CHAPITRE XIV

-Extraordinaire, souffla Marc.

L'étroite faille débouchait dans une vaste caverne éclairée par plusieurs projecteurs. Au centre, sur un socle de pierre, se dressait un cristal gigantesque, sphérique, de près de deux mètres de diamètre. Il devait comporter des milliers de facettes et renvoyait la lumière comme des centaines de prismes.

A côté de lui se tenait un gros ovoïde multicolore pourvu d'une dizaine de tentacules. Ceux-ci s'agitèrent tandis que l'onde psychique atteignait Marc :

-Entre, tu es dans ton domaine. Je suis le gardien du cristal.

Intimidés, les Terriens avancèrent de quelques pas. L'ovoïde reprit:

-Je sens que tu es épuisé!

-Je meurs surtout de curiosité.

-Je te donnerai des explications plus tard. Actuellement, ton esprit ne pourrait les supporter. Il faut d'abord te reposer. Les appartements des maîtres sont là-bas.

Un tentacule désignait une porte métallique.

Les arrivants traversèrent la grotte. Par une méfiance instinctive, ils restèrent à une distance prudente du cristal. La porte indiquée poussée, une lumière s'alluma devant eux. Ils se trouvaient dans une pièce spacieuse, meublée de cinq ou six tables rondes entourées de fauteuils. Dans un angle se dressait une grande armoire métallique. Un distributeur alimentaire! A leur entrée, il s'était mis à ronronner doucement.

-Incroyable ! s'exclama Elsa. Voyons s'il fonctionne. J'avoue que je meurs de soif!

Marc repéra une série de touches. Des inscriptions rédigées en une langue inconnue indiquaient sans doute leur fonction. Après avoir effleuré plusieurs boutons au hasard, il reçut un gobelet empli d'un liquide vert, un de rose et une assiette contenant des cubes bleus gélatineux.

Il goûta tout cela avec prudence. Oui sait si ces fameux maîtres ne possédaient pas un métabolisme à base d'acide cyanhydrique? Les boissons étaient fraîches, agréables, mais d'un goût difficile à déterminer. Les cubes, eux, étaient franchement insipides. Les fuyards, qui n'avaient rien absorbé depuis vingt-quatre heures, furent cependant heureux de trouver cette manne.

Une fois rassasiés, ils sentirent une douce somnolence les envahir. Yuko, qui avait exploré les alentours, revint en annonçant:

-J'ai découvert un bloc sanitaire qui fonctionne et plusieurs chambres.

Elsa se leva en grimaçant un sourire.

-Je pense avoir droit au premier essai! J'ai l'impression que cette combinaison me colle à la peau. Cherchez si vous ne trouvez pas des vêtements de rechange.

Vingt minutes plus tard, elle repassait la tête pas l'entrebâillement de la porte.

-La place est libre! sourit-elle. Bonne nuit!

Marc lui succéda. Il resta un long moment dans l'eau puisée qui massait agréablement tout le corps, pour se débarrasser du sang, de la poussière et de la sueur qui s'étaient collés à sa peau depuis son arrivée sur Terrania XIX.

Après un passage sous des jets d'air chaud, il enfila un peignoir de bain qui était apparu automatiquement. Les maîtres avaient une notion certaine du confort!

Dans le couloir, au moment de choisir une chambre, il s'arrêta, hésitant. Une porte s'ouvrit et le visage d'Elsa apparut.

-Viens, chuchota-t-elle.

Dès qu'il eut pénétré dans la pièce, elle se colla contre lui. Son peignoir, ouvert flottait autour de sa taille, glissait de ses épaules. Marc pressa la jeune femme contre lui. Ses lèvres effleurèrent les siennes.

-Marc, je ne sais ce que l'avenir nous réserve, mais je veux profiter de ce sursis !

Lentement, avec une douceur féline, elle attira son compagnon vers le lit. Au contact de ce corps soyeux, d'une beauté sculpturale, il sentait sa fatigue s'envoler.

-Pendant toutes ces heures, dans la cave de Fersen, je n'ai pu résister aux suggestions des quartz qu'en pensant à toi. Je crois avoir évoqué toutes les minutes que nous avons passées ensemble, depuis notre rencontre sur Vénusia. Te souviens-tu du soir où nous avons fait l'amour comme des collégiens au bord de la piscine, alors que d'austères invités nous attendaient au salon? murmura Elsa.

Marc l'embrassa sur le nez.

-Nous aurons encore de merveilleux moments, je te le promets.

Ils basculèrent sur la couche et un voluptueux tourbillon les emporta, intense, impérieux, comme un perpétuel renouvellement.

***

Carole pénétra d'un pas pressé dans le bureau de Fersen. Ce dernier était affalé dans un fauteuil, les jambes allongées, le ventre à l'air, exhibant un drôle de petit objet brillant. Son visage ruisselait de sueur et de gros cernes soulignaient ses joues.

-Que se passe-t-il ? gronda la jeune femme. Pourquoi n'ai-je obtenu aucune réponse, ni ici, ni à la mine ? Que fais-tu là alors que tu avais promis de surveiller tes gars?

Devant l'absence de réponse de son amant, elle frappa le sol du talon de sa botte.

-Secoue-toi! Ce n'est pas le moment de s'endormir! Où sont les hommes?

Fersen eut un geste vague de la main.

-Morts, partis...

