CHAPITRE VIII
Une heure avait suffi à Ray pour arriver à destination. Il abandonna son trans et examina la propriété: une construction blanche à deux étages se dressant au milieu d'un parc clôturé par une barrière d'apparence bien anodine.
L'androïde resta immobile un long moment, tous ses détecteurs en fonctionnement.
« Radar sur le toit, ceinture électrifiée, deux robots de surveillance », énuméra-t-il en lui-même.
Le barrage électrique ne dépassait pas deux mètres de hauteur. L'androïde actionna donc ses antigrav et s'éleva avec douceur dans le ciel. Pas trop haut, pour ne pas entrer dans le champ des radars du toit.
Il approcha ensuite de la maison, autour de laquelle deux robots effectuaient une ronde monotone. Lorsqu'ils se croisèrent, le visiteur actionna sans remords son désintégrateur. L'éclair mauve fit disparaître les deux machines !
La porte d'entrée était fermée et une seule fenêtre était illuminée, au premier étage. Ray se hissa à sa hauteur pour lancer un regard dans la pièce. C'était une vaste chambre agréablement meublée, éclairée par des spots tamisés. Sur un grand lit, un homme brun taillé en athlète et une jeune et jolie blonde jouaient à un jeu vieux comme le monde.
L'androïde poussa la fenêtre, qui était entrebâillée, et sauta en silence dans la pièce. Il marcha vers la couche. La fille, la première, l'aperçut et poussa un cri. Son compagnon se retourna. Il bondit aussitôt du lit et voulut se lancer sur Ray. Mais un direct sec et précis le toucha à la pointe du menton, son regard se voila, ses jambes fléchirent et il glissa sur l'épaisse moquette.
La blonde ouvrait la bouche quand une main d'acier se referma sur sa gorge, bloquant le hurlement qui allait en jaillir.
-Une question, une seule réponse, dit Ray d'une voix d'un calme inquiétant. Sinon, je serre.
Parfaitement immobile, sa victime acquiesça d'un battement de paupières.
-Le capitaine Stone vous a loué un astronef. Quelle était sa destination?
-Terrania... Terrania XIX! Je me souviens de lui. Un beau garçon. Il avait à peine quitté le comptoir que Terry et un copain à lui sont arrivés. Ils m'ont expliqué que c'était une erreur. Ils ont versé 100.000 dols en liquide, en disant qu'il fallait rembourser Stone et inscrire le nom de Smith.
-Et vous avez accepté?
Un peu de rouge colora les joues de la jeune femme.
-Terry m'a donné 10.000 dols et m'a invitée à passer quinze jours dans sa propriété.
Ray hocha la tête.
-Vous avez sauvé votre vie! Lorsque vous vous réveillerez, vous pourrez appeler les flics. En attendant, excusez-moi !
Il la frappa au menton avec une force juste suffisante pour lui faire perdre connaissance. Puis il saisit à bras-le-corps Terry toujours inconscient et s'élança par la fenêtre en actionnant ses antigrav. Ceux-ci étaient assez puissant pour soutenir deux corps. Ainsi, un androïde en mission pouvait sauver l'agent qu'il escortait.
Il atterrit en douceur sur la pelouse et contourna la maison toujours obscure. Sur l'arrière se trouvait une piscine de belles dimensions. Saisissant sans façon par les pieds sa victime inanimée, Ray la plongea dans l'eau.
L'effet du bain ne se fit pas attendre: Terry Dolan se réveilla, toussant et crachant. Son compagnon l'allongea sur le dallage.
-Pourquoi avoir monté cette combine contre Stone?
-Je ne sais rien! Fichez-moi la paix, sinon je vous jure que vous n'aurez pas trop de toute votre brève existence pour le regretter!
Ray frappa son interlocuteur. Un lourd revers de main qui écrasa le nez, les lèvres et la bouche.
L'homme cria, la bouche en sang, et expulsa deux incisives.
-A la troisième gifle, dit Ray imperturbable, même ta mère ne te reconnaîtra plus!
Terry était très fier de son allure de play-boy qui lui assurait nombre de bonnes fortunes. La perte de ses dents, petits cailloux blancs et rouges qui avaient roulé sur le dallage de la piscine, brisa sa résistance. D'autant que, déjà, son tourmenteur levait à nouveau la main.
-Arrêtez! Je suivais les ordres de Sherman. Il ne voulait pas qu'on sache que Stone s'était rendu là-bas. Il devait disparaître sans laisser de trace, pour ne pas attirer l'attention de la Sécurité Galactique sur cette planète.
-Où est Sherman?
-Il est parti ce soir pour Terrania XIX. Il semble qu'il y ait eu un accroc dans son plan. Il doit d'abord obtenir une signature avant d'éliminer Stone.
-Il compte donc le tuer.
La voix froide et impersonnelle de l'androïde trompa Dolan.
-Si Fersen a obtenu ce qu'il voulait, c'est peut-être déjà fait.
Il n'aurait jamais dû dire cela. Pas au moment où colère et angoisse agitaient les neurones électroniques de Ray. Le poing du robot partit, rejetant en arrière le play-boy. Son crâne heurta violemment le dallage.
Sans un regard pour sa victime, Ray rejoignit son trans au pas de course. Si un chronométreur avait observé la scène, il aurait été étonné de voir battre le record du monde du kilomètre !
Tout en conduisant aussi vite que le permettaient les turbines de son véhicule, Ray réfléchissait. Avant de gagner l'astroport, il lui fallait repasser à l'appartement pour convaincre l'ordinateur bancaire de libérer l'argent nécessaire à une location d'astronef. S'il n'y parvenait pas, il était bien décidé à voler un vaisseau.
