CHAPITRE VII

Paul Steeman abaissa un contact et referma la petite trappe située dans le sein gauche de l'androïde.

-Voilà, Ray, c'est terminé. Tu peux t'habiller.

L'androïde était un solide gaillard brun, ayant un air de parenté avec Marc mais plus massif.

La ressemblance avec les humains des androïdes utilisés par le Service de Surveillance des Planètes Primitives était hallucinante. Ils accompagnaient les agents en mission afin de les protéger et d'enregistrer tout ce qu'ils voyaient et entendaient. Ainsi, les rapports sur le degré des civilisations étaient extrêmement détaillés. Les indigènes ne pouvaient se douter qu'ils n'avaient pas un homme en face d'eux. Tout avait été prévu, jusqu'au moindre détail: un système de « poils » rétractables simulait la barbe, et de petits orifices dans la « peau » pouvaient laisser sourdre de la « sueur »...

-Te voilà remis à neuf, poursuivit l'ingénieur.

Un discret sourire naquit sur ses lèvres.

-Bien que ce ne soit pas très réglementaire, j'ai laissé les petites modifications que tu t'étais discrètement apportées, comme le shunt de l'interrupteur ou la possibilité d'interrompre tes enregistrements. Cela t'évitera d'avoir à les refaire.

Le robot éclata d'un rire très humain.

-Merci ! Cela a sauvé Marc plus d'une fois.

-Je le sais. C'est pourquoi, j'ai aussi réparé ton laser digital et rebranché le désintégrateur dissimulé dans ton avant-bras. N'oublie quand même pas que le S.S.P.P. en a interdit l'usage au cours des missions!

-Une belle idée de technocrates qui ne sont jamais sortis de leur bureau ! Sur les planètes primitives, il y a encore des bestioles monstrueuses qui ne se laissent pas attendrir par une caresse et qui considèrent les humains comme de simples amuse-gueules.

Ray effectua quelques mouvements d'assouplissement.

-Tout paraît bien huilé, dit-il avec une grimace satisfaite.

-Je l'espère! J'ai changé bon nombre d'engrenages et de circuits. Maintenant, file vite. Le capitaine Stone semblait très pressé de te retrouver.

Ray ferma un instant les yeux.

-Curieux, grogna-t-il. Je n'arrive pas à entrer en contact avec lui. Etes-vous sûr que mon amplificateur psychique fonctionne?

-Certain! Sa puissance a même été augmentée !

Soudain très pressé, l'androïde quitta la pièce en lançant un bref remerciement. Devant l'usine, il eut la chance de trouver un trans-taxi. Il s'y engouffra en donnant l'adresse de Marc.

Moins d'un quart d'heure plus tard, il poussait la porte. Il s'immobilisa aussitôt sur le seuil. A cause de certains détails, la certitude que l'appartement avait été fouillé s'était immédiatement imposée à lui. Près de l'ordinateur et du vidéophone se trouvait un bloc-notes. Plusieurs pages en avaient été arrachées. Il détacha la dernière feuille et l'examina en lumière rasante. Comme de très légères traces étaient visibles, il parvint à déchiffrer: ... joins-moi... urgen...

Quelqu'un avait pris soin de détruire le message qui lui était destine. Les neurones électroniques de Ray travaillèrent à grande vitesse.

D'ordinaire, lorsqu'il rentrait de mission, la première chose que faisait Marc était d'appeler Elsa Swenson. Cinq heures du soir. Elle devait encore être à son bureau.

Il composa vivement le numéro. Une secrétaire souriante répondit à sa question:

-Mlle Swenson est absente et nous ne savons pas quand elle rentrera. Si vous souhaitez laisser un message, monsieur...?

Ray mentit avec aplomb:

-Capitaine Marc Stone! J'ai un besoin urgent de joindre votre directrice.

Apres avoir consulté une liste, la jeune femme assura, l'air désolé:

-Nous ignorons réellement où elle se trouve. Elle est partie pour une tournée d'inspection et ne nous a pas contactés depuis une semaine. Nous commençons même à être inquiets...

