CHAPITRE IX
Deuxième jour de voyage. Allongé dans sa minuscule cabine, Ray bouillait d'impatience. Une seule idée obsédait ses neurones. Marc... Marc... Il envisageait toutes les hypothèses, même la pire, ce qui déclenchait en lui une tempête épouvantable, une vraie folie meurtrière. Il ne s'était intégré à aucun groupe de voyageurs. Ceux-ci se divisaient en trois catégories: les passagers de luxe, qui disposaient d'un salon particulier ; les colons, les plus nombreux, emplis de, l'espoir de trouver une vie nouvelle ; et quelques expulsés comme lui. La Terre se débarrassait ainsi des indésirables en les expédiant sur les planètes de peuplement récent.
L'androïde se leva. Pour ne pas attirer l'attention, il s'obligeait à prendre des repas à heures régulières. Les ingénieurs avaient prévu dans son arrière-gorge une cavité où les aliments étaient désintégrés. L'énergie recueillie, quoique minime, était envoyée au générateur.
Il longea l'étroite coursive. Sur un cargonef, la place était rare, donc chère, et ne devait pas être gaspillée. Soudain son ouïe électronique perçut des gémissements étouffés provenant d'une cabine. Une voix féminine:
-Non, non, laissez-moi partir! Vous n'avez pas le droit...
-Boucle-la! On ne te fera pas de mal, on veut juste s'amuser un peu !
-Je vous en prie, lâchez-moi !
Ray appuya sur la poignée de la porte. Fermée! Il pesa plus fort, arrachant la serrure. Le battant pivota. Une jeune femme à moitié déshabillée était allongée sur l'étroite couchette. Un type très brun, au front bas, lui maintenait les bras au-dessus de la tête tandis qu'un autre, un grand blond solide, tenait de s'insinuer entre ses cuisses dénudées malgré une rude défense. Nul doute qu'il serait parvenu à son but sans l'irruption de l'androïde.
Le blond tourna la tête et dévisagea l'intrus d'un air furieux.
-Au secours! cria sa victime.
Une main s'appliqua brutalement sur sa bouche.
-Fiche-nous la paix, grogna le costaud, ou attends ton tour!
Sans un mot, Ray avança. Les autres n'avaient pas encore réagi qu'il frappait sèchement la brute au niveau de la nuque. Assommé net, le type s'écroula sur le corps de la jeune femme. Son complice n'eut pas plus de chance. Avant qu'il ne songe à lever les bras pour se protéger, un poing horriblement dur l'atteignit à la racine du nez, le projetant contre la cloison qui vibra sous le choc.
Toujours silencieux, l'arrivant souleva le blond à bout de bras. Il le tint en l'air une seconde puis le laissa retomber sur le sol, où il s'affala avec un bruit mou. Du sang coula de son nez écrasé.
Hébétée, la victime des voyous était restée immobile, ne songeant pas à réparer le désordre de sa toilette. Ray lui tendit une main pour l'aider à se lever.
-Rajustez-vous. Vous n'avez plus rien à craindre.
La jeune femme se vêtit avec des mains tremblantes et remit en place sa chevelure châtain. Un peu de couleur revenait à ses joues. Dans la coursive, Ray annonça:
-J'allais dîner, voulez-vous venir avec moi ?
-Oh ! oui, merci, j'aurais trop peur de rester seule.
Après avoir pris une assiette au distributeur automatique, ils s'installèrent à une petite table. Ray apprit que sa compagne se nommait Rosy Stromme et qu'elle rejoignait son mari sur Terrania XIX.
-Il possède une ferme. Une belle exploitation où nous vivrons heureux... grâce à vous. Si ces deux hommes m'avaient violée, je pense que mes relations avec mon mari n'auraient jamais plus été les mêmes...
-Oubliez tout cela! Je vais vous raccompagner à votre cabine.
-Ne craignez-vous pas que ces brutes veuillent se venger?
L'androïde éclata de rire.
-Aucun danger! Il leur faudra des heures pour se remettre de leur migraine et nous débarquons demain! Bonne nuit.
Sur le seuil de sa cabine, Rosy hésita un instant ; puis elle s'approcha de Ray et lui plaqua deux baisers sonores sur les joues, avant de s'enfermer à double tour.
-Réaction totalement illogique, grogna le robot en regagnant ses pénates.