Il était près de sept heures lorsqu'il s'installa devant la machine. A cet instant, la sonnerie du vidéophone retentit. D'un geste machinal, l'androïde établit le contact. Le visage austère de l'amiral Neuman, chef de la Sécurité Galactique, se dessina sur l'écran.
-Je suis content d'enfin te trouver, Ray. Je t'ai fait chercher toute la nuit quand j'ai appris que Steeman avait achevé de te réparer. Viens immédiatement à mon bureau!
Devant la mine hésitante du robot, Neuman ajouta :
-C'est très important pour le capitaine Stone!
Puis, en personnage qui n'envisage pas qu'on puisse discuter ses ordres, il coupa la communication. Cet appel contrariait Ray, qui craignait de perdre du temps. Toutefois, il aurait été maladroit et dangereux de ne pas se rendre à cette convocation...
***
Le colonel Stil pénétra dans le bureau de l'amiral. Il était petit, grassouillet, avec un visage rond et de bonnes joues rouges. Tout le contraire de son patron, grand, sec, l'air austère et les cheveux grisonnants.
-L'androïde est arrivé, annonça-t-il. Croyez-vous que nous pouvons le lancer...
D'un geste de la main, Neuman interrompit son subordonné.
-Faites-le entrer.
Ray avança vers la table-bureau et s'immobilisa.
-Inutile de perdre du temps. Sais-tu où est le capitaine Stone?
-Sur Terrania XIX, répondit Ray sans hésiter.
L'amiral hocha doucement la tête.
-Cela recoupe un renseignement que j'ai reçu. Toutefois, mes services n'ont retrouvé aucune trace de son départ.
-Il a utilisé un yacht de location de la Compagnie Galaxie-Service. Mais un certain Terry Dolan a soudoyé l'hôtesse pour qu'elle efface son nom. Il travaille pour Frank Sherman.
Une lueur d'intérêt brilla dans le regard de Neuman. Se tournant vers Stil, il ironisa:
-Il a été plus efficace en quelques heures que vos services en deux jours !
-Amiral, reprit Ray, il est urgent d'aider le capitaine Stone et Mlle Swenson : ils courent un grand danger!
-Je le crains, en effet. Malheureusement, la Sécurité Galactique ne peut intervenir sur une planète extérieure sans une demande pressante des autorités locales.
-Dans ce cas, je souhaite partir immédiatement.
-Je connais l'attachement que tu portes au capitaine. Seulement s'il est tombé dans un piège dès son arrivée, il peut en être de même pour toi. Il te faut un camouflage.
Neuman sortit d'un tiroir un dossier, qu'il ouvrit.
-Hier, un petit truand du nom de Rike Kase a été condamné par l'ordinateur judiciaire à être expulsé de la Terre. Il devait être embarqué sur un cargonef qui part dans deux heures pour Terrania XIX. Une puérile tentative d'évasion cette nuit lui a coûté la vie. Mais l'événement a été tenu secret. Tu prendras donc sa place. Arrivé à destination, tu pourras commencer tes recherches, et nul ne te soupçonnera.
Il tendit une longue feuille dactylographiée.
-Tout sur la vie de Kase.
Ray s'en empara et, après avoir jeté un coup d'oeil dessus, la reposa sur le bureau.
-Tu dois l'apprendre, pour le cas où on te questionnerait.
-C'est fait.
L'amiral esquissa une grimace.
-C'est vrai, j'oubliais tes capacités mémorielles. Bon, tu vas passer à côté. Pour la vraisemblance, deux gardes de la Sécurité te conduiront à l'astroport. Attention! Ils ne sont pas avertis de la substitution. Bonne chance... et je compte sur toi pour me faire un rapport détaillé à ton retour.
Ray sorti, Neuman se laissa aller contre le dossier de son fauteuil. Il arborait la mine réjouie du chat qui vient enfin de se régaler du poisson rouge de sa maîtresse.
-Croyez-vous qu'il puisse réussir? Un androïde est conditionné pour répondre selon sa programmation. A la première question insolite, il restera muet et se trahira, observa Stil.
Son supérieur épousseta un brin de poussière sur son bureau.
-Ray est exceptionnel, c'est pour cela que je l'ai choisi.
Le regard soudain dur, il ajouta:
-Il se déroule sur Terrania XIX des événements graves dont nous ignorons la nature. Le gouverneur, contacté par le ministère des Affaires Galactiques, a paru très mal à l'aise, comme si un danger le menaçait, mais il n'a rien voulu dire. Le Président nous a alors demandé une enquête discrète. De plus, le silence, de Mlle Swenson commence à intriguer son entourage, et le vieux Newcomb ne manque pas de relations. Or, comme par hasard, notre meilleur agent sur cette planète est mort dans un curieux accident. Nous n'avons plus là-bas qu'un seul contact ! Je suis persuadé que Ray sera très efficace, surtout s'il sait son maître en danger.
Les joues du colonel s'empourprèrent un peu plus.
-Justement, amiral, ne craignez-vous pas qu'il se livre à de dangereuses exactions qui pourraient nous valoir par la suite des désagréments ?
Neuman fixa son subordonné, l'air faussement étonné.
-Je ne vois pas comment le Service pourrait être responsable des débordements d'un androïde domestique déréglé.
Stil s'empressa d'approuver.
-Je préviens notre agent sur Terrania XIX?
-En aucune façon! En cas de... euh... incidents, il est préférable que vous et moi soyons les seuls initiés. Cela limitera les risques de fuite! Suivez personnellement cette affaire, et tenez-moi informé des moindres détails.