, tes hommes devront assurer la garde pour empêcher que le premier miséreux venu se remplisse les poches.

La sonnerie de la vidéo-radio interrompit la discussion.

-Communication personnelle pour M. Fersen, annonça un opérateur.

D'un geste impérieux, le patron congédia son adjoint.

-Attends-moi à côté!

L'écran s'illumina sur un visage sec, le nez en bec d'aigle et les sourcils broussailleux.

-Alors, où en êtes-vous?

-Nous avons de petites difficultés, monsieur Sherman. La fille a une résistance peu commune.

-Votre histoire de cristaux ne m'inspire guère confiance.

-Je vous assure que je les ai testés sur des dizaines de personnes!

« Ceux qui y sont soumis perdent toute volonté et ne songent plus qu'à obéir à n'importe quel ordre, même si cela met leur vie en danger! »

-Comment agissent ces pierres?

-Aucune idée! J'ai constaté leur action, c'est tout.

-D'où viennent-elles?

-Nous les sortons de la mine en même temps que les diamants.

Le visage de Sherman était toujours sombre.

-Stone s'est-il manifesté?

-Oui, monsieur, nous nous en sommes occupés.

-Vous l'avez...?

Son geste de la main fut très significatif.

-Pas encore, mais cela ne saurait tarder.

-N'en faites rien! Il faut auparavant que vous lui fassiez signer et enregistrer les actes dont je vous envoie une télécopie.

Avec fureur, il expliqua :

-Le vieux Newcomb a manoeuvré avec une habileté diabolique. Alors que j'espérais enfin récupérer la majorité des actions de ma banque, il s'est manifesté deux minutes avant la clôture de la souscription.

-Pourquoi ne pas l'en avoir empêché?

-Il avait une procuration parfaitement en règle de Stone, et c'est en son nom qu'il a acheté les actions. Avec ses parts, Stone peut maintenant faire pencher la majorité d'un côté ou de l'autre.

Fersen hocha la tête d'un air entendu, mais ces opérations financières le laissaient perplexe. Sherman reprit d'un ton sec:

-Je pars dans une heure pour Terrania XIX. A mon arrivée, tout devra être liquidé. Débrouillez-vous comme vous l'entendez ! Je ne veux rien savoir! Seul le résultat m'importe! Pas question non plus qu'ils reviennent sur Terre pour porter plainte...

-Aucun danger! J'ai tout prévu. Dès que nos oiseaux auront fait enregistrer leurs donations-ventes par l'ordinateur judiciaire, ils seront conduits sur le Neptune, qui décollera aussitôt.

Jarwin est déjà à bord. Dans l'espace, il branchera le pilote automatique et programmera une autodestruction rapide, puis il s'éjectera dans une capsule de survie qui reviendra se poser discrètement dans ma propriété. Ce sera un banal accident...

-Exactement ce qu'il nous faut! Ainsi, tout le monde sera satisfait. Vous aurez votre mine, moi ma banque, et les héritiers de Mlle Swenson se partageront sa fortune.

Après un instant d'hésitation, Fersen marmonna :

-Pourquoi ne pas profiter de l'occasion pour vous faire attribuer une ou deux autres compagnies? On dit qu'elle en possède des dizaines.

-Qu'elle n'a aucune raison de nous vendre ! Ce serait la meilleure manière d'attirer les soupçons de la Sécurité Galactique. Mieux vaut en rester à notre plan initial ! Allons, ne perdez plus de temps, au travail.

La communication coupée, Fersen resta un moment songeur. Puis il poussa un profond soupir. Le vieux Sherman avait raison, mais il était désolant de laisser s'envoler une telle montagne de fric. S'il trouvait une occasion, peut-être...

Finalement, il déplia sa grande carcasse et sortit de la pièce.

-Allons voir ce que deviennent nos oiseaux !

Escorté de Mike, il se rendit au sous-sol. Les trois prisonniers étaient assis par terre, adossés au mur. Avec dépit, le colosse constata que leur regard restait vif. L'action des cristaux ne se faisait pas encore sentir!

-Alors, mademoiselle Swenson, êtes-vous devenue raisonnable? Il suffit d'une malheureuse signature pour que vous retrouviez la liberté, et une mine de plus ou de moins ne compte pas en regard de votre immense fortune, alors qu'elle est tout pour moi!

Elsa ne se donna pas la peine de répondre, se contentant de secouer la tête. De colère, Fersen tapa du pied.

-Je ne fais que reprendre mon bien! C'est vous la voleuse!