Les circuits de Ray poursuivirent leur travail une fois l'écran éteint :

« Il est logique que Marc ait voulu retrouver Elsa. Pour cela, il s'est rendu à l'astroport. »

Il consulta l'ordinateur. Au bout d'une demi-heure, cependant, il renonça, dépité. Aucune compagnie, même charter, n'avait enregistré de voyageur du nom de Stone.

« Si Marc s'est rendu à l'astroport, il a dû utiliser son trans... »

Un rapide contrôle montra à l'androïde que le véhicule n'était plus dans le parking de l'immeuble. Serait-il à celui de l'astroport? Une minute lui suffit pour entrer en communication avec l'ordinateur désiré. Une série de numéros minéralogiques défila sur l'écran.

« Voilà le sien ! Il est à l'astroport et Marc ne s'est pas embarqué. Totalement illogique!... S'il est parti, il a dû acheter un billet. »

Ray pianota sur son clavier, demandant un relevé du compte bancaire de Marc. Le chiffre qui lui fut communiqué lui arracha une grimace de dépit : la somme était pratiquement la même qu'avant leur départ en mission.

Il allait abandonner, mais sa logique exigea une étude détaillée des fluctuations du compte. Des chiffres s'inscrivirent sur l'écran, petites sommes correspondant aux prélèvements automatiques pour les dépenses de l'appartement. Puis, enfin, quelque chose de bizarre: Compagnie Galaxie-Service, débit de 100 000 dols... immédiatement remboursés! Marc avait-il changé d'avis? Le robot décida de se rendre à l'astroport, ne serait-ce que pour récupérer le trans.

La nuit était tombée depuis plusieurs heures lorsqu'il arriva devant le comptoir de Galaxie-Service. Une brunette souriante l'accueillit. Consultant son ordinateur, elle assura:

-Aucun capitaine Stone n'a loué d'astronef.

-Etiez-vous de service, ce soir-là?

-Non, c'était Tracy.

-Pourrais-je la joindre?

-Ce sera difficile. Elle est partie brusquement en vacances pour quinze jours.

Avec un brin d'envie, l'hôtesse ajouta:

-Elle a le chic pour se trouver des amants riches !

-Merci ! A quelle heure ouvrent vos bureaux?

-A neuf heures, demain, mais ils ne vous diront rien de plus.

Ray s'éloigna d'un pas tranquille. Puis, dès qu'il fut hors du champ de vision de la brunette, il se glissa vers une porte sur laquelle était écrit: « Galaxie-Service, entrée du personnel -interdite aux personnes non autorisées ». L'huis était fermé à clé. Un fin rayon laser jaillit de l'index droit de l'androïde, sectionnant le pêne. Repoussant le battant, l'intrus se garda bien de donner de la lumière. Sa vision infrarouge suffisait à le guider. Il se glissa donc dans l'obscurité jusqu'au service du transit, où il alluma l'ordinateur. Rapidement, il eut confirmation du versement de Marc et de son annulation. Il apprit également que moins d'une heure plus tard, un yacht loué par un certain M. Smith avait décollé ; destination : Terrania XIX. Mais, malgré ses recherches, il ne trouva aucune adresse.

Songeur, il ressortit du bureau. Marc était-il parti là-bas sous une fausse identité? Avant de se lancer dans l'aventure et risquer de perdre trois jours, il souhaitait une confirmation. D'abord, il lui fallait savoir si Elsa avait intérêt à se rendre sur cette planète...

Il descendit au parking souterrain, particulièrement désert à cette heure nocturne. A l'instant où il ouvrait la portière du trans de son ami, une ombre apparut, une arme à la main.

-Doucement ! Pas de geste brusque. Monte !

L'homme, un grand type basané, s'installa sur le siège arrière. Il appuya le canon de son pistolaser sur la nuque de Ray.

-Démarre! Et pas d'excès de vitesse, ou je grille ce qui te sert de cervelle.

Ils quittèrent l'astroport, puis l'inconnu obligea Ray à prendre la direction opposée à celle de la ville. Apres un quart d'heure de route, il ricana :

-C'est gentil d'être venu si vite. Je commençais à m'ennuyer. Je vais pouvoir encaisser ma prime et aller me coucher!... Tourne à droite au prochain croisement.

Le trans abandonna la route principale pour s'engager dans un sentier forestier.

-Arrête-toi là! Ce sera parfait.

Le bandit descendit, surveillant toujours son otage. En vrai professionnel, il n'avait pas relâché son attention une seconde.

-Si je comprends bien, dit Ray, vous allez me tuer.

-Pas de grands mots, ironisa l'homme. Je mets seulement au rebut un tas de ferraille. Tu n'es qu'un androïde, après tout.

-Pourquoi?

-Je l'ignore. Ce sont les ordres du patron. Il veut que l'androïde de Stone disparaisse. Je t'ai raté lorsque je suis passé à l'appartement, alors il m'a obligé à t'attendre près du trans. Il se doutait bien que tu viendrais le chercher un jour ou l'autre. Nous nous sommes relayés à deux, mais c'est moi qui toucherai la prime. Un coup de chance !

-Je ne crois pas.

Le ton de son prisonnier inquiéta le malfrat. Levant son arme, il appuya aussitôt sur la détente. Le rayon laser ne provoqua qu'un grésillement ridicule au contact du champ protecteur, merveille de la technologie terrienne réservée aux robots de combat et aux androïdes du Service Action. Quand Ray branchait son écran, un champ de force se créait autour de lui, le mettant à l'abri des projectiles et des rayonnements. Pour percer cette barrière, il fallait une énergie supérieure à celle de son générateur.

Avant que le truand revienne de sa surprise, son adversaire actionna son laser digital. Avec terreur, l'homme vit son arme s'envoler en même temps que trois de ses doigts. Secouant sa main mutilée, il hurla:

-Ce n'est pas possible! Un robot domestique ne peut jamais mettre une vie humaine en danger! C'est... c'est interdit!

Il tenta de fuir, mais un rayon laser le toucha au mollet, le faisant trébucher. Il roula à terre, en proie à une panique démente.

-Tu vas répondre à mes questions, sinon je te coupe bras et jambes et je te regarde crever.

-Non ! Vous n'avez pas le droit ! Je veux être jugé par l'ordinateur judiciaire! Ah!...

Un rayon laser venait de toucher la main blessée, emportant un quatrième doigt.

-Où est le capitaine Stone?

-Je vous jure que je l'ignore! Pitié!...

-La pitié est un sentiment humain totalement illogique. C'est toi qui as arraché les feuilles du bloc-notes?

-Oui!

-Qu'y avait-il d'écrit?

-J'étais pressé, je ne l'ai pas lu. J'ai tout donné au patron.

-Qui est-ce?

-Je ne peux...

Un nouveau rayon interrompit la phrase.

-C'est... c'est... Dolan, Terry Dolan. Il a une propriété à une centaine de kilomètres à l'est...

Les explications détaillées pour parvenir sur les lieux suivirent aussitôt.

-Je ne sais rien de plus. Rien!...

La voix était déchirante, à la limite de l'hystérie.

Ray se pencha et mit fin aux jérémiades du bandit d'une solide tape sur le sommet du crâne. La logique aurait voulu qu'il achevât cet être malfaisant dont il ne connaissait même pas le nom. Il leva donc son bras armé du désintégrateur, mais le laissa retomber.

-Je sais, Marc, soupira-t-il. Ne jamais tuer si l'on n'y est pas contraint...

Il remonta dans le trans, démarra et rejoignit la route. A cette heure de la nuit, la circulation était très fluide. Il appuya sur l'accélérateur sans se soucier des limitations de vitesse.