D'une voix éteinte, il poursuivit :

-Une créature de cauchemar... Une force maléfique... il est venu... Juan, Patterson... morts... Il m'a traîné à la mine... Il a chassé ceux qui y travaillaient... Ils sont partis en ville, ils m'ont laissé seul ici.

Intriguée, la secrétaire contempla la petite chose sur le ventre de son interlocuteur. Machinalement, elle tendit la main.

-Non! hurla-t-il. C'est une grenade-tique. Si on l'arrache, elle explose. II... il peut la faire exploser à tout moment. C'est horrible.

-Qui est-ce?

-Je ne l'avais jamais vu. Il ne m'a pas dit son nom, et j'étais mal placé pour l'interroger.

-Un flic? La Sécurité Galactique?

-Je ne pense pas. Il cherchait Stone. S'il trouve son cadavre, je n'ose imaginer ce qui arrivera !

-Et tu restes avachi dans ton coin sans protester!

Fersen émit un ricanement lugubre.

-Que veux-tu que je fasse, avec ce truc? D'une seconde à l'autre, il peut sauter!

Carole avait saisi sur le bureau une longue cravache, dont elle frappait nerveusement la tige de sa botte droite.

-Il faut réagir ! Si ce type est seul à la mine, c'est le moment d'en profiter pour l'attaquer. Nous ne pouvons laisser cet énergumène détruire tout notre travail!

-S'il se sent menacé, il n'hésitera pas à me tuer! Je suis persuadé qu'il ne bluffait pas.

L'argument ne semblant pas ébranler sa maîtresse, Fersen ajouta:

-Si je disparais, toi aussi, tu seras ruinée.

Carole semblait perdue dans ses pensées. Mais à ces mots, ses traits se crispèrent et ses yeux brillèrent dangereusement.

-Je ne crois pas, murmura-t-elle, d'une voix trop douce. Te souviens-tu de l'acte de donation en cas d'accident que tu m'as signé, un soir où tu avais une envie folle de me faire l'amour?

-Il n'a aucune valeur ! Il n'était pas daté et n'a pas été enregistré par l'ordinateur judiciaire.

Un sourire narquois étira les lèvres pulpeuses de la jeune femme.

-Je crains que tu ne commettes une légère erreur. Des le lendemain, je l'ai fait valider. J'ai même payé les droits d'enregistrement. Seulement tu es toujours très occupé, alors je n'ai pas voulu t'ennuyer avec ce genre de détail.

-Garrec ! siffla Fersen. Tu t'es bien fichue de moi !

-Plus de grands mots, ironisa Carole. Nous nous sommes mutuellement rendu service. Maintenant, nos routes divergent.

Elle avança d'un pas, contemplant d'un air dégoûté son amant suant d'une peur immonde. Puis, soudain, son bras se détendit. Avec une précision redoutable, l'extrémité de la cravache frappa la sphère métallique.

La force de l'explosion surprit la secrétaire, qui recula avec précipitation tandis que jaillissait une grande flamme rouge orangé aveuglante. Fersen poussa un hurlement de douleur en tombant à terre. Puis une épouvantable odeur de chair calcinée se répandit dans la pièce, alors que des spasmes le secouaient. Enfin, il s'immobilisa.

Tout son torse était remplacé par un magma charbonneux d'où suintait par endroits quelques gouttes de sang. Carole retrouva vite son calme, s'installa derrière le bureau et utilisa le vidéo-phone.

-Monsieur Sherman, nous avons des problèmes. Un individu que je n'ai pu identifier a assassiné Fersen et s'est retranché dans la mine. Si nous voulons retrouver le corps de Mlle Swenson, il faut que je demande l'aide du gouverneur et de sa garde. Je compte sur vous pour appuyer ma demande.

-Je croyais que le gouverneur vous était tout dévoué.

La jeune femme secoua la tête avec un sourire gêné.

-Il se pourrait que l'effet des cristaux cesse de se faire sentir. Dans ce cas, votre intervention sera indispensable pour que nous obtenions ce que nous souhaitons.

Le financier pinça les lèvres et répondit d'un ton sec:

-Désolé, mais de mon côté, la situation a aussi évolué. J'ai noué des alliances, ce qui fait qu’avec mes amis, nous contrôlons plus de quarante pour cent du capital de ma banque. Comme Mlle Swenson n'a donné aucune procuration, cela nous assure une confortable majorité. Je préfère donc qu'elle soit seulement portée disparue: cela figera la situation pendant plusieurs années, tandis que si elle est officiellement morte, sa succession sera ouverte et un administrateur provisoire nommé.

Carole voulut insister, mais il trancha:

-Mieux vaut mettre un point final à nos relations. Je ne vous connais pas, je ne vous ai jamais connue. Adieu. Dans une heure, j'aurai quitté Terrania XIX.

Furieuse, Carole raccrocha et resta un long moment pensive. Finalement, elle composa le numéro du capitaine Ling. Au regard flou du policier, elle comprit qu'elle avait encore une chance. Elle articula avec force:

-La mine Swenson a été attaquée. Vous devez vous rendre là-bas avec tous les hommes disponibles. Les coupables devront être abattus sur place... Abattus sur place.

-Mais... mais...

-C'est un ordre! Abattre sur place... Vous devez obéir... Obéir.

Le regard de Ling se ternit encore.

-J'obéis, murmura-t-il. J'obéis...