Très excité, la face écarlate, il poursuivit:

-Vingt ans ! J'ai trimé pendant vingt ans sur mon domaine pour l'agrandir, pour développer l'élevage, pour repousser la forêt ! il y a deux ans, lorsque les géologues ont découvert le filon diamantifère, j'ai immédiatement déposé une demande de concession d'exploitation. Seulement vous êtes arrivée, avec vos millions, et le gouverneur vous a donné la préférence.

Avec un rire mauvais, il ajouta:

-Depuis, j'ai su lui faire regretter son geste. Il a été très sensible à l'action des cristaux !

-La décision était logique et approuvée par la Terre. Vous n'auriez jamais disposé des capitaux nécessaires pour débuter l'exploitation. Avec moi, la production a déjà démarré, et Terrania XIX touchera une redevance dès cette année !

-J'aurais trouve l'agent nécessaire auprès des banques!

-Et le remboursement des seuls intérêts vous aurait rapidement ruiné...

Fersen haussa ses robustes épaules.

-Si vous ne voulez pas crever dans cette cave, vous céderez. Sur Terre, vous êtes une importante personnalité, mais ici, c'est moi qui commande. Vous finirez par le comprendre.

Se tournant vers Marc, il poursuivit:

-Vous aussi, vous aurez une signature à donner. Il semble que vous ayez donné une procuration qui a beaucoup gêné quelqu'un. Il faudra réparer cette erreur! Regardez bien les cristaux, ils vous conseilleront utilement.

Il allait sortir, quand Mike murmura à son oreille :

-Stone ne semble guère plus sensible que ses compagnons. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait un peu l'amollir?

Se massant le poing, il continua:

-Les vieilles méthodes ont parfois du bon !

Fersen passa délicatement un index sur son oeil tuméfié.

-Bonne idée mais ne l'abîme pas trop! Il faut qu'il soit présentable pour aller devant l'ordinateur judiciaire confirmer sa signature. Tâche de savoir comment il a modifié le robot.

Mike sortit son pistolaser de l'étui pendu à sa ceinture. Il le pointa sur Marc.

-Debout! Nous allons nous promener!

Il poussa son prisonnier dans le couloir jusqu'à une petite pièce éclairée par un minuscule soupirail. Ils y furent rejoints par deux solides gaillards.

-Tenez-lui les bras, ordonna Mike en levant le poing.

Le coup atteignit Marc à l'estomac, déclenchant une gigantesque nausée. La brute frappa une seconde fois. La douleur fut si intense que le prisonnier sentit ses jambes fléchir ; mais les deux sbires l'immobilisaient.

Mike, un sourire goguenard aux lèvres, recula d'un pas. Mais à l'instant où il s'élançait en avant, il fut cueilli par un magistral coup de pied entre les jambes. Il se plia en deux, hurlant de souffrance. Dans la seconde qui suivit, l'homme qui se cramponnait au bras droit de Marc reçut un coup de talon sur le tibia droit. La douleur lui fit relâcher sa prise. Le captif en profita pour dégager son bras d'un geste brusque et frapper du coude l'estomac de son adversaire ; celui-ci se pencha en avant, pour recevoir une lourde manchette sur la nuque qui lui fit perdre connaissance.

Surpris par la violence et la rapidité des événements, le troisième malfrat était resté accroché au prisonnier comme un naufragé à sa bouée. Marc fléchit les jambes et, d'un violent déhanchement, fit passer le bandit par-dessus son épaule. L'autre retomba lourdement sur le dos.

Une sensation de danger fit se retourner l'agent du S.S.P.P. Une fraction de seconde trop tard ! Un poing énorme percuta sa joue avec une force inouïe. La tête bourdonnante, il trébucha. D'un mouvement instinctif, il évita cependant un direct qui ne fit que frôler son oreille droite. Mike était reparti à l'attaque, avec sa violence coutumière. Marc contra des deux poings, nettement en dessous de la ceinture. L'air quitta les poumons de son opposant dans un drôle de sifflement. Malheureusement, c'était insuffisant pour l'abattre. Il riposta aussitôt. Le Terrien évita un direct du droit, mais ce fut son oeil qui para le gauche qui suivait.

Un atémi à la carotide, porté à fond, fit ensuite virer au pourpre le teint déjà coloré de Mike. Marc tenta de prendre un peu de distance, mais l'exiguïté du local l'en empêcha. Avec un hurlement de rage, son adversaire se jeta sur lui, les bras écartés.

Le prisonnier n'eut d'autre ressource que de se laisser tomber sur le clos. Il leva les deux jambes, et Mike, emporté par son élan, bascula au-dessus de lui. La tête du malfrat heurta violemment la cloison, qui vibra sous le choc.

Le coeur battant à se rompre, le souffle rauque, Marc se redressa... pour se retrouver face à un autre bandit, qui soutenait son épaule luxée. L'homme de main n'en lança pas moins son genou en avant. Marc amortit le coup sur la cuisse et contra d'un droit au menton. Il sut qu'il avait atteint son objectif en voyant le regard de l'autre se voiler.

Un grognement l'obligea à se retourner. Mike repartait à l'assaut. Effrayant! De ses deux arcades sourcilières ouvertes sourdaient des ruisselets de sang qui lui coulaient sur le visage. Un masque de cauchemar!

Epuisé, Marc esquiva imparfaitement la charge et se trouva propulsé dans un angle de la pièce. Coincé! Les murs l'empêchaient d'esquiver. Et la brute n'était plus qu'à un mètre de lui, les yeux brillants d'une rage meurtrière. Un coup violent coupa la respiration du Terrien, qui riposta cependant d'un droit, achevant de fermer l'oeil de son adversaire.

Mike était contre lui, empêchant tout mouvement. Une douleur à l'estomac! Marc flottait dans un brouillard rouge. Tout près, le visage de Mike, son regard dément... Le prisonnier lança la tête en avant. Un choc d'une brutalité extrême. Il perçut un craquement, juste avant de sombrer dans le néant.

La porte s'ouvrit bientôt et Fersen s'immobilisa sur le seuil, les yeux ronds.

-Bon Dieu! Les imbéciles!

Se tournant vers l'homme qui le suivait, il ordonna :

-Va chercher de l'aide et appelle le toubib. Il ne faut pas qu'il crève maintenant.

Une demi-heure plus tard, le praticien, petit homme replet au visage rond, pénétrait dans le bureau de Fersen.

-Je ne veux pas savoir ce qui est arrivé, attaqua-t-il d'un ton sec qui contrastait avec sa physionomie épanouie. Je fais mon travail de médecin, c'est tout.

-Je ne vous en demande pas plus, docteur, répondit Fersen d'une voix conciliante. Alors?

-L'homme que je ne connais pas a été sérieusement sonné. Toutefois, il devrait reprendre connaissance assez vite. En dehors de nombre d'hématomes, il ne souffre d'aucune lésion.

-Et les autres?

-Al est déjà debout. Demain, il sera rétabli. En revanche, il faut transporter Lee et Mike à l'hôpital. Lee a une luxation de l'épaule à réduire, mais c'est Mike qui me cause le plus d'inquiétude. Il est sérieusement amoché, et je crains une fracture du crâne!

Réprimant une grimace, Fersen assura le praticien de sa reconnaissance.

-Naturellement, les frais sont à ma charge. Merci, docteur.

Le médecin parti, il appela un de ses hommes.

-Igor, fais redescendre Stone à la cave ! Sa vue amollira peut-être la fille.

De fait, Elsa poussa un grand cri lorsqu'elle vit les deux gardes lancer sur le sol le corps inanimé de Marc. Son visage était tuméfié, et un filet de sang avait coulé de sa narine gauche.

-Marc, Marc! appela-t-elle, perdant pour une fois son calme.

Yuko la rassura :

-Il n'est qu'évanoui. Apparemment, il n'a rien de grave. Le pouls est bon. Croyez-moi, mademoiselle, la pratique des arts martiaux, dans mon pays, nous enseigne certaines choses.

Effectivement, leur compagnon ne tarda pas à reprendre connaissance. Il étouffa un gémissement en tentant de se redresser. Elsa lui passa sur le front un linge humide.

-Ne bouge pas ! Pour l'instant, il n'y a aucun danger.

Yuko lui tendit un gobelet d'eau.

-Merci, murmura Marc, qui referma les yeux. J'ai besoin de dormir quelques heures. Ensuite, tout ira bien.

Elsa voulut insister pour qu'il reste éveillé, mais il refusa:

-Non, je t'en prie, un bon somme me remettra d'aplomb.

Même à elle, il ne pouvait tout expliquer. Au cours d'une mission sur la planète Ryg, il avait rencontré une charmante jeune femme paraissant à peine trente ans. En réalité, elle était âgée de deux siècles ! Il lui avait sauvé la vie, et la belle inconnue l'avait fait profiter des connaissances en biologie de sa race. Aussi, maintenant, son organisme pouvait se régénérer à une vitesse dix fois supérieure à la